tard dans la nuit…

J’ai profité de ce retour parmi vous pour relire un peu les messages laissés au fil des jours, des mois. Et je constate (sans grand étonnement) que c’est assez difficile à suivre…

Par exemple, je ne suis pas revenu sur le désistement de la Tour d’Aigues, hors nous y avons bien joué et ce, le 11 août 2008. Jean Blanc, leur programmateur a finalement eu gain de cause, juste avant de se faire virer. Et c’est sans lui que nous avons été accueilli dans ce château. J’aurais aimé qu’il soit là. Qu’il voit ce que cette prise de risque avait engendré.

Par exemple, je ne vous ai jamais raconté Tokyo au grand coeur, l’immense mégapole et les rendez-vous pris, eus. Les rencontres, avec Aki San, avec cette jeune troupe plongée dans le théâtre contemporain et qui paye pour jouer – Là-bas, les programmateurs sont rares et les théâtres se louent. On vit à la recette et de petits boulots trouvés à côté. Et pourtant… je n’ai jamais vu autant de jeunes gens dans une salle de théâtre que le soir de leur représentation ! – ni comment Vincent Guenneau nous a accueillis et guidés. Nous présentant les membres de la famille Kita (famille de Nô) et leur butaï fraichement refait, nous emmenant avec lui au Conservatoire National de Nô où nous avons découvert un outils magnifique, avec tous ses costumes, ses masques, avec son butaï épuré… Ah comme j’aurais aimé, moi aussi, étudier dans ce cadre.

Par exemple, je ne vous ai pas raconté, comment excédé du comportement si peu responsable de certains membres de La Maison du Japon en Méditerranée, je me suis fâché avec l’un d’eux à la sortie de notre première représentation, ni la violence de leur réaction.

Par exemple, je ne vous ai pas dit que la Fondation Beaumarchais avait refusé ma candidature et que cela m’avait réellement affecté, surtout quand, au Festival d’Avignon, je suis allé, pour savoir de quoi il en retournait, un spectacle qui avait eu l’aide à la création. Une comédie musicale sur « Le Songe d’une nuit d’été » de W. Shakespeare. J’étais avec Rose et je me suis dit que ce serait une belle entrée en matière Shakespearienne pour elle. Et bien, devinez ! C’était irrespirable, attroce même ! D’une puérilité, d’une facilitén d’une vulgarité digne de Ronald, le clown Mac Donnald’s. Quelle frustration et quelle colère… savoir que ce ramassis d’inepties avait eu une bourse quand mes « Illusions Tragiques » s’étaient vues rejetées…. Dur à avaler !

Par exemple….
… il y a eu tellement d’autres choses ! Mais revenons au temps présent…

Au temps présent, je travaille à la réalisation d’un spectacle sur Picasso pour un événement qui s’appelle « C’est Sud » et qui a lieu, chaque année, à Aix en Provence. C’est un événement destiné avant tout au jeune public. Jeune public, Picasso… autant dire que pour votre dévoué, les cartes à jouer ne sont pas aisés. Alors j’ai lu tout ce que j’ai trouvé, cherché, tourné, retourné tout cela dans tous les sens et ce matin, j’ai enfin décroché mon téléphone pour appeler Thierry Roche, un des responsables de la Culture à Aix en Provence, pour lui dire que j’étais prêt à lui présenter ma proposition… (si ça marche, je vous en dirai plus).

D’un autre côté, j’essaye d’avancer sur « Atsumori », le Théâtre Nô, le Japon. Peut-être aurons-nous cette date à la Maison de la Culture du Japon à Paris. Il en est toujours question. Ainsi que d’une dizaine de jours de résidence au Théâtre de l’Aquarium à Paris où je voudrais en profiter pour filmer « Atsumori » dans de bonnes conditions (les contacts au Japon me demandent une vidéo et sans cela, j’ai bien peur que rien ne se débloque là-bas), mais surtout, le présenter aux parisiens. Par la même occasion, il s’agirait de profiter de ce temps là pour présenter parallèlement « Elle Attend », solo de danse théâtre que nous avons créé en 2004 et que je voudrais absolument voir exister et tourner !

Mon troisième, c’est l’adaptation du roman : « Le Démon du Nô » de Nobuko Albery au théâtre avec Vincent Guenneau, mon complice franco-japonais, diplômé de nô et disciple de Monsieur Kano. L’idée étant de réunir sur scène des acteurs occidentaux et de