Conférence sur le Théâtre Nô

Puisqu’il semblerait que certains viennent ici pour trouver des informations sur le Nô, je me suis dit que de temps à autre, je mettrai en ligne les documents qui débordent mon ordinateur sur ce sujet….

Voilà une conférence commandée pour un « Mondo » lors du rassemblement régional PACA des hauts gradés de Judo. Du coup, l’accent est mis sur la paternité des codes martiaux dans le théâtre nô. Malgré tout le spectre est assez large et permet un survol « rapide » et « singulier » de cette forme que je côtoie depuis bientôt vingt ans.

Si jamais, vous vouliez la conférence sous forme powerpoint ou en séquence quicktime, n’hésitez pas à m’en faire part. Si vous y voyez de grosses bourdes ou autres erreurs, faites pareillement. 😉

conférence sur le théâtre Nô – Noh Theater –

De Oshirabe à Banshiki Jo no mai, en passant par Gaku. Périple en terre de Nô

 Shôka de Oshirabe sans les doigtés – Shouka of Oshirabe without fingering

En deux ans, voilà les pièces que j’ai apprises, dans l’ordre de leur apprentissage. Dans un ouvrage de l’école Isso, j’ai dénombré 43 morceaux de flûtes en comprenant Oshirabe. Je pense que l’ordre d’apprentissage est souvent semblable. On commence du plus « facile » au plus « difficile ». En gardant de côté les morceaux trop spécifiques.

Particularité de mon maître, il m’a fait commencé par Otoko-mai qui est plus rapide que Chû-no-mai, lui même plus rapide que Jo-no-mai. Je sais, par ouïe dire que, dans l’école Isso, ils commencent plutôt par Jo-no-mai et ne travaillent Otoko-mai que beaucoup plus tard.

Oshirabe お調べ : pièce d’ouverture. On la joue à chaque fois qu’on prend la flûte, au début de chaque cours et à chaque spectacle. Ils s’installent alors dans la chambre aux miroirs et « s’accordent »  au masque que portera le shite pendant la pièce en jouant Oshirabe face au masque avant d’entrer en scène et de s’installer.

Otoko mai 男舞 : Littéralement, la danse des hommes. Souvent joué pour les pièces de guerriers.

Ôshiki Haya mai 黄鐘 早舞 : Otokomai avec Nidan et Tome qui changent – Exemple : Atsumori.

Chû no mai 中之舞 : danse au tempo moyen. Souvent utlisé pour les de femmes. Exemple : Yuya.

Chû no mai avec Taiko 中之舞•太鼓(change seulement kakari et tome).

Haya mai 早舞 : littéralement « danse rapide » sorte d’Otokomai en mode Banshiki (aigu).

Haya mai de Tôrû, Hayamai de Iroe イロエ•早舞 (Ce sont alors les Jo (introduction avant Kakari) qui changent).

Kami mai 神舞 : Danse des dieux.

Kakko 羯鼓 : danse chinoise ou dans pour des personnages qui doivent démontrer leur habilité- exemple : Kagetsu.

Sagariha 下リ端 : pour personnages de monstres, de « femme ange » – exemple : Kuzu.

Gaku 楽 : pour personnages chinois ou kami japonais. On dit que cette danse viendrait du Gagaku.

Banshiki Gaku 盤渉 楽 : Gaku en mode aigu.

Hayafue 早笛 : Musique d’entrée pour les démons, les fous – exemple : Tengu, Obeshi

Jo no mai 序之舞 : sorte de Chu-no-mai très lent. Danse de femme, d’esprits des arbres ou de vieil-hommes très élégante.

Kagura 神楽 : danse très élégante. Souvent des déesses ou des prêtres portant des trésors.

Mominodan : partie de Sambasô 三番叟 dans Okina – chant de remerciements où le kyôgen pousse de longs cris en réponse aux percussions.

Suzunodan : partie de Sambasô 三番叟dans Okina où le kyôgen entre avec une cloche symbolisant la prospérité des récoltes.

Banshiki Jo no mai 盤渉 序之舞 : Jonomai mais dans le mode aigu.

Les anglais disent Nohkan, les français Nokan et les Japonais l’appellent : Fue Kata ou Fue

Doigtés de Nôkan – Fingering Nohkan – Morita Ryu – Sensei Saco Yasuhiro

Il est assez étrange que malgré deux années de cours réguliers (Je vais au Japon une fois par semaine depuis deux ans pour une heure de cours hebdomadaire !) et de recherches intempestives, je n’ai presque jamais parlé de la Nôkan ici.

Pourtant quand on essaye de se pencher sur le sujet, il est quasiment impossible de trouver quelque référence que ce soit et quand elles existent, elles sont souvent approximatives et/ou incomplètes. Il existe, je suis sûr, pour ceux qui lisent et écrivent le japonais, des mines d’informations sur le net. Malheureusement, je ne suis pas de ceux-là.

Bien sûr, il s’agit là d’un instrument qu’on pratique dans l’intimité des temples ou de pièces traditionnelles de quelques tatamis aux portes de papier. Ici, nous entrons dans les codes de l’ancien Japon. Le maître (sensei, celui qui maîtrise et transmet son art) vous reçoit en kimono. Assis en seiza, derrière un petit cube en bois sur lequel il tape la mesure en chantant les lignes des percussions, il fait face aux élèves qui passent l’un après l’autre, dans un silence respectueux. Ceux qui attendent leur tour boivent le thé autour d’une table basse et murmurent entre leurs dents leur shoka, tout en soutenant l’élève qui, face au maître, passe à l’épreuve des rythmes coupés de cris. Comme un combat perdu d’avance. La gorge nouée, on attend son tour. Et quand on sera passé, on restera encore une demie-heure ou une heure pour se remettre de ce face à face.

Ici, il n’y a pas d’horaire. Le cours est de 18h à 21h et on vient. On prend place à côté des autres élèves et on attend patiemment son tour. Souvent, après, comme une récompense, on se retrouve dans un petit restaurant japonais. Le sensei a quitté son habit de maître, déposé son masque et les codes de cet art ancestral pour revêtir le costume de l’homme simple du 21ème siècle qu’il est à la ville. Un homme qui boit, qui rigole et devise avec ses élèves, devenus, une fois le fronton du temple franchi, comme ses amis.

La flûte de , la Nôkan, est l’instrument par lequel on appelle les esprits à descendre sur le butai -plateau du théâtre – pour venir prendre possession des danseurs-acteurs. On comprendra, alors, toute l’importance du cérémonial. Nous ne sommes plus simplement des élèves en musique, nous apprenons à côtoyer les dieux, avec leurs règles, leurs humeurs. Il est, par exemple, interdit de porter un collier ou une montre, un quelconque bijou qui pourrait entraver la venue de la musique. La flûte ne se tient pas comme un « vulgaire » instrument. Sa prise en main est régie de multiples codes qu’on répète inlassablement.

Dans cet art, il n’y a pas de livres, de partitions. Le maître, quand il estime que nous maîtrisons un morceau suffisamment, nous écrit le prochain shoka sur du papier à musique japonais, divisé en huit temps de haut en bas, sur huit lignes de droite à gauche. Le shoka est le chant. Les syllabes en katakana ne représentent pas les notes, seulement le chant. Un ヒャ (Hya) pourra être dans une phrase ou une pièce un seki  (nom d’un des doigtés – CF tableau) et dans l’autre phrase ou pièce un  Jô (autre doigté).

Le maître, alors, à côté de son shoka écrit à l’encre noire, inscrit, d’une encre rouge, les clés secrètes qui permettront à la Nôkan de reprendre ses droits et d’entonner la musique secrète cachée derrière ces katakana.

Mais attention, le shoka donne tout de même les informations rythmiques ! Et puis, en les chantant dans notre tête en même temps que l’on joue, la nôkan sonne d’une autre manière ! C’est en tout cas, ce qu’il nous est dit !

Pour tout cela, on comprendra aisément que sa diffusion reste minime. En même temps, c’est aussi grâce à cela que la Nôkan, ainsi que les autres instruments du théâtre nô, gardent ce caractère inimitable. Ici, l’occident n’est pas entré ! Il est derrière la porte… il rêve, il fantasme. Comme sur les samurai et les shogun qu’un instant, grâce à cette musique, nous retrouvons. Hors de l’espace et du temps. Ailleurs.

NDLR : JE PARLE ICI D’UNE EXPÉRIENCE SINGULIÈRE LIÉE À UN MAÎTRE ET UNE ÉCOLE : ECOLE MORITA. Les deux autres écoles, la plus connue ISSO et la troisième FUJITA ne transmettent peut-être pas de la même façon. Ce que je sais, par exemple, c’est que l’école ISSO a beaucoup de doigtés différents.

Nozomi ending…

11h22.
Dans le train qui me ramènera à Tôkyô et à Narita, après un arrêt important à Shinagawa.
De Narita, l’avion, de l’avion le ciel, du ciel Paris Charles de Gaule, de l’Aéroport Charles de Gaule Aix-en-Provence TGV… et voilà la boucle sera bouclée.

Je dis communément “trois mois”, mais en fait il s’agit de deux mois et demi, soit 76 jours pour être exact. 76 jours : 3 shimai – danses du nô – appris, 3 utai – chants du nô, 2 morceaux de nôkan – flûte de nô, 2 komai – chants et danses du kyôgen, 18 nô vus dont 1 sans masque, 6 maibarashi – shimai, mais avec instruments et comprenant en général deux danses chantées et dansées + un passage de texte entre les deux, 18 shimai, 11 kyôgen, ai mangé quelques 148 sushis, bu 33 thés de cérémonie, passé 92 heures en seiza et 160 en semi-lotus, vu 58 temples, parcouru 540 kilomètres en vélo dans les rues de Kyôto, pris le train 17 fois pour parcourir quelques 7365 kilomètres sur le sol japonais, ai médité 25 heures, ai prié devant un autel shinto 96 fois, montant le nombre de mes frappes de main à 192, rencontré 6 personnes capitales pour la suite des événements et l’invisible 39 fois, subi l’intrusion d’un esprit 1 fois et tellement d’autres choses…

Qu’est ce que cela a changé ?

Je ne le sais pas, c’est beaucoup plus difficile à mesurer…

Le temps a changé, l’importance de ma réussite aussi, la valeur de tout ce qui passe sur cette terre, l’émotion que peut susciter la beauté, l’amour.

Est-ce que ça tiendra au retour en France ?

Je ne le sais pas, ce n’est pas encore, pas maintenant.

Maintenant défile le paysage de Kyôto à Tôkyô, plein d’arbres magnifiques, d’oiseaux dont nous ne savons même plus le nom. Maintenant, j’essaye de rester droit et de respirer. J’ai encore ce rendez-vous avec Mr Watanabe Moriaki.

Je pense à cette petite puce qui m’attend à l’autre bout du monde et qui a su faire sans moi pendant 76 jours qui s’ajoutent à tous les jours d’absence que j’ai eu avec elle, une femme que j’aime et à qui je n’ai jamais vraiment su le dire, le vivre, tant je suis encombré de ces vies passées, celles de mes parents, celles de nos ancêtres qui cohabitent à l’intérieur et attendent que nous réussissions à résoudre ce qu’ils n’ont su qu’entrevoir. J’ai la vie devant moi et le silence un peu mieux installé. Rendant mon coeur plus perméable à la rencontre, à la joie d’être là, aujourd’hui et de pouvoir vous parler comme je le fais.

05h00.
Dans un hall de gare où j’ai beau chercher, je ne vois aucun idéogramme. Ici tout est en romaji ! Je suis sur le sol français depuis une petite heure. Avec encore quelques autres devant moi pour atterrir. Ce qui est frappant ici, c’est le silence. Pas de clignotements multicolores et sonores qui surgissent de tous côtés, non. Même les gens ne parlent pas… Je regarde les panneaux d’affichage. Tous ces avions qui arrivent des quatre coins du monde. Qui sont-ils ceux qui sont dedans ? Ont-ils vécu des expériences bouleversantes ? Ramènent-ils de nouvelles idées, de nouveaux rêves, un peu de tolérance ? Dire que chaque jour des avions sillonnent le ciel du monde comme si cela était normal, simple, évident. Pour moi, cela semble presque plus surnaturel que de croiser un aigle tous les jours au centre d’une ville surchargée de sons et de pollution !

Je n’ai finalement que très peu écrit pendant ce mois de retraite. Mais, dès l’instant où je suis descendu de l’avion, j’ai senti avec une force décuplée la présence de tous ces êtres que j’ai poursuivi là-bas. Nous aurons notre monde caché derrière mon paravent de chair, fait de toutes les images que j’ai volé là-bas et de celles qui me viennent de plus loin. Et nous pourrons nous retrouver au bord de la Kamo, à regarder les hérons pêcher dans les herbes hautes pendant que j’écrirai… oui, moi j’écrirai.

Un mois après… 6 jours avant mon retour ! En route pour voir Sambaso

Mon compagnon, l’aigle… croisé à peu près tous les jours, à peu près partout -Sur cette photo : ciel au croisement du la rivière Kamo et d’Imadegawa.

Coucou…

Il se trouve que j’ai mon ordinateur avec moi et que j’ai une bonne demie heure devant moi. En route pour Osaka par le “limited express” qui part de Demachi au coeur de Kyôto et va jusqu’à Yodoyabashi. Une ligne découverte récemment et qui permet de faire des économies certaines pour aller vers Osaka surtout quand on a plus le raillpass. Là-bas, je vais retrouver une dernière fois Tadashi Ochigawara de l’école de Kyôgen Izumi pour deux représentations successives de Nô et de Kyôgen. L’une à 13 h – souvent celles où l’on croise les grands amateurs de nô, où Tadashi jouera Soraude – et l’autre à 21 h – avec un programme plus accessible, orienté vers ceux qui souhaitent découvrir le théâtre Nô, où le Kyôgen, toujours joué par Tadashi, ne sera autre que Sambaso, le pendant de l’incroyable nô Okina, plus vieux nô joué à ce jour et qui existait déjà bien avant les quatre familles du Yamato, c’est-à-dire bien avant Kanami et son fils Zeami.

Plafond de sang, temple Hônen à Ohara – Ce plafond était un plancher où des samuraï ont été retrouvés longtemps après leur mort. Le plancher a gardé l’empreinte de leurs derniers instants : ici, un visage.

Je sais que certains attendent de retrouver les aventures journalières, mais il me faudrait bien plus qu’une demie heure pour vous raconter tout ce qu’il s’est passé pendant ce mois. Ce que je peux dire, c’est qu’après une fin de mois d’août difficile où devenir Kyôtoïte a taillé mes rêves aux angles de sa réalité ; une fois ce passage un peu douloureux, le mois de septembre aura été vraiment extraordinaire. Rencontres, travail, cette ville, vivre ici. De quoi redonner un peu de souplesse à un coeur sclérosé par la sauvagerie dont nous avons, de notre côté du monde, à subir les assauts tous les jours. Je n’ai pas changé, ce n’est pas ça ! C’est le monde qui a changé. Prenant des formes, des couleurs, des saveurs abandonnées dans les zones sombres de mon enfance et qui, ici, ont retrouvé le chemin du grand jour, du grand air. Le temps ici est tellement différent, tellement incompatible avec ce que nous en avons fait ! Mais l’on n’est qu’un voyageur, alors on s’y plie, on se contraint à accepter de réfréner les pas, les mots, les gestes jusqu’à entrer dans cette temporalité en suspens comme on le fait pendant le temps du Nô et au moment où la patience arrive à son terme, au moment où on va lâcher ce cri de rage, libérant l’énergie, juste avant, on aperçoit tout à coup la splendeur d’un bourgeon, l’incroyable beauté des hommes jusqu’à mi cuisse dans les rizières, l’air qui coule frais dans les poumons et même le goût des aliments éclatants par la simplicité de leur préparation et le silence et le calme se fait, comme si on n’avait fait que secrètement attendre ce moment-là. C’est comme un bain de jouvence, une cure d’amour et de foi. Des retrouvailles avec la terre, l’eau, le feu, le bois, les pierres et ces langages qu’on usait enfants quand on s’adressait à eux, naturellement.

Tomatsuya, plus célèbre fabriquant de Ôgi (éventails de nô) en fonction depuis le 17e siècle, à Kyôto

Il me faudra du temps pour apprendre à en parler, tant j’ai la sensation d’être revenu avant les mots et qu’il me semble que ces derniers pourraient en nommant détruire l’essence de ce qui naît là. Mais cela viendra… peut-être. 😉

« Les Cerisiers en fleurs » – un des nombreux panneaux de la demeure de l’Empereur à Kyôto

P.S. Sur le chemin du retour et encore quelques instants avant d’arriver a Demachi… Je sors des deux derniers moments de nô de mon séjour (suivra bientôt le compte complet avec les noms des pièces, les lieux, etc… enfin, j’espère avoir le courage de faire ça) et comme souvent, c’est le dernier des derniers – de cette fois-çi – qui aura été le plus éclairant !!! “Sambaso” et encore ! même pas toute la pièce, juste la première partie – c’est l’inconvénient de ce type de programme, qui, pour ceux qui ont peur des longueurs, est parfois salvateur et ré-ouvre une porte fermée, parfois un peu vite… vingt minutes maximum par performance, soit : danses de dragons, danses de lions, combats d’esprits et kyôgen très courts.

Tadashi Ogasawara dans Taraude. Un très grand acteur de Kyôgen, vraiment.

Je savais que cet événement, même s’il n’était que la moitié de ce qu’il devait être et le quart de ce qu’il est en vrai de vrai quand il est joué dans “Okina”, était un moment à ne vraiment pas manquer ! Okina est l’ancêtre du nô et par son caractère absolument sacré n’a, je pense, pas trop été remanié avec le temps. En tout cas, s’il l’a été, il l’a été avec finesse et respect, tant le passage dans le temps, ouvert par l’extrait de la danse de Sambaso, est évident. Ce n’est plus ni Zeami, ni son père, ni l’élaboration dramatique, mais le fondement du théâtre : un cri d’effroi, un cri de joie : une pulsation de vie ! Et l’on ressent, à cet instant, l’omniprésence de la mort, cette déesse si gourmande et, parfois, si cruelle comme ils devaient la vivre alors. Et l’on vibre au son du chant, de la flûte, du Otsuzumi et du Kotsuzumi, d’un courant électrique qui redresse les yeux et le coeur et vous donne envie de courir embrasser chaque arbre, chaque enfant, chaque fleur, chaque souffle du vent, chaque grain de riz offert, tant, d’un coup, vous apparaît la beauté éphémère de la vie et l’incroyable accident dont notre monde est le fruit. Mais les mots ne sont que des mots et sont incapables de retranscrire ce qu’ici, ils nous donnent sans rien d’autre que le cri, la musique et la danse. Et plus que jamais, je comprends pourquoi je suis là et pourquoi je marche sur ces terrains glissants, dans l’ombre, malgré les avis. Vive l’aventure !

Udaka Sensei dans Omu Komachi – Un nô très spécial qu’un shite ne peut jouer qu’après soixante ans, empreint de yûgen – deux heures pour ce nô lent, très très lent. Une pièce très belle sur Komachi une grande poétesse.

Reprendre… entre Tôkyô et Kyôto

Maître Tadashi Ogasamawa de la famille Izutsu, un immense maître avec un coeur à la hauteur de l’acteur. Disciple de Manzo le 8eme. Il était avec Manzo la première fois que j’ai rencontré le Nô et le Kyôgen, en 1994 au Théâtre du Soleil. Hasard ou destin ?

Dans le train pour Gifu, je me décide enfin à ressortir l’ordinateur pour tenter de retrouver le chemin de notre terre du milieu, là où je peux venir vous trouver quand le temps est trop vaste, là où je tente parfois de m’assurer que je ne me suis pas perdu pour toujours dans un rêve éveillé sans retour.

Mr Tomita Fumihiko, un ami… rencontré au restaurant de notre chère Chako (cf avril 2008). Ce soir là, il m’offrira deux masques de Nô fait par son père, homme de 80 ans qui a passé sa retraite a sculpté des masques de Nô.

Tôkyô aura été un moment très dense, intense, une réelle plongée en apnée dans le monde du Nô et du Kyôgen – à fréquenter la scène de Nô tous les jours sous l’égide de maîtres venus d’un autre temps et qui, s’ils connaissent les “gaiji” – les étrangers – ne peuvent pas pour autant se permettre trop de digressions. Le stage s’est fini par une présentation des différents travaux, sur scène, devant une audience composée d’amis rencontrés en cours de route, d’officiels travaillant avec l’ITI – International Theater Institute, Organisation de l’Unesco – et des maîtres de l’École Izumi – une des deux écoles de Kyôgen. Passer dix jours en seiza entre 5 et 6 heures par jour, travailler les komai – danses du Kyôgen -, l’utai – le chant – les champignons – personnages se déplaçant le plus vite possible en position accroupie qu’on trouve dans un kyôgen : (nom à rechercher, c’est promis), l’histoire d’un homme qui vient demander l’aide d’un Yamabushi (moine guerrier des montagnes qui avaient des connaissances magiques) pour libérer son jardin de champignons indésirables venus s’y installer. Evidemment, plus le Yamabushi fait d’incantations, plus le nombre de champignons augmente jusqu’au moment où le chef des champignons, un démon furieux, entre sur scène pour dévorer le Yamabushi- aura été poignant, harassant, ahurissant… et c’est comme si je me réveillais d’un long rêve doucement, au fil des heures qui filent depuis mon départ de Tôkyô à 12h30 aujourd’hui par les lignes locales – soit 10 heures de voyage en tout pour rejoindre Kyôto par de petits trains locaux en tous points semblables aux métros, donc au confort… plus précaire.

Détail du Pin du Butai des Umewaka à Tôkyô

Je retrouve la solitude, comme un costume qui m’aurait manqué et qui sied si bien à une aventure comme celle là. Parce qu’elle permet à l’étrangeté de se déformer jusqu’à devenir complètement surnaturelle et emmène loin sur les terres de nos vérités intérieures mises à la rude épreuve de savoir comment elles pourront soutenir ce si particulier climat.

Les maîtres préparent Elise pour la représentation. C’est que c’est quelque chose l’habillage ici, un vrai art à part entière.

C’est un grand privilège de se permettre le luxe de ne rien comprendre, de ne pas pouvoir lire et de, malgré tout, avancer toujours plus loin dans l’inconnu, faisant appel à d’autres repères, à d’autres lois. Comme le silence, qui permet au flot de parole, au flux du sang de prendre un autre rythme, étiré, ouvrant grandes les portes d’un monde parallèle où les clés ne peuvent être partagées.

Fête de fin de Stage. A côté d’Elisabeth, Vincent Guenneau, ami français vivant dans les sphères du nô au Japon depuis 11 ans.

Il me faudra revenir sur l’avant, l’avant maintenant, l’avant Tôkyô, entre le retour de l’Île Sado et le départ de Kyôto. J’ai quelques instants que je voudrais inscrire ici : la visite du Temple Daigo Ji au sommet d’une des hautes collines qui surplombent Kyôto, la rencontre avec Atsumori, la baie de Suma et la montagne de Shironoyama… Il me faudra prendre le temps de les ramener ici.

Le Daigo Ji, tout en haut d’une haute colline. Ici vivent encore des moines, ici Kanami, Zeami et son fils Motomasa ont eu la responsabilité des festivités pendant leurs grandes années.

En même temps, le mois que je m’apprête à vivre ici, je le voudrais silencieux, complètement. D’abord, parce que j’ai une pièce de théâtre à écrire, d’autre part, parce que j’ai fait de vous des compagnons trop envahissants, trop rassurants.

Le Moine Rensei, devant la tombe d’Atsumori. Baie de Suma

Je veux rencontrer ce qu’il y a là-bas et que j’entr’aperçois quand la nuit se fait et que les hommes se taisent ou, en tout cas, quand le mien se tait. Complètement. Laisser la distance, le silence, la solitude avaler mes repères, hors de vos soins, de nos mots, au pays où le manque devient une larme d’acide qui ronge goûte à goûte toutes les graisses accumulées autour des yeux du coeur.

Le lieu où est mort Atsumori au pied de la montagne de Shironoyama – Baie de Suma

Je veux devenir aveugle pour y voir, sourd pour entendre, muet pour écouter. Ne plus dire, ne plus parler, ne pas tenter d’inscrire quoi que ce soit, mais juste être le petit être que je suis au fond. Là, simplement là, pauvrement là et rien d’autre.

P.S. Mais je serai vite de retour ;-)… euh….

