L’arrivée au monastère de Gion


Ca y est, m’y voici.
J’ai troqué mes habits de ville pour un simple kimono d’étoffe et un hakama de trame grossière. J’ai laissé mes chaussures à l’entrée et sorti mes savates de paille.

Je serai bien ici. Je le sens. Hannya me regarde de son regard triste et égaré. Et je me rends compte qu’elle est ce démon, ce démon du nô qui m’a amené jusqu’ici.
Comme Fujiwaka avant moi, je dois aussi faire le deuil et mesurer le chemin qu’il me reste à parcourir au côté de ma voie. Seul.

Je serai bien ici. Avec mon thé vert fumant, mon sabre millénaire et mon éventail de nô. Avec Atsumori et les poèmes qui ont bercé son enfance. Avec le temps qui m’autorise à m’échapper plus loin, ailleurs.

Je regarde mon espace de transformation… ce n’est pas un espace d’auteur, non, mais un espace de comédien. Il suffirait de remplacer l’ordinateur par un miroir et les stylos par des crayons et autres ustensiles de maquillage. Je regarde mon espace de transformation… ici, dans cette pièce, rien, ni personne ne peut me ramener de votre côté du monde. Ici, dans ce temple du 14eme siècle où je fais ma retraite, rien ni personne ne peut m’arracher au silence qui transforme les espaces et le temps.

Nous nous devons cette rigueur. Tous ! La rigueur de se donner les moyens d’y être et d’y vivre le présent… C’est ce que j’ai appris là-bas, au Théâtre du Soleil et qui ne cesse de m’accompagner, même quand je suis perdu, même quand je ne sais plus.

Demain matin débutera cette aventure. Et je suis prêt. Prêt à recevoir cet homme immense et à l’accompagner aussi loin qu’il le voudra. Aussi loin !

Chut ! J’entends les cloches qui résonnent et les prières qui grondent.

A demain, peut-être !

Motokiyo

Samedi… nouveau jour, nouvelle aventure

Ca y est !
Les petits jeunes sont partis. La maison est redevenue une grande maison pleine d’espaces propices à la réflexion et à l’imagination, à la peur du vide aussi !

Je voudrais…

Ne jamais redescendre de ce petit nuage où Ariane m’a emmené avec toute son équipe et tous les « stagiaires » qui étaient présents, courageux petits « stagiaires » venus entendre cette femme et partager avec elle un peu de ce théâtre qui semble avoir trouvé chez elle, une amie, une partenaire, une grande prêtresse même… et que le théâtre est bon quand l’exigence est là et que les moyens se tendent vers cet objectif : « Faire du théâtre! »

Je remonterai les jours au fur et à mesure, c’est promis ! J’espère qu’alors, vous pourrez mesurer la chance que ces 450 personnes ont eu de se trouver ensemble dans un de ces derniers temples où les dieux du Théâtre semblent aimer à se retrouver.

Je voudrais…

Avoir beaucoup d’instants comme ceux rencontrés cette semaine avec ma petite équipe de jeunes ; où ce que j’ai traversé, laborieusement, prend enfin sens et me permet d’être moi, consistant face à ces enfants en phase de devenir adultes et qui puisent ici, peu-être, quelques outils pour ne pas se laisser submerger par la bêtise. Et qui, dans leur volonté de monter sur le Théâtre, nous montrent bien que ce qui se joue ici est bien plus qu’il n’y paraît. Comme un moyen de donner du sens à ce qui en a tant perdu. Comme un moyen de redessiner le monde : un monde de partage, de joie, un monde d’honnêteté et de foi. Et moi qui me bats si souvent seul, de pouvoir les accompagner là, est une récompense mille fois plus belle que tout ce que l’on peut imaginer.

Aujourd’hui, il me faut clore ce chapitre (pour un instant) et préparer cette semaine qui me terrifie !

H-6 avant le départ de cet après-midi où je vais m’enfermer une semaine au côté de Zeami et tenter, oui je dis bien tenter, de mettre en vie l’histoire terrible de ce Génie. Laisser un moment ces jeunes qui appellent « Théâtre Nô » ce que nous appelons théâtre, Laisser Ariane et les siens à la naissance de cette nouvelle aventure, laisser ma famille, mes amours, mon havre et moi-même pour plonger corps et âme dans ce travail. Espérons que Zeami vienne me trouver et qu’il me juge digne de raconter son histoire.

Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour l’être ! Tout ! (Et certains ici savent ce que cela veut dire ou commencent à l’entrevoir ;-))

Je nous souhaite beaucoup de théâtre à tous ! Et à très vite.

P.S. « Picasso est les Cubes » n’a pas été retenu pour le Festival « C’est Sud » d’Aix-en-Provence. Le projet semble avoir été jugé « trop ambitieux »… Ce qui me laisse un goût amer n’est pas le fait que ce projet ne puisse voir le jour, mais de mesurer, encore une fois, le manque de foi et d’envie qui animent les décideurs culturels et le mal que ces derniers font à notre monde, à nos rêves ! S’ils pouvaient le mesurer… Oui, s’ils pouvaient le mesurer, combien alors le monde serait différent !

Ariane, je persiste ! Il faut absolument que tu invites ces gens-là, cette population par laquelle les artistes sont obligés de passer, à l’un de tes stages ! Pour leur donner une chance de mesurer ce à quoi ils ont voulu s’atteler…

Vendredi – dernier jour…

Encore une fois il fut difficile de sortir du lit et d’affronter la fraicheur matinale, mais le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt, alors il faut s’activer. Après un bon petit déj’, nous rassemblons quelques affaires et nous serrons dans le bolide d’Alex – rebaptisé pour l’occasion « Faucon Millénium ».

Quelques minutes plus tard nous sommes au Studio du Soleil, et là déjà, les sourires s’affichent : c’est l’heure du maquillage, l’heure de revêtir nos masques. Je remarque que les traits de crayons sont plus nets, que le geste est plus précis, déjà mes acolytes et moi s’effaçons pour laisser place à un Dom Juan effrayant, un Sganarelle ivrogne, un paysan pleutre ou encore une Done Elvire vieillarde.

Un regard d’Alexandre nous indique que nous sommes en retard et qu’il est temps de revêtir nos costumes, s’en suit un briefing sur le travail à effectuer, et bientôt apparaissent sur scène deux valets : Sgnarelle et Gusman, fumant tour a tour une pipe (aux effets dévastateurs) , et échangeant quelques confidence sur leur maitres respectifs.

La prestation prend fin avec les remarques et indications d’Alexandre, mais aussi des autres comédiens novices.

Au studio, le temps défile plus vite que les notes sous les doigts du pianiste, et bientôt nous reprenons la direction de cette maison de campagne au charme intemporel, la matinée s’achève devant une bonne salade de riz ( que j’assaisonne avec passion !).

Le repas se finit à peine qu’Alexandre nous informe sur notre travail de cet après midi : se mettre dans la peau de comédiens japonais interprétant « Dom Juan » devant l’Empereur et 800 personnes..

Moins d’une heure plus tard , nous revoici au Studio, un dernier coup de pinceau pour rattraper le maquillage, nous enfilons nos costumes, perruques ou couvres chef, nous nous remémorons l’ensemble des Actes et scènes et nous partageons les différents rôles.

La voix d’Alexandre nous rappelle que nous sommes en retard et que l’Empereur nous fera couper la tête si nous le faisons attendre, alors nous jetons un dernier regard à nos notes, et prenons place sur les planche d’un authentique théâtre Nô, quelque part dans un village, prés de Kyoto.

La musique des tambour et des flutes résonne, les personnages entrent en scène, tâtonnent, hésitent, se gamèlent, se rattrapent, le doute les dissipent et en 10 minutes notre public se décomposent, s’en va en soupirant, le décors du théâtre se dissout et l’Empereur, accroupi au fond de la salle, délivre sa sentence !

C’est l’heure du réglage de compte, du coup de gueule, des regards inquiets, Alexandre nous met face a notre échec, à notre manque d’investissement, d’honnêteté et je vois apparaitre le spectre maussade de la culpabilité.Nous nous accordons une courte pause et reprenons l’exercice, car rester sur un échec est prohibé, alors nous réarmons notre courage, car aujourd’hui c’est l’Empereur qui s’est déplacé pour voir « Dom Juan » et nous ne pouvons pas le décevoir.

Cette nouvelle prestation se déroule mieux, les indications d’Alex nous soutiennent et nous aident, les comédiens sont plus à l’écoute de leurs camarades, et l’on peux voir sur scène un Sganarelle s’étouffant avec sa pipe, une Done Elvire rabougrie à cheval sur son valet, ou encore un concours de beauté à la mode paysanne.

La prestation s’achève, ainsi que notre journée et notre séjour, par un débriefing complet, nous nous démaquillons, et retirons nos costumes.

Le stage prend fin, mais bientôt nous serons à nouveau réunis que ce soit au Studio ou au Lycée Cézanne, nous allons mettre ce projet en place en vue d’offrir aux Aixois un billet express pour le Japon médiéval et l’univers du théâtre Nô .

Gaël

Quatrième Journée du « Dom Juan » pour le Théâtre Nô

Quatrième jour !

C’est après une nuit bercée par les toux et les nez encombrés que la petite troupe se lève en douceur.
Le soleil pointe timidement de ses fins rayons les arbres et les champs encore plongés dans la rosée du matin.

Après que la voiture eut du mal à se réveiller elle aussi, nous arrivâmes au Studio, l’esprit vierge et apte à la création.
Cet art, qui commence à être un rituel, qu’est celui du maquillage, nous transporte petit à petit dans le coeur du personnage
auquel nous donnons vie au fur et à mesure des coups de pinceaux et autre crayons gras.

La Séance commence. Les acteurs en herbe écoutent attentivement les nouveaux versets du Metteur en Scène.
Ses premiers mots furent donc l’apologie de la ponctualité et de la disponibilité de l’Acteur. En effet, celui ci
se doit d’étudier ses priorités. Donner en vie et travailler l’acteur qui est en nous ou entretenir le bien être de notre être humain?

Grâce aux interventions d’Alexandre sur l’Acteur et ses relations avec le ou les personnages, ou même le monde, cette semaine ne devient pas une simple initiation au Nô mais également « un cour du savoir vivre de l’Acteur. »

Aussi, Alexandre insiste surtout sur l’importance de chaque chose dans l’espace scénique. L’Acteur doit prendre en considération tout ce qui l’entoure et ne doit pas hésiter à le dupliquer dans son esprit pour lui donner de l’importance. Ainsi, je ne présente pas dans un espace scénique qui pourrait réduire et nuire à l’intensité de mes actes, mais dans une immense salle, devant de Grandes Personnes face auxquelles je dois faire mes preuves. L’Acteur s’implique donc autant sur une petite scène que sur un immense plateau.
Reste à nos jeunes disciples de réussir à l’appliquer…

Aujourd’hui le travail se fait texte en main, avec la mise en pratique des idées réfléchies la veille par les Apprentis Comédiens.
Toujours sur le thème de l’improvisation, mais cette fois ci plus ciblé par les enjeux du texte, les scènes et les personnages défilent sagement dans le chenal des idées, guidé et dirigé par Alexandre.
Ce mélange du Nô et d’un texte aussi classique que « Dom Juan » permet de faire de nombreuses découvertes; tant sur la recherche des propres capacités de chacun à s’investir et offrir de soi, que dans la forme de la représentation en elle même. Ainsi, en étant spectateur, on observe une nouvelle version plus originale et surprenante du texte classique de Molière.

Chacun possède des points positifs et d’autres à développer. Il est important que chaque protagoniste s’implique et arrive à faire la coupure entre le monde réel et l’espace scénique, pour offrir une totale immersion dans le personnage et ses particularités.

Les travaux se font de plus en plus intéressants et profonds, se qui donne la dimension mystique et si précieuse du théâtre d’Alexandre.

Mais la fin de semaine arrive très rapidement, tachons de profiter de ces derniers instants, avant que le manque s’installe.

Antoine-Baptiste, la tête dans un nuage scénique.

Jour Deux du « Dom Juan » pour le Théâtre Nô

Deuxième jour !

9h30, une belle journée en perspective, le soleil pointe le bout de son nez au Studio.
Filles et garçons accueillent un participant de passage, Mathieu, qui vient jeter un oeil à nos travaux, et s’immerger pour un jour dans le Théâtre Nô. Nous commençons, comme il se doit, par nous maquiller. Certains tâtonnent encore, tandis que chez d’autres, on voit déjà le personnage de substitution prendre vie. On apprend à concrétiser notre idée, en traçant sur nos visages des traits d’expression significatifs. L’ensemble constitue des variantes d’épaisseur, de couleur et d’aspect. Plus le travail avance, plus les traits sont justes et l’ensemble harmonieux. Pourtant, nous avons trop peu d’expérience pour tendre à cet équilibre; c’est le début d’un apprentissage laborieux dans lequel nous guide Alexandre. Rapidement, nous enfilons nos costumes. Cette étape n’a pas encore été approfondie, mais nous avançons pas à pas.
Viennent alors les improvisations, toujours en partant d’une situation donnée par Alexandre, nous construisons l’espace dans lequel nous avançons; la scène devient alors un lieu magique. C’est une forêt traversée par une rivière, en vieux temple en ruine, un champs désertique… Il faut y croire. Etre vrai pour faire marcher l’illusion mais, cependant, ne pas être soi. Ample difficulté! C’est le moment de faire des concessions, ou notre ego risque d’en prendre un coup. Nous comprenons que le théâtre repose aussi sur la confiance mutuelle entre l’acteur et le metteur en scène.

Demain : jour de repos, au programme RAN.

Fleur

Jour Un des répétitions du « Dom Juan » pour le Théâtre Nô

Ca y est, nous attaquons « Dom Juan » pour le Théâtre Nô avec des élèves du Lycée Paul Cézanne d’Aix-en-Provence. Nous serons ensemble toute la semaine. Programme : découverte du jeu masqué, des formes orientales.. tout cela chargé de mes quinze jours de stage au Théâtre du Soleil où j’ai pu après treize ans, retrouver Ariane Mnouchkine… Pour le soir : petit concoctage de films japonais : Kurosawa en tête.

Mais pour libérer mon temps de préparation de ces journées éprouvantes, je laisse la parole aux jeunes. Avec chaque soir, un de ces apprentis acteurs qui a pour mission de raconter la journée écoulée….

Premier jour !

« Il faut que tu vois! Arrête de faire tourner la machine là-haut! » dixit Alexandre Ferran
Si tu n’as pas cinq ans, vas-t-en !
La séance de répétition se déroule ainsi : chacun notre tour, seul ou à deux, nous improvisons à partir d’une situation.
Le metteur en scène nous accompagne dans notre jeu d’acteur (en herbe) nous reprend, nous dicte des comportements, des gestes et nous aide à donner vie à l’imaginaire. Ces séries d’improvisation sont des exercices pour travailler le jeu de l’acteur. Il n’y a aucune parole ou très peu.
Or, il ne suffit pas d’imaginer mais de vivre et de transmettre à l’autre nos visions et nos émotions.
Le début fut laborieux et épineux mais le jeu du maquillage est une jolie exploration. Jouer avec les ombres et les lumières et les différentes expressions que peuvent prendre le visage est difficile. A la fin, il faut que ce maquillage soit un vrai masque.
Les costumes nous plongent dans la peau d’un personnage indéfini. C’est Alexandre qui nous propose une situation dans laquelle nous devons nous immerger au péril de se noyer. « Il faut être dans l’expressivité mais pas dans la démonstration. » Là réside une des difficultés que nous devons surmonter.

Enfin, la soirée fut consacrée au film de Kurosawa, « Les seps samouraïs ». G R A N D I O S E

Sidney

Beaucoup de silence…

Beaucoup de silence…
C’est le temps des mots qui manque et surtout la poussière pas levée sur ce blog enterré …
Mais je suis toujours là, bien en vie, bien en actes, bien réveillé.
Les projets sont nombreux, les risques aussi !

J’essaye de ne pas être focalisé complètement sur le Japon, mais c’est difficile de ne pas plonger tout entier. Tout serait tellement plus simple alors. Ecrire ce spectacle sur Zeami, préparer mon voyage, mettre en place les partenariats….

Il me faut garder les pieds sur terre, encore, encore, encore. Attendre que les regards se posent là et y croient. Alors, je continue ma vie de technicien (il le faut, il le faut, il le faut… chaque jour, je dois me le rappeler) tout en utilisant mon temps libre pour avancer sur les projets.

Il y a

• « Dom Juan » au Théâtre Nô d’Aix en Provence avec les Options Théâtre du Lycée Paul Cézanne

• « Le Dit des Heike » mis en musique pour le Festival Musique dans la Rue (j’attends la confirmation)

• « Picasso et les Cubes » pour le festival C’est Sud d’Aix-en-Provence (j’attends la confirmation)

• « Un An au Pays du Nô » à la Villa Kujoyama de Kyôto pour l’année 2010 (j’attends la réponse d’ici mai) avec la réécriture pour la scène du roman « Le Démon du Nô » de Nobuko Albery et la création d’une version contemporaine d' »Atsumori » avec une Compagnie Japonaise.

• La reprise de « Elle Attend » ( je vous mets un lien si vous voulez en voir un extrait…)