Journal d’un fœtus…. Mois du retournement. Lettre à Rose

Hier, assis sur le fauteuil de mon thérapeute, au contact de cette douloureuse tendinite, mon corps livre encore de nouvelles bribes de ses mémoires. Je me sens ignoré… Ou plutôt quelque chose de profond et sourd en moi se sent ignoré. C’est en lien avec le placenta, ce double qu’on perd et que rien, ni personne ne peut remplacer, si ce n’est soi. En soi.

 

Cela nous a emmené à Rose. Ma fille. Seule ombre dans ce paysage aux horizons immenses et dégagés, dernier reflet de ce vieux mal-être et qui demande à être dévoilé, assumé au grand jour.

 

Demain, elle aura 15 ans. Et je mesure seulement maintenant l’impossible mission que je lui donnais alors que je rêvais de devenir père. Elle serait cette part de moi broyée par la violence et l’indifférence. Elle serait ce joyau choyé, enrobé de bras puissants et protecteurs. Elle serait ce double qui jamais ne perdrait l’amour. La seule capable de voir sous mon armure et de comprendre mes secrets. Mon double. Ma sœur, ma mère, ma compagne. Avant elle, je n’avais été que solitude et blessure. Elle ramènerait le soleil, la vie dans mes veines exsangues.

 

Le temps passant, on oublie ce genre de choses… Aujourd’hui, je suis le seul maître de mon bonheur. Et c’est au côté d’une femme, une femme vraie que je me suis découvert homme, Homme vrai.

 

On oublie… Ou plutôt, on le souhaite. Inconsciemment. On voudrait que ce qui fut ne soit plus. Et l’on perd les moyens de comprendre. Jusqu’au jour où la trame de la douleur étouffée se révèle au grand jour.

 

Pourtant, Rose, elle, n’a jamais cessé de me rappeler à ces pactes puérils et mortifères. Au point que je n’arrivais plus à comprendre pourquoi elle était encore là. À demander à vivre sous mon toit. Dans cette vie où tout coule de source. Au point que je ne supportais plus l’image qu’elle me renvoyait. Pourtant, c’est ma fille. Et si l’on peut abandonner un chien au bord d’une route, un amour… On n’abandonne pas ses enfants. En tout cas, pas moi. Malgré tout le poids de devoir me confronter à ce miroir terrible.

 

Et heureusement. Car jusqu’à ce jour (et je suis sûr que demain ces problèmes ne seront plus), ce chapitre n’était pas clos. Il restait des choses à comprendre. Des mots à se dire. Des gestes à faire. Pour transformer. Grandir. Encore, encore, encore.

 

Rose,

 

Mon amour, tu vas avoir quinze ans demain. Et je comprends seulement maintenant la charge énorme que j’ai déposé sur tes épaules même pas encore formées. Je t’ai toujours voulu. Depuis mes seize ans, je n’ai cessé de t’attendre. Parce que je ressentais tellement peu d’amour et de sécurité que j’avais besoin de rêver cette terre qui se formerait à partir de toi et dont je serai le bâtisseur. Tu me donnais le courage de tenir. De traverser les tempêtes, de résister au sommeil et au morne appel de la mort.

 

C’est pour cette raison, sûrement que tu fus conçue dans ce moment de tempête. Nous étions au bord de la rupture avec ta mère, mais mon envie était si profonde, si personnelle que je n’en avais cure. Tu fus donc conçue, pour elle, pour me retenir et pour moi, pour me sauver. Deux choses que tu as tellement bien su faire.

 

Effectivement, alors que j’avais quitté ta mère entre ta conception et le moment où nous avons su que tu étais en route, je suis revenu et je serai resté jusqu’à ton départ et même après pour ne pas laisser seule ta mère dans son vieil âge. Nous nous aimions. En tout cas, moi je l’aimais. Mais nous n’étions, ni elle, ni moi, capables d’attendre un enfant. Trop égoïstes. Trop centrés sur nos problématiques. Trop blessés. Trop passionnels. Mon pauvre amour… Tu es le fruit de cet ébat de bruit et de fureur.

 

Comment alors, avec tout ce qui était sur tes épaules, ne pas souffrir d’un réel manque de place pour toi-même. Pour te développer.

 

Oui, je t’ai aimé. Choyé. Entouré de mille attentions. Ouvert mon monde singulier. Fait vivre des tourmentes. Fait entendre des mots que peu de parents partagent avec leur enfant. Et de tout cela, je ne renie rien. Nous sommes un exemple. Et, même si tu n’as, toi, rien demandé, tu es la fille de cet homme qui s’offre en pâture au monde. De cet homme qui croit que d’autres ont besoin de cette absence de pudeur pour se dévoiler et changer le cours de leur vie, quand celle-ci ne leur convient pas.

 

Là encore, je mettrai cette lettre en ligne. Exposant notre intimité aux yeux de tous.

 

Aujourd’hui, je te libère. Je n’ai plus besoin de toi. Plus dans cette place en tout cas. Et tu ne pourras jamais être ce double que j’ai perdu à mon arrivée ici bas.

 

Aujourd’hui, je te demande pardon. Car si je t’ai tant fait de reproches, si j’ai été si dur, c’est parce qu’inconsciemment, je te demandais d’être ce double. D’être ma complice, ma sœur. Et j’ai pris tous tes écarts comme une trahison. Mais tu ne peux me trahir. Je suis le seul traitre de mon histoire.

 

Aujourd’hui, je veux te dire merci. Car, de par mes croyances, je te vois faire le choix, là-bas, de descendre me permettre cet immense pas que je fais, à l’instant. Grâce à ta persévérance, grâce à la façon unique dont tu as assumé de me mettre face à ma laideur, face à mes paradoxes.

 

Tu es venue pour me sauver et tu l’as fait. Ce que j’ai gagné aujourd’hui, je te le dois pour beaucoup. Cette famille, cette femme, ce moi d’aujourd’hui… Et si je suis devenu cet être magnifique, c’est encore en grande partie grâce à toi.

 

Tu peux te rapprocher maintenant. Ouvrir la porte à ma transmission et accepter ta filiation. Il n’y a plus d’enjeu. Je t’aime et te souhaite un merveilleux anniversaire.

 

Je te souhaite de devenir toi. Encore plus et plus. Libre de te choisir. Libre d’aller.

 

Je t’aime Rose.

Et bel anniversaire 😉

 

Journal d’un fœtus – jour 6

À la fin de cette première semaine où, courageusement, ma mère et moi, avons fait le tour des administrations pour lever le secret sur ta naissance et, pour ma part, pour essayer d’être mis en contact avec toi, on me dit qu’il faudrait une lettre. Que je dois prendre ma plume pour mettre dans une enveloppe sous scellé, à ton nom, la lettre que je voudrais que tu puisses lire, si un jour, toi où tes parents, décident de faire les démarches pour accéder à tes origines.

 

Sacré challenge que je prends, comme à mon habitude, comme un signe de l’Energie pour m’aider à recontacter et à nettoyer ces scories qui n’ont plus d’utilité dans ma vie aujourd’hui. Il faut savoir se défaire de ce qui nous a fondé pour nous fonder à nouveau. Et ainsi tous les jours, tous les instants. Et ainsi pour tous. Car tous nous sommes liés. Et chaque blessure soignée libère un peu la mane humaine dans son ensemble, la planète, même ! Mais je m’égare. Encore une fois pris en flag de vouloir sauver le monde pour ne pas affronter la petite écharde qui pointe là !

 

Le plus difficile, ici, c’est que dans ma folie, j’ai décidé de tenir ce journal en ligne et que, chaque jour passant, je dois révéler des choses qui peuvent être très intimes, qui impliquent d’autres êtres. Et à chaque parution, je m’inquiète de comment ma mère va prendre telle chose, et sa sœur, etc… Et là, il me faut écrire une lettre à ma sœur, une vraie ! Pas un poème que j’afficherai sur mon mur en attendant des louanges qui ne calment rien, une vraie lettre. Scellée. Qui, même si elle sera lue mille fois ici, attendra dans le noir, le feu de ses yeux. Peut-être indéfiniment.

 

Mais que lui dire ? Et comment un enfant trisomique de quarante trois ans peut recevoir ces mots… Faut-il que j’écrive comme à un enfant ? Ou alors comme à moi-même ? Ou alors pas…

 

Qu’est-ce que je vais lui dire… Si j’ai imaginé cet instant tant et tant de fois, jamais je n’ai pensé qu’il arriverait réellement. Je suis un écrivain. J’ai plein d’histoires et de mots qui chantent et rient là, dans la tête, mais, en vrai. En face de toi. De toi qui n’a pas de filtre… Que reste-t-il ?

Journal d’un fœtus – jour 4

Quatre jours et déjà épuisé. Merde alors ! Je me voyais déjà surfer pendant neuf mois, chaque jour un peu plus fort, grand… Mais c’est comme dans la foutue vie ! On avance d’un pas, on recule de cent. Est-ce qu’il n’y a pas moyen de faire autrement. Maman, maman, pourquoi n’ai je pas choisi de revenir sous la forme d’un joli et costaud fil de cuivre. Tu mets le courant d’un côté et hop… Ca circule toujours dans le même sens.

Mais non, je vous charrie. Ça va très bien aujourd’hui. C’est juste que je suis passé entre les mains d’un Thrycotérapeute et que ça chatouille loin ! On est encore bien sensible à toutes ces choses quand on a que quatre jours de mitose. Le bonhomme vous asticote le cheveu avec un sabre japonais auquel on a transmis son information personnelle pendant que le thrycotérapeute, lui, vous masse les racines et les cheveux. Une sensation de pluie d’étoiles filantes qui rentre directement dans la tête et on se demande comment on a fait pour attendre tant de vies avant de se rendre compte que ces putains de fils de tête sont directement reliés au système nerveux. Et qu’ils font la jonction entre le ciel et nous. Et qu’ils sont beaux. Et qu’ils sont importants ! Qu’ils sont putain que puissants ! Juste ça.

Après, alors qu’on arrive au troisième gong de bol tibétain, le thrycotérapeute passe chaque cheveu au rasoir pour refermer l’écaille. C’est à cet instant que la petite mitose qui se prend déjà pour le soleil se dit : « mais si il referme, je vais me consumer de l’intérieur ?! » Et non… En fait c’est juste que ça permet à l’interne d’être entendu en interne. Quelle cacophonie ! Je repars avec toutes ces voix qui n’ont jamais pu se faire entendre et qui comptent bien rattraper le temps perdu… On comprends mieux pourquoi ce soir je suis sonné, non ?

Ma mission d’ange, tant que je suis pas complètement incarné, me rappelle à ma dure réalité. Sortir de cette douce torpeur pour prendre des nouvelles de cet autre embryon qui se balade dans une autre trompe. Autre femme, autre homme, autre monde, autre histoire. Et le réseau fait défaut. Et je ne trouve pas le moyen de lui parler. Fais chier ! Le grand bonhomme là-haut va me taper sur les doigts, alors que je suis vraiment un élève modèle. Qu’importe… Apprendre à appréhender le temps… Le temps et l’espace qui distord tout. C’est tout nouveau, pas très fluide, pas très ludique. C’est quand qu’on ramène l’instantanéité dans la matière ?

Trève de plaisanteries… Qu’est-ce que j’ai appris aujourd’hui ?
Que sur ma route, je laisse mille signes. Au cas où, je serai tenté d’oublier… « Théâtre du Soleil », « Studio du Soleil », « Ton sourire est comme un Soleil », « tu étais un vrai Soleil »… Bon ok, j’ai compris. Ne me dites pas que je serai assez sonné pour passer à côté de tous ces signes ?! C’est juste pas possible.

Mais le soleil, les filles, il ne sait pas qu’il est le soleil ! Parce que lui, de son point de vue, je veux dire, de la place où il est, il ne voit pas ses rayons, sa splendeur et comme il est le feu, il ne sent pas non plus sa chaleur… Bien sûr, il se sent rempli. Bien sûr, il pourrait se rendre compte qu’autour les gens sont plutôt bien… Mais lui ?! Qui c’est qui le nourrit ? Qui l’aide, l’accompagne ? Je me suis rendu compte d’un truc… C’est son coeur ! Son intériorité, son raccordement à la source. Cest ca la clé ! Comprendo ?

Si ce lien est clair, si il est plongé dedans, vraiment dedans, dans le silence de son coeur qui bat, sûr que tout est bien, sûr que tout lui est donné, alors voilà un soleil qui se comprend soleil et qui diffuse sa lumière sans compter, non ?

Vais me coucher avec ça moi…

Journal d’un fœtus – jour 3

Est-ce que tout cela est ainsi en vrai ? Toute cette agitation autour. Déjà tant d’interactions… Se peut-il qu’à peine formé d’une dizaine de cellules, n’ayant même pas atteint le stade de morula, encore en promenade dans cette jolie trompe, je puisse être déjà porteur de tant de questions, de tant de fils, de tant d’amis… Ou alors, est-ce maman que j’entends. Elle, qui a pris soin de tant d’êtres. De tous sauf d’elle… Ah. Oui. Ça me parle…

Attention petit embryon à peine commencé. Il faut te tourner vers toi-meme. Faire de ce moment un moment de conscience. C’est aujourd’hui que les gémeaux se forment. C’est aujourd’hui que parfois, l’on décide de partager la tâche. A plusieurs. Et moi, je reste seul. Je le peux. Ma sœur a ouvert la route. Voiture balai qui a emporté une bonne partie des cris, des craintes, des secrets inavoués… Elle, qui a pris la mission d’aller ouvrir le monde à l’amour. Sans retenu. Sans voile. Pour me faire la place. Suis-je si important que cela ?

Oups, de six à douze, la division fait la part belle à l’orgueil. Impossible pour moi de partager. Encore moins maintenant. Je ne veux pas laisser quelqu’un d’autre que moi régler ces dérèglements. Il va falloir que j’éduque chacune d’elle. Et il me fait faire vite. Parce que demain, elles seront bien plus nombreuses. Ici, le développement est exponentiel. Entre cela et les interférences avec l’extérieur… Waouh ! Je me rends compte que cette vie de fœtus ne va pas être de tout repos.

C’est ce moment où l’on n’a pas encore perdu la mémoire. Ce moment délicat où il faut apprendre à faire avec ce nouvel environnement tout en ayant accès aux informations de l’autre. C’est comme pour un poisson de se retrouver à devoir avancer sur la terre ferme. Avant de se rendre compte que finalement il peut y respirer, il passera par la mort, l’étouffement… Brrrr.

C’est le genre de choses que j’avais oublié. Et heureusement. Parce que je n’aurais certainement pas plongé, sinon. Quel courage ! Quel courage nous avons tous de venir. Encore et encore. Cool, voilà six cellules sur les douze qui sourient. Elles se mettent à vibrer à l’unisson et ça fait un champs électrique multicolore qui frétille autour de nous ! « Maman, musique, s’il te plait. On va danser ! »

O que je l’aime cette maman. Cet enfant dont je capte chaque secret, chaque soupir, chaque peur. Quand dehors elle semble si forte. N’oublie pas que tu viens pour Elle et pas pour elle. Chacun sa route ! C’est juste la meilleure piste d’atterrissage que tu as pu glaner dans le book des aéroports pour la Terre. Il faudrait que tu le notes avant de l’oublier.

Oui, c’est ca. Sur la membrane de cette cellule. Écriture circulaire à la pointe de l’énergie. Trésor de mon voyage toujours à portée de coeur pour ne pas perdre la route.

Ici, jour après jour, je vais inscrire les instants capitaux qui me garderont sur mon chemin. Car, pour être venu bien souvent, je peux le dire, ne pas se perdre est quasiment impossible.

Je suis le soleil, je suis le soleil, je suis le soleil, je suis….

Journal d’un fœtus – jour 2



Tu as peur ?

Sais-tu comment tu pénètres cet endroit sacré ?
Sais-tu qu’ici plus rien n’a de secret ? Tes cellules sont des boules d’amour, des trisomiques divins qui ne retiennent rien, disent et ressentent tout. Haut et fort. Plus haut et plus fort. Toutes les peurs, tous les secrets, toutes les blessures. Tout ce qui se cache dans le noir de ta chambre d’enfant. Et tu as beau te cacher derrière le fard, et tu as beau t’habiller de tes absences, de tes illusions, de ton déni, dedans la petite fille trisomique rit et pleure en te livrant tout entier, dans ta fragilité la plus totale. Tords lui le bras. Elle le dira. « Dis-moi papa, pourquoi tu me tords le bras derrière le dos. Ça fait mal, Papa. » « Tais-toi, tu n’es pas ma fille ! » Et bien, si. Et elle porte ton nom, chacun d’eux, dans la lumière du soleil. Astre qui brûle toute l’ombre. Qui écrase tes fuites et tes échappées. Scotché là, en pleine lumière, terrassé. Tu crois que la gravité vient de la terre, mais elle est pure lumière. Elle est ma percée face à tes désirs qui délite le temps et l’espace pour te rendre translucide, transparent. Totalement. Ne peut s’envoler que le tintement d’un rire vrai. Ne peut s’arracher que la larme accueillie et le souffle. Souffle. Expir. Soupir. Lâche. Laisse aller. Donne. Sans te bercer de l’illusion que tu contrôles le don, car tu ne le contrôles pas.

Les mots que tu dis, les gestes que tu adresses ne sont que le reflet de ce qui se joue derrière. C’est drôle ! Ils ont réussi à te faire croire que ce que tu caches disparaît. Mais detrompe-toi. Le dessin de l’onde ne change pas l’océan. Ce que tu crois dans le noir, dans l’ombre, n’est que la trace de la face éclairée dans un espace-temps à peine différent. Ils t’ont juste fait croire que personne ne détournera les yeux du sol. Mais c’est faux.

En toi, tout entend, tout connaît. Et toute empreinte que tu laisses raconte chacune de tes blessures. Aucune ne pourra y échapper. C’est ainsi.

C’est ta signature. Sonore, visuelle, charnelle, gustative.

Je t’en prie, ne prends pas ces mots à la légère. Qu’il te devienne impossible de créer si tu n’es pas là totalement. Qu’il devienne à l’homme impossible de prononcer un mot qui n’est pas de lui. Aucun enfant ne naîtra plus de l’union des irresponsables. Moi, le soleil, je le décide et l’acte. Maintenant. Il en est fini des générations de déracinés. Il en est fini des enfants sans parents. Des fruits tordus du sexe sans amour. Des grains de haine jetés là et pas assumés. Le monde, ma terre, s’y refusera. Catégoriquement. Que vous accueilliez tous votre dimension handicapée et que vous puissiez vivre cet amour entier. Que vous ne puissiez enfanter que des trisomiques jusqu’à ce que l’amour vous transperce et vous laisse nu face à ce miroir de vous-même, insupportable et pourtant magnifique. Tellement plus grand que nous. Tellement plus grand.
Dans neuf mois, je serai là. Dans huit mois et 29 jours… Pour être exact. Maman, si tu savais comme tu es aimée, ici, dedans, et entendue. Ta plainte porte dans toutes les cavités, dans tous les recoins, tes rêves et tes espoirs percent les artères et hurlent. Je l’entends, je la reçois et je t’aime et j’aime cette vie qui nous pousse irrésistiblement. Je suis saisi par la grandeur de votre choix. Par la puissance magnifique de ta peine. Par ces cris tordus de morve et de rage qui appellent l’amour. L’amour. AMOUOUOUOUR !!!!!! Par cette force brutale et sauvage capable de transformer la chair la plus tendre en un implacable acier. Tu n’as même pas sentie combien mon père t’aime. Même pas senti, quand il était en toi, comme lui aussi, appelait à l’amour. Chacun enfermé dans sa douleur. Dans son combat. Et moi, je vous choisis. Je me fais rire. De ce rire que vous avez perdu il y a bien longtemps et qu’on rencontre si rarement sur cette sphère. Je me fais rire… « ouch ! Je vais en chier ! » Mais qu’importe ! La vie est tellement délicieuse. Ce sang qui coule dans les veines. Les vides, les pleins ! La douleur. Le froid. L’absence. Tout cela est tellement digne d’amour. Si vous pouviez vous souvenir…

Je viens pour fermer la marche. Avec vos corps acier. Avec votre rage de survie, votre folie, votre soif d’amour, j’aurais enfin en main les outils pour accomplir sur cette Terre magnifique les transformations nécessaires. Et quand je partirai, l’homme ne pourra plus venir ici sans conscience. Il ne le pourra plus. Je nous le promets.

Journal d’un fœtus – jour – 1 – absent dans l’indifférence

C’est la cage thoracique, le dos… Une armure. Qui a endossée tant de coups. C’est comme dans « les Ailes du Désir », quand les anges renoncent à leur statut pour s’incarner dans la matière. Cest l’empreinte de cette petite boule d’amour passée là avant moi et qui a entendu de sa mère l’information qu’elle allait lui arracher sa liberté de femme. Elle, elle en a été crachée. Out. Parce qu’elle ne pouvait pas se porter seule ! Ne t’inquiète pas maman, ne t’inquiète pas ma sœur, ni toi papa, moi le petit kirikou, le samurai Miyamoto, le général Sun, le grand Loup Bleu Gengis Khan, je la porterai. Je vous porterai tous. Je prendrais son empreinte sur le dos comme toi papa, tu l’as fait pour ton frère. Mais je ferai mieux que toi. Je l’emmènerait plus loin dans la vie. Nous ne serons pas deux morts, mais deux mi-vivants ! Bénéfice secondaire, je n’ai pas besoin de trouver une raison de vivre, je l’ai. Elle est pleine d’amour et de renoncement. Je ne crierai pas, je ne demanderai rien, je mangerai peu, je ne dirai pas mes besoins… Je n’en ai pas ! Je me ferai tout petit… Tout petit et je masquerai ma lumière éblouissante.

Bien sûr, je ne peux pas m’organiser. Trouver la clarté dans ce champs de bataille. Il faut se battre et le combat est de tous les côtés. Je frappe, je hurle, je convoque la colère, pour renforcer l’armure, faire de mes muscles de l’acier ! Et je déteste tous ces gens qui vivent sans se rendre compte de la chance qu’ils ont ! Nous sommes la nuit. Dans le manteau de mort, nous nous retrouvons. Je regarde ton visage de cendres, je te nourris, je t’aime. Je suis le seul qui connaît ta lumière.  » Ne t’inquiète pas Maman t’aimera toujours plus que moi. Je ne te ferai jamais d’ombre. Jamais. C’est promis ! « 

Tu sais, aujourd’hui, j’ai d’autres choses à faire. Des choses qui demandent que je sois là complètement, totalement, dans chaque cellule de mon corps, rayonnant. Je ne peux plus porter cette armure sale et rouillée qui cache ma lumiere. Je vais te déposer mon beau petit fardeau et te rendre aux flammes de la joie. Je n’ai plus peur, je suis l’amour. Et même si tu m’as donné cette force, sache que j’ai pris ton empreinte parce qu’elle répondait à mes besoins. Ne me fais pas cette tête, je ne te dois rien, jolie petite boule d’amour.

Je sens le feu descendre dans mes reins… Ces reins toujours vides. De pierre… Comme le prénom que papa m’a donné. Depuis tant de générations. Ces reins que j’ai rempli par le cri, par la douleur, par le dépassement, encore plus loin, encore, encore… Maintenant, je l’entends, je le sens, le plâtre se fend… C’est la vie qui coule doucement en eux. Goutte à goutte. Elle délite les blocs de marbre que je portais là pour ne pas courber l’échine. Et demain, dans un mois, dans un an, le fleuve amour les remplira à nouveau. Complètement. Légitimement, revenu dans le plein de son lit. Je suis l’homme qui revient.
Alexandre ne veut plus dire celui qui combat l’ennemi, mais celui qui protège (abrite) l’Homme, l’Om (de humus : la terre…), sculpteur, germeur de Vie ! Avec le grand A de l’amour. Si, si, c’est ainsi… Ainsi soit-il !