Arrivé à Kyôto, il est 22h30. Je suis heureux de me retrouver ici comme si j’étais rentré chez moi. Très agréable sensation après ces dix jours intenses à Tôkyô. La Takaya Guest House y est pour quelque chose, je pense.

Elisabeth et Chako dans son restaurant. Le restaurant le plus Wabi Sabi que je connaisse au Japon. A voir absolument. Tôkyô

A très vite !

Tôkyô, Tremblement de terre, typhon et Kyôgen… si, si, tout va bien !

Un typhon est passé cette nuit sur l’Asie, un tremblement de terre d’amplitude 6 a eu lieu à Tôkyô qui nous a réveillé au milieu de la nuit et pourtant tout va bien, mais… vraiment bien !

Je viens de finir l’épisode Sado Island et je vois bien que je n’arriverai pas à rattraper les 11 jours de retard… en tout cas, pas maintenant. La connexion ici est très mauvaise, envoyer des photos devient un exploit et trouver le temps d’écrire aussi.

Nous faisons 7 heures de Kyôgen par jour et je peux vous assurer que c’est ce qu’on appelle chez nous : un training quelque peu physique ! On ressort de là, lessivés.

De plus, il nous faut apprendre les textes, revoir les danses, ce qui s’ajoute à mes devoirs de vacance de flûte, de Shimai et d’Utai que je dois continuer à voir, parallèlement.

En même temps, après notre retour à Kyôto, les événements ont été plus maîtrisés. Cours de Shimai, cours de Utai, cours de Fue. Beaucoup d’heures à la maison à travailler et quelques visites que je prendrais le temps de vous raconter. Surtout celle du Daigo Ji pour mon anniversaire où nous avons fait une ascension de deux heures et demi pour arriver sur une autre planête, au calme, si proches du ciel !

A très vite !

Alexandre

Tremblement de terre… tout va bien !

Pour ceux qui en France auraient eu l’info, nous avons eu droit hier au soir à un joli tremblement de sol…. 4 sur l’échelle de Richter. Nous l’avons bien senti… comme si un gros métro passait sous la maison et avant et après des vagues dans le sol que jusqu’au moment crucial, nous avions mis sur le dos de la fatigue et du voyage.

Nous sommes sortis de la maison, avons attendu que ça passe. Et ça passe ! Les japonais ont continué leur train de vie comme si de rien n’était.

Voilà, c’était juste pour vous dire que nous ne sommes pas faits avalés par une grande crevasse, ni n’avons pris sur la tête notre chétive maison de bois.

Ce matin, nous allons nous inscrire au stage de Kyôgen. Je reviens vers vous au plus vite.

Absence prolongée jusqu’au 9

Bonsoir à tous – et oui, ici il est 22h09.
Je n’ai pas le temps de continuer et je pense que d’ici Tôkyô, c’est à dire le 9 août, les choses en resteront là. Ce n’est pas sûr, mais le programme est assez chargé. Visites, cours, courses…

Je vous laisse et vous dit à lundi sans faute avec plein de nouvelles nouvelles.

A vite

Île Sado, Musée et retour…

Un nouveau dragon, gardien du Musée de Sado

Il est 10 heures quand nous décollons. L’hôtel organise trois départ vers la gare chaque matin, ce qui nous permet de déposer nos valises à la consigne de la gare du Ferry et de profiter du peu de temps qu’il nous reste, légers ! Nous reprenons le bus n 1, le même qui m’a emmené au Shoboji hier, mais ne descendons qu’à Sawata Beach. Pendant le trajet, je montre à Elise, tout ce que j’ai découvert hier. Je suis comme un enfant racontant son séjour en colonie de vacances. Elise se prête au jeu, accueille mon enthousiasme un peu tonitruant. A Sawata Beach, au terminus – un carrefour entre deux petites routes de campagne – nous changeons de bus et arrivons au musée vers 11h30. Notre temps est compté, le bateau part à 15h30 et nous ne pouvons pas nous permettre de le rater, mon railpass finissant ce soir, à minuit.

Le vénérable moine Nichiren Daishonin, exilé lui aussi sur l’Île Sado, déjouant ses assassins par les prières.

