Reprendre… entre Tôkyô et Kyôto

Maître Tadashi Ogasamawa de la famille Izutsu, un immense maître avec un coeur à la hauteur de l’acteur. Disciple de Manzo le 8eme. Il était avec Manzo la première fois que j’ai rencontré le Nô et le Kyôgen, en 1994 au Théâtre du Soleil. Hasard ou destin ?

Dans le train pour Gifu, je me décide enfin à ressortir l’ordinateur pour tenter de retrouver le chemin de notre terre du milieu, là où je peux venir vous trouver quand le temps est trop vaste, là où je tente parfois de m’assurer que je ne me suis pas perdu pour toujours dans un rêve éveillé sans retour.

Mr Tomita Fumihiko, un ami… rencontré au restaurant de notre chère Chako (cf avril 2008). Ce soir là, il m’offrira deux masques de Nô fait par son père, homme de 80 ans qui a passé sa retraite a sculpté des masques de Nô.

Tôkyô aura été un moment très dense, intense, une réelle plongée en apnée dans le monde du Nô et du Kyôgen – à fréquenter la scène de Nô tous les jours sous l’égide de maîtres venus d’un autre temps et qui, s’ils connaissent les “gaiji” – les étrangers – ne peuvent pas pour autant se permettre trop de digressions. Le stage s’est fini par une présentation des différents travaux, sur scène, devant une audience composée d’amis rencontrés en cours de route, d’officiels travaillant avec l’ITI – International Theater Institute, Organisation de l’Unesco – et des maîtres de l’École Izumi – une des deux écoles de Kyôgen. Passer dix jours en seiza entre 5 et 6 heures par jour, travailler les komai – danses du Kyôgen -, l’utai – le chant – les champignons – personnages se déplaçant le plus vite possible en position accroupie qu’on trouve dans un kyôgen : (nom à rechercher, c’est promis), l’histoire d’un homme qui vient demander l’aide d’un Yamabushi (moine guerrier des montagnes qui avaient des connaissances magiques) pour libérer son jardin de champignons indésirables venus s’y installer. Evidemment, plus le Yamabushi fait d’incantations, plus le nombre de champignons augmente jusqu’au moment où le chef des champignons, un démon furieux, entre sur scène pour dévorer le Yamabushi- aura été poignant, harassant, ahurissant… et c’est comme si je me réveillais d’un long rêve doucement, au fil des heures qui filent depuis mon départ de Tôkyô à 12h30 aujourd’hui par les lignes locales – soit 10 heures de voyage en tout pour rejoindre Kyôto par de petits trains locaux en tous points semblables aux métros, donc au confort… plus précaire.

Détail du Pin du Butai des Umewaka à Tôkyô

Je retrouve la solitude, comme un costume qui m’aurait manqué et qui sied si bien à une aventure comme celle là. Parce qu’elle permet à l’étrangeté de se déformer jusqu’à devenir complètement surnaturelle et emmène loin sur les terres de nos vérités intérieures mises à la rude épreuve de savoir comment elles pourront soutenir ce si particulier climat.

Les maîtres préparent Elise pour la représentation. C’est que c’est quelque chose l’habillage ici, un vrai art à part entière.

C’est un grand privilège de se permettre le luxe de ne rien comprendre, de ne pas pouvoir lire et de, malgré tout, avancer toujours plus loin dans l’inconnu, faisant appel à d’autres repères, à d’autres lois. Comme le silence, qui permet au flot de parole, au flux du sang de prendre un autre rythme, étiré, ouvrant grandes les portes d’un monde parallèle où les clés ne peuvent être partagées.

Fête de fin de Stage. A côté d’Elisabeth, Vincent Guenneau, ami français vivant dans les sphères du nô au Japon depuis 11 ans.

Il me faudra revenir sur l’avant, l’avant maintenant, l’avant Tôkyô, entre le retour de l’Île Sado et le départ de Kyôto. J’ai quelques instants que je voudrais inscrire ici : la visite du Temple Daigo Ji au sommet d’une des hautes collines qui surplombent Kyôto, la rencontre avec Atsumori, la baie de Suma et la montagne de Shironoyama… Il me faudra prendre le temps de les ramener ici.

Le Daigo Ji, tout en haut d’une haute colline. Ici vivent encore des moines, ici Kanami, Zeami et son fils Motomasa ont eu la responsabilité des festivités pendant leurs grandes années.

En même temps, le mois que je m’apprête à vivre ici, je le voudrais silencieux, complètement. D’abord, parce que j’ai une pièce de théâtre à écrire, d’autre part, parce que j’ai fait de vous des compagnons trop envahissants, trop rassurants.

Le Moine Rensei, devant la tombe d’Atsumori. Baie de Suma

Je veux rencontrer ce qu’il y a là-bas et que j’entr’aperçois quand la nuit se fait et que les hommes se taisent ou, en tout cas, quand le mien se tait. Complètement. Laisser la distance, le silence, la solitude avaler mes repères, hors de vos soins, de nos mots, au pays où le manque devient une larme d’acide qui ronge goûte à goûte toutes les graisses accumulées autour des yeux du coeur.

Le lieu où est mort Atsumori au pied de la montagne de Shironoyama – Baie de Suma

Je veux devenir aveugle pour y voir, sourd pour entendre, muet pour écouter. Ne plus dire, ne plus parler, ne pas tenter d’inscrire quoi que ce soit, mais juste être le petit être que je suis au fond. Là, simplement là, pauvrement là et rien d’autre.

P.S. Mais je serai vite de retour ;-)… euh….

Arrivé à Kyôto, il est 22h30. Je suis heureux de me retrouver ici comme si j’étais rentré chez moi. Très agréable sensation après ces dix jours intenses à Tôkyô. La Takaya Guest House y est pour quelque chose, je pense.

Elisabeth et Chako dans son restaurant. Le restaurant le plus Wabi Sabi que je connaisse au Japon. A voir absolument. Tôkyô

A très vite !

Tôkyô, Tremblement de terre, typhon et Kyôgen… si, si, tout va bien !

Un typhon est passé cette nuit sur l’Asie, un tremblement de terre d’amplitude 6 a eu lieu à Tôkyô qui nous a réveillé au milieu de la nuit et pourtant tout va bien, mais… vraiment bien !

Je viens de finir l’épisode Sado Island et je vois bien que je n’arriverai pas à rattraper les 11 jours de retard… en tout cas, pas maintenant. La connexion ici est très mauvaise, envoyer des photos devient un exploit et trouver le temps d’écrire aussi.

Nous faisons 7 heures de Kyôgen par jour et je peux vous assurer que c’est ce qu’on appelle chez nous : un training quelque peu physique ! On ressort de là, lessivés.

De plus, il nous faut apprendre les textes, revoir les danses, ce qui s’ajoute à mes devoirs de vacance de flûte, de Shimai et d’Utai que je dois continuer à voir, parallèlement.

En même temps, après notre retour à Kyôto, les événements ont été plus maîtrisés. Cours de Shimai, cours de Utai, cours de Fue. Beaucoup d’heures à la maison à travailler et quelques visites que je prendrais le temps de vous raconter. Surtout celle du Daigo Ji pour mon anniversaire où nous avons fait une ascension de deux heures et demi pour arriver sur une autre planête, au calme, si proches du ciel !

A très vite !

Alexandre

Tremblement de terre… tout va bien !

Pour ceux qui en France auraient eu l’info, nous avons eu droit hier au soir à un joli tremblement de sol…. 4 sur l’échelle de Richter. Nous l’avons bien senti… comme si un gros métro passait sous la maison et avant et après des vagues dans le sol que jusqu’au moment crucial, nous avions mis sur le dos de la fatigue et du voyage.

Nous sommes sortis de la maison, avons attendu que ça passe. Et ça passe ! Les japonais ont continué leur train de vie comme si de rien n’était.

Voilà, c’était juste pour vous dire que nous ne sommes pas faits avalés par une grande crevasse, ni n’avons pris sur la tête notre chétive maison de bois.

Ce matin, nous allons nous inscrire au stage de Kyôgen. Je reviens vers vous au plus vite.

Absence prolongée jusqu’au 9

Bonsoir à tous – et oui, ici il est 22h09.
Je n’ai pas le temps de continuer et je pense que d’ici Tôkyô, c’est à dire le 9 août, les choses en resteront là. Ce n’est pas sûr, mais le programme est assez chargé. Visites, cours, courses…

Je vous laisse et vous dit à lundi sans faute avec plein de nouvelles nouvelles.

A vite

Île Sado, Musée et retour…

Un nouveau dragon, gardien du Musée de Sado

Il est 10 heures quand nous décollons. L’hôtel organise trois départ vers la gare chaque matin, ce qui nous permet de déposer nos valises à la consigne de la gare du Ferry et de profiter du peu de temps qu’il nous reste, légers ! Nous reprenons le bus n 1, le même qui m’a emmené au Shoboji hier, mais ne descendons qu’à Sawata Beach. Pendant le trajet, je montre à Elise, tout ce que j’ai découvert hier. Je suis comme un enfant racontant son séjour en colonie de vacances. Elise se prête au jeu, accueille mon enthousiasme un peu tonitruant. A Sawata Beach, au terminus – un carrefour entre deux petites routes de campagne – nous changeons de bus et arrivons au musée vers 11h30. Notre temps est compté, le bateau part à 15h30 et nous ne pouvons pas nous permettre de le rater, mon railpass finissant ce soir, à minuit.

