Petite mise au point avant de plonger…
Il n’est jamais aisé d’aller sur des chemins inconnus. On croit que, on s’imagine… mais quand on y est ! Quand à la première ligne, il faut mettre le premier mot et que se joue ici, en même temps que cette naissance, toutes celles avortées, tous ceux qui ont offert leur sang et leur âme pour nous donner une chance de pouvoir vivre ces instants-là… est-ce que vous pouvez imaginer la peur du vide qui s’empare de vous, l’envie de fuir à toutes jambes ?
Les artistes pensent se protéger par le mythe qu’ils engendrent. En fait, au moment où eux-même se mettent à y croire, ils tuent à tout jamais l’homme qui en est l’origine. Emmenant des wagons d’êtres avec eux, des wagons d’inhumains !
Ce matin, à quelques minutes de ma première journée de travail, je sue ! J’ai le ventre noué et l’envie de courir aux toilettes. J’ai à lutter contre celui qui voudrait s’étendre devant la télé ou dormir et se réveiller aux premiers spasmes de la mort, celui qui a peur, le si petit humain Alexandre.
Je ne vais pas devenir autre chose, non. Je vais définir des règles comme on le fait avec un enfant et les appliquer à la lettre.
Tous les jours, je commencerai à 9h00. Je ferai une pause à midi et repartirai jusqu’à 18 heures (l’idée étant de reprendre les codes du Stage du Théâtre du Soleil). Pendant ce temps, pas de cigarettes, pas de casse-croûte, pas de pipi… rien d’autre que le travail d’écriture.
Prendre soin de moi hors de ces temps. Etre à l’écoute de ma fatigue, de mon corps, de mes besoins réels.
Aborder ce travail comme je le fais pour mon travail d’acteur. Définir des situations, me concocter (dans quel lieu, quel état, quels personnages) et rester au présent de ce qu’ils avancent. Ne pas chercher à raconter une histoire, mais la vivre. A chaque instant. L’histoire viendra d’elle-même… au final.
Etre humble, être honnête avec moi-même. Me laisser la chance de les rencontrer vraiment ! Ne pas faire semblant d’écrire, mais vivre !!!!!
Faire comme je le demande aux acteurs. Mettre un être, devant lequel on est exemplaire, sous ses yeux et agir comme s’il était là. Comme si on oeuvrait à ses côtés. Pour moi, ce sera Ariane Mnouchkine et le cadre du Stage tout frais que je viens de vivre.
Etre rigoureux. Prendre le temps de faire les choses bien, l’une après l’autre. Et entrer dans la joie qui suit la terreur. La vraie joie de celui qui est là et avance un pied après l’autre. C’est une chose qui se mesure, je trouve, assez bien, avec son degré de fatigue. Si vous êtes vraiment fatigués, c’est que vous ne vous donnez pas vraiment les moyens d’être là et de vivre ce que, je vous le rappelle, vous avez choisi de vivre !
Se rappeler de ceux qui rendent cela possible et dans la fatigue et la peur, scander leurs noms : je veux parler de ma femme Elisabeth qui a l’amour de m’autoriser cette semaine en assumant toute seule la vie de notre maison et que je dois garder près de moi ; qu’elle aussi puisse vivre à travers ces mots de la sincérité, cette aventure. Je veux parler de Rose, ma fille, qui ne va pas voir son père encore une fois et à laquelle je dois l’exemplarité pour que mes absences ne l’écartent pas de sa route d’enfant. De Jeanne aussi et de tous ces autres qui croient en moi et ont besoin de moi. De ce que je peux leur permettre de mesurer. Et des autres, ceux qui sont morts, mes pères, mes mères, ceux qui ont ouvert la route coûte que coûte et qui ont besoin que nous ayons cette exigence avec nous-même et la joie de vouloir continuer à faire respirer ce monde.
Allez. C’est l’heure !
A ce soir.