Biennale de Nîmes, Hannya et autres histoires….

Moi qui voulais profiter de cette matinée pour faire la grasse ! L’horloge interne souvent si défaillante, m’a mis sur pied comme chaque jour ! « Laisse-moi tranquille ! Je n’écrirai pas aujourd’hui !  » Mais rien à faire. Il faut se lever…

Peut-être aussi, les histoires de la Biennale de Nîmes n’y sont pas pour rien… et d’ailleurs avant que de venir vous retrouver, j’ai déjà passé cinq coup de fil, envoyé trois mails pour essayer de débloquer la situation.

Laquelle, me direz-vous ?! Et bien voilà…

Le Théâtre du Nîmes organise (et je l’ai appris avant hier) du 24 au 28 mars, une biennale de la jeune création japonaise : Musique, danse, théâtre, arts plastiques. Alors, innocemment, quand j’apprends cela, après ma journée d’écriture, je me rue sur mon mail et j’écris à la direction que je veux absolument pouvoir être là. Rencontrer ces artistes, voir leurs spectacles et avancer ainsi sur mon projet Kujoyama. Je leur envoie mes dossiers : Projets, Presse, Photos, etc. et leur demande s’ils peuvent m’offrir le pass (150 euros tarif plein/86 pour les chômeurs), s’ils peuvent me trouver un endroit où dormir (même un placard à balai) et s’ils peuvent me permettre de vivre cette aventure de l’intérieur pour que j’ai une chance de rencontrer les artistes. Avec ce que je viens de vivre, avec la rencontre puissante et douce de ces jeunes autour de Dom Juan, avec le stage au Théâtre du Soleil, c’est très sûr de moi que j’attends une réponse positive, du genre : « Mais bien sûr ! Nous sommes très touchés qu’un artiste français de la région désire venir rencontrer nos artistes et partager ce moment unique avec nous. C’est, en secret, notre but, etc. » Mais que nenni ! Nous ne sommes pas des mécènes, me dit-on ! Et votre outrecuidance passe les bornes ! Loin de juste ne pas réussir à les toucher, je les énerve ! On s’explique au téléphone, on se comprend mieux. Mais il n’empêche qu’ils ne peuvent pas m’aider, si ce n’est en me facilitant la rencontre avec les artistes, ce qui est déjà énorme.

Du coup, c’est 800 euros que je dois trouver, là, comme ça ! Et 800 euros, je ne les ai pas. Oui, je suis intermittent. Mais les six derniers mois m’ont coûté cher. Le temps d’écriture des dossiers (Picasso, Kujoyama, Dom Juan), les impressions multiples et variées, les voyages à Paris, les envois, le temps passé sur Dom Juan, les coups de téléphone pour mettre tout ça en place, ma résidence d’écriture… tout ça, personne ne le paye pour moi. Et c’est une grande part de mes assedic qui se dilapide là ! C’est normal, me direz-vous et je suis d’accord. Entièrement d’accord, c’est à mon sens, exactement le pourquoi des assédic, en tout cas ce qu’il devrait être pour tout un chacun. Mais là, même en raclant les fonds de tiroirs, je ne peux pas m’offrir cette semaine ! C’est ainsi.

Cela explique peut-être pourquoi ce matin au lieu de dormir, j’ai appelé Jean Florès, le Directeur du Théâtre de Grasse qui accompagne mon travail depuis un bout de temps pour lui demander ces sous. J’ai appelé aussi Michèle Couetmeur et Thierry Roche, responsables à Aix et dans la CPA au niveau culturel et en lien avec moi sur le projet Kujoyama pour leur demander ces sous. Parce que je n’ai pas beaucoup de temps pour me retourner. Une dizaine de jours tout au plus. Et sans cela, sans une aide extérieure, je râterai ce moment. Moment unique si l’on y pense. Ce n’est pas tous les jours qu’autant de jeunes artistes japonais sont réunis ensembles sur le sol français. Mais bon ! Si cela ne doit pas être, cela ne sera pas. Et cela aura raison de ne pas être. C’est toujours ce que je me dis et c’est un très bon moyen d’apprendre à construire aussi avec les impossibilités.

Voilà…

Ah oui ! Hannya ! Pourquoi Hannya ? Parce que ce masque m’a tenu compagnie toute la semaine, posé face à moi, impassible, calme et que j’ai appris à la regarder, à voir sous ses traits les traits d’une femme blessée, battue, mais qui n’a pas lâché. Elle aussi est devenue une intime ! Et je voulais la saluer ici et lui dire merci de sa patience et de son regard qui m’a tant soutenu.

A plus !

P.S. Avez-vous vu avec quelle ferveur elle me regarde ! Je crois qu’elle est tombée amoureuse 😉

Ah ! Oui, aujourd’hui je pars à Paris et je n’aurai sûrement pas de connexion pendant ces deux jours… donc vacances de blog. C’est le moment d’en profiter pour venir vous y retrouver et discuter un peu. Quand le chat n’est pas là, les souris dansent dit-on, non ?!

1+2+3+4+5 = 28

Ca y est !
Le premier voyage au monastère s’achève au bas de la seconde scène. Cinq jours de travail, vingt-huit pages bien remplies, promettant de longs voyages solitaires au côté de tous ces personnages qui ont un peu pris vie.
Il y a Kiyotsugu (Kanami), Ogamé (acteur comique et nounou de Zeami, le seul à savoir lire et écrire excepté le Maître et Fujiwaka), Fujiwaka (Zeami de 12 ans), Tamana(la mère de Zeami et femme de Kanami), il y a Otozuru (la danseuse Kuse), Meïsho (le joueur de flûte souvent saoul), Ippen, Fuzen et Jumon (les joueurs de tambours), Hachi (l’intendant de cette maisonnée), Daïjo (le Supérieur du Temple Jozen… un sale enfoiré !!!), il y a Toyodayo (l’acteur Shite, celui qui jouent les rôles principaux au côté du maître, grand conciliateur) et Kumazen (le waki, le second rôle, un vrai bougon!), un messager du Temple (qui vient chercher Fujiwaka, mais je ne vous dirai pas pourquoi…) et les danseuses de Kuse : j’ai nommé Matsujo, Wakatsuru, Chiyo. Voilà !

Une sacrée brochette de personnalités qui vont et viennent. De belles rencontres, des larmes aussi. Des pertes. Des trouvailles. Une jolie route qui s’ouvre et promet d’être longue. Mais le temps est mon ami et je n’ai pas envie de me presser, de les presser. Ils faut que je les apprivoise, les appelle, les rêve.

Allez, bonne soirée à tous.

Moi je vais manger !

4eme jour… n’importe quoi 5eme jour !!!

Allez, c’est reparti…
Ce matin, j’ai du retard à rattraper. Le bain d’hier soir aura été salvateur. Du temps, l’ami. Tout cela prendra du temps. Alors rester calme et continuer à cheminer aux côtés de ces personnages si attachants et si vrais. Ils feront ce que je ne sais pas faire. J’en suis sûr.

A ce soir !

Deux petites pages !!! Rude journée

Rude journée ! !!
Oui, c’est exactement cela, une rude journée…
Pourquoi ?
Plein de raisons, je suppose.

D’abord, j’ai commencé ce matin avec une heure de retard. J’ai traîné, répondu aux mails, plus fumé, plus bu de cafés, pris plus de temps sous la douche, pris plus de temps pour m’habiller.

Ensuite, il y a ce foutu relâchement. Après un début qui est venu facilement, assez facilement et le sentiment tout à coup que ça y est, ça va s’écrire, c’est sûr ! Du coup, on se couche plus tard, on fait moins attention, on regarde de beaux films… on se disperse !

