De Oshirabe à Banshiki Jo no mai, en passant par Gaku. Périple en terre de Nô

 Shôka de Oshirabe sans les doigtés – Shouka of Oshirabe without fingering

En deux ans, voilà les pièces que j’ai apprises, dans l’ordre de leur apprentissage. Dans un ouvrage de l’école Isso, j’ai dénombré 43 morceaux de flûtes en comprenant Oshirabe. Je pense que l’ordre d’apprentissage est souvent semblable. On commence du plus « facile » au plus « difficile ». En gardant de côté les morceaux trop spécifiques.

Particularité de mon maître, il m’a fait commencé par Otoko-mai qui est plus rapide que Chû-no-mai, lui même plus rapide que Jo-no-mai. Je sais, par ouïe dire que, dans l’école Isso, ils commencent plutôt par Jo-no-mai et ne travaillent Otoko-mai que beaucoup plus tard.

Oshirabe お調べ : pièce d’ouverture. On la joue à chaque fois qu’on prend la flûte, au début de chaque cours et à chaque spectacle. Ils s’installent alors dans la chambre aux miroirs et « s’accordent »  au masque que portera le shite pendant la pièce en jouant Oshirabe face au masque avant d’entrer en scène et de s’installer.

Otoko mai 男舞 : Littéralement, la danse des hommes. Souvent joué pour les pièces de guerriers.

Ôshiki Haya mai 黄鐘 早舞 : Otokomai avec Nidan et Tome qui changent – Exemple : Atsumori.

Chû no mai 中之舞 : danse au tempo moyen. Souvent utlisé pour les de femmes. Exemple : Yuya.

Chû no mai avec Taiko 中之舞•太鼓(change seulement kakari et tome).

Haya mai 早舞 : littéralement « danse rapide » sorte d’Otokomai en mode Banshiki (aigu).

Haya mai de Tôrû, Hayamai de Iroe イロエ•早舞 (Ce sont alors les Jo (introduction avant Kakari) qui changent).

Kami mai 神舞 : Danse des dieux.

Kakko 羯鼓 : danse chinoise ou dans pour des personnages qui doivent démontrer leur habilité- exemple : Kagetsu.

Sagariha 下リ端 : pour personnages de monstres, de « femme ange » – exemple : Kuzu.

Gaku 楽 : pour personnages chinois ou kami japonais. On dit que cette danse viendrait du Gagaku.

Banshiki Gaku 盤渉 楽 : Gaku en mode aigu.

Hayafue 早笛 : Musique d’entrée pour les démons, les fous – exemple : Tengu, Obeshi

Jo no mai 序之舞 : sorte de Chu-no-mai très lent. Danse de femme, d’esprits des arbres ou de vieil-hommes très élégante.

Kagura 神楽 : danse très élégante. Souvent des déesses ou des prêtres portant des trésors.

Mominodan : partie de Sambasô 三番叟 dans Okina – chant de remerciements où le kyôgen pousse de longs cris en réponse aux percussions.

Suzunodan : partie de Sambasô 三番叟dans Okina où le kyôgen entre avec une cloche symbolisant la prospérité des récoltes.

Banshiki Jo no mai 盤渉 序之舞 : Jonomai mais dans le mode aigu.

Gardénia… Alain Platel, Vanessa Van Durme

Photo Luk Monsaert
Théâtre du Merlan, Marseille.
Un cabaret. Des artistes de plus de soixante ans : des travestis. Un jeune homme. Pendant une heure trente, approximativement, ils vont chanter, danser, se dévoiler devant un public qui oscille entre hilarité et larmes. il y a beaucoup d’émotions. Pari gagné pour ce grand metteur en scène/chorégraphe ? En tout cas, le public est conquis. 
Une discussion a lieu après le spectacle. Vanessa Van Durme, comédienne transsexuelle, à l’origine du spectacle et qui avait déjà travaillé avec Platel, nous raconte la genèse de la pièce.
Le point de départ est un documentaire sur un vieux cabaret de travestis barcelonais qui doit fermer : « Ya Soy Asi » où l’on suit ces « personnages » qui ont fait vivre ce petit cabaret plus de quarante ans et qui vont devoir quitter la scène pour de bon. Emue, Vanessa a réuni de « vieilles connaissances » du milieu gay et travesti pour leur proposer de raconter cette histoire au théâtre. Et franchement, le casting est à la hauteur. Ils sont vrais, émouvants dans leurs corps usés, ces grand-pères habillés en femme, maquillés à outrance. Tellement à l’aise qu’on se dit que la reconnaissance des sexes ne tient pas à grand chose. Oui, ils sont convaincants !
Je ne peux, en les regardant si bien parler de ce travail, m’empêcher de ressentir une profonde tristesse, mêlée d’un soupçon de colère. Une profonde tristesse parce que je me rends compte, en les écoutant, qu’ils n’ont pas pu, sur scène, partager le fond de cette histoire. Ce que nous avons vu, c’est un défilé sympathique et loufoque de « vieilles folles », savamment agencé par Platel.
À qui la faute ?! Comment passer sous la surface quand on est pris par l’engrenage du temps, du résultat ?
Alors on trompe, on trompe le spectateur, on trompe l’acteur, on se trompe soi-même. On vend sa peau au plus offrant en faisant fi de nos valeurs, de nos rêves d’enfants. Et comme tout le monde fait cela en ce moment -j’entends tous les milieux, toutes les professions, la plupart des êtres- on invente les passerelles qui n’existent pas pour se réjouir, paresseusement, des exigences qui se perdent et rendent tout uniforme. Ça rassure. Aussi fou que cela puisse paraître, oui, ça rassure.
Et je me demande comment, dans ses conditions, j’arriverai, un jour, à traverser cet écran opaque pour remonter sur scène et montrer ces malles de rêves abandonnées par tous, sur le chemin. Sans rien lâcher. Sans rien lâcher.
 

Les anglais disent Nohkan, les français Nokan et les Japonais l’appellent : Fue Kata ou Fue

Doigtés de Nôkan – Fingering Nohkan – Morita Ryu – Sensei Saco Yasuhiro

Il est assez étrange que malgré deux années de cours réguliers (Je vais au Japon une fois par semaine depuis deux ans pour une heure de cours hebdomadaire !) et de recherches intempestives, je n’ai presque jamais parlé de la Nôkan ici.

Pourtant quand on essaye de se pencher sur le sujet, il est quasiment impossible de trouver quelque référence que ce soit et quand elles existent, elles sont souvent approximatives et/ou incomplètes. Il existe, je suis sûr, pour ceux qui lisent et écrivent le japonais, des mines d’informations sur le net. Malheureusement, je ne suis pas de ceux-là.

Bien sûr, il s’agit là d’un instrument qu’on pratique dans l’intimité des temples ou de pièces traditionnelles de quelques tatamis aux portes de papier. Ici, nous entrons dans les codes de l’ancien Japon. Le maître (sensei, celui qui maîtrise et transmet son art) vous reçoit en kimono. Assis en seiza, derrière un petit cube en bois sur lequel il tape la mesure en chantant les lignes des percussions, il fait face aux élèves qui passent l’un après l’autre, dans un silence respectueux. Ceux qui attendent leur tour boivent le thé autour d’une table basse et murmurent entre leurs dents leur shoka, tout en soutenant l’élève qui, face au maître, passe à l’épreuve des rythmes coupés de cris. Comme un combat perdu d’avance. La gorge nouée, on attend son tour. Et quand on sera passé, on restera encore une demie-heure ou une heure pour se remettre de ce face à face.

Ici, il n’y a pas d’horaire. Le cours est de 18h à 21h et on vient. On prend place à côté des autres élèves et on attend patiemment son tour. Souvent, après, comme une récompense, on se retrouve dans un petit restaurant japonais. Le sensei a quitté son habit de maître, déposé son masque et les codes de cet art ancestral pour revêtir le costume de l’homme simple du 21ème siècle qu’il est à la ville. Un homme qui boit, qui rigole et devise avec ses élèves, devenus, une fois le fronton du temple franchi, comme ses amis.

La flûte de , la Nôkan, est l’instrument par lequel on appelle les esprits à descendre sur le butai -plateau du théâtre – pour venir prendre possession des danseurs-acteurs. On comprendra, alors, toute l’importance du cérémonial. Nous ne sommes plus simplement des élèves en musique, nous apprenons à côtoyer les dieux, avec leurs règles, leurs humeurs. Il est, par exemple, interdit de porter un collier ou une montre, un quelconque bijou qui pourrait entraver la venue de la musique. La flûte ne se tient pas comme un « vulgaire » instrument. Sa prise en main est régie de multiples codes qu’on répète inlassablement.

Dans cet art, il n’y a pas de livres, de partitions. Le maître, quand il estime que nous maîtrisons un morceau suffisamment, nous écrit le prochain shoka sur du papier à musique japonais, divisé en huit temps de haut en bas, sur huit lignes de droite à gauche. Le shoka est le chant. Les syllabes en katakana ne représentent pas les notes, seulement le chant. Un ヒャ (Hya) pourra être dans une phrase ou une pièce un seki  (nom d’un des doigtés – CF tableau) et dans l’autre phrase ou pièce un  Jô (autre doigté).

Le maître, alors, à côté de son shoka écrit à l’encre noire, inscrit, d’une encre rouge, les clés secrètes qui permettront à la Nôkan de reprendre ses droits et d’entonner la musique secrète cachée derrière ces katakana.

Mais attention, le shoka donne tout de même les informations rythmiques ! Et puis, en les chantant dans notre tête en même temps que l’on joue, la nôkan sonne d’une autre manière ! C’est en tout cas, ce qu’il nous est dit !

Pour tout cela, on comprendra aisément que sa diffusion reste minime. En même temps, c’est aussi grâce à cela que la Nôkan, ainsi que les autres instruments du théâtre nô, gardent ce caractère inimitable. Ici, l’occident n’est pas entré ! Il est derrière la porte… il rêve, il fantasme. Comme sur les samurai et les shogun qu’un instant, grâce à cette musique, nous retrouvons. Hors de l’espace et du temps. Ailleurs.

NDLR : JE PARLE ICI D’UNE EXPÉRIENCE SINGULIÈRE LIÉE À UN MAÎTRE ET UNE ÉCOLE : ECOLE MORITA. Les deux autres écoles, la plus connue ISSO et la troisième FUJITA ne transmettent peut-être pas de la même façon. Ce que je sais, par exemple, c’est que l’école ISSO a beaucoup de doigtés différents.

Hypocrisis… Qu’est-ce que l’hypocrisie ? Bashar Al Assad, moi et le voisin…

 * Hypocrisie : Du grec ancien ὑπόκρισις (hypόkrisis) (« faux semblant »).

L’hypocrisie est l’attitude par laquelle on exprime des sentiments, des opinions que l’on n’a pas ou que l’on n’approuve pas, soit par intérêt, soit par lâcheté.
 

L’hypocrisie est le contraire de la sincérité qui revient à exprimer fidèlement et avec bonne foi des sentiments ou pensées, à ne pas confondre avec l’honnêteté qui est au sens strict du terme la tendance à exprimer sans dissimulation tous ses sentiments ou pensées.

Du plus loin que remonte ma mémoire, je crois que j’ai toujours eu cette interrogation : comment et pourquoi l’être humain est capable d’actes si abjectes ? Comment devient-on mauvais, machiavélique ? Mais surtout comment la masse, les groupes d’hommes et de femmes peuvent s’engouffrer entiers dans les actes barbares ?

Et chaque fois que se représente cette question, je reste un peu sans voix…

Et si… Et si, ces hommes-là, comme chacun d’entre nous, pensaient, à quelques mensonges prêts, faire le bien. Ou du moins, le mieux qu’ils peuvent ?

Il est frappant de constater que tout au long de notre vie, nous trouvons toujours des justifications pour tout ! Évidemment, puisque nous sommes à l’intérieur de nous-même, nous comprenons ce qui nous pousse à agir comme nous le faisons. Que ce soit dû à notre enfance douloureuse, à l’injustice, notre esprit tortueux, sans arrêt, justifie tout !

Qu’en est-il du téléchargement illégal ? N’avez-vous jamais fait pleurer quelqu’un ? Vous arrêtez-vous à chaque fois que quelqu’un a besoin d’aide? Donnez-vous de l’argent à tous ceux qui en ont besoin ? Non ! Pourtant, dans nos codes, dans notre éducation, tout ceci devrait être une évidence ! Mais ça ne l’est pas. Et pour cause, à l’intérieur de chacun d’entre nous, des voix inventent les chemins pour que, chaque jour, nous puissions nous occuper de ce qui nous importe, sans être trop dérangé par tout ce que nous faisons et que vu de chez l’autre, on trouverait intolérable. Ils sont rares les irréprochables. Et il faut beaucoup de courage pour essayer de le devenir. De courage et de temps. Le temps pour regarder chaque chose à sa juste valeur et non à celle que quasiment automatiquement, nous lui donnons.

En ceci, quand je regarde l’interview de Bashar Al Assad, je ne suis pas tant surpris de constater l’apparente « bonne foie » de ses propos. Quasiment sûr qu’il croit en tout ce qu’il dit et que son esprit et les esprits de ceux qui l’entourent construisent une réalité où leurs actes sont les seuls qu’ils puissent faire. Pareil quand on regarde le procès de Nuremberg ou d’autres mettant ce type de monstres au devant de la scène. C’est monstrueux, mais c’est exactement ce que nous faisons tous, tous les jours, à une bien moindre échelle, fort heureusement. En même temps, chaque fois que nous laissons à d’autres les tâches qui nous incombent, chaque fois que nous faisons semblant de ne pas voir, chaque fois que nous nous laissons aller, nous perdons le statut d’humain, pour nous engouffrer dans celui d’aveugle et fou. Et à chaque instant, nous sommes l’exemple d’un millier d’autres qui, nous voyant ainsi, justifient, eux aussi, leurs manquements. C’est une spirale sans fin!

Nous sommes tous Bashar Al Assad, Hitler, Laurent Gbagbo, mis à part une toute petite poignée d’hommes… peut-être. Les seuls, d’ailleurs, qui seraient capables de les pardonner comme on pardonne à un frère ou un père, dont on connaît l’histoire, parce qu’on la partage. Ils ne sont pas « détachés ». Comme si nous étions détachés de quoi que ce soit !

Le fait de vouloir le croire, de les pointer du doigt comme s’ils venaient d’ailleurs, loin de nous, est, sûrement, la seule raison qui rende l’horreur possible.

C’est terrible, non ? Et ça nous appartient. À tous. Nous, êtres humains. Qui, à chaque instant, avons le choix de devenir vigilants ou de continuer à faire semblant. Parce que les hypocrites, ce ne sont pas seulement eux, mais nous tous. Oui, nous tous. Qui poursuivons des rêves stériles au prix de vies, de blessures, de douleur. Oui, nous tous. Qui, ce soir, sommes confortablement installés dans notre cuisine ou notre salon, pendant qu’en Syrie ou ailleurs, des êtres humains, nos frères et sœurs, nos enfants, nos parents, se font égorger, tuer, assassiner, violer.

Si nous pouvons justifier que nous ne leur portons pas secours, alors pourquoi pas eux ?

Je nous le demande…