Hiroshima, Matsuyama… A-Bomb Dome

A Hiroshima, en route vers le A-Bom Dome, là où se trouve le musée et le mémorial

Je n’ai que très peu de batterie et je ne sais pas si je prêt à écrire maintenant. Pourtant, ce serait le moment. Je suis dans le train qui me mène à Matsuyama sur l’île de Shikoku et c’est un train local, donc qui prend le temps de desservir toutes les gares, puisqu’il met trois heures pour rejoindre Matsuyama de Okayama, là le shinkansen pour faire la même distance – juste en face – met 30 minutes. L’île de Shikoku est vraiment très belle, on y retrouve ce qui fait le charme du Japon tel qu’on l’imagine. Des rizières tout du long, des arbres verts fluorescents partout, des vieilles maisons traditionnelles en bois, la mer à un pas, les petites “montagnes” que chez nous nous appellerions collines…. bref c’est magnifique et c’est bienvenue après l’épisode Hiroshima et la visite du Muséum et du Mémorial sur la première bombe atomique lancée dans l’histoire de l’humanité. Je pense à l’homme dans son avion qui a appuyé sur la gachette et libéré la bombe. Il a fait 200 000 morts en un instant et a rasé une ville complètement. A-t-il eu un accès de conscience ? Etait-il excité à l’idée de s’être vu remis cette importante mission ? A-t-il réalisé une fois le mal fait, ce qu’il avait fait ? Comment a-t-il vécu après ? Comment des hommes après avoir fait cela une fois ont-ils pu le refaire ? L’ignorance… eux, ils n’ont pas visité la ville le lendemain ou le jour même. Vu du ciel, ce sont juste des bâtiments rasés, des quartiers complètement avalés. Un changement de relief ! Ce qui me frappe peut-être le plus dans tous les témoignages, les traces laissées par ceux qui ont survécu, c’est qu’il n’y a aucune haine. Moi, il m’en est monté une de haine ! Sauvage, profonde, puissante ! Mais jusqu’où peut aller l’homme dans la barbarie !?

Avant et après…

Mon ordinateur tombe en panne de batterie… ce n’est plus le shinkansen qui a, dans chaque wagon, aux places 1 ABCD voir E, des prises. Nous sommes toujours sur les chemins de fer de la JR, mais sur l’île de Shikoku. Du coup, je le paysage. J’ai du temps devant moi. La traversée de la mer a été assez impressionnante. On est sur un bras de terre artificiel, avec les rails et l’eau tout autour. Je me rends compte, en regardant une carte de l’île dans le train , que mon périple d’hier avec les japonais passait par des îles qui relient Higashi-Hiroshima à l’île de Shikoku. Mais je ne suis pas tellement plus avancé, sur la carte comme sur tous les supports depuis que j’ai quitté Okayama, il n’y a plus un seul caractère en romaji. Tout est en kanji ! Et moi, jusqu’à preuve du contraire, je ne sais pas les lire !

Un vélo d’enfant et son casque. Musée de Hiroshima

Dans le train, toujours, avec le temps qu’il me reste, je décide de jeter un oeil au livre que j’ai acheté au Mémorial sur les dessins de ceux qui ont survécu à la catastrophe nucléaire. C’est très émouvant. Souvent des gens âgés qui 40 ou 50 ans après ont dessiné quelque chose qui est resté gravé. Ca va de la bombe qui tombe de l’avion à l’enfant qui voit sa mère la peau “comme une pêche qu’on épluche”, ou encore l’étudiant qui voit cette institutrice avec une dizaine de fille carbonisées dans une citerne à eau où elles étaient allées se réfugier pour se protéger du feu. Les dessins sont souvent très enfantins, très simples, ce qui renforce encore leur puissance évocatrice et émotionnelle.

Le dôme avant…

Le dôme après… aujourd’hui, symbole de l’attaque Atomique

Je repense à cette matinée dans ce parc, avec le A-Bomb Dôme, rare vestige laissé comme il ‘est retrouvé après l’explosion de la bombe, la tôle tordue, à travers laquelle on voit le ciel. On peut aisément imaginer l’avion passer, lâchant cette petite bombe qui ressemble à n’importe quelle bombe… Dans le parc, il y a cet arbre aussi. Ce n’est pas un Gingko comme on me l’avait raconté, mais cet arbre qui malgré sa proximité avec l’épicentre, à survécu, est reparti et vit toujours. Ca fait quelque chose de voir ça. De voir comment cette cicatrice n’est presque même plus visible sur lui. Puis je rentre dans le musée et le mémorial. Il y a l’exposition temporaire du livre que j’ai acheté sur les dessins, des vestiges récemment récupérés. Des habits brûlés, une montre arrêtée, de la vaisselle qui a fondu sous la chaleur et s’est figée ainsi à tout jamais. Il y a beaucoup de témoignages aussi. Beaucoup d’explications techniques. Pourquoi, comment, les différentes phases, les températures atteintes aux différents endroits, etc. Puis une partie plus humaine où l’on peut voir quelques photos insoutenables de corps brûlés complètement, de chairs pendantes mêlées avec les lambeaux d’habits. Où il vous est impossible de dire si ce corps appartient à une femme, à un homme et même à un humain.

Enfants ayant la chair fondue, mêlée aux restes de vêtements. A marquer dans vos yeux et vos coeurs pour ne pas oublier.

Il y a aussi beaucoup de témoignages de paix, de sympathie, de compassion venant du monde entier et puis , ce temple dans le parc, un monument pour Hiroshima avec une tombe à l’intérieur. Un monument pour “Hiroshima la cité de la paix” là où Udaka Sensei a décidé d’écrire son nô moderne “Inori” sur la Bombe Atomique.

Un homme brûlé. Le lendemain à l’hôpital

Bien sûr, je ne sais pas ce qui m’y pousse, mais je veux voir l’épicentre. L’hôpital . C’est devenu une petite rue dédiée aux parkings avec un petit autel commémoratif qu’on ne voit pas si on ne le cherche pas. Dessus, des centaines de petites grue en Origami, symbole de paix et de chance, je crois.

Des enfants l’hiver suivant qui mangent de la neige pour se désaltérer

Il est 13h30, je suis muré dans un silence lourd et sourd. J’essaye de recevoir, de percevoir, je me rappelle que mon métier à moi est d’empêcher ça, toujours et que souvent quand l’art et la culture s’appauvrissent, l’inhumain et la bêtise prennent le dessus. Je me dis qu’il serait de mon devoir d’écrire une pièce sur cette tragédie. Mais après, après Zeami et Kanami.

Une poupée… l’enfant lui est mort.

Il est 19h30, j’arrive à Matsuyama. Comme je vous l’ai dit plus haut, ce n’est pas Kyôto ou Tôkyô ou même Hiroshima. Ici, pas un rômaji à l’horizon et il est tout de suite très difficile de trouver des gens qui parlent ne serait-ce que quelques mots d’anglais. J’arrive malgré tout à trouver un centre d’information. Heureusement d’ailleurs, parce que le plan que Rebecca m’a donné est un Google Maps en japonais avec presque aucune indication, si ce n’est le concessionnaire Honda pas loins et le Mac Do. Au final, ces informations m’auront permis de ne pas me perdre. Parce que le gars du Centre d’Information, en plus de ne pas parler anglais, ne voit pas du tout où c’est. Il me donne quand même une carte de Matsuyama en rômaji et me donne le nom du tram qui monte le plus vers le nord, dans la zone où semble se situer le “Shikibutai”. Mais il y a deux tram par heure. Le prochain est à 20h20… Je décide du coup de le faire à pied avec ma valise qui roule… j’en profite. C’est l’occasion de voir le paysage – même s’il fait nuit depuis presque une heure – et de sentir un peu l’endroit. Je suis assez inquiet. C’est vraiment très différent de ce que je connais du Japon. Il n’y a pas un resto ouvert, pas de petits supermarchés 24/24. Et moi qui aurais aimé mangé avant d’arriver…

Lavabo dans le train… et vive la Japan Railway

Je passe devant le jardin d’un énorme château féodal, je continue à monter vers le nord. Là sur la droite, un petit resto ouvert. Le problème, c’est qu’il n’y a ni dessin, ni photo, ni rien. Je peux juste apercevoir derrière la vitre, un comptoir assez étendu comme dans les resto de Sushi. Mais ce n’est pas un resto de sushi. Les gars ne parlent pas anglais. J’arrive à savoir “grand” et “petit”, je vois moins d’écritures au niveau du prix sur petit, je prends petit. En fait c’est un “ramen” au porc. Une sorte de plat avec du riz et du lard revenu. C’est assez bon. En plus l’oeuf est à côté, donc j’évite cet oeuf cru avec lequel j’ai toujours autant de mal. Je paye -500 yens, tout à fait correct !- et continue ma route. Comme je le disais au dessus, c’est grâce au Mac Do et au concessionnaire Honda que finalement je trouve la bonne rue après m’être égaré un moment. Il est 21h15 et j’arrive chez le Maître. Il est devant chez lui et est accompagné de 4 personnes. Je pense tout de suite à sa femme et à ses enfants… mais pas du tout, s’il y a bien sa fille dans le groupe, le reste sont des élèves.

Le maître me fait entrer. Le Shikibutai ici est plus grand qu’à Kyôto et il y a même un pin millénaire peint au bout du plancher – par le maître en personne – et une passerelle, un “hishigakari”. Il me montre où poser ma valise et me demande si je veux boire quelque chose. J’acquiesce. Je me retrouve avec un mug de café chaud à 21h30 ! Wouah. La nuit risque d’être agitée, mais en même temps, je ne me vois mal refusé.

Le pin au fond du Shikibutai peint par Maître Udaka

Ensuite, nous parlons longuement tous les deux. Ses élèves sont en seiza autour de nous. Je ne pense pas qu’ils parlent anglais, mais ils tiennent leur place, sans broncher. Puis les uns après les autres, ils s’en vont. Le maître parle toujours. Il me raconte comment lui est venu le Nô d’Hiroshima. Nous parlons religion. Nous parlons devoir. Nous parlons du lien entre le théâtre et Dieu. Nous parlons de ce que j’ai fait. Nous parlons de méditation bouddhiste. Il me montre les livres qu’il lit en ce moment – beaucoup de livres : philosophie, physique, grands écrivains, histoire du peuple juif – et aussi sa collection de livres de nô…

Le Kimono du maître, la chemise de l’élève… Au pied, on voit deux blocs de bois qui leur servent à battre la mesure avec des éventails pour les leçons.

Il est minuit. Le maître me sort deux couvertures rouges qu’il met au sol : “That is your bed”. Heureusement le sol est en bois, mais c’est raide quand même. Espérons que j’arriverai à fermer l’oeil cette nuit ! Je vais prendre une douche, puis m’apprête à me coucher quand le maître revient de sa chambre et me dit : “We meditate now ?”. Ok… il fait un cérémonial devant un autel où il y a un portrait de sa mère, de son père et plein d’autres choses. Il fait plein de gestes très compliqués avec ses mains en psalmodiant des sutras, je pense. Il me donne un coussin et en prend un pour lui, puis nous nous installons. A chaque phase, il m’explique. Quoi faire et le sens que ça a. Remercier l’air, l’ADN, ton père, ta mère, tes genoux qui t’ont porté ici, etc. Puis nous méditons. Nous sortons notre “antenne” comme il dit pour dire : “Ouh Ouh, I’m there ! Are you there too everybody.” Nous restons ainsi une bonne demie heure, mon dos crie depuis une dizaine de minutes, mais je tiens bon, puis il arrête, prend ses pierres, les frotte et fait deux étincelles. Il referme l’autel, c’est fini. “Goodnight Alexandre the King”. C’est comme ça qu’il m’appelle, allez savoir pourquoi…

C’est là, au pied du pont, sur ce drap rouge que je dormirai trois nuits…. mon dos s’en souvient.

Dans le Shikibutai, il n’y a pas de clim. Dans le Shikibutai, je dois dormir sur le sol… et bien, j’ai réussi, malgré le premier quart d’heure où j’ai cru que j’allais suffoquer avec cette chaleur, je me suis endormi et j’ai même très bien dormi.

Il est 16h34 chez vous et 19h34 ici. Je dois vite aller manger de mon côté et retourner au Shikibutai qui n’est pas si proche pour travailler ma flûte et peut-être avoir une petite conversation avec le maître. Aujourd’hui, comme vous l’apprendrez demain, j’ai vécu une journée vraiment incoryable. Promis, je vous raconterai. Photos à l’appui. Je vous laisse. See you !

Le 18 juillet.

Désolé… pas le temps aujourd’hui de vous raconter hier

Le Nô de l’esprit Araignée « Tsuchigomo », Famille Kongo.

Désolé, mais il m’a été impossible de mener ma tâche à bien entre hier et aujourd’hui. Je suis maintenant à Matsuyama avec le Maître, Maître Udaka. Je sors d’une nuit et une journée incroyable. Je vous raconterai tout ça très vite et en détail avec Iroshima aussi, photos à l’appui.

A très vite.

Sayonara

Kyôto, Hiroshima, Imabarishi, Hiroshima… what’s a day

Okina, mais un très vieux et très bel Okina… have such respect and listen.

Il est 20h24 ici, 13h24 chez vous, je suis dans le bus qui doit me ramener à Hiroshima et je vais tenter de vous raconter cette journée assez incroyable où j’ai traversé encore une bonne partie du Japon.

Au départ de Imadegawa… by metro

Ce matin comme depuis deux jours maintenant, le réveil se fait à 4h, puis à 5, puis à 6, puis à 7h – le réveil était lui réglé à 7h30. Heureusement, car mon iphone semble avoir du mal à supporter la température et l’humidité – alors qu’hier en allant me coucher – vers 02H30 – il annonçait batterie pleine, ce matin – à 7h00 donc – il était éteint ! Je suis éreinté, vraiment et j’ai bien peur que la journée de voyage avec les bagages, la course pour prendre ce car qui doit m’emmener je ne sais où voir un nô présenté par les Kongo dans l’enceinte d’un Temple, le retour à Hiroshima à 23h00 passées, puis l’excursion pour trouver l’hôtel, ne finisse par m’anéantir complètement. Surtout qu’il n’est pas question de dormir demain matin, il faut que je profite du court laps de temps à Hiroshima pour au moins aller voir le “Peace Mémorial Museum”, faute de pouvoir me rendre à Miyajima. C’est que je suis attendu demain en fin d’après midi à Matsuyama par Maître Udaka en personne…

Sur le quai de la gare de Kyôto. Un père et sa petite fille attendent le Shinkanzen.

Est-ce que j’en profite tout de même ? Oui ! Je vous le dis avec un grand O. Carrément !

Mais revenons à ce matin que nous expédierons vite, voulez-vous ? Petit dej traditionnel, douche, flûte et vérification du sac – je dois avoir sur moi de quoi tenir cinq jours + l’ordi, la flûte, l’éventail, les tabis, une tenue de travail, le sac de couchage, etc. Je crois que tout y est ! Je file voir la gérante de la Takaya pour lui remettre mes clés au cas où Elise arriverait avant mon retour – ce serait dommage de ne pas en profiter pour repasser par Hiroshima au retour et enfin voir ce théâtre Nô flottant à Miyajima – et tente de lui expliquer dans mon mauvais anglais tout ça : mon départ, l’arrivée de la dame, les clés. Finalement, elle m’annonce qu’elle a un deuxième jeu, et moi, je me suis mis en retard ! Ce n’est pas grave, je fonce. Métro, JR centre d’information et de réservation pour acheter mon billet pour demain : Hiroshima, Matsuyama. Le temps de courir au quai number 23 et hop me voilà dans le shinkansen. Je ne me sens vraiment pas bien. Nausée, tournis… Je profite de mon changement de train à Shin-Osaka pour aller m’acheter un Obento. J’en choisis un avec des sushis. Je me dis : “Du poisson cru, ça va me faire du bien !” J’en profite pour m’acheter aussi un jus de fruit frais. Je prends Kiwi, me rappelant qu’Elise dit souvent aux enfants que c’est plein de vitamines. Je remonte sur le quai, j’ai l’impression que je vais tomber dans le coma, tellement la chaleur est difficile à supporter, mais je tiens, je sais que quand je serai dans le Shinkansen, assis, la chaleur sera un mauvais souvenir et qu’avec quelque chose dans le ventre, le malaise va passer. Ah si ! Avant de rentrer dans le train, acheter de l’eau ! Boire de l’eau, voilà ce qui me faut ! “Zut ! J’avais oublié !” En effet, hier quand j’ai acheté mon billet pour Hiroshima, le guichetier ne m’a trouvé qu’une place fumeur ! Juste aujourd’hui. Je traverse le wagon, ça empeste, mais je tiens. Heureusement je suis place A1, donc à l’entrée du wagon et assez vite l’odeur s’estompe. Il est 10h30, je mange mes dix sushis emballés dans des feuilles de je ne sais quel arbre. Ils sont un peu fumés… sûrement pour leur éviter de se gâter avec la chaleur ambiante. Ce n’est pas du tout ce que ma gorge à envie d’avaler, mais je force. Un, deux, trois… dix ! Les dix sont là bien au chaud avec mon litre d’eau et mon jus pressé de Kiwi. Je ferme les yeux, il faut que je m’endorme vite si je veux en profiter – le shinkansen est rapide, le bougre -, j’ai juste une heure pour dormir avant l’arrivée à Hiroshima. Et bien, vous savez quoi, je la dors l’heure et ma mixture a eu le temps de faire un peu effet. Je me réveille, pas en pleine forme, non, mais en forme, en meilleure forme.

Dans le bus, le premier pont qui permet d’aller sur la première île.

Il est 12h30, il faut remettre les idées en places ! Le rendez-vous avec le car est à 13h15 juste à la sortie de la gare. Il faut que je me débarrasse de mon sac de voyage, que je trouve un endroit où me poser cinq minutes et que je trouve l”Information Center” pour avoir les infos pour le Mémorial demain et voir si c’est jouable avec mon départ de Hiroshima à 15h30. Tout se goupille bien, sauf pour le sac… toutes les consignes sont prises ! Espérons qu’il n’y aura pas de changement de bus entre l’aller et le retour et que je pourrai laisser mon barda dans la soute ! Je suis en avance. Je m’arrête dans un bar pour prendre un jus de banane – “la banane c’est des sucres lents, ça tient au ventre !”, dixit Elise. Il est 13h15, je vais au rendez-vous fixé devant l’hôtel, à la sortie nord de la gare. Je vais enfin voir à quelle sauce je vais être mangé ! Je mets le badge que Rebecca m’a remis . J’ai l’impression d’être un gosse qui part en colonie. C’est un peu ça, en fait. Devant l’hôtel, une hôtesse m’accueille : “Ah ! Mr Ferran. Follow me, please.”. Elle connaît même mon nom… Je la suis, en lui expliquant mon problème de bagage, elle ouvre la soute d’un énorme bus et me montre où le mettre – les japonais sont ordonnés-, puis m’invite à monter dans le bus. A l’entrée du bus, elle me montre un papier avec tous les noms des gens qui partent avec nous. C’est tout écrit en japonais, sauf “FERRAN”. Je suis au fond comme les mauvais élèves et pourtant je suis l’un des premiers à prendre place. Dans les dix minutes qui suivent une cinquantaine de japonais et japonaises ont pris place autour de moi. Ce sont des spectateurs de nô, donc : des couples âgés, des femmes de milieu aisé, quelques familles avec leurs grandes filles. J’y crois pas ! Moi qui me suis toujours moqué des bus de japonais à Paris, me voilà dans un, tout pareil. Sous la garde d’une hôtesse qui parle tout le temps avec un débit impressionnant, les gens qui lèvent le bras quand ils connaissent ça ou ci, qui applaudissent quand l’hôtesse prend une respiration, qui s’extasient de “Ho”, “Ah”. C’est plutôt sympa en fait… même si je fais un peu tâche moi au milieu. Mais les japonais sont gentils avec moi. Certains essayent d’entrer en communication. je tente de leu expliquer avec mes quatre mots de japonais d’où je viens, ce que je fais, pourquoi je suis là. Et comme un imbécile, j’ai laissé mon dictionnaire français-japonais dans la soute, dans mon grand sac. 14h15, pause pipi, tout le monde descend, je vais fumer une cigarette. L’hôtesse m’a écrit l’heure à laquelle je dois être dans le bus ; 14H30. Puis nous repartons vers cette destination inconnue et elle a beau raconter avec son micro plein de choses sur ce que nous allons faire, où et comment et pourquoi, je ne suis pas plus avancé. Ce serait une blague à faire. Envoyer quelqu’un comme moi en visite avec un groupe en lui faisant croire qu’il va voir du nô… mais je n’ai pas de doute, Rebecca n’est pas du genre à rigoler avec ça et puis, elle ne me connaît que depuis trop peu de temps… quoi que ! Ah ! Que se passe-t-il, je n’entends plus rien, je lève les yeux – ça fait trente minutes que je me retiens de dormir me disant que ce ne serait pas très poli devant quelqu’un qui met tant d’énergie à nous raconter toutes ces choses -l’hôtesse est en train de distribuer des choses…. Arrive mon tour : un ticket pour la représentation et le prospectus sur le nô. C’est donc bien du nô que je vais voir, en même temps, cela je le savais déjà, me direz-vous et vous avez raison, mais au milieu de toutes ces écritures en japonais, il y a une petite carte… nous allons sur une île ! La quatrième même, d’après le plan bien sûr. Il y en a 6 en tout, reliées par des ponts et qui permettent, semble-t-il, d’après le plan assez schématique, de relier deux bras de terre. Si vous avez une carte du Japon pas loin ou connaissez cet endroit, je vous serai gré de me faire parvenir l’information. Plus tard, j’apprendrai, en me liant d’amitié avec mes voisins de sièges que le village où nous allons s’appelle Imabarishi… ça vous aide ?! Parce que moi non.

Mon bus de japonais… aire de pause entre Hiroshima et Imabarishi

Il est 15H30, nous nous arrêtons. Après un tonnerre de “Ha, ho, hi, hu” à la vue d’un temple, le bus s’arrête sur un parking. Deuxième pause pipi, me dis-je. Mais non ! Nous sommes arrivés. Les “Ah, oh, ih, uh ou ha, ho, hi, hu” sont pour Le Temple ! Celui où ce soir nous verrons la représentation. Une autre hôtesse attend tout le monde à la descente du bus. Elle a un petit porte voix collé à la bouche en permanence et reprend sur le même flot que sa partenaire. Elle, du coup, a fini sa partie et en profite pour se rapprocher de moi et me traduire un peu tout ça. Elle me montre l’endroit où nous nous retrouverons pour manger à 16h30. “A 16h30 !!!!, manger ?!”. Puis elle s’arrête devant un présentoir avec des serviettes de plage représentants des estampes de femmes et de couples. Elle attrape un sèche cheveux qui est pendu là sur le stand, chauffe une serviette et la geisha qui était jusqu’à présent habillée, se retrouve nue. Ah, ces japonais tout de même ! Mais l’autre hôtesse a pris de l’avance, nous la voyons s’éloigner avec le groupe devant et devont accélérer la marche pour les rejoindre. Bien sûr, c’est du japonais, mais apparemment, ça ne se fait pas de quitter le groupe. On forme une équipe, une famille. Alors, sagement je regagne les rangs.

La scène de Nô quelques heures avant le spectacle. Dans la cour du Temple, évidemment.

Au niveau visites, les japonais sont efficaces. Le tour du temple est bouclé – et pourtant c’est un très grand temple, avec plusieurs bâtiments, des cours, des jardins boisés, etc – en 30 minutes. J’ai, à peine eu le temps de voir la scène qu’ils ont monté pour l’occasion au pied d’un pin vraiment très vieux, vu son allure et sa taille. Il nous reste une demie heure pour aller visiter les salles qui, apparemment renferment des trésors ! C’est 1000 yens… ok, je paye, j’ai un peu les glandes. Mais si tu suis, tu suis ! Je rentre et là… un dépliant avec une des pages en anglais ! Ah, d’accord ! Nous venons d’entrer de le hall des armures le plus célèbre du Japon. Il y a ici quelques 10 trésors nationaux, dont tenez-vous bien – je dis ça pour ceux qui connaissent le Dit des Heiké – une armure de Yoritomo Minamoto (mais si l’amoureux de Tomoé!) et une autre de Yoshitsune Minamoto (mais si le cousin de Yorimoto, celui qui devient Shôgun à Kamakura… allez un effort !). Je reste devant ces deux pièces. Je me dis que ces hommes les ont portées, c’était même peut-être celle – je parle de celle de Yoshitsune – de la bataille qui les opposa aux Heike et qui vit mourir Atsumori… who know’s. 1000 yens, c’était cher, mais je viens de faire encore un sacré voyage… rapidement. Il faut aller manger ! 16h30. Grrrr. Ils me saoulent à la fin. Je vais y aller cool, il y en a marre. Mais voilà t’y pas qu’un papa du groupe et sa fille qui a l’avantage sur lui de parler anglais, arrivent. Ils étaient inquiets ! Ne m’ayant pas vu, ils sont repartis du resto à ma recherche. Bon ! Ca me servira de leçon. Parfois tu suis, tu suis et c’est tout. Il y a là aussi des choses à prendre, à recevoir et à apprendre. Allez ! Je fais mon plus beau sourire et les suis.

Do you work here Fred ? Eclairages pour le Butai – la scène de Nô

Aïe ! M’y voilà… je n’ai devant les yeux uniquement que des choses que je n’ai jamais mangé ou presque et je suis le seul étranger à une table de huit femmes japonaises d’une cinquantaine d’années qui ont bien envie de rigoler un peu et de voir comment s’y prend ce “Furansu”. Ben justement, il ne sait pas ! Je les regarde faire, je demande, elles rigolent, mais finalement sont très maternelles avec ce petit garçon que je suis redevenu. J’ai tout mangé. Tout, tout, tout. Je serai bien incapable de vous dire quoi, mais j’ai tout mangé. J’ai juste fait tomber mes baguettes en bataillant contre un truc très élastique que je voulais séparer en deux morceaux, mais dans l’ensemble ça s’est bien passé. Ouf ! “O Chao Kudasai”, ça je sais le dire, je ne m’en prive pas ! Ca veut dire : “un thé s’il vous plaît”. Mais il est déjà 17h15, le début de la représentation est à 17h30, il nous faut repartir. Je laisse mes comparses pour fumer une dernière cigarette et je rejoins l’entrée du temple qui devient le temps d’une représentation l’entrée de la salle. Je m’estime vraiment chanceux d’avoir pu assister à ça. Je m’imagine comme à l’époque de Zeami où les représentations se passaient comme cela. Devant la scène, il y a des bûchers pour faire face à l’arrivée de la nuit -j’apprendrai après qu’ils sont surtout là pour une cérémonie Shintô. Les quatre poteaux sont de bambous, la scène est assez rudimentaire. Ils ont monté une tente pour cacher les entrées et installer le rideau multicolore. Ouah!!! Un nô en plein air, dans la cour d’un temple, avec tous ces gens – parce que c’est archi plein. Surprise de taille, je vois, devant la scène, une quinzaine de masques de la famille Kongo alignés sur une table dont un Okina qui a l’air vraiment très vieux ! De toute façon, le Iemoto étant encore là ce soir, les masques qui nous sont donnés de voir sont forcément des masques précieux.

Des masques appartenant aux Kongo, soit de très vieux masques sur une simple table…

D’ailleurs la représentation commence par un cours sur les masques et le Butai – c’est très à la mode apparemment… hier, à Tôkyô, c’était un cours sur le Otsuzumi (le Tambour de hanche) – qui dure une bonne demie heure. Puis pause de dix minutes où nous sommes invités à venir admirer les masques. Ca joue du coude, ça flashe, ça dégénère un peu. Du coup, les masques sont rangés en urgence. Etant l’un des premiers, j’ai réussi à quasiment tous les photographier – sans flash évidemment . Puis, nous sommes invités à retourner nous asseoir, le spectacle va commencer. En premier lieu, le shimai de “Kakitsubata” dansé par le Iemoto ( que j’ai filmé avec mon nouvel appareil). Ce n’est guère plus prenant d’hier. Joli Utai, mais je n’accroche toujours pas avec le Shimai du Maître (bien que j’ai quand même préféré la sobriété de ce soir). Puis un Kyôgen : “Tachibai”, Tarokaja est de retour. Il s’agit d’une sombre embrouille pour voler un katana – un sabre- à un badaud qui finalement vole à Tarokaja, le tsuba – petit sabre – de son maître. Le maître furieux d’apprendre que Tarokaja s’est fait volé le sabre, repart avec Tarokaja arrêter le voleur. Ce qu’ils font, mais Tarokaja est tellement maladroit et tellement bête qu’il n’arrive pas à ficeler le voleur qui s’enfuit à nouveau. Habituelle sortie de Tarokaja suivi du maître qui dit en levant son éventail pour essayer de le frapper : “Arrêtez-le ! Arrêtez-le!” Là encore, c’était très drôle. Je pense que ça doit être un courant général dans le Kyôgen en ce moment, d’apporter un peu de flexibilité aux codes pour rendre plus vivant et comique ces farces. Et ça marche ! Surtout que ça n’en perd en rien sa beauté et sa classe hors norme. Aujourd’hui, le Kyôgen était de l’école Okura, représentée par un père et ses deux fils, j’ai nommé la famille Shigeyama, avec en père : Shime, en fils aîné Motohiko et en cadet Ippey. Evidemment Tarokaja est joué par le père, Shime Shigeyama.

La nuit tombe, le Kyôgen vient de finir.

Puis vient le nô complet, le tant attendu : “Tsuchigomo”. C’est l’histoire du démon araignée avec de très impressionnants effets de scène. Dans ce nô, le démon sous sa forme humaine, puis sous sa forme d’araignée jette des filets de toile qui partent en gerbes et se répandent partout sur la scène en faisant un effet “feu d’artifice” des plus impressionnants. Là encore, comme à Tôkyô, les Kongo ont choisi un nô qui en jette ! Très visuel, très efficace. Ce n’est pas ce que je préfère, mais ça a l’avantage de vous rester éveillé et en haleine tout du long. Bien sûr, il est plus difficile d’y déceler le “Yugen” si cher à Zeami et qu’on a ressenti hier dans le Shimai des Komparu. La soirée était vraiment hallucinante. Un sacré voyage dans le temps et dans l’espace aussi. Nous regagnons le bus via Hiroshima où je passe la nuit.

Présentation des masques par un des acteurs de l’école Kongo.

Il est 23h00 quand nous arrivons – j’écris ces lignes de la terrasse de la “Guest House” où j’ai passé la nuit dans un dortoir mixte avec trois garçons dont deux français. Je prends mon plan et trouve l’Hôtel Hana assez facilement. En fait, ils m’ont attendu, pas de clé sous le compteur électrique. Je paye 2500 yens pour la nuit et laisse 1000 yens de caution pour la clé, puis monte au 5eme floor, exténué, mais vraiment ravi de l’aventure du jour. Je dépose mon sac dans le dortoir et vais m’installer sur la terrasse au frais pour fumer une cigarette et finir le compte rendu du jour. Mais un français arrive et nous engageons la conversation… il est minuit ! La suite tout à l’heure si je trouve un “Interneto Café” ou demain. Il est 14h34 heure locale, mon train part à 15h30 pour Matsuyama. Je raccroche.

Bonne journée à vous. (Il est 7jh35, c’est l’heure de se lever!!!!)

Shinkansen une fois, shinkansen deux fois et Nô à Tôkyô

Attente à la gare de Setagaya. Marquage jaune pour dire où il faut attendre le train.

Ca y est le Shinkansen est parti. Il me ramène à Kyôto où après une courte nuit, je partirai en excursion pour cinq jours. J’ai encore toutes mes affaires à préparer, un tour à “l’Interneto Café” à faire et demain le départ se fera aux aurores. J’ai rendez-vous à midi à Hiroshima. Mais revenons à cette journée…

Ce matin, après le même scénario qu’hier – réveil 3h30, puis 5h00, puis 6h00 et enfin 6h50, heure à laquelle j’avais mis mon réveil initialement- j’avale fissa un petit déjeuner fait de café et d’un gâteau aux haricots – un de mes préférés ici !- , puis je me prépare : rasage de près, mise de costume sans plis, escarpins – de toile, il ne faut pas exagérer… il fait quand même 35 degrés à l’ombre ici. Il me reste encore un quart d’heure et j’entends la voisine qui fait ses exercices de chant, il est 7h45, cela veut dire que j’ai feu vert pour un petit quart d’heure de flûte. Je m’applique, j’essaye d’établir un lien avec l’autre, là-bas, l’ailleurs et je souffle. Ma foi, je crois que je progresse un peu. Dans quarante ans, ce sera vraiment super. Comme j’ai bien l’intention de vivre au moins encore quarante années, ça tombe plutôt bien.

Ca y est, il faut y aller. Les trains ici ne sont jamais en retard au Japon, les gens non plus. Je prends le métro direction “Kyôto Station” et arrive avec une bonne vingtaine de minutes d’avance. Mon train est à 08h56, juste le temps d’aller recharger ma carte de métro pour ce soir quand je rentre, étant donné que le dernier métro est 23h48 et que mon train arrive à 23h20, je préfère me libérer de ça maintenant. Je vois un guichet, mais manque de bol, il est de l’autre côté du tourniquet et ma carte de métro est vide. Je demande à un contrôleur si je peux passer pour acheter une nouvelle carte, mais ce dernier, après s’être excusé poliment, m’envoie à l’autre bout de la station. “Voilà que je vais finalement être en retard ! “ Je peste ! C’est quand même spécial de mettre des guichets derrière le tourniquet et pas de l’autre côté !!! Je trouve finalement la machine en question, effectivement à l’autre bout de la gare, achète une recharge de 1000 yens -4 voyages-, puis file retrouver mon Shinkanzen. Oups !!! Non, pas tout de suite ! Il faut d’abord acheter les billets pour demain matin. Mais c’est mon jour de chance, pas de queue et en plus le monsieur au guichet est rapide. Voilà, tout est bouclé, je monte dans mon Hitari Shinkansen, gamme du mil.ieu au niveau vitesse, mais gamme supérieure des heureux porteurs du Japan Railpass qui permet de voyager sur tous les trains de la Japan Rail, la JR(cf premier jour). Je profite du voyage pour revoir mes hiraganas et katakanas que je connais moins – les deux syllabaires japonais qui agrémentent les Kanji. En effet, les livrets de Nô et de flûte sont soit en Kanji, soit en Katakana. Moi qui croyais que les Katakana étaient réservés aux mots étrangers ! Non, point du tout… avant tout, les katakanas sont le syllabaire réservé aux hommes, donc par la même occasion sert au Nô. Une fois arrivé à 100 % de reconnaissance avec mon Ikana – logiciel su mon iphone pour apprendre à reconnaître et à écrire les deux syllabaires -, j’en profite pour travailler ma partition d’Utai et pour revoir les quelques mots incontournables pour l’étiquette.

Vision de Shinkansen à Shinkansen, une gare entre Kyôto et Tôkyô…

Il est 11h47, me voici à Tôkyô. J’ai rendez-vous avec Vincent, Vincent Guenneau, le français recueilli par Maître Kenshu Kano, il y a 15 ans et qui nous a reçu avec Elise l’année dernière à Tôkyô. Il a décidé de m’accompagner voir ce programme de Nô assez surprenant. Mais avant tout, il s’agit de trouver un appareil photo tout petit et de bonne qualité pour combler la faible de mon téléphone japonais. Vincent m’emmène dans le quartier de l’électronique : Ashihakara. Ca l’est, effectivement ! A la sortie du métro, un immeuble entier renferme un de ces méga-centres où l’on peut trouver tout ce que l’on souhaite. Ici, ce méga-centre est dédié à l’électronique. A l’entrée, une voix en quatorze langues ressasse que c’est le plus grand magasin d’électronique au monde et aussi le moins cher qui existe. Vincent m’emmène au rayon… enfin, je veux dire, à l’étage appareils photos et me montre ce qu’il a trouvé la veille en cherchant sur internet, dans la fourchette de prix que je lui avais annoncé et avec les impératifs de langue, comptabilité, etc. Il a élu le canon IXY 210 IS pour être exact. De toute façon, on est pressé, on a un spectacle qui nous attend et je ne suis pas là pour faire du shopping. Je regarde l’appareil, il est tout petit, c’est ça qui est important. Je le prends pour aller le payer, mais Vincent m’arrête ! “Non, non ! Pas ici… ici, c’est pour choisir. Dans la rue là-bas derrière, tu as le même 6000 yens moins cher.” 6000 yens moins cher que le moins cher des magasins d’électronique du monde à un pâté de maison ? Décidément, ils sont fous ces japonais… Je le suis et nous voilà dans les petites rues si typiques du Japon. A quelques pas des immenses buildings surchargés de monde, de son et de lumières qui clignottent, c’est comme si on se retrouvait 50 ans en arrière, avec d’un coup, plus personne, du silence, des pilonnes électriques qui donnent l’impression qu’ils vont s’effondrer d’un instant à l’autre. C’est ça la magie de Tôkyô… je trouve. Mais revenons à notre boutique. Elle est là dans cette rue miteuse, quasiment invisible. Il y a juste un comptoir, aucun appareil exposé, mais par contre, des piles et des piles de cartons. Il lui donne la référence de l’appareil, la vendeuse tourne le dos et récupère un petit carton dans le tas. C’est ça ! et effectivement 6000 yens moins cher ! J’achète… Il est 12h45, nous sommes censés être au théâtre à 13h30 et nous n’avons pas mangé. Le temps presse. Vincent suggère qu’on aille jusqu’à la station Setagaya – là où est le théâtre national de Nô – et qu’on avise du temps qu’il nous reste à ce moment-là. Nous reprenons donc le métro et débarquons à la station Setagaya que je connais. C’est drôle, mais je n’ai que très peu oublié cet endroit. “Qu’est-ce que tu veux manger?”, me demande-t-il. “Des SUSHIS !!!”. Mais l’idée ne semble pas l’emballer. Ok, tant pis ! C’est pas encore pour aujourd’hui, mais ça viendra. “Comme tu veux, Vincent. Je te suis.” Il nous dégotte un de ces petits resto dont il a le secret où nous mangeons bien et pour presque rien. Du style 400 yens par personne, mais pour un vrai repas, fait de riz, de légumes, de raviolis à la crevette, d’une soupe. Ouah ! C’est bon… je l’avais presque oublié ! “Mais pourquoi tu veux qu’on soit au théâtre à 13h30, ça commence à 14h30, non ?” “Oui, mais c’est Rebecca qui m’a dit…” “Ah ! Ok… on a le temps alors !” Du coup, on mange tranquillement, c’est pas mal non plus.

Le Patio du Théâtre National de Nô… un petit paradis… fumeur !

Il est 14 heures quand nous arrivons au Théâtre. C’est bondé ! C’est qu’aujourd’hui, comme je vous le disais plus haut, c’est particulier. En effet, chaque école est présente : les Kanze et les Kongo présenteront des Nô complets, les Hosho, les Komparu et les Kita présenteront, eux, des Shimai – danses du Shite, le personnage principal du Nô, vous vous souvenez ?. Bien sûr, il y aura aussi un Kyôgen, histoire de se détendre un peu, présenté par l’école Izumi-Ryu. Ca promet !!! Je réentre dans ce théâtre avec un réel plaisir. C’est ici qu’est le patio à ciel ouvert que je voudrais reproduire dans l’Etoile du Sud pour y installer le Théâtre Nô d’Aix-en-Provence. Il y a toujours le stand Kanze où l’on peut tout acheter, du masque à l’éventail, en passant par les pièces de tissu et tous les livrets – textes du répertoire du Nô. Il y a aussi le libraire à qui j’avais laissé 7000 yens l’année dernière qui vend des dvd, cd, livres, tout, tout, tout ce qu’on peut trouver sur le nô et même quelques ouvrages en anglais -j’ai l’adresse de son site internet, si vous voulez. On file se réserver des sièges en y déposant nos affaires. On sera sur le côté, à moins d’un mètre du pont. C’est une bonne place, relativement bonne. Pendant quelques instants, nous pourrons voir les masques de très près, ce qui aujourd’hui avec la présence du Iemoto Kongo devrait valoir le détour. En effet, dans ces cas-là, quand les Iemoto jouent – les Iemoto sont les grands maîtres des différentes écoles, les seuls à savoir tout les secrets sur chaque pièce, chaque chant, celui par lequel chaque membre rattaché à sa famille doit obligatoirement passer – les masques sont ceux de la famille en question, mais les originaux, pas les copies qui circulent habituellement, ainsi que les costumes. Ce sont ce genre d’occasion qui permettent de voir des nôs complexes avec beaucoup de personnages ou des effets de scène importants. Comme c’est le chef, on ne mégote pas sur les dépenses pour la plus grande joie du public.

Deux acteurs dans leur tenue de scène qui accueillent le public à l’entrée du Théâtre

Mais passons les choses dans l’ordre. D’abord les Kanze ! En général ceux qui ont joué les nô qui m’ont le plus touché. C’est donc avec excitation que je les attends aujourd’hui. Arriverais-je à partir voyager de cet autre côté comme à chaque fois que je les vois ? En plus, Vincent me dit que celui qui sera le Shite est le “Monsieur Nô” du moment, celui qui tourne le plus à l’étranger ; un shite très populaire. Il n’est pas de la branche Kanze directement, mais fait partie de la famille Imewaka qui s’est alliée aux Kanze, préférant cette alliance que de se voir disparaître. Alors ? Alors… rien du tout. Enfin si, la musique est comme toujours chez les Kanze, une pure merveille, en particulier la flûte jouée par Fushita Jirô. “C’est ça que je veux faire quand je serai grand !” Mais le Shite est une calamité ! Une espèce de gros bonhomme court sur patte qui s’écoute jouer tel un occidental et peine à essayer de donner l’illusion qu’il fait vivre ce magnifique masque de type Ko-Omote (masque de jeune femme) – je dis de type, car je n’en suis pas sûr, le masque que porte Imewaka Rokuro me semble plus aigue, plus mature… à vérifier, si vous savez lire le japonais. Je finis par m’endormir et abandonne “Hashitomi “à son triste sort – Hashitomi est le nom de la pièce, sûrement aussi le nom de la femme ?… je ne sais pas.

Okina Haku-Shiki, Masque de la Collection Kanze – 10 ème siècle – Sculpté par Miroku

Puis arrive le Kyôgen, enchaîné avec le premier nô comme d’habitude. C’est “Kazumo”, l’histoire de l’esprit du moustique. Du coup, on a même la chance d’avoir un masque de Kyôgen sur scène – et oui, l’esprit du moustique est masqué. C’est tordant… si, si, vraiment. Ils jouent de façon très théâtrale. Avec des mimiques très marquées, des effets de voix. Le masque du moustique faisant un combat de Sumo avec le maître et s’affublant à l’occasion d’une espèce de paille qu’ils coincent dans la bouche du masque pour signifier la trompe du moustique est vraiment très drôle. Je passe vraiment un bon moment, la salle aussi d’ailleurs. Sauf Vincent qui trouve qu’on s’écarte trop du Kyôgen. Il me dit qu’apparemment même dans le texte, ils se sont permis des adaptations pour rendre la pièce plus contemporaine. Mais n’est-ce pas là ce que devrait être le kyôgen ? Comme il avait été du temps de Zeami ? “Farces Improvisée” ! Personnellement, je le pense. La salle aussi d’ailleurs salue chaleureusement ce moment vraiment fort, populaire et en même temps très stylisé, universel. Super !

Ko-Omote – Masque de la collection Kanze – 17 eme siècle – Sculpté par Yamato

Pause de vingt minutes…. le temps d’aller fumer une cigarette et d’aller boire un “Black”, café glacé noir et sans sucre – sinon ici le café est au lait et tellement sucré qu’on croirait un sirop ! Puis c’est le moment des shimai. Trois interventions courtes – le temps de la danse dans le nô est souvent très court, c’est l’histoire de 5 à 10 minutes. – où l’on peut discerner un peu les spécificités de chaque école, même s’il faut essayer d’éviter d’établir son jugement sur un instant, surtout quand on sait les différences qu’il peut y avoir suivant les interprètes, les pièces même. Mais je reconnais tout de suite le style Kita, incisif, précis, un peu martial. Très joli à voir, très efficace. Dans le choeur qui chante derrière le Shite, je reconnais Ryoichi Kano, le fils de Kenshu Kano. Les Hôsho, représenté dans le rôle du Shite par le fils du Iemoto : Kazuya Hôsho, donc par leur futur maître, sont un peu dans le mêm style que les Kita. Le fait que ce soit un jeune qui danse et qu’en plus ils aient choisi une pièce de Démon renforcent cet effet. Enfin, les Komparu avec Yasuyuki, le Iemoto Komparu – ils sont basés à Nara, là d’où Zeami vient, là où il y aurait aussi sa tombe -… et là, se passe quelque chose ; le chant est très étrange tellement il est mélodique, mais la danse… la danse a quelque chose de fragile, de maladroit sans maladresse, de saisissant, de touchant. On dirait que les mouvements sont faits à moitié, qu’ils ne coûtent rien, mais on comprend vite que ce n’est pas si simple. Sûrement là le moment le plus fort de la journée pour moi.

Ko-Beshimi – Masque de la collection Kanze – 13eme siècle – Sculpté par Shakuzuru

Puis arrive le moment tant attendu, le Nô présenté par les Kongo, avec le Iemoto en Shite et mon maître, Udaka Michishige, en chef de choeur. Il s’agit de “Ôeyama”, nô que je n’ai jamais vu et à vous dire vrai, j’en prends plein les yeux. C’est un nô très spécial où les Kyôgen sont deux et ont un rôle vraiment important – ils sont comme les premiers très très drôles -, où les waki sont six, entrent et sortent, puis reviennent armés. L’esprit apparaît deux fois, dont une sous la forme d’un démon de type dragon qui surgit d’une maison amenée sur scène par deux aides de scène pour défier les Waki. Après en avoir terrassé 5, il se fait tuer par le sixième. Voilà le shite qui fait une roulade de type “premier cours d’accrobatie” et s’étale de tout son long avec son masque, avant de se relever pour sortir. Le Iemoto a une voix incroyable – comme le choeur d’ailleurs – , les Kyôgens sont excellents, les wakis très bien, mais la danse a du mal à m’emmener. Les déplacements du Iemoto Kongo sont lourds, il fait beaucoup de bruit… lui aussi devrait se mettre au régime ! C’est dommage. Il n’empêche que je n’ai pas lâché un instant, tellemnt l’histoire était pleine de rebondissements, tellement les costumes étaient fastes, les masques d’une facture incroyable et les voix vraiment très bien portées.

Le coin fumeur… en gare de la Tôkyô Station

Il est 18h45, nous sortons d’une après-midi riche et qui a le mérite d’avoir encore un peu élargi le champs de ma compréhension nôistique. Je bois un dernier café avec Vincent et lui donne rendez-vous pour le 9 -date de notre retour à Tôkyô pour le stage de Kyôgen- et file prendre mon Shinkansen à la gare de Tôkyô.

Il est 21h55 et 14h55 chez vous, fin de la transmission…..

P.S. Et alors ces élections à Aix, ça donne quoi ?

Festival de Gion, Utai, Shimai et… cuite au pamplemousse

Détail d’une des tapisseries de la Gion Matsuri – On les trouve sur les différentes faces des chars.

Il est 13h33 chez vous et 20h33 chez nous, enfin chez eux…

J’ai du mal à récupérer du décalage horaire, je flotte entre deux eaux et m’astreins à m’en tenir à mes objectifs et à ne pas plonger sous la couette faire quelques tours de cadran en espérant me réveiller un matin, fringant ! Et puis beaucoup de questions se posent, le Japon et la solitude y sont propices. Alors je flotte. Me tenant aux rampes de mon devoir, mais acceptant qu’il en soit ainsi.

Une des statues dans son « hall d’attente » avant le grand tour de char de la Gion Matsuri

Ce matin, réveil à 5 heures – non, il n’y avait pas classe d’Aikido – , puis à 6 heures et enfin à 7 heures où je décide de rendre les armes et de me lever. Je voudrais aller au château de Nijo, le Prince Nijo. Je ne sais pas s’il s’agit du même que celui qui a pris en charge l’enseignement poétique et littéraire de Zeami, mais il en porte le nom. Le problème avec les Princes, c’est qu’on a des chances de se tromper et en même temps c’est difficile de leur demander : « c’est quoi ton petit nom ». Non, avec un Prince ça ne se fait pas ! Nous verrons bien !

Je prends mon petit déjeuner, en profite pour avaler quelque chose, m’apprête à partir quand, tout à coup, je réalise que demain je serai à Tôkyô pour une représentation de Nô et que donc… je vais rater le festival de Gion : “Gion Matsuri”, dont le final a lieu demain. D’autant plus que j’ai serpenté mainte fois dans les rues de ce quartier lors de mes lectures. Non, c’est trop bête ! Je vais au moins aller voir les différents chars et les différentes reliques, il doit y en avoir une trentaine, dont cinq ou six en rapport avec les nô -soit directement, soit en lien avec certaines histoires ou personnages qui ont été repris par le Nô. Château, tu m’attendras, Gion me voilà !

Enfin, me voilà… du coup, j’ai un peu plus de temps et je décide de travailler mes exercices de flûte avant de partir. C’est mieux qu’hier, mais c’est toujours moins bien que demain. Décidément, j’adore cet instrument. Il est vraiment particulier. Saoulé comme la veille , je prends mon vélo direction Gion.

En modèles réduits, ça permet de vous montrer quelques chars de la Gion Matsuri

C’est une cohue sans nom avec des échoppes ambulantes de partout – c’est là qu’on se rend compte que les rues ici sont vraiment très étroites. Mais l’humeur est bonne, les gens sont souriants, les photos fusent, les queues s’allongent, les cyclistes abandonnent leur monture pour entrer dans le foule, c’est Gion au moment de son festival comme il a dû l’être depuis toujours. Je fais le tour des chars. Les tapisseries qui y sont suspendues sont de pures merveilles, certaines vraiment très anciennes, d’autres plus récentes, quelquefois même des créations. A côté de chaque char, il y a une échoppe ou une maison qui est devenu, le temps des préparatifs du festival, la demeure des saints, divinités ou autres démons qui prendront place sur les chars pour le défilé qui aura lieu demain. Les statues sont très belles. Les gens viennent, se recueillir devant, font une photo, une prière et laisse une petite pièce ou une offrande. D’ailleurs toutes les marques d’alcool sont de la fête. Devant chaque char ou chaque relique s’étalent des tonneaux de saké et de bière. Il y a aussi des photos d’équipes de sport, des ballons signés pour gagner le prochain match. C’est que les dieux ici sont partout, présents pour chacun. Au cas où – on se sait jamais – je fais une petite prière devant la statue de Ashikari et laisse une petite offrande. C’est lui qu’on vient voir pour “Harmony Between Husband and Wife”. 😉 De plus, il porte le costume le plus ancien qui est encore en circulation sur le festival : il date de 1537. On peut voir là où est l’autel – la salle d’attente, quoi ! – la première tête de Ashikari qui date elle aussi de cette époque là, mais qui a été remplacée par une autre, pour la préserver des méfaits du temps.

Le Kimono de 1534, plus vieille pièce du Gion Matsuri – Tenue de Ashikari Yama

Quand je sors de Gion, j’ai la tête qui tourne. Je profite d’être sur la Shijo – Dori pour m’acquitter d’une tâche : acheter un sac pour mon nouvel éventail. L’éventail dans le Nô est comme le sabre pour le samuraï, c’est le représentant de l’âme et de la voie. On doit toujours l’avoir sur soi et en prendre un soin extrême… donc sac obligé ! On appelle cela un : “Shimai Ôgi Bukuro”. Le magasin que m’a indiqué l’allemand hier, au cours de Shimai, est dans cette rue, dans une vieille galerie marchande qui est juste au croisement de la rue Shijo et de la rivière Kamo. C’est l’histoire de quelques minutes pour choisir parmi tous ces ôgi ! Il y a là de magnifiques éventails, mais c’est trop cher… entre 15 000 et 45 000 yens – de quoi me faire un joli cadeau d’anniversaire – à bon entendeur, salut ! Je profite d’avoir encore quelques instants pour aller faire un tour à la « Gallery of Kyoto Traditional Arts & Crafts » qui est sur ma route. Il s’agit, en fait, d’un magasin de luxe, doublé d’une salle où l’on peut voir des artisans oeuvrer. Il y a de magnifiques objets. On passe, on rêve, on sort !

Un plat… laqué de noir, évidemment. Gallery of Kyoto Traditional Arts & Crafts

Viens alors l’éternel et non résolu problème du repas… “Bento, Obento”. Un vendeur ambulant scande sa jolie chanson de vendeur d’Obento – panier repas traditionnel japonais – et capte mon attention. “Allez ! Plutôt que de ne rien manger, essaye un Obento. En plus, tu le manges chez toi ! Si ça te déplaît, tu ne le manges pas.” C’est dit, c’est fait. Je lui achète un Obento – 400 yens – et file à la maison manger et me préparer pour mon second cours de shimai et d’utai. J’ai l’impression qu’il y a plusieurs choses dans ce panier repas ! Peut-être même un dessert ?! Je pose vite mon vélo, fait le tour de clé et ouvre le sac à surprises…. Padam ! C’est du riz préparé et quelques légumes marinés… ça à l’air délicieux. Dans le sac… un oeuf ! Ah non ! Ca suffit avec les oeufs maintenant ! Heureusement le vendeur d’Obento a pensé à moi et m’a laissé le choix. L’oeuf au frigo, à faire cuire une prochaine fois. Je mange mon Obento, c’est drôlement bon ! 13h15 ! Il faut filer. Je prends mes affaires et décide d’aller à mon cours de Shimai en métro pour être sûr d’être à l’heure. Mais le métro vient de passer et il me faut attendre le prochain qui est 10 minutes plus tard ! Rrrrrrr…. Finalement j’arrive just in time.

Le vendeur d’Obento et sa magnifique chanson – Quartier de Gion

Aujourd’hui, je suis tout seul, pas d’allemands en vue. Je n’ai rien contre les allemands, mais je préfère l’intimité du face à face. On prend le temps de boire un petit thé et hop, c’est parti. A nouveau, échauffement vocal, Umai et Shimai. Mais aujourd’hui on avance. On travaille l’ouverture de l’éventail avec la danse en même temps. Il se passe un instant où je pars vraiment ailleurs. Comme si j’étais vingt mille lieues sous les mers. Le temps passe trop vite ! Il est 15 heures, Rebecca me donne les dernières consignes. Pour le voyage à Tôkyô, pour celui à Hiroshima et à Matsuyama. Je rentrerai demain soir dormir à Kyôto, mais je ne reverrai pas Rebecca avant mercredi ou jeudi prochain, car mon train pour Hiroshima est tôt le samedi matin.

