Et la suite ?

Pas très bavard ces derniers temps…
Pas qu’il ne passe rien, non ! ni qu’il s’en passe trop… je goûte depuis une semaine un petit moment de vacances qui me submerge tout !

C’est le temps d’abandon avant celui de l’action. Le temps où l’on tente de faire le point. Sur ce qui a été réalisé et ce qu’il reste à faire… et le constat n’est pas glorieux ! Non ! Toujours au même point, quasiment ! C’est vrai que j’ai inscrit encore un spectacle au ciel de ma vie, mais il n’aura joué que trois fois et je ne vois pas aujourd’hui comment il pourrait en être autrement. Peut-être n’ai-je pas les épaules pour mener ces histoires plus loin que là où elles tombent ? Peut-être n’en ai-je pas le talent, ni la force ? Je n’ai pas encore 34 ans… je regarde mes muscles fatigués, mes yeux cernés et mon espoir froissé. Je regarde les pas derrière et je compte ce qu’ils m’ont coûté. Je regarde le chemin devant et je ne vois pas comment je pourrais continuer à porter ce corps abîmé sur ce si long chemin. Éternelle côte !

En même temps… en même temps, les années qui passent me lavent des scories de ce monde dégénérescent. A chaque effort, je perds un rêve imbécile. Un rêve de pouvoir, de possession, de richesse, de gloire. Et ne m’en porte que mieux ! Sûr d’être là où je le dois et de tenir ce qui est précieux vraiment au creux de cette paume calleuse, aride, sèche de tant de combats.

La fin d’année aura été dure ! (et oui je compte en années scolaires comme les enfants!) J’y ai perdu ma place au sein de la Maison du Japon en Méditerranée et plus grave », mon accès au Théâtre Nô d’Aix en Provence, j’ai vu l’ébauche de mes « Illusions Tragiques » refusée par la fondation Beaumarchais au profit d’oeuvres débiles et vulgaires! Et je regarde Atsumori se délité petit à petit, sachant que chaque heure qui passe nous rapproche de la dernière. Sachant que ces dates espacées nous coûtent plus qu’elles nous offrent. Et pourtant, comme elles m’ont coûté ! Pour les négocier, les mettre en place, les obtenir ces trois dates ! Trois ! Et le travail pour le faire exister. L’adaptation, les réflexions, les voyages, les répétitions, les costumes cherchés à Paris, les acteurs à convaincre, les heures passées sur scène et hors scène… une vie ! Est-ce que ce spectacle mérite ça ? Non, je ne crois pas… Atsumori s’en va… il disparaît un peu plus chaque jour. Emportant avec lui sa jeunesse pas vécue et notre maturité à venir. M’arrachant au coeur une poignée de rêves. Me montrant face à ceux que j’ai tout fait pour emmener avec moi, un petit capitaine de pacotille !

Est-ce que je suis sans fond ? N’y a-t-il pas un moment où je ne pourrais plus faire un pas de plus, submergé par mes blessures ? Combien d’années encore tiendrais-je avant de jeter l’éponge ?

Pourtant au fond de moi, je sais bien que mon parcours est juste ! Je le sais… Quand je regarde ces phrases inscrites sur mon ciel, je le vois bien ! J’ai réalisé ce que j’avais à réalisé. Avec des erreurs, bien sûr. Avec des maladresses aussi. Mais les mots qui sont là sont bien les miens et je les porte avec la même ferveur qu’au premier jour. Sûr de pouvoir mourir à chaque instant sans regret. Sans regret et sans peur.

Parce que ceux dans ceux qui ont vu mes oeuvres, il ne se peut pas que personne n’ai subi de transformation profonde. Il en existe au moins un, au moins deux. Et qui aujourd’hui portent le sens de mon combat ailleurs, autrement. Forts de cette chair que j’ai abandonné à eux, sans autre volonté que de partager l’indicible.

Pause…

Petit jour de pause…

Juste là, en équilibre. Entre ici et ailleurs. Entre hier et demain. Debout. Les yeux en dedans et le souffle sourd de celui qui étire le temps jusqu’à l’épuisement, mais là. A écouter le tourbillon des questions qui assaillent dès que le corps n’est plus sollicité. Combien de jours encore ? Pourquoi ? Pour qui ? Et la mort… me prendra-t-elle ce soir ou me laissera-t-elle quelques jours de répit ?

J’ai tant de choses à bâtir.

Je pense souvent à Alexandre le Grand ces temps-ci. A cet homme qui en a mené tant d’autres avec lui, capable de sortir de ses entrailles la dernière goutte d’espoir pour l’offrir en pâture à ceux qui ne pourraient jamais le comprendre. Obligé de fouler au pied son propre coeur, pour faire taire les tremblements et les larmes, pourtant si légitimes. Peut-on faire autrement quand on sait que des milliers et des milliers de vie s’en remettent à vous, complètement ? Être un chef veut dire accepter de porter la terreur de l’ignorance enfoncée dans la gorge et le sourire dessiné au scalpel. Enfant condamné à la solitude exemplaire de celui qui jamais ne peut délasser ses muscles. Parce qu’il porte, parce qu’il portera coûte que coûte tous ceux qui se sont mis sur sa route. Tout ceux qui ne veulent pas ou ne peuvent pas porter. Et cela pourquoi ? Pour la gloire ?! Non, pas pour la gloire… la gloire ne veut rien dire. La gloire n’est qu’un mot pour l’après, pour l’autre, mais jamais pour le présent, ni pour soi. Par hasard, peut-être. Par amour, possiblement. Pour la fragilité d’une âme qui se sait pas à sa place et qui préfère se faire dévorer que de rester assise là, immobile !

Quels artistes aujourd’hui peuvent en dire autant ? Peu… si peu ! Pourtant, nous sommes censés être de cette essence. Nous nous devons d’être de cette essence. Nous nous devons d’être des martyrs. Pas de faire pour réussir, mais parce qu’il ne peut en être autrement. Parce qu’une âme de cette nature ne peut supporter d’être assise là à attendre. Elle préfère la beauté de la mort à l’horreur de l’immobilité. Elle préfère la puissance des yeux crevés au tison que la lâcheté de l’aveuglement. Elle préfère le goût du sang sur la langue que le confort d’une nourriture qui endort et empâte.

Nous avons le devoir de nous tuer à la tâche. Pour que tous les autres puissent vivre ! Pour que tous les autres vivent….