Aussi, le moment. Dans la pièce, je veux dire ! Un moment charnière et délicat. Quand Kanami, le père de Zeami découvre la musique Kuse (Kusemai) qui va littéralement transformé son théâtre et le faire devenir celui qu’on connaît aujourd’hui. Faut-il montrer ce moment ? Le cacher ? N’est-ce pas une pente vers le folklorique ? Comment rester universel ici aussi et laisser le champ ouvert aux metteurs en scène qui auront envie de raconter cette histoire. Parce qu’il me semble évident, chaque jour un peu plus, que ce que j’ai la chance de rencontrer ici, c’est l’histoire universelle de l’artiste. Celui qui coûte que coûte ne lâche pas ce en quoi il croit et qui finit par imposer sa vision quand quelques minutes avant personne n’aurait pu imaginer cela possible. Je ne parle pas là de vouloir être original ! Etre original n’est pas une préoccupation artistique ! Je parle ici de l’honnêteté ! De l’honnêteté d’un homme qui sait que pour dire ce qu’il a à dire, ce qu’il a, ce qui existe ne suffit pas, ne marche pas. Il voudrait, il essaye, de toute son âme. Mais ce qu’il a en lui le pousse et il ne peut faire autrement que de l’écouter.

Au fil des pages qui naissent sous ma plume, je me rends compte combien ce père, le père de Zeami est un réel et immense artiste. Un homme d’une grande noblesse d’esprit et de coeur. Et qui a la tête de 31 personnes a quand même pris le risque de tout perdre, de se tromper, de subir l’échec. Il n’a pas cherché à étonner, non. Il n’a pas su faire avec ce qu’on lui offrait, c’est très différent !

Il a assumé de nourrir sa troupe d’un bol de millet par jour (on ne donnerait même pas ça à un animal), montrant l’exemple et ne cherchant jamais à jouir du privilège de son poste, il s’est infligé une discipline de fer, a résisté à tous ceux qui voyaient en lui un génie et qui le poussaient à profiter de ce qu’il avait déjà réussi à faire, jusqu’au jour où il a trouvé. Oui, trouvé ! Dans la pire musique d’époque, lui qui faisait du Sarugaku, des spectacles qu’on offrait aux dieux et qui, même s’ils ne payaient guère, étaient respectés, je disais, il a trouvé dans la musique Kuse faite par des parias, des prostituées, ce qu’il cherchait. Lui, le grand Maître Kanze est devenu l’élève de cette prostituée et a appris comme le ferait un enfant tout ce qu’il pouvait apprendre d’elle, la considérant comme son réel maître. Sous les critiques et les rires moqueurs, malgré les colères des membres de sa troupe, malgré les mises en garde de sa femme, malgré lui-même sûrement ! Et pendant des années, il a mis au point ce nouveau Sarugaku, se justifiant face à ces acteurs pour qu’ils acceptent d’essayer ce qu’ils leur proposaient, affrontant leur colère et leurs quolibets. Et au final, il a eu raison de tenir ferme. Il a mis au monde un art nouveau, passant d’oeuvre votive à l’oeuvre théâtrale, alui permettant d’écrire des intrigues, de créer des personnages aux âfres infernaux. Lui qui aurait pu être un maître respecté de Sarugaku et jouir d’une vie tranquille, lui qui a assumé d’être rabaissé par tous ceux qui l’entouraient, lui qui malgré les doutes a su embarquer trente en une personne sans les nourrir convenablement et en finissant par leur offrir un projet qu’ils jugeaient fou et sénile, lui ! Il est devenu le premier Maître de Sarugaku à obtenir du Shôgun d’alors le titre de Compagnon des Arts du Shôgun, le fameux titre « ami » pour devenir le célèbre Kan(Ze)Ami, père du Nô contemporain !

Avec une telle histoire à raconter… comprenez-vous que plus j’avance, plus je me rends compte de ce qu’il a fait, plus la route me semble escarpée et ambitieuse. Je voudrais… je voudrais arriver à ce que les jeunes d’aujourd’hui trouve en cet homme unique la force qu’il leur manque pour faire leur pas, l’exemplarité qu’il leur manque pour devenir adultes. Puissent les Dieux m’entendre et m’aider dans cette tâche titanesque.

J’ai les épaules tant nouées que je pense que cette soirée se finira dans un bain brûlant !

Bonne nuit à tous.

Oups… j’oubliais ! Il y a eu une bonne nouvelle aujourd’hui ! Ce week-end, je rencontre à Paris, Oriza Hirata, célèbre metteur en scène japonais qui travaille beaucoup avec la France pour lui parler du projet Kujoyama. Bonne nouvelle, non ?!

Nouveau jour

Hier au soir, après être passé par ici, et après avoir tournée et tourneboulé à la recherche d’un signe, d’un mot venu de l’autre côté du monde, j’ai finalement, discuté sur la toile, avec un jeune homme que je retrouve presque chaque jour, maintenant, pour avoir des conversations. Un de ces jeunes hommes auquel j’ai du ressembler quand j’avais son âge. Et qui bien loin de se complaire dans ce qu’on lui propose aujourd’hui, questionne ! Interroge ! Veux comprendre ! Avancer ! Et par un heureux fruit du hasard et de rencontres, pour un temps, il m’a choisi. Et que c’est bon de pouvoir offrir toutes ces petites fleurs ramassées en chemin et qui sont là séchées au fond d’un sac à attendre. Chacune bien étiquetée avec ses traces de sang et de boue et le chemin parcouru pour les trouver, inscrit au fond de l’oeil.

Parfois, l’on oublie que l’on a ces fleurs là et qu’on les a cueillis dans le secret espoir qu’un jour elles puissent servir à ouvrir l’âme de ceux qui passent par là.

Et puis ce jeune homme arrive ! Et puis il a besoin de savoir ! Alors, on fait le ménage, on prépare la maison. On ressort les bons films, ceux qu’on ne doit pas manquer. On ressort les bons livres, ceux qu’on ne doit pas laisser. On redit les mots qu’on ne dit plus parce qu’on pense qu’on est trop grand pour les entendre. Et du coup, on s’offre à soi-même ce petit nettoyage de l’intérieur et ce temps pour goûter à nouveau tout ce qu’on a accumulé pour être prêt un jour à recevoir et à transmettre un peu de cette force et de cette joie aux jeunes gens de passage.

J’ai toujours rêvé de finir ma vie comme un vieil arbre centenaire aux mille feuilles sous lequel les jeunes viendraient trouver le repos et la force pour continuer leur chemin. Avoir une grande maison toujours ouverte. Où tous les films et les livres immanquables seraient à portée de la main. Où ça sentirait bon le vieux bois et la bonne cuisine. Et où le soir au coin d’un feu, ces hommes et femmes de demain écouteraient les yeux brillants de joie les histoires du vieil Alex. Juste pour se requinquer et repartir au monde avec un peu plus de joie, de séreinité, de plaisir et d’envie.

Et cette semaine avec les lycéens du Lycée Paul Cézanne a été de cet ordre. Bien loin de vous arracher quoi que ce soit ou de vous mettre en danger, ça réouvre en vous une jeunesse, une jeunesse et en même temps un sens des responsabilité aiguisé à nouveau.

Ils ne le savent pas non ! Mais bon sang qu’ils me font du bien. Et si je suis capable le matin d’enfiler un kimono et de me tenir en seiza 6 heures d’affilée sans écouter les voix qui voudraient m’emmener loin d’ici, c’est aussi parce qu’ils me montrent dans leur regard tout neuf que je vaux mieux que ça !

Merci les petits et belle journée à vous !

Et si tu passes par-là Antoine-Baptiste (et je sais que tu passes !) n’oublie pas de m’écrire aujourd’hui !!!!

Il est l’or !!!! Mon seignor !!!!!

Première journée de labeur…
Que j’ai fini sur les rotules une heure et demie avant l’objectif fixé !
Après une sieste, je me suis mis à tourner et tourner, cherchant partout un mot, un message de l’extérieur. Mais le dimanche est un jour calme… et… on ne peut pas tout avoir !

Aujourd’hui, j’ai assisté à la naissance de la première scène. Il m’en reste 150 autres à découvrir ! Et c’est une nouvelle tâche que de se préparer à accueillir la suite maintenant que la première journée a levé la peur du vide et du silence, maintenant que les murs ont commencé à se dessiner.

L’impression d’être trop calme, trop tranquille. En général, ce n’est pas bon. Alors se concentrer. Vraiment. Faire remonter la peur. Vraiment. Se préparer consciencieusement. Pour que demain m’amène son lot d’images et d’aventures.

Je me rends compte que dans mes élans de soutien, j’ai oublié de citer quelques noms. Un qui malgré la violente haine qui me monte quand je pense à ceux qui la représentent, ceux qui acceptent de travailler ainsi, s’arrachant à jamais de leur humanité, cachant leur honte derrière des circulaires, laissant des êtres hagards, perdus et qui voient leur monde s’effondrer avec eux, devant leur nez, sous leurs yeux en les invitant, un sourire aux lèvres, l’air courtois, très propres sur eux, à décrocher un téléphone ! Je veux parler de l’Assedic qui malgré tout, me permet aujourd’hui de prendre ce temps hors du temps et de travailler sans m’inquiéter…

Ensuite, pour cet ami qui m’accompagne dans l’ombre depuis le début et qui a lu lui, déjà, les premières pages de ce premier jet. Lui qui depuis toutes ces années m’accompagne plein d’espoir et de foi. Si je suis là encore aujourd’hui et que je peux faire ce que je fais, il ne faut pas en douter, il en a sa part. Une grande part !

C’est lui qui m’a permis de travailler sur les festivals et autres événements en tant qu’assistant éclairagiste, en tant que régisseur, faisant valoir son rang et son savoir pour que je sois accepté, moi qui ne suis dans ce domaine qu’un tout petit. C’est lui qui, le premier, m’a sorti du gouffre dans lequel je plongeais quand sûr que « Nous, Traces d’Un Roi Lear » serait un succès, je n’ai pas pris garde à préserver mon assise et me suis retrouver sans un sou. De pouvoir mener ce travail balbitiant (oui ! il l’est ! Sinon, je n’aurais pas besoin de faire des heures de technicien pour survivre !) sans mettre en danger ma famille et ma vie. Il s’appelle Fred. Et je le dis parce que lui ne vous le dira pas. Ce n’est pas son tempérament ! Mais bon sang, heureusement qu’Elisabeth l’a mis sur ma route ! Et ce soir, après cette journée positive où les pas qui sont faits, personne ne pourra nous les enlever, où les mots sont venus me trouver, où mes héros ont commencé à pointer le bout de leur nez et où encore une fois, il est là, juste là. A me dire : « vas-y ! J’y crois ! Je suis là. » et bien j’ai envie de pouvoir lui dire combien je mesure la chance d’avoir touché son être et de faire partie de ceux qu’il écoute, couve et protège.

Merci Fred !

Et bon vent à tous !

Nietsche a dit : Vivre de telle sorte qu’il te faille désirer revivre, c’est là ton devoir »

Quel devoir !

Règles…

Petite mise au point avant de plonger…

Il n’est jamais aisé d’aller sur des chemins inconnus. On croit que, on s’imagine… mais quand on y est ! Quand à la première ligne, il faut mettre le premier mot et que se joue ici, en même temps que cette naissance, toutes celles avortées, tous ceux qui ont offert leur sang et leur âme pour nous donner une chance de pouvoir vivre ces instants-là… est-ce que vous pouvez imaginer la peur du vide qui s’empare de vous, l’envie de fuir à toutes jambes ?

Les artistes pensent se protéger par le mythe qu’ils engendrent. En fait, au moment où eux-même se mettent à y croire, ils tuent à tout jamais l’homme qui en est l’origine. Emmenant des wagons d’êtres avec eux, des wagons d’inhumains !

Ce matin, à quelques minutes de ma première journée de travail, je sue ! J’ai le ventre noué et l’envie de courir aux toilettes. J’ai à lutter contre celui qui voudrait s’étendre devant la télé ou dormir et se réveiller aux premiers spasmes de la mort, celui qui a peur, le si petit humain Alexandre.

Je ne vais pas devenir autre chose, non. Je vais définir des règles comme on le fait avec un enfant et les appliquer à la lettre.

Tous les jours, je commencerai à 9h00. Je ferai une pause à midi et repartirai jusqu’à 18 heures (l’idée étant de reprendre les codes du Stage du Théâtre du Soleil). Pendant ce temps, pas de cigarettes, pas de casse-croûte, pas de pipi… rien d’autre que le travail d’écriture.

Prendre soin de moi hors de ces temps. Etre à l’écoute de ma fatigue, de mon corps, de mes besoins réels.

Aborder ce travail comme je le fais pour mon travail d’acteur. Définir des situations, me concocter (dans quel lieu, quel état, quels personnages) et rester au présent de ce qu’ils avancent. Ne pas chercher à raconter une histoire, mais la vivre. A chaque instant. L’histoire viendra d’elle-même… au final.

Etre humble, être honnête avec moi-même. Me laisser la chance de les rencontrer vraiment ! Ne pas faire semblant d’écrire, mais vivre !!!!!

Faire comme je le demande aux acteurs. Mettre un être, devant lequel on est exemplaire, sous ses yeux et agir comme s’il était là. Comme si on oeuvrait à ses côtés. Pour moi, ce sera Ariane Mnouchkine et le cadre du Stage tout frais que je viens de vivre.

Etre rigoureux. Prendre le temps de faire les choses bien, l’une après l’autre. Et entrer dans la joie qui suit la terreur. La vraie joie de celui qui est là et avance un pied après l’autre. C’est une chose qui se mesure, je trouve, assez bien, avec son degré de fatigue. Si vous êtes vraiment fatigués, c’est que vous ne vous donnez pas vraiment les moyens d’être là et de vivre ce que, je vous le rappelle, vous avez choisi de vivre !

Se rappeler de ceux qui rendent cela possible et dans la fatigue et la peur, scander leurs noms : je veux parler de ma femme Elisabeth qui a l’amour de m’autoriser cette semaine en assumant toute seule la vie de notre maison et que je dois garder près de moi ; qu’elle aussi puisse vivre à travers ces mots de la sincérité, cette aventure. Je veux parler de Rose, ma fille, qui ne va pas voir son père encore une fois et à laquelle je dois l’exemplarité pour que mes absences ne l’écartent pas de sa route d’enfant. De Jeanne aussi et de tous ces autres qui croient en moi et ont besoin de moi. De ce que je peux leur permettre de mesurer. Et des autres, ceux qui sont morts, mes pères, mes mères, ceux qui ont ouvert la route coûte que coûte et qui ont besoin que nous ayons cette exigence avec nous-même et la joie de vouloir continuer à faire respirer ce monde.

Allez. C’est l’heure !

A ce soir.

L’arrivée au monastère de Gion


Ca y est, m’y voici.
J’ai troqué mes habits de ville pour un simple kimono d’étoffe et un hakama de trame grossière. J’ai laissé mes chaussures à l’entrée et sorti mes savates de paille.

Je serai bien ici. Je le sens. Hannya me regarde de son regard triste et égaré. Et je me rends compte qu’elle est ce démon, ce démon du nô qui m’a amené jusqu’ici.
Comme Fujiwaka avant moi, je dois aussi faire le deuil et mesurer le chemin qu’il me reste à parcourir au côté de ma voie. Seul.

Je serai bien ici. Avec mon thé vert fumant, mon sabre millénaire et mon éventail de nô. Avec Atsumori et les poèmes qui ont bercé son enfance. Avec le temps qui m’autorise à m’échapper plus loin, ailleurs.

Je regarde mon espace de transformation… ce n’est pas un espace d’auteur, non, mais un espace de comédien. Il suffirait de remplacer l’ordinateur par un miroir et les stylos par des crayons et autres ustensiles de maquillage. Je regarde mon espace de transformation… ici, dans cette pièce, rien, ni personne ne peut me ramener de votre côté du monde. Ici, dans ce temple du 14eme siècle où je fais ma retraite, rien ni personne ne peut m’arracher au silence qui transforme les espaces et le temps.

Nous nous devons cette rigueur. Tous ! La rigueur de se donner les moyens d’y être et d’y vivre le présent… C’est ce que j’ai appris là-bas, au Théâtre du Soleil et qui ne cesse de m’accompagner, même quand je suis perdu, même quand je ne sais plus.

Demain matin débutera cette aventure. Et je suis prêt. Prêt à recevoir cet homme immense et à l’accompagner aussi loin qu’il le voudra. Aussi loin !

Chut ! J’entends les cloches qui résonnent et les prières qui grondent.

A demain, peut-être !

Motokiyo

Samedi… nouveau jour, nouvelle aventure

Ca y est !
Les petits jeunes sont partis. La maison est redevenue une grande maison pleine d’espaces propices à la réflexion et à l’imagination, à la peur du vide aussi !

Je voudrais…

Ne jamais redescendre de ce petit nuage où Ariane m’a emmené avec toute son équipe et tous les « stagiaires » qui étaient présents, courageux petits « stagiaires » venus entendre cette femme et partager avec elle un peu de ce théâtre qui semble avoir trouvé chez elle, une amie, une partenaire, une grande prêtresse même… et que le théâtre est bon quand l’exigence est là et que les moyens se tendent vers cet objectif : « Faire du théâtre! »

Je remonterai les jours au fur et à mesure, c’est promis ! J’espère qu’alors, vous pourrez mesurer la chance que ces 450 personnes ont eu de se trouver ensemble dans un de ces derniers temples où les dieux du Théâtre semblent aimer à se retrouver.

Je voudrais…

Avoir beaucoup d’instants comme ceux rencontrés cette semaine avec ma petite équipe de jeunes ; où ce que j’ai traversé, laborieusement, prend enfin sens et me permet d’être moi, consistant face à ces enfants en phase de devenir adultes et qui puisent ici, peu-être, quelques outils pour ne pas se laisser submerger par la bêtise. Et qui, dans leur volonté de monter sur le Théâtre, nous montrent bien que ce qui se joue ici est bien plus qu’il n’y paraît. Comme un moyen de donner du sens à ce qui en a tant perdu. Comme un moyen de redessiner le monde : un monde de partage, de joie, un monde d’honnêteté et de foi. Et moi qui me bats si souvent seul, de pouvoir les accompagner là, est une récompense mille fois plus belle que tout ce que l’on peut imaginer.

Aujourd’hui, il me faut clore ce chapitre (pour un instant) et préparer cette semaine qui me terrifie !

H-6 avant le départ de cet après-midi où je vais m’enfermer une semaine au côté de Zeami et tenter, oui je dis bien tenter, de mettre en vie l’histoire terrible de ce Génie. Laisser un moment ces jeunes qui appellent « Théâtre Nô » ce que nous appelons théâtre, Laisser Ariane et les siens à la naissance de cette nouvelle aventure, laisser ma famille, mes amours, mon havre et moi-même pour plonger corps et âme dans ce travail. Espérons que Zeami vienne me trouver et qu’il me juge digne de raconter son histoire.

Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour l’être ! Tout ! (Et certains ici savent ce que cela veut dire ou commencent à l’entrevoir ;-))

Je nous souhaite beaucoup de théâtre à tous ! Et à très vite.

P.S. « Picasso est les Cubes » n’a pas été retenu pour le Festival « C’est Sud » d’Aix-en-Provence. Le projet semble avoir été jugé « trop ambitieux »… Ce qui me laisse un goût amer n’est pas le fait que ce projet ne puisse voir le jour, mais de mesurer, encore une fois, le manque de foi et d’envie qui animent les décideurs culturels et le mal que ces derniers font à notre monde, à nos rêves ! S’ils pouvaient le mesurer… Oui, s’ils pouvaient le mesurer, combien alors le monde serait différent !

Ariane, je persiste ! Il faut absolument que tu invites ces gens-là, cette population par laquelle les artistes sont obligés de passer, à l’un de tes stages ! Pour leur donner une chance de mesurer ce à quoi ils ont voulu s’atteler…

Vendredi – dernier jour…

Encore une fois il fut difficile de sortir du lit et d’affronter la fraicheur matinale, mais le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt, alors il faut s’activer. Après un bon petit déj’, nous rassemblons quelques affaires et nous serrons dans le bolide d’Alex – rebaptisé pour l’occasion « Faucon Millénium ».

Quelques minutes plus tard nous sommes au Studio du Soleil, et là déjà, les sourires s’affichent : c’est l’heure du maquillage, l’heure de revêtir nos masques. Je remarque que les traits de crayons sont plus nets, que le geste est plus précis, déjà mes acolytes et moi s’effaçons pour laisser place à un Dom Juan effrayant, un Sganarelle ivrogne, un paysan pleutre ou encore une Done Elvire vieillarde.

Un regard d’Alexandre nous indique que nous sommes en retard et qu’il est temps de revêtir nos costumes, s’en suit un briefing sur le travail à effectuer, et bientôt apparaissent sur scène deux valets : Sgnarelle et Gusman, fumant tour a tour une pipe (aux effets dévastateurs) , et échangeant quelques confidence sur leur maitres respectifs.

La prestation prend fin avec les remarques et indications d’Alexandre, mais aussi des autres comédiens novices.

Au studio, le temps défile plus vite que les notes sous les doigts du pianiste, et bientôt nous reprenons la direction de cette maison de campagne au charme intemporel, la matinée s’achève devant une bonne salade de riz ( que j’assaisonne avec passion !).

Le repas se finit à peine qu’Alexandre nous informe sur notre travail de cet après midi : se mettre dans la peau de comédiens japonais interprétant « Dom Juan » devant l’Empereur et 800 personnes..

Moins d’une heure plus tard , nous revoici au Studio, un dernier coup de pinceau pour rattraper le maquillage, nous enfilons nos costumes, perruques ou couvres chef, nous nous remémorons l’ensemble des Actes et scènes et nous partageons les différents rôles.

La voix d’Alexandre nous rappelle que nous sommes en retard et que l’Empereur nous fera couper la tête si nous le faisons attendre, alors nous jetons un dernier regard à nos notes, et prenons place sur les planche d’un authentique théâtre Nô, quelque part dans un village, prés de Kyoto.

La musique des tambour et des flutes résonne, les personnages entrent en scène, tâtonnent, hésitent, se gamèlent, se rattrapent, le doute les dissipent et en 10 minutes notre public se décomposent, s’en va en soupirant, le décors du théâtre se dissout et l’Empereur, accroupi au fond de la salle, délivre sa sentence !

C’est l’heure du réglage de compte, du coup de gueule, des regards inquiets, Alexandre nous met face a notre échec, à notre manque d’investissement, d’honnêteté et je vois apparaitre le spectre maussade de la culpabilité.Nous nous accordons une courte pause et reprenons l’exercice, car rester sur un échec est prohibé, alors nous réarmons notre courage, car aujourd’hui c’est l’Empereur qui s’est déplacé pour voir « Dom Juan » et nous ne pouvons pas le décevoir.

Cette nouvelle prestation se déroule mieux, les indications d’Alex nous soutiennent et nous aident, les comédiens sont plus à l’écoute de leurs camarades, et l’on peux voir sur scène un Sganarelle s’étouffant avec sa pipe, une Done Elvire rabougrie à cheval sur son valet, ou encore un concours de beauté à la mode paysanne.

La prestation s’achève, ainsi que notre journée et notre séjour, par un débriefing complet, nous nous démaquillons, et retirons nos costumes.

Le stage prend fin, mais bientôt nous serons à nouveau réunis que ce soit au Studio ou au Lycée Cézanne, nous allons mettre ce projet en place en vue d’offrir aux Aixois un billet express pour le Japon médiéval et l’univers du théâtre Nô .

Gaël