Toute ressemblance avec R2D2 est seulement pour faire plaisir à Raphaël – Gallery of Kyoto Traditional Arts & Crafts

Avant de partir, elle me prête un sac de couchage. Oui, parce qui si à Hiroshima je suis à l’hôtel, à Matsuyama, je dormirai dans le Shikibutai de Maître Udaka. Je vais donc vivre avec lui pendant quatre jours ! Je ne vous dis pas l’angoisse…. déjà que je n’arrive pas à aller aux toilettes quand il y a quelqu’un que je ne connais pas dans la maison, alors là… ça va être une épreuve terrible !!!! En même temps, j’ai hâte grave. Suivre Udaka Sensei et vivre avec lui, ça risque d’être une expérience marquante, je pense. Surtout que durant notre séjour là-bas, il est censé aller à un temple avec lequel il est lié pour réparer de très anciens masques.

En sortant du Shikibutai… voilà comment les japonais traitent Mr Ronald !

Bon… il est 15h30 – et oui, parfois je prends le temps de souffler . Là, j’ai bu un café et fumé une, non, deux cigarettes- je rentre. Arrivé à la maison, je me refais un petit coup de flûte en passant et me vient la soudaine envie de retourner voir le « Zeami Inori Shrine ». Je prends mon vélo et file là-bas. Je m’installe devant l’école et me met à écrire. Je cherche à entrer en contact, mais rien ne se passe. Alors je fais le tour du pâté de maison, je retourne dans le petit temple où j’étais allé l’autre matin à l’aube. je cherche des traces, des signes. Mais rien. Je retourne à mon vélo. C’est jour de fête aujourd’hui, en plus de mon Obento, je me suis acheté une boisson écrite tout en japonais où est dessiné un pamplemousse et un citron. Vu que c’est le jour des essais, on essaye ! Je m’assieds sur le trottoir face à l’école, je commence à boire. Drôle de goût ! Un peu piquant, mais bon, c’est le Japon, il faut s’accoutumer. J’adore le pamplemousse, alors je vais pas faire le… hips…. difficile ! Oui, oui, vous avez bien compris ! La dite boisson que je suis en train de boire pour mon goûter, moi qui ne boit pas une goutte d’alcool, est alcoolisé. Je vois sur le côté de la boite : 8°. Avec cette chaleur, la fatigue, le fait que je ne bois presque jamais, je suis… saoul ! Je reprends mon vélo tant bien que mal et vole jusqu’à la maison en zigzagant, prêt à m’endormir à chaque feu rouge. Hips… fait mon klaxon ! Hips… font mes yeux. Ouf ! J’arrive enfin… je pose ce foutu vélo, j’entre et m’effondre sur mon lit… je dors !

Devant un des temple de la « Kanze Town », un arbre creux qui fait des feuilles, des fleurs… à peine croyable !

Réveil brutal ! Il est 19 heures ! J’ai encore raté l’Aikido ! Je suis cuit, mais j’ai faim. En plus, j’ai vu sur le chemin un resto qui vend des plats avec du poisson, avec même des sashimis de thon. Je retourne tant bien que mal jusque là-bas et commande ce simple plat : 6 tranches de sashimi et du riz. Je me régale !

Pas de sashimi à montrer, donc une tenture vue dans les rues de Gion.

S’il n’y avait pas ce kimono qui attend dans ma chambre, je crois que je laisserai tomber les cours d’Aikido sur le champs – déjà que je ne vais pas le voir de la semaine ! Mais non, il faut lutter contre ça aussi. Rater un cours, cela n’est pas grave – surtout qu’il ne m’attendait pas, étant donné que je ne savais pas mon programme avec Rebecca- il faut faire face, arrêter les jus de pamplemousse et tout ira bien !

La grande classe ! Un vélo de la marque « Fromage ». Les noms typiquement français, les japonais en raffolent. Si, si, c’est étrange, mais c’est ainsi.

Le poisson m’a fait du bien, la griserie est partie. Je prépare mes affaires pour demain, envoie un message à Vincent que je vais retrouver demain à Tôkyô et qui vient avec moi voir le Nô au Setagaya, le théâtre national de Nô de Tôkyô . A mon avis, il y aura beaucoup de monde, étant donné qu’il s’agit d’une journée de Nô particulière. En effet, toutes les familles de Nô y joueront. Ouverture des Kanze, Shimai des Hosho, Kita et Komparu et un second nô par les Kongo. Mais je vous parlerai de tout ça demain. J’aurai le temps du train pour vous écrire.

Allez ! Avec un peu de chance, je vais croiser Rose et Elise à l’”Interneto Café”, il est 14h45 à Greenwitch et 21H45 ici… fin de transmission.

Shimai, Utai et Yoshimitsu… l’amant et ami de Zeami

Plancher chantant sous les pieds. Le chant d’un millénaire à fleur de peau. Toji-In

Il est 20hoo ici et 13hoo chez vous, je rentre d’une journée longue, riche.

Ce matin, le réveil était réglé sur 05h00. Et oui, il y avait une classe d’Aikido, la seule du jour, à 07h00. Mais c’est sans compter sur ma veille de la veille et le décalage horaire. Quand j’ouvre les yeux, il est 7 heures, le soleil est déjà haut dans le ciel. C’est raté pour l’Aikido aujourd’hui. Jacques l’avait prédit – le prof d’Aikido ! Je me réveille difficilement et décide de travailler la flûte. J’attends que tout le monde soit réveillé – au dessus de la pension, il y a une famille ; je vois les enfants sortir les uns après les autres pendant que je prends mon petit déjeuner sur la terrasse – une marche d’escalier devant la porte – et quand je vois la mère sortir enfin, je file dans ma chambre. C’est fébrile que je sors la flûte. La flûte dans le Nô est vraiment un instrument magique. C’est la voix des dieux et des démons ! Je la salue, fait le cérémonial et tente de reproduire la partition que le maître m’a laissée. J’écoute la boucle jouée par le maître sur mon iphone et j’essaye de la reproduire, ce qui est loin d’être aisé. La tête me tourne, il est 10h00. De toute façon, il y a certaines choses que je n’arrive pas à comprendre. Je verrai cela avec Rebecca tout à l’heure lors de ma première classe de Shimai et d’Utai – Danse et chant dans le théâtre Nô.

Je voudrais faire tant de choses et en même temps, il faut jouer avec un timing assez serré. Mon rendez-vous avec Rebecca est à 15 heures. Je voudrais voir quelques temples liés soit à Zeami, soit à Yoshimitsu – le shôgun qui régnait à l’époque de Kanami et de Zeami-, l’Institut Franco-Japonais du Kansai, appeler Franck, le chorégraphe de Kubilai Kahn qui est en résidence à la Villa Kujoyama et il me faut écrire, me tenir à cet exercice quotidien que je me suis promis et à vous, par la même occasion. Il est 11h quand je quitte la maison avec mon ordinateur sous le bras, riche d’une nouvelle journée en magasin. Je file à “L’interneto Café” pour transférer tout ça. Verrais-je Elise en ligne, sur Skype ? Ca m’étonnerait, chez nous il y a 7 heures de moins et donc vous faites encore dodo. Je choisis les photos du jour dans un maigre panel – la veille, je vous rappelle que mon téléphone est tombé en panne de batterie dans l’aprem – et met tout ça en ligne. Il est 12h et il faut que je m’active si je veux pouvoir faire un peu de ce que je me suis promis. Mais je suis fatigué, très fatigué, donc j’y vais sano…. tranquille ! Je repasse par la Casa pour déposer mon ordi qui a fini sa journée et prends à la place mes affaires pour ma classe de Shimai et d’Utai, à savoir : éventail, tabis, tenue de travail, cahier. Sans oublier de prendre la flûte et mes notations pour tenter d’y voir un peu plus clair avec Rebecca. Le temps file. Je décide de remettre à plus tard ma visite de l’Institut Franco-Japonais et tente d’aller au Shikokuji Temple, un site en lien avec Yoshimitsu. C’est l’histoire d’un petit quart d’heure de vélo.

Une partie du Shujokiji Temple… plan à l’entrée sud du site.

C’est immense ! Je n’y comprends pas grand chose… au milieu des jardins et des vieilles bâtisses et temples, il y a des voitures. Comme si des gens habitaient sur ce site, habitaient des maisons de l’époque des Ashikaga ? Ou ce sont des bureaux ? Je n’arrive pas à savoir, mais c’est assez surprenant. L’avantage c’est qu’on peut traverser le site à vélo. Et je ne m’en prive pas. Je me promène un peu, descend de vélo pour marcher au milieu de ces arbres plusieurs fois centenaires, découvre des bâtiments d’une facture vraiment imposante – plus que tout ce que j’ai vu au Japon jusqu’à présent – puis file…. à la française. Il est 12h45, je vais tenter d’aller voir le Toji-In temple qui semble loin, mais qui renferme les statues des Ashikaga, donc celle de Yoshimitsu, le 3eme shôgun Ashikaga, amant et ami de Zeami, celui qui a fait des Kanze ce que nous savons. Je file au plus vite de ce que mon vieux vélo a dans le ventre et traverse en ligne droite une bonne partie de Kyôto, d’est en ouest. Passé le dernier grand axe Nichi-Oji Dori – la rue Nichi-Oji-, le paysage change subitement. On se croirait presque à la campagne ou encore dans un temps plus reculé. Un peu comme hier quand nous sommes allés rencontrés Saco-Sensei. J’adore cet endroit, vraiment ! Je ralentis, malgré le temps qui continue d’avancer inexorablement. Je m’arrête, fais quelques photos. Et chemin faisant, j’arrive au Toji-In temple.

Sur la route du Toji-In Temple… autre âge, autre temps, autre Kyôto

C’est un endroit isolé, au sommet d’une petite colline, hors de tout, hors du temps ; magique, magnifique, ensorcelant, envoûtant, un de ces endroits où je voudrais passer ma vie, juste là, assis, à contempler ces jardins si savamment agencés qu’ils en semblent naturels ! Une vraie merveille. Que dis-je… La merveille ! Oui, je voudrais que tout s’arrête, maintenant. Que le temps se suspende et disparaître entre deux lattes de plancher. Juste ça. A l’entrée, on se déchausse et se défausse, par la même occasion, de 500 yens. C’est si bon le contact de ce bois tant de fois centenaire sous les pieds.

Le plancher chantant du Toji-in Temple

La dame de la caisse m’emmène – je lui ai demandé où était le buste de Yoshimitsu : “The wooden statue of Yoshimitsu, Ashikaga Shôgun ». C’est une très jolie vieille petite femme, souriante et avenante. Elle m’arrête. “There is the singing wooden floor”. Nous passons dessus tous les deux, les planches chantent leur chant presque millénaire sous nos pieds. C’est presque un chant d’oiseaux… je ne sais pas quelle est son utilité et je suis tellement emporté par l’endroit que je ne lui demande pas, peut-être est-ce pour entendre les ennemis approcher ? Moi, je préfère croire que c’est juste pour le pouvoir du son, sa beauté et le calme que cela apporte de prendre conscience qu’on fait chanter un plancher à chaque pas. Nous sommes au bout du plancher, nous passons une passerelle et nous arrivons dans la chambre aux statues. Tous les Ashikaga sont là, côte à côte. Les bons et les méchants, les grands et les moins grands, même un jeune shôgun mort à 12 ans assis à côté de son père, son père qui est celui qui a finit de détruire Zeami : Yoshinori, celui qui l’a banni sur l’île Sado et a placé à son poste de chef des Kanze, le fils adoptif de Zeami, Onami, par ailleurs son amant. A sa gauche, Yochimochi, autre fils de Yoshimitsu qui vouait une jalousie sans bornes à Zeami, par les liens étroits qui unissaient Zeami et Yoshimitsu. Et là, dans l’aile centrale : Yoshimitsu ! Avec des yeux plus vrais que réels, faits comme toutes les autres statues des différents shôguns, dans de l’ivoire ou une matière qui donne un éclat si présent, si réel à leurs regards. On voit tout de suite quel grand homme il a dû être. Il est vif, profond, serein, presque un peu triste comme le sont souvent ceux qui se sont intéressés de près au monde. Yoshimochi semble, lui, un peu lourdaud, fat, pas très futé, ni très présent. Yoshinori, par contre, est très beau. Trop peut-être. Mais on sent sa violence, la dureté de son regard, un sentiment de supériorité.

Le jeune shôgun mort à 12 ans, fils de Yoshinori

Le méchant et pourtant très beau Yoshinori Ashakaga, 6eme shôgun, amant de Onami
Yoshimochi, le 4eme shôgun Ashikaga, fils du bien aimé Yoshimitsu

Et Yoshimitsu, 3eme Shôgun des Ashikaga, ami et amant de Zeami

La femme me laisse seul. Je reste un moment face à Yoshimitsu. Je laisse le vague se faire dans mes yeux et croit un instant le voir s’animer. Je l’imagine avec Zeami, ici, dans ce temple, admirant le jardin tous les deux et discutant de poésie et d’art. Il est 14h, je ne peux plus rester. “A très vite Yoshimitsu !”. Je dis à la dame que je reviendrai. Je n’ai même pas pris le temps de boire le thé sur un tatami face au jardin comme ce couple d’anglais, mais je dois vraiment y aller. J’ai rendez-vous dans une heure à l’autre bout de la ville.

Un des jardins du Toji-In Temple – Face au plancher chantant

Je file, je fonce, je peste – ici, les gens en voiture ne sont pas vraiment des gentlemen ou alors quelque chose m’échappe. Je prends la Marumachi dori, salue la maison de Zeami au passage, passe derrière le jardin Impérial, traverse la rivière Kamo et remonte vers le nord. Je prends des photos à la volée sur mon vélo, en roulant à toute allure. Les bords de la rivière Kamo sont impressionnants. Même là, ils sont passés ! Pour mettre des pavés à certains endroits et que l’eau en tombant fasse du bruit, faisant un jardin à tel endroit, aménageant un espace à tel autre. Je me fais la réflexion que tout ceci est impossible à rendre en photo, vraiment impossible. Parce que tout ici est une photographie et que photographier des photographies, ça ne peut pas marcher ! Il est 14h45, j’arrive enfin . Je m’arrête au Ministop – petit magasin comme il y a partout, mais absolument partout – et m’achète de l’eau et une boisson de sportif pour avoir de l’énergie. C’est vrai… je n’ai pas mangé, je sais. Mais je n’arrive pas à trouver de restos qui me donnent envie. Les odeurs sont trop fortes, les goûts trop, trop. Je veux des SUSHIS!!!!!! Mais à Kyôto, je n’en trouve pas. En tout cas, pas pour l’instant et pas sur les chemins que je prends. Mais cela viendra. Il faudra bien que je me mette à manger un peu ;-).

« Je prends des photos à la volée sur mon vélo… »

Rebecca est déjà là. Elle me reçoit et commence par m’expliquer dans les règles de l’art tous les us et coutumes de l’étiquette. Tout ce que je dois faire et ne pas faire en présence des Maîtres. Les formules à savoir, comment on entre sur le Butai – la scène de Nô-, etc. Elle me parle aussi de la méditation qui est très importante pour maître Udaka et m’offre un thé vert et une sucrerie d’été qui est délicieuse. Puis deux élèves allemands venus étudier à Kyôto arrivent. C’est l’heure de monter sur la scène.

Le « Shikibutai » – à traduire par butai de répétitions, i presume de Udaka Sensei à Kyôto

Nous commençons par des exercices d’échauffement vocal, puis nous passons debout et travaillons les déplacements. Enfin, elle nous donne notre premier “texte”. Il s’agit d’une transcription en romagi – traduction du japonais en écriture latine- d’un extrait de « Oimatsu », une pièce écrite par Zeami, basée sur l’ancienne légende du « Pin volant ». Le texte est un extrait du moment de la danse de l’esprit du pin. Chaque mouvement de la danse porte un nom, c’est un kata qui pourra se retrouver dans une autre pièce.

Nous apprenons quatre katas de base – c’est pour cela qu’ils ont choisi cette pièce… dedans il y a les katas de base – et aussi à ouvrir et fermer l’éventail. Puis nous retournons à la voix et au chant, assis en seiza. Elle montre, on refait. Que ce soit pour la danse ou pour le chant. Elle montre, on refait.

Voilà, 3 heures se sont écoulées – si vous voulez en savoir plus, il faudra venir nous voir à la maison ;-)- et c’est l’heure de se séparer. Je retourne à la Takaya house, ma maison en vélo, en en profitant pour flâner un peu. Mais la nuit tombe déjà. Il est 19 heures, je suis rentré.

Ah j’oubliais ! J’ai quand même réussi à aller à l’Institut Franco-Japonais du Kansai après le cours et ai réussi à récupérer les coordonnées de Franck. J’ai, du coup, rencontré une fille qui travaille à la Villa Kujoyama et qui m’a invité à aller les rencontrer et à appeler son directeur pour parler de mon travail. Peut-être demain ?

Allez, c’est l’heure. Un cigarette et à l’Interneto Café ! 14h13 chez vous.

Fue, la flûte… rencontre avec Saco Sensei et premier cours d’Aikido

« Oshirabe » , notations de mon premier morceau de flûte de nô : nogakudo fue. Par Saco Sensei

Vous venez de passer au mercredi 15 juillet et nous y sommes, nous, depuis sept heures. J’ai ouvert les yeux il n’y a pas longtemps. Tombant après ma nuit sans sommeil et la journée d’hier qui fut dense. Il est onze heures hier quand je quitte “l’Interneto Café”. J’ai eu Jacques Payet – le prof d’Aikido – au téléphone qui m’indique comment trouver un dogi pas cher et de bonne qualité – un dogi est un kimono de judo… vous savez les blancs tout simples. Ce n’est pas très loin de là. Je prends my bicycle et je vogue jusque là-bas. C’est une échoppe très typique et en même temps très moderne dans son équipement. Sûrement la Mecque des Kendo ka : la Tozandô Shop. La boutique est divisée en deux parties. Celle où l’on accueille les clients et l’autre, un atelier de confection où un maître forge les masques de Kendo – ces visières en grille pour éviter les coups sur la tête. Evidemment, en entrant, je me trompe de côté et débarque dans l’atelier. Ce qui me permet de voir le maître forger et des femmes oeuvrer à la réalisation des différentes pièces d’équipement. Après quelques minutes en leur compagnie, je passe du bon côté et commande le dogi le moins cher. Je m’en tire pour 7500 yens, ce qui n’est pas rien, mais vue la qualité de l’ouvrage et maintenant que je sais que ce sont ces petites mains qui l’ont fait, je trouve cela bon marché. Le temps d’aller avaler un plat de nouilles – Oh ! Comme je vous regrette petits restaurants tokyoites- qui baignent dans une sauce riche d’une bonne douzaine d’oeufs battus dans un jus déjà bien riche -avec le manque de sommeil, je vais vomir c’est sûr ! – et je file à la pension me laver, me raser, couper les bouts d’ongles qui dépassent pour être fin prêt pour cette première leçon d’Aikido. Le rendez-vous est fixé à 13h30 au Shiramine Shrine, à quelques rues de chez moi. Il est 13h10, je suis au rendez-vous, pimpant comme un bon aikidoka – enfin pimpant… il fait tellement chaud que je ruisselle déjà de toute part. Jacques, un petit homme au regard perçant et rieur, arrive sur un vélo tout terrain d’un autre temps. Le cours n’est pas au temple aujourd’hui – le dimanche, si ! Yes. – mais à une quinzaine de minutes d’ici. Je le suis tant bien que mal entre les trottoirs et les rues, avec ma difficulté encore bien présente de me mettre à gauche – ici, ils ont le volant à gauche et roulent en sens inverse… de vrais anglais ! – et essaye de répondre en même temps aux questions qui fusent. Nous traversons le jardin du Palais Impérial en toute trombe et nous voilà au dojo. Evidemment, pas de clim ici ! Nous sommes quatre élèves, dont deux haut gradés. Le cours commence par un échauffement assez musclé – comme la plupart des échauffements depuis que j’ai commencé la danse – et nous nous mettons face à nos partenaires. Le mien est un américain ou un anglais : Aaron. Il a reçu pour consigne de me faire faire le tour des techniques de base pour déblayer le champ de ruines qui me sert de mémoire. C’est un garçon charmant, très roux et vraiment bon pédagogue. Nous enchaînons les techniques les unes après les autres. Il a, dans sa pratique cette façon tranquille et douce de travailler, porteuse, en général, d’une grande puissance d’exécution. J’avais oublié que l’on pouvait suer autant.

Sur la route du Shiramine, mais pas le Shiramine ! Un jardinier travaille sous l’oeil malicieux d’une sorcière démon

Il est 15h30, je suis épuisé. Mes jambes ont du mal à me porter, mais j’ai rendez-vous à 15h45 au Shiramine Shrine avec Rebecca pour aller acheter des tabis – chaussons traditionnels japonais avec le gros orteil séparé – et aller à la rencontre de Saco Sensei, mon maître de flûte. Rebecca semble un peu anxieuse. Elle tient à ce que nous soyons au rendez-vous avec Maître Saco le plus tôt possible. Nous courons acheter des tabis dans une boutique improbable située dans la cour d’un pâté d’immeubles de bureaux. La dame me fait essayer plusieurs paires, repart à chaque fois me chercher la taille au dessus. Plus grand, plus grand, plus grand. Après trois allés et retours – à chaque fois il lui faut monter au dessus de la boutique par un escalier en pente raide – elle finit par être satisfaite ! “This one”. Ok ! Donc en tabis, je fais 27,5 centimeters. Rebecca ne semble pas tranquille à l’idée que je laisse mon vélo à la Kyôto Station le temps du cours. Je repasse donc en trombe à la maison, dépose le vélo, jette mon sac d’Aikido dans la maison et file la rejoindre à la “Kyôto Station” en métro. Les japonais me regardent d’un drôle d’air…. ce n’est pas souvent qu’on voit des gens courir ici – si ce n’est pour faire leur footing. Après d’interminables couloirs où courir, avec cette chaleur et le manque de sommeil, me demande un effort incroyable, j’arrive… mais elle n’est pas là! Je commence à paniquer. :“Mince ! Et si le rendez-vous n’était pas à cet “Information Center” au second floor de la sortie North… » et mon téléphone qui n’a plus de batterie… Après quelques tours des autres “informations center”, je la trouve enfin. Le point de rendez-vous était le bon, c’est juste que le bus qu’elle a pris était coincé dans les embouteillages.

un autre dragon, un petit dragon croisé au Seimei Shrine en revenant de la Tozando Shop

Mon premier cours se déroule dans l’enceinte d’un théâtre hors de la ville. Nous prenons un train, puis une sorte de métro local. Nous sommes à deux stations de Kyôto et pourtant le décor est complètement différent. Ici, encore plus qu’à Kyôto, on se croirait de retour dans les années 30. Le métro local est un tout petit train où pour accéder au quai il faut passer par les voies. Les wagons aussi sont d’un autre âge – mais pas de soucis, nous sommes toujours au Japon : ils sont rutilants, impeccables !. Cet endroit est délicieux, comme dans un rêve. Les trente heures de veille y contribuent grandement, je pense.

Bicycle on the night ! My bicycle… beautifull, isn’t it ?

Nous arrivons… la porte coulissante nous découvre un jeune homme -quand je dis jeune, c’est 35-40 ans… comme moi ;-)- rond, au visage très présent, intelligent et aux petites lunettes cerclées de type enseignant occidental. Il me fait tout de suite une très bonne impression. Et je ne me trompe pas. C’est un homme très attentif, simple et en même temps très vif. Il nous explique qu’il travaille depuis quelques temps avec des artistes de musique classique et baroque et cherche à établir une passerelle entre la musique du nô et la musique classique. Il m’invite à un concert expérimental, le 30 juillet à Osaka. Un privilège quand on sait qu’il n’y a que 25 places ! “Comment…. Alleu…. Vous ?” “Do you speak french ?” Oui, il le parle un peu. C’est un passionné du cinéma français et il a étudié notre langue à « l’Ou-ni-Ver-seu-teu ». Il semble parler anglais aussi, même s’il laisse à Rebecca le soin de me traduire ce qu’il dit. Après un long moment de présentation, je sors la flûte que Rebecca m’a gentiment prêté pour commencer. Il me demande de souffler. Un son bizarre et strident sort. “Ok ! I can learn flute to him”. C’était le test… je suis accepté. Après ça, il sort quelques feuilles de notation et d’une écriture très soignée, m’écrit la partition de mon premier exercice : « Oshirabe ». Sur une autre feuille, il met face à chaque nom, le dessin du “fingering” – le doigté. Jusqu’à ce moment moment-là, nous étions assis -en seiza – autour d’une table basse sur un des côtés de a salle – de tatamis bien sûr. Il quitte cette place et va au centre de la pièce sur un coussin et me demande de prendre place devant lui. Il y a une toute petite table que ceux qui ont vu des récitals de nô connaissent. Je m’installe en seiza. Il m’arrête : “Can you put off your bangle ?” Quoi ? Ah oui… il veut parler du petit bracelet que Rose m’a offert pour la fête des pères, un bracelet en cordelette qu’elle a fait elle-même. Du coup, je l’enlève.

De retour de la « Kyôto Station », ligne K

Ca y est, c’est parti ! Je dis “c’est parti”, car ce moment-là est vraiment d’une autre nature. On est dans le travail, mais dans un temps et un espace dédié exclusivement à ça, un espace où le maître fait corps avec l’élève pour l’emmener sur les terres de la transmission ancestrale. Je ne vais pas tout vous décrire par le menu détail, mais en gros cela se passe comme ça : il montre, je refais, il montre, je refais. Très peu de mots sont échangés. Quand il joue, c’est magique, magnifique… moi j’essaye : PFffffff, pfffffff ! “Ok, it’s finished”. Ca a du durer entre dix et vingt minutes et je n’arrive plus à sortir un son. J’ai des crampes aux doigts avec ce doigté si différent du notre et l’esprit brouillé. Mais j’ai fait là, encore une fois, un vrai voyage… un profond voyage.

Avant de partir, il m’enregistre les phrases sur mon iphone pour que je puisse travailler avant notre prochain rendez-vous.

Le reste fut une soirée courte. Un petit repas, une douche interminablement bonne et un gros dodo.

See you.

P.S. Aujourd’hui, il fait toujours aussi chaud, mais on voit le ciel à Kyôto. Un beau ciel bleu…

No sleep tonight… meeting with Zeami. Bonne fête nat !

Comment retrouver un Zeami dans ce dédale de rues… un casse-tête japonais.

No sleep tonight…

En effet, après vous avoir quitté et réglé mes 450 yens d’”Internet Café” -il faut l’entendre dit par un japonais pour en comprendre toute sa saveur-, je rentre à l’auberge Takaya pour y passer une nuit de sommeil bien méritée. Après la énième douche de la journée, la dernière cigarette au clair de lune, je regagne ma chambre. Et là… insomnie. Je tourne une heure, deux heures, mais rien n’y fait. Comme je n’ai pas trouvé le “Kanze Inari Shrine” – l’autel de prière des Kanze où se trouve un morceau du mur de leur maison- je décide de faire le périple de nuit. Bien oui, pourquoi pas ! Au moins, je profite de la fraîcheur nocturne et ce n’est pas un mal. Mais d’abord, je vais manger. Avec ces sautes-repas à répétition et le décalage horaire, j’ai une faim de loup. Heureusement ici il y a plein de cantines ouvertes 24 heures sur 24. Je jette mon dévolu sur un restaurant de nouilles. Je commande mon plat sur une machine où tout est écrit en japonais – le cuisinier vient me montrer sur quel bouton appuyer… je sais c’est un peu bizarre, surtout qu’un instant après il réceptionne mon ticket et fait mine de découvrir ce qu’il va me préparer… ah ! le Japon… – et m’installe au comptoir. J’avale mon plat tout rond, agrémenté d’un bol de soupe offert en prime et file avec ma bicyclette à la recherche de cet autel caché.

je découvre quand même quelques temples…

A chaque carrefour, je m’arrête, regarde mon plan en japonais et continue à me promener un peu au hasard. Cet autel n’est indiqué nulle part, aucun guide n’en fait mention et personne ne semble savoir qu’il existe. Mais ce n’est pas cela qui me fait peur. Après deux heures de recherche infructueuse – je découvre quand même quelques temples, dont un ouvert et en travaux dans lequel je m’arrête respirer l’air de la nuit. C’est très étrange de se retrouver là , sans personne, sous cette lune croissante, avec ces édifices si imposants et ces arbres plusieurs fois centenaires- je décide de retourner me coucher. Nouvelle douche, nouveau cérémonial de dodo et… toujours rien ! Impossible de m’endormir ! J’en profite pour regarder “Inori”, le nô créé par Udaka Sensei sur le massacre d’Hiroshima . La vidéo a été enregistrée à Paris, lors de sa venue à la Maison de la Culture du Japon, mais cela ne m’endort pas du tout. C’est même très stimulant. La première partie est dite par une femme, entre nô et théâtre moderne. J’y vois plein de clés pour mon travail. Le nô quand à lui est très surprenant. Les masques sont magnifiques et très vivants. Le waki est masqué aussi, il ressemble presque à un personnage de Kyôgen. Kyôgen qui est masqué lui aussi. Maître Udaka joue une mère qui a perdu ses enfants avec un masque fascinant, très profondément marqué par les masques de nô, mais absolument différent. Pourtant l’effet est là. je vois encore un esprit palpable. Quel art étrange… il est 5 heures, le soleil se lève déjà.

Un petit gardien dans l’herbe… au hasard des chemins. « Kanze Inori ? »

Du coup, moi aussi je me lève. Je veux voir Kyôto dans les lumières du soleil levant… mais, tu parles ! C’est sans compter sur les nuages et la blancheur du ciel qui est ici permanente – à cette saison !. Avant de partir, je regarde bien le seul document que j’ai en ma possession et qui fait mention de cet autel. Le problème est que le plan lié à cette info est très grossier. Ca laisse au moins quatre pâtés de maison qui pourraient être les bons. Qu’importe, je veux trouver cet autel, je le trouverai ! En plus, je me dis que s’il devait en être autrement, les esprits des Kanze m’auraient laissé dormir !

A la croisée des temples… avec le soleil qui se lève. Bienvenue à Kyôto

Je m’arrête acheter un café glacé et un gâteau et tente d’aller quelques pâtés plus loin que lors de ma dernière chasse. Je trouve un petit temple ! Ouah ! Ca doit être là… j’y vais, mais je ne suis pas convaincu. N’empêche que cette visite est aussi surprenante que celle de tout à l’heure. C’est drôle quand il n’y a personne comme le calme et le surnaturel sont présents. En ressortant de là, je vois deux dames qui finissent de balayer un parc. Je vais les trouver et leur demande. Elles sont âgées, elles travaillent là, peut-être sauront-elles quelque chose ?

Dans le petit parc – Un parc pour promener les chiens !

Malheureusement elles ne parlent pas anglais. Mais elles semblent comprendre de quoi je parle. “Oui ! Kanze Inori ! Kanze Inori ! Koko…” Je leur montre mon plan et leur pointe une école que j’ai entouré en croyant que c’était un temple – je vous rappelle que mon plan est en japonais. Elles me font de grands signes de tête et semblent vouloir dire que c’est là… mais est-ce ça ou simplement de la courtoisie ou de l’incompréhension. Je veux en avoir le coeur net et je fais le tour du pâté de maison pour voir l’entrée de cette école. Mais il n’y a aucune trace de temple ou d’autel. Juste une stèle. Grrrr… et moi qui ne sait pas lire le japonais. En plus je n’ai sur moi aucun document où le nom des Kanze est écrit en japonais. Un livreur s’est arrêté, il sort des bouteilles de lait de son camion. Je lui montre la stèle : “Kanze ?” “Ie – non” “Do you know where is the Kanze Inori Shrine?” Je le vois paniquer à l’idée de devoir parler anglais…. il me dit :”Police Center, police center!” en me montrant l’angle de la rue. Je n’ai aucune envie de voir les policiers ! Mais il fait le chemin, je suis bien obligé de le suivre. Arrivé à ce petit bureau, il pousse la porte coulissante. Il n’y a personne, mais il prend le téléphone qui est sur le bureau et compose un numéro. “Non ! Il ne va quand même pas réveiller les flics pour ça ! “ Trop tard…. il l’a fait. Il me donne le combiné. “Have you a problem ?” “No, no ! I search the Kanze Inori Shrine” “Ok ! I come” “What ?! No, it’s not necessary” “Wait ten minutes. I come with my motocycle. Where are you ? Witch Police Center ?” “I don’t know… heu… I see a market. Lawson market…” “Ok ! I come”… qu’est-ce que j’ai fait ! Ils sont fous ces japonais. Voilà que la police arrive maintenant pour m’aider à trouver un temple à 6 heures du matin.

One more shrine… des autels, il y en a à chaque coin de rue… celui des Kanze ? Not at all…

Je m’installe dehors et bois mon café en l’attendant. Il arrive sur son scooter quelques minutes après. Nous passons au moins une demie heure à chercher. D’abord il faut lui permettre de comprendre comment s’écrit Kanze. Pour qu’il puisse le chercher avec son mini ordinateur qui fait office de traducteur en même temps. Je me souviens du Kanze Kaikan. Le voilà qui s’exclame qu’il a trouvé. Oui, il a trouvé le Kanze Kaikan et il est très content, mais vraiment très. Je le remercie et tente de lui expliquer que je connais le Kaikan, là ce que je veux trouver c’est le Inori, Kanze Inori et que je lui parlé du Kaikan pour qu’il trouve comment écrire Kanze. Ouf ! Pas simple… mais il a beau chercher et avec la bonne écriture, impossible pour lui de trouver quoi que ce soit. Si ! Que dis-je ! Bien sûr que si, il finit par me dire que là où nous sommes ça s’appelle la “KANZE TOWN”, juste ce pâté de maison là !!!! Tu parles d’une info ! Je sens que j’y suis presque et qu’effectivement l’autel doit se trouver tout proche, juste là ! Avant de le quitter, je lui demande de m’écrire KANZE au cas où je croiserai l’autel. Il est très heureux d’avoir appris qu’ici c’était la KANZE TOWN du fait que les Kanze -Zeami, Kanami et leurs descendants – y avaient vécu. “Today I learn something ! Thank’s ! “ C’est moi qui me confond en excuses et en remerciements de lui avoir fait passer pas loin d’une heure à chercher un autel que personne plus jamais ne lui demandera et qu’en plus, au final, il ne sait pas où placer.

The KANZE TOWN, dixit le policier. Deux semaines de Lune de Miel en Europe : France, Espagne, Italie… et le voilà qui rencontre Zeami.


Je repars avec ma bicyclette et fais le tour de la “Kanze Town”, un pâté de maison un peu plus vaste. Je m’arrête à chaque autel, je prends des photos, je sors mon carnet pour vérifier si je ne retrouve pas les kanji. Mais non, je ne trouve rien. Il est 07h30, je repasse dans la rue de l’école, le portail est ouvert. Une dame qui fait la circulation est devant l’entrée. Je lui demande si elle sait où est l’autel Kanze, elle me répond tout naturellement dans un bon anglais qu’il est dans la cour de l’école. Je pose mon vélo. J’entre avec les enfants qui commencent à arriver. Je ne vois pas d’adultes et en plus il faut lever ses chaussures pour entrer et moi je suis en tongues, donc pieds nus si j’entre. Je reste là un moment et attend qu’un adulte passe. La femme croisée à l’entrée me fait signe de traverser le hall. “De l’autre côté !” Allez ! Je prends mon courage et j’y vais. J’enlève mes tongues et je traverse le hall pour atterrir dans la cour arrière. Je fais le tour de la cour sans rien voir. Puis en revenant sur mes pas, je me rappelle que de l’extérieur, j’ai vu un endroit qui pouvait ressembler à un autel, juste derrière le bâtiment. Je longe donc le corps de bâtiment et je tombe nez à nez avec une plaque écrite à la peinture blanche. Je regarde les kanjis. Oui… Kan-Ze. C’est là ! Il est 8 heures et je suis devant l’autel des Kanze. A l’endroit où se dressait jadis la maison de Kanami et de Zeami. Un homme arrive qui me demande ce que je fais là. Je lui explique…”I’m a writer -oh ! le menteur- and I write a book on Zeami. Can I enter and pray ?” “Yes” et il repart me laissant seul avec le droit d’ouvrir le portail qui me sépare de l’autel.

L’entrée de l’école… le hall à traverser avant l’autel… suspens

Là en haut c’est écrit Kan – Ze… c’est le policier qui me l’a expliqué et dessiné dans mon carnet

J’entre… et là encore, je sens une vibration incroyable qui me traverse. Comme avec le Dragon. Je me mets en seiza et je me prosterne devant l’autel. Je pleure. La fatigue peut-être ? Oui, je pleure. D’être là devant l’autel de ces hommes que je suis depuis quinze ans. Je sers le bout de mur dans mes bras. J’essaye d’écouter ce que la pierre raconte. Je reste un long moment ainsi. Puis avant de partir, je prends tout en photo. Chaque pierre, chaque écriture. Et je sors, comme un voleur, par le portail arrière qui est ouvert à présent. Sûrement, un geste bienveillant de l’homme qui est venu tout à l’heure. En remontant sur mon vélo, tout chancelant, je me mets à sourire, mais à vraiment sourire. Zeami et Kanami dans une cour d’école avec tous ces enfants. La transmission de la fleur !

Le Kanze Inori de l’intérieur… et moi je pleure.

Il est 9 h, j’arrive à la maison, j’écris ces lignes… je dormirai ce soir. Maintenant, j’ai un endroit où aller les retrouver. En moi, hors de moi. Partout, toujours.

Quel beau 14 juillet, isn’t it ?

Rencontre avec le Dragon

Rencontre avec le Dragon

L’arrivée à Kyôto s’est faite de nuit… et oui ! ici la nuit tombe entre 19 et 19h30. Au moment où j’ai levé mon nez de l’ordi, le ciel déjà sombre des nuages bas et menaçants à vite viré au noir. Heureusement, j’ai quand même eu le temps de voir quelques rizières et ces bandes de paysage toutes vertes. Incroyable spectacle !

Ma chambre… quelques tatamis, un futon

Kyôto est brûlant. C’est à peine si je réussi à respirer en sortant de la station n°6 de la première ligne, à savoir “Imadegawa”. C’est comme cela que j’imaginais la Corée ou le Vietnam, mais certainement pas Kyôto. Je file au plus vite de mes pas, ralentis par la grosse valise et l’air moite et tombe nez à nez avec Rebecca qui m’attend depuis quelques instants devant la pension “Takaya”. C’est une vieille dame aux cheveux gris et au bel anglais. Elle m’accompagne jusqu’à ma chambre où je découvre la dame qui tient cette auberge. Elle me fait faire un rapide tour du propriétaire et nous laisse en tête à tête avec Rebecca. Cette dernière m’explique un peu notre programme, me donne quelques prospectus et s’échappe sur son vélo. Avant de partir elle me donne rendez-vous le lendemain au Keikoba, la salle de travail de Maître Udaka, à 18 heures. D’ici là, il me faut trouver de quoi manger, un web bar et réparer ce voyage par une bonne nuit de sommeil.

Petit resto, salle fumeurs.

Il est 11 heures ce matin quand j’ouvre les yeux. Une douche, un rapide café (j’ai eu le temps la veille, avant de rentrer me coucher, de passer par un de ces supermarchés ouverts 24h/24. Un classique ici ! Le web bar aussi, c’est un 24/24 comme beaucoup d’autres choses… Je récupère ma bicyclette (qui fait partie de la location de la chambre) et file droit à la “Kyôto Station” pour y récupérer tous les plans et infos dont je vais avoir besoin pendant mon séjour. Je pensais être à dix minutes de vélo, mais je pédale pendant des heures (une sensation… je pense plutôt une grosse demie-heure). Arrivé à la Kyôto Station, je monte au 9eme floor, s’il vous plaît, et interroge les filles du Bureau International de la Préfecture de Kyôto. Sur Zeami et Kanami, elles ne savent rien ! Mais par contre, elles enrichissent mes poches d’un plan de la ville en romagi, d’un plan des bus et de quelques autres bricoles que je pioche au passage. Je découvre le Kyôto Art Center qui fait un stage de 8 jours sur le théâtre traditionnel japonais et semble aussi accueillir des artistes en résidence. Une fois repéré sur le plan, je file là-bas en vélo. Mais je ne trouve personne sur place pour me renseigner. Qu’importe ! J’en profite pour faire un tour dans leur jardin et découvre dans les rues adjacentes les préparatifs d’une fête dont Rebecca m’a parlé : La Gion Matsuri. Une sorte de fête où des chars de différents quartiers défilent. Ca, ce sera pour mercredi et jeudi. En attendant, ils préparent. Fanions, lampions, constructions en bois qui prennent toute la place dans les petites rues du Gion. C’est assez magique. Il y a un monde fou. Je me faufile avec mon vélo, prend quelques photos.

Les préparatifs de la fête de Gion

Comme les filles n’ont pu me renseoigner sur Zeami et que la seule info que j’ai réussi à glaner est qu’ils sauront peut-être me répondre au Kanze Kaikan, je décide d’aller y faire un tour. Mais il y a tellement de rues ici que le plan ne trouve pas nécessaire de les donner toutes. Du coup, je cherche le Kanze Kaikan pendant un long moment. “Ah ! C’est ici ! Comme c’est beau. Un temple en ruine presque…”. “Le Kanze Kaikan ? AH non, monsieur ! C’est trois rues plus loin.” Bref ! Au final, j’arrive à le trouver et… déception ! Ce n’est qu’un théâtre moderne et fermé de surcroît ! Certainement aucun lien avec Zeami, ni Kanami. Par contre dans l’endroit visité par mégarde, je suis sûr d’avoir senti quelque chose. Mais il est tard. Je n’ai pas encore mangé et j’ai rendez-vous à l’autre bout de la ville. Alors j’entre dans un supermarché, je m’achète… à boire ! et je vais m’étendre derrière le Kanze Kaikan. Là il y a une petite rivière qui passe entre des maisons. C’est un endroit très calme, propice à la méditation et au recueillement. Je traverse un tout petit pont et m’installe pour regarder les rides sur l’eau. Une dame d’un certain âge descend dans l’eau avec des bottes en caoutchouc malgré la chaleur. Elle tient son tout petit chien dans les bras. Une fois au fond -la rivière lui monte jusqu’aux mollets- elle dépose son chien dans l’eau et sort une balle rouge de sa poche. Et voilà le chien faisant des allés retours entre sa maîtresse et la balle en nageant. C’est une façon très malicieuse et savoureuse de se rafraîchir. Moi j’en profite pour essayer de faire un petit haiku du moment. “C’est quoi déjà 7/5/7 ?”’ Ca fait chi… suer ouais ! Est-ce qu’on ne peut pas se laisser aller si c’est pour essayer de laisser une vraie empreinte de l’instant, pas trop recherchée, pas trop travaillée, mais juste vraie ? Ca donne :

un tout petit pont qui traverse cette toute petite rivière

C’est une femme ou une statue
qui joue avec son chien
Les pieds dans la rivière ?

La rivière en question…

Le tintement de la cloche
le “glouglou” d’une rivière
Serait-ce un rêve ?

La femme au loin et son chien… si, si !

Balle rouge, Museau brun
Un chien se questionne
La mère ou la rivière ?

Un temple en réfection. Toute une structure métallique autour du style d’un hypermarché chez nous… incroyable !

Après je file ! Je passe par l’appartement, prends une douche, m’achète un café glacé devant l’entrée (au distributeur de boissons – 100 yens, la boisson. Niarf ! Niarf !) et prends le métro pour ne pas être en retard. J’arrive à l’heure dans cette salle de travail ou le sol porte en son centre la reproduction du carré d’un butai. C’est une vieille maison à la devanture traditionnelle. Ici, il y a tous les masques de Maître Udaka, ses costumes, ses livres avec ses annotations. Rebecca m’explique que ces notes dans les marges des livres sont le fruit de toute sa vie. De l’époque de son enseignement avec la transmission de son maître et de son expérience personnelle ensuite. Un vrai trésor. Maître Udaka l’a appelée pour qu’elle me montre ses masques. Il en a une armoire pleine. Rebecca me les sort, les uns après les autres. Elle me re-raconte l’histoire de Magojiro – Maître Udaka a un masque magnifique de Magojiro, une pure merveille – mais m’apprend que Magojiro est un masque Kongo. Il a été créé par les maîtres de masques qui travaillaient avec les Kongo. Wouah ! Alors, c’est normal que mon maître soit un Kongo ! Je pense à Magojiro, le premier. Celui que Erhard Stiefel m’a la première fois permis de porter et qui a fait tout ce bordel, ensuite celui qui est chez moi et celui-ci, le Kongo, la source de tout cela. On ne sait jamais… si Erhard ne m’avait pas raconté cette magnifique histoire, ni montré et permis de porter ce masque, peut-être aujourd’hui tout serait différent. C’est avec cela que je pars de là-bas. Cela et une autre rencontre incroyable que j’ai faite en chemin. La rencontre d’un dragon ! Un magnifique dragon cracheur d’eau purificatrice dans la cour du temple Higashi – Hongangi qu’ils sont en train de refaire complètement – il faut voir la structure qu’ils ont monté au dessus du temple pour le réparer… c’est colossal !. Au moment où j’ai puisé l’eau et lavé mes mains, un frisson m’a traversé et est apparu un homme. Un homme habillé d’une drôle de façon qui m’a fait signe. “Venez ! Venez ! “ Je m’exécute ! Je sais que c’est le dragon qui l’envoie, alors j’y vais les yeux fermés. Il se présente avec sa peau tannée et ses habits défraîchis, c’est un poète ! OUah ! Un poète japonais ayant grandi en Californie et qui a tout quitté pour écrire. Il vit de petits poèmes qu’il vend aux passants et se promène de par le monde. Parfois, il s’arrête un petit moment et écrit des romans – il en avait plein une petite pochette qu’il portait au côté droit, des liasses et des liasses de feuilles défraîchis – mais il vit sur la route. Il vient d’arriver à Kyôto et me parle longuement de Hiroshima où il vient de passer un moment. Nous resterons bien une heure à parler de tout, de rien. Moi à écouter ses poèmes en anglais, à regarder ses dessins et à lui apprendre quelques mots de français qu’ils notent dans un carnet pour écrire des haikus en français. “Les français aiment la culture ! Les français achèteraient mes poèmes ! Les japonais sont durs et froids ! Oui, très froids !”. Il s’appelle Hideo Asano.

Hideo Asano, Basho des temps modernes…

Je vous livre un des haïkus que je lui ai acheté :

Les oiseaux volent vers leurs nids
Sais-tu où tu vas ?
Des années lumières pour rentrer chez moi.

Hideo Asano

un autre…

Tiring long journey
Not made alone but along
With a small spider

Hideo Asano

Il avait avec lui un vieux livre tout corné de Ernest Hemingway, un autre grand voyageur.

Merci Dragon…

Merci Dragon !

Il est 23:39… je déconnecte ! Une heure de web bar 450 yens ! A demain…

On the Hikari… direction Kyôto

Je rentre dans cet immeuble et aperçoit sur la gauche une salle pleine de tatamis… ce doit être ici !

Il est 10 h 47 chez vous et ici, 17h46. Dans moins de deux heures maintenant, je serai à Kyôto, première base de mon voyage. Je dis “base”, parce que dans un premier temps, je n’y serai pas beaucoup. Etonnamment , je ne suis pas trop fatigué. Pourtant le passage éclair à Tôkyô n’a pas été de tout repos. En effet, après avoir choisi la gare de Tôkyô (c’est un quartier de Tôkyô) pour laisser mes bagages à la consigne – j’aurais préféré aller à Shinjuku, mais le départ du Shinkansen pour Kyôto se faisant à la gare de Tôkyô et mon premier rendez-vous avec Maître Udaka étant à Ganda, à une station de Tôkyô, je préfère m’arrêter ici – je fais une petite toilette dans les toilettes publiques qui n’ont rien à envier à nos plus belles salles de bain privées et hop ! je laisse mes bagages à la consigne. Attention, il faut prendre de sacrés repères. Ces gares sont des villes à elles toutes seules, un peu d’inattention et ce sera le cauchemar pour retrouver sa consigne au milieu des centaines d’autres qu’on peut trouver aux quatre coins de la gare. Donc… après avoir laissé mes bagages à la consigne automatique (un coup de Suica card, carte de métro Tôkyôïte qui sert à tout et qui a un numéro propre assurant à votre consigne de ne pouvoir être ouverte par uen autre carte que la vôtre), je file à Harajuku pour acheter un téléphone cellulaire histoire de prendre contact avec Rebecca Ogamo, l’assistante du maître qui attend de savoir à quelle heure j’arriverai en gare de Kyôto ce soir. Je vais au plus grand magasin de la Softbank (genre de Orange japonais) et commande un prépaid. Je m’en tire pour 11 000 yens avec 3000 yens de communication et une adresse mail attachée au téléphone (pratique pour relever ses mails quand on sait qu’ici le wifi est assez rare). La fille qui me sert est très sympathique, mais lente à en mourir et me voilà obligé de courir toute la ville pour arriver à l’heure à mon premier rendez-vous avec Maître Udaka. L’adresse 1-1-3 Uchikanda. Si si, c’est comme ça ici et avec un an de non exercice, je peux vous dire que c’est un sacré challenge. Il s’agit en fait de quartiers, puis de pâtés de maison, puis de maison dans ce pâté… le bordel ! Heureusement, les japonais sont toujours aussi serviables et je finis par arriver à bon port et à l’heure. Je rentre dans cet immeuble et aperçoit sur la gauche une salle pleine de tatamis… ce doit être ici ! Je rentre et oui, c’est bien là. Je me déchausse et pose mes souliers dans un casier prévu à cet effet et découvre une salle pleine de tatamis avec de grandes bâches bleues sur lesquelles sont installés des présentoirs en bois. Les gens commencent à arriver et me parlent… en japonais ! Heureusement, dans le lot, il y en a qui parlent quelques mots d’anglais. “Non, non, je ne suis pas journaliste. Je suis acteur et je viens suivre un stage avec Maître Udaka”. Et le voilà justement le Maître Udaka. Il me toise. Sympathiquement, mais sûrement. Il est très grand et a fière allure. On voit le samurai ou le seigneur de guerre au premier coup d’oeil. Il a quelque chose de très doux et de posé, mais en même temps il tient la distance. C’est un maître ! Les élèves eux sont curieux et viennent me voir. Chacun me montre son travail, son masque, où il en est par rapport à son voisin. Untel est plus avancé, l’autre débute. Maître Udaka fait le tour de tout le monde et dit à chacun quelques mots. Sa voix…. sa voix est très profonde, grave et chaleureuse. Une voix incroyable. Ouah! Moi qui voulais un maître et bien me voilà servi.

Ko-Omote, la plus jeune femme (excepté Magojiro, création de la famille Kongo). A gauche, une ébauche du Maître.

Quand tout le monde est arrivé, le maître s’installe au fond de la salle sur une partie où les tatamis sont surélevés d’une cinquantaine de centimètres (comme dans les salles d’audience des chateaux féodaux) et commence à se concentrer. Tout le monde l’imite, sauf dans ses premiers mouvements qu’il fait caché dans son kimono. On ne voit pas ce que font ses mains. C’est sûrement l’enseignement zen ésotérique et secret qui ne se donne pas. Ensuite, tous en seiza, nous méditons une quinzaine de minutes. Puis nous finissons par un échauffement assez simple, fondé sur la respiration. Entre le zen et le yoga. Après son signal, tout le monde s’arrête et commence à travailler à son masque. Maître Udaka leur a donné à chacun des gabarits en carton. Ils taillent, sculptent et reviennent sans cesse à ses gabarits pour voir s’ils sont loin ou pas du dessin à faire apparaître. Maître Udaka passe de l’un à l’autre, reste avec chacun un long moment. Il prend l’ébauche de masque, les ciseaux et aide, rattrape ou finit de donner la vie au masque. Quand il attaque cette phase là (sur les quelques masques les plus avancés) c’est un concert de “Wouah ! Oh! Ah !”. Chacun y va de son petit cri et félicite l’élève qui a fait le masque. Sur une table, deux élèves en sont à la peinture. Il s’agit d’encres de chine frottées dans l’eau. Là aussi, Maître Udaka vient. C’est lui qui fait le mélange. Sans dire un mot, il passe son mélange d’un bol à l’autre, rajoute un peu d’eau, un peu de noir, un peu de marron, passe son jus dans un tamis, le re-sépare , etc. C’est très méticuleux, l’atmosphère e.st à la concentration. Il est 15h30, cela fait deux heures et demi que je suis là au fond, assis en seiza quand Maître Udaka m’appelle enfin. Je viens à côté de lui qui continue à travailler, à surveiller les travaux de ses élèves. “Pourquoi voulez-vous faire du Nô avec moi ?” Oufffff ! Ca y est, c’est l’interro et je sens que la fatigue me rend fébrile. Je ne sais plus un mot d’anglais, mais il le faut, je me lance. “Et bien voilà, il y a 16 ans maintenant, j’ai vu Matsukada avec le Iemoto Kanze et il s’est passé quelque chose d’extraordinaire “surnatural”, je me suis vu avec les esprits de ma famille, les morts. Depuis, je n’ai de cesse de vouloir comprendre ce qu’il s’est passé et d’enrichir mon théâtre de cette dimension qui n’appartient pas du tout à notre théâtre.” Vas-y dire ça ! Maître Udaka rit de me voir peiner avec les mots et ne montre à aucun moment de l’intérêt ou de la sympathie. Mais je tiens bon. Puis il me dit : “nous nous verrons à Kyôto”. Ca y est, c’est fini. Il repart voir un autre élève. J’en profite pour lui demander de prendre congé, afin de ne pas rater mon train. Il rit à nouveau : “mais ne m’avez-vous pas dit qu’il était à 17h ?”. “Si ! Si… mais moi, pour retourner là-bas, trouver ma consigne, prendre le train, il me faut bien ce temps… et puis, je n’ai pas mangé depuis l’avion à 6h00 ce matin… mais je ne dis rien, je m’excuse juste et m’éclipse.

le maître s’installe au fond de la salle sur une partie où les tatamis sont surélevés d’une cinquantaine de centimètres…

J’ai compris aujourd’hui que les masques aussi étaient fait en Hinoki (Cyprès japonais) et qu’ils les laissaient grandir au moins 250 ans avant de couper les tronçons qui servent à faire les masques. Puis ils passent une vingtaine d’années dans l’eau et je ne sais plus trop quoi d’autre. Bref, le bois à 300 ans quand il est touché par les couteaux du sculpteur. C’est pour cela que l’esprit est déjà là et qu’il faut y faire attention. Ne pas le brusquer, ne pas le faire partir, disparaître. Voilà. Du coup, j’en ai pris quelques copeaux. Ils sont souples et humides, rien à voir avec nos copeaux de chêne des masques d’Etienne Champion.

Dans la gare de Tokyo – « Smocking Area »

Il est 11h28 chez vous et 18h27 ici. Je n’ai pas mangé, j’ai le dos en compote d’avoir passé ces quelques heures en seiza et là dans le train à écrire. Alors, j’arrête. Et je vais regarder dehors à quoi ressemble ce Japon que je traverse depuis une heure sans avoir levé le nez.

A demain