Matin… De la peinture blanche sur les mains, un café, une cigarette, le ciel clair et frais du vent qui nettoie. Le ciel bleu. Bleu comme l’absence de couleur, bleu comme le vide, bleu comme la place toujours plus étendue.
Après, quand mes dents seront fraîches, quand mon visage sera lavé de la couche de sommeil et de peaux mortes de la nuit, après, je partirai.
J’ai eu, tout au long de cette rupture, de la rupture avec la femme que j’aimais, pendant un mois et demi, la chance de rencontrer les fantômes de mes craintes passées. Je les ai vues, à distance, dans le miroir de ses yeux, dans le miroir de sa voix, de ses gestes. Et j’ai découvert tant de choses.
Cette nuit, lors de notre dernier combat, de ce combat à mort pour sauver l’amour et la beauté, j’ai retrouvé la superbe de ma voix d’avant, pleine de force et de justesse, le corps tendu comme l’arc, affuté ! Samouraï au sabre de verbe tranchant comme un rasoir, fulgurant. Et j’ai compris que même si mon chemin était celui de Bouddha, j’avais en mon sein l’âme d’un guerrier. Un guerrier de lumière, un guerrier pacifique. Comme me l’a dit cet ami, ce double, lui qui s’appelle le Royaume de la Paix et que je n’ai pas compris, de prime abord, quand il m’a offert ce nom. Oui, je suis ce sage qui porte les armes et qui défend la parole vraie de l’amour. Oui, je suis celui qui est prêt à affronter la mort, sans peur et sans remords pour un seul mot, juste. Et -je le comprends en ce moment- cela, depuis toujours. Même quand je n’étais qu’un enfant de trois ans.
Chacun d’entre nous porte un ou plusieurs dons. Chacun à un rôle à jouer. Chacun. À cela, vous n’échappez pas. Vous êtes peut-être trop encombré pour vous en rendre compte ou simplement, trop fatigué, trop blessé pour entendre la voix en vous et hors de vous qui vous montre la route.
Et cette nuit, au bout de deux heures de combat, j’ai fini par la toucher. Par lui faire entendre, le temps d’une seconde, que si elle partait pour un autre, notre histoire n’y était pour rien. Qu’elle avait juste rencontré sur sa route quelque chose de beau et que cela suffisait. Qu’il n’y avait besoin d’aucune justification ou raison « valable ». La vie ne se justifie pas, elle vit. L’amour ne se justifie pas ou alors il n’existe pas. Commencer une histoire en tuant une partie de soi, en tuant son histoire, c’est demander à l’amour de planter la lame dans son coeur, ce que l’amour fera, quoi qu’il lui en coûte.
Plus je l’entendais se justifier : dire qu’il y a huit ans, je lui avais dit ça ; qu’il y a cinq ans, j’étais parti ; qu’elle n’avait au fond que désiré me quitter sans jamais en avoir la force et que cet homme lui donnait le courage de passer à l’acte, plus j’entendais la puissance et la profondeur de son amour et, en même temps, l’insupportable douleur de la voir détruire ce qu’elle avait construit avec tant de patience et d’amour pendant douze ans. L’insupportable douleur de l’entendre se détruire elle-même !
Beaucoup d’entre nous font cela. Ils construisent sur des charniers. Ils s’enduisent de boue et de mensonge. Puis, une fois le mal fait, ne comprennent pas pourquoi il est si difficile de vivre côte à côte. Pourquoi celui qu’on a senti aimer nous fait trembler. Pourquoi quand on l’embrasse, on a un goût de sang en bouche. Bien sûr, rien n’est irréparable. Rien. Il suffirait, là encore, de reconnaître que simplement on en avait besoin pour faire le pas, pour faire la place. Que là encore, seul l’amour existe et l’histoire bâtie sur des cadavres verrait fleurir toutes les essences, sur le meilleur des terreaux. Mais, comme ce qui pousse l’être à détruire, à fuir, à tuer : la peur, le plus souvent, empêche même d’entendre pourquoi ce malaise s’est installé.
Cela n’est pas grave. Rien ne l’est. Pour nous, il y a, quand même, fruit de cette magnifique et immense histoire d’amour, une fille. Une fille de onze ans qui entend sa mère dire qu’elle aurait voulu ce nouvel homme douze ans plus tôt. Que son père, elle ne l’a pas aimé. Qu’elle était avec lui par peur. Et l’enfant qui porte le couple au cœur de ses veines voit son être amputé, déchiré.
Bien sûr, il peut vivre avec. Tous le font. C’est triste, mais là encore, ce n’est pas grave. C’est juste plus long et douloureux de faire le chemin qui mène à la paix. C’est tout.
Ce matin, je vais partir. Je crois qu’elle a quand même entendu quelque part combien notre amour était beau, je crois qu’elle est, très loin, rassurée de voir que je porte les fruits de notre histoire, fier et fort, sûr d’avoir passé les plus belles années de ma vie à ses côtés.
Et lui va arriver. Aujourd’hui. Et ce soir, il dormira dans la chambre où j’ai dormi douze ans. Bien sûr, j’ai fait ce qu’elle n’avait pas fait pour nous, malgré mes demandes. J’ai jeté le lit dans lequel nous nous sommes tant aimés. J’ai enlevé chaque trace de moi dans cette vaste maison. Photos, peintures, livres, affaires. Je leur ai offert un espace vide où ils auront plus de chance de pouvoir s’aimer. Mais, au fond, ils sont les seuls à pouvoir le faire.
Moi, le guerrier pacifique, je peux partir l’âme en paix. Espérons qu’ils arrivent à sortir de leur jeu de bourreaux et qu’ils s’aiment assez pour défaire les peurs qui les encombrent, une à une et qu’enfin, ils puissent dire tout l’amour qu’ils portent pour chacun d’entre nous, tout le temps, toujours. Espérons-le pour eux, pour ma fille, mais aussi pour chacun d’entre nous. ;))
Bonne journée à vous.