Le musée est assez décevant. Il s’agit d’un musée avec des automates. On y voit effectivement Zeami et l’épisode de la danse de la pluie ; effectivement, un texte de lui est reproduit au mur. Etait-ce de ça que le pêcheur voulait parler ? Qu’importe, il doit y avoir d’autres salles après cette mise en bouche animée… mais non ! Le musée, c’est ça. Pas de vestiges, pas de peintures, pas de textes, pas d’objets usuels, pas d’armures. Juste une histoire animée de l’île, enfin, de certains événements ayant eu lieu dans l’île. Par contre, la réalisation des scènes est somptueuse. Surtout les extraits de légendes, écrites par je ne sais plus quel auteur, habitant l’île. Je sors de là un peu déçu. De toute façon, nous n’aurons pas le temps de voir autre chose. Ce n’est pas grave, cela veut dire qu’il me faudra revenir.

Un aigle qui nous a suivi tout le long du retour. Je vous rappelle que ce n’est pas une mouette et qu’il ne se pose pas sur l’eau. Impressionnant voyage !

Mais pour l’heure, nous rentrons ! Nous découvrons un bus qui fait le retour directement en passant de l’autre côté de l’île – au moins nous aurons vu de paysage ! Et nous voilà dans notre Ferry qui nous ramène à Nîgata. Je regarde l’île disparaître à l’horizon, accompagné d’un aigle et de mouettes qui suivent le bateau en quête de nourriture. Le ferry arrive à 17h30, le train part à 18h15 pour Tôkyô. Tous les timing du jour sont extrêmement serrés !

L’île Sado, sur la gauche l’endroit où a du débarquer Zeami… adieu « Île d’Or »

A la descente du ferry, nous nous trompons de sortie et ratons le bus. Flûte ! Le prochain est dans un heure… “Hep ! Taxi”. Et nous voilà en gare de Nîgata. Il est 18h00, il nous reste 13 minutes.Juste de quoi aller faire un tour à l’agence JR pour voir si on peut récupérer des places réservées. Mais le train que je lui montre n’est pas sur son ordinateur. Il cherche, cherche. Moi je sors ma grille de trains et lui montre. “But that is one who work only on sundays. Look” Non ! Je n’avais pas fait attention et nous voilà coincé ici. Pas de départ avant demain ! Si… en cherchant bien, il nous dégote un vieux train de nuit. Départ 22h55, arrivée 06h50 en gare de Kyôto. “With beds ?” “No, sorry.” . Bon… c’est ça où payer quelques 25 000 yens pour rentrer. “Ok, we take this one” Du coup, nous avons du temps devant nous… beaucoup de temps. Nous tournons en rond dans un sens, puis dans l’autre. Faisons du lèche-vitrine, mangeons quelques sushi, buvons quelques cafés. Tournons, retournons. 21h… 21h10… 21h15… 21H30…………

Attente à Nîgata. Gare des bus, un des endroits près de la gare où l’on peut trouver des bancs dehors.

22h35 ! Nous montons dans le train qui est déjà à quai. Les compartiments couchettes ont l’air vraiment confortables. Mais c’est 6000 yens la couchette, soit 12000 pour les deux. Je le propose à Elise qui, raisonnable, essaye de se faire un petit lit sur les banquettes sous une climatisation digne d’une patinoire olympique et qui, faisant sa meilleure mine, me dit : “Ce n’est pas la peine, ça ira”. Ouais, ça ira ! Si nous avons réussi à dormir une heure par intermittence durant cette nuit, c’est un grand maximum. Arrêt du train toutes les demies heures, climatisation impossible à faire baisser – malgré mes appuis multiples et variés sur les boutons écrits en japonais dans le couloir, après que le contrôleur nous ait dit qu’il ne pouvait pas la baisser.

Il est 06h50. Evidemment, c’est le moment où nous dormions le mieux. Nous débarquons, tel deux zombis sur le quai de la Kyôto Station, en essayant de ne pas oublier de bagages à bord – ce qui ne manque jamais de m’arriver quand la fatigue me submerge. Nous attendons le métro un moment, filons à la Takaya, puis nous effondrons dans le lit après une douche bien méritée. Content de retrouver notre four après le supplice du frigo. Nous sommes le 2 août depuis quelques heures, mais cette journée ne commencera qu’à 11h30 quand nous nous réveillerons de notre sieste matinale bien méritée.