Le vénérable moine Nichiren Daishonin, exilé lui aussi sur l’Île Sado, déjouant ses assassins par les prières.

Le musée est assez décevant. Il s’agit d’un musée avec des automates. On y voit effectivement Zeami et l’épisode de la danse de la pluie ; effectivement, un texte de lui est reproduit au mur. Etait-ce de ça que le pêcheur voulait parler ? Qu’importe, il doit y avoir d’autres salles après cette mise en bouche animée… mais non ! Le musée, c’est ça. Pas de vestiges, pas de peintures, pas de textes, pas d’objets usuels, pas d’armures. Juste une histoire animée de l’île, enfin, de certains événements ayant eu lieu dans l’île. Par contre, la réalisation des scènes est somptueuse. Surtout les extraits de légendes, écrites par je ne sais plus quel auteur, habitant l’île. Je sors de là un peu déçu. De toute façon, nous n’aurons pas le temps de voir autre chose. Ce n’est pas grave, cela veut dire qu’il me faudra revenir.

Un aigle qui nous a suivi tout le long du retour. Je vous rappelle que ce n’est pas une mouette et qu’il ne se pose pas sur l’eau. Impressionnant voyage !

Mais pour l’heure, nous rentrons ! Nous découvrons un bus qui fait le retour directement en passant de l’autre côté de l’île – au moins nous aurons vu de paysage ! Et nous voilà dans notre Ferry qui nous ramène à Nîgata. Je regarde l’île disparaître à l’horizon, accompagné d’un aigle et de mouettes qui suivent le bateau en quête de nourriture. Le ferry arrive à 17h30, le train part à 18h15 pour Tôkyô. Tous les timing du jour sont extrêmement serrés !

L’île Sado, sur la gauche l’endroit où a du débarquer Zeami… adieu « Île d’Or »

A la descente du ferry, nous nous trompons de sortie et ratons le bus. Flûte ! Le prochain est dans un heure… “Hep ! Taxi”. Et nous voilà en gare de Nîgata. Il est 18h00, il nous reste 13 minutes.Juste de quoi aller faire un tour à l’agence JR pour voir si on peut récupérer des places réservées. Mais le train que je lui montre n’est pas sur son ordinateur. Il cherche, cherche. Moi je sors ma grille de trains et lui montre. “But that is one who work only on sundays. Look” Non ! Je n’avais pas fait attention et nous voilà coincé ici. Pas de départ avant demain ! Si… en cherchant bien, il nous dégote un vieux train de nuit. Départ 22h55, arrivée 06h50 en gare de Kyôto. “With beds ?” “No, sorry.” . Bon… c’est ça où payer quelques 25 000 yens pour rentrer. “Ok, we take this one” Du coup, nous avons du temps devant nous… beaucoup de temps. Nous tournons en rond dans un sens, puis dans l’autre. Faisons du lèche-vitrine, mangeons quelques sushi, buvons quelques cafés. Tournons, retournons. 21h… 21h10… 21h15… 21H30…………

Attente à Nîgata. Gare des bus, un des endroits près de la gare où l’on peut trouver des bancs dehors.

22h35 ! Nous montons dans le train qui est déjà à quai. Les compartiments couchettes ont l’air vraiment confortables. Mais c’est 6000 yens la couchette, soit 12000 pour les deux. Je le propose à Elise qui, raisonnable, essaye de se faire un petit lit sur les banquettes sous une climatisation digne d’une patinoire olympique et qui, faisant sa meilleure mine, me dit : “Ce n’est pas la peine, ça ira”. Ouais, ça ira ! Si nous avons réussi à dormir une heure par intermittence durant cette nuit, c’est un grand maximum. Arrêt du train toutes les demies heures, climatisation impossible à faire baisser – malgré mes appuis multiples et variés sur les boutons écrits en japonais dans le couloir, après que le contrôleur nous ait dit qu’il ne pouvait pas la baisser.

Il est 06h50. Evidemment, c’est le moment où nous dormions le mieux. Nous débarquons, tel deux zombis sur le quai de la Kyôto Station, en essayant de ne pas oublier de bagages à bord – ce qui ne manque jamais de m’arriver quand la fatigue me submerge. Nous attendons le métro un moment, filons à la Takaya, puis nous effondrons dans le lit après une douche bien méritée. Content de retrouver notre four après le supplice du frigo. Nous sommes le 2 août depuis quelques heures, mais cette journée ne commencera qu’à 11h30 quand nous nous réveillerons de notre sieste matinale bien méritée.