Journal d’un fœtus – jour 2



Tu as peur ?

Sais-tu comment tu pénètres cet endroit sacré ?
Sais-tu qu’ici plus rien n’a de secret ? Tes cellules sont des boules d’amour, des trisomiques divins qui ne retiennent rien, disent et ressentent tout. Haut et fort. Plus haut et plus fort. Toutes les peurs, tous les secrets, toutes les blessures. Tout ce qui se cache dans le noir de ta chambre d’enfant. Et tu as beau te cacher derrière le fard, et tu as beau t’habiller de tes absences, de tes illusions, de ton déni, dedans la petite fille trisomique rit et pleure en te livrant tout entier, dans ta fragilité la plus totale. Tords lui le bras. Elle le dira. « Dis-moi papa, pourquoi tu me tords le bras derrière le dos. Ça fait mal, Papa. » « Tais-toi, tu n’es pas ma fille ! » Et bien, si. Et elle porte ton nom, chacun d’eux, dans la lumière du soleil. Astre qui brûle toute l’ombre. Qui écrase tes fuites et tes échappées. Scotché là, en pleine lumière, terrassé. Tu crois que la gravité vient de la terre, mais elle est pure lumière. Elle est ma percée face à tes désirs qui délite le temps et l’espace pour te rendre translucide, transparent. Totalement. Ne peut s’envoler que le tintement d’un rire vrai. Ne peut s’arracher que la larme accueillie et le souffle. Souffle. Expir. Soupir. Lâche. Laisse aller. Donne. Sans te bercer de l’illusion que tu contrôles le don, car tu ne le contrôles pas.

Les mots que tu dis, les gestes que tu adresses ne sont que le reflet de ce qui se joue derrière. C’est drôle ! Ils ont réussi à te faire croire que ce que tu caches disparaît. Mais detrompe-toi. Le dessin de l’onde ne change pas l’océan. Ce que tu crois dans le noir, dans l’ombre, n’est que la trace de la face éclairée dans un espace-temps à peine différent. Ils t’ont juste fait croire que personne ne détournera les yeux du sol. Mais c’est faux.

En toi, tout entend, tout connaît. Et toute empreinte que tu laisses raconte chacune de tes blessures. Aucune ne pourra y échapper. C’est ainsi.

C’est ta signature. Sonore, visuelle, charnelle, gustative.

Je t’en prie, ne prends pas ces mots à la légère. Qu’il te devienne impossible de créer si tu n’es pas là totalement. Qu’il devienne à l’homme impossible de prononcer un mot qui n’est pas de lui. Aucun enfant ne naîtra plus de l’union des irresponsables. Moi, le soleil, je le décide et l’acte. Maintenant. Il en est fini des générations de déracinés. Il en est fini des enfants sans parents. Des fruits tordus du sexe sans amour. Des grains de haine jetés là et pas assumés. Le monde, ma terre, s’y refusera. Catégoriquement. Que vous accueilliez tous votre dimension handicapée et que vous puissiez vivre cet amour entier. Que vous ne puissiez enfanter que des trisomiques jusqu’à ce que l’amour vous transperce et vous laisse nu face à ce miroir de vous-même, insupportable et pourtant magnifique. Tellement plus grand que nous. Tellement plus grand.
Dans neuf mois, je serai là. Dans huit mois et 29 jours… Pour être exact. Maman, si tu savais comme tu es aimée, ici, dedans, et entendue. Ta plainte porte dans toutes les cavités, dans tous les recoins, tes rêves et tes espoirs percent les artères et hurlent. Je l’entends, je la reçois et je t’aime et j’aime cette vie qui nous pousse irrésistiblement. Je suis saisi par la grandeur de votre choix. Par la puissance magnifique de ta peine. Par ces cris tordus de morve et de rage qui appellent l’amour. L’amour. AMOUOUOUOUR !!!!!! Par cette force brutale et sauvage capable de transformer la chair la plus tendre en un implacable acier. Tu n’as même pas sentie combien mon père t’aime. Même pas senti, quand il était en toi, comme lui aussi, appelait à l’amour. Chacun enfermé dans sa douleur. Dans son combat. Et moi, je vous choisis. Je me fais rire. De ce rire que vous avez perdu il y a bien longtemps et qu’on rencontre si rarement sur cette sphère. Je me fais rire… « ouch ! Je vais en chier ! » Mais qu’importe ! La vie est tellement délicieuse. Ce sang qui coule dans les veines. Les vides, les pleins ! La douleur. Le froid. L’absence. Tout cela est tellement digne d’amour. Si vous pouviez vous souvenir…

Je viens pour fermer la marche. Avec vos corps acier. Avec votre rage de survie, votre folie, votre soif d’amour, j’aurais enfin en main les outils pour accomplir sur cette Terre magnifique les transformations nécessaires. Et quand je partirai, l’homme ne pourra plus venir ici sans conscience. Il ne le pourra plus. Je nous le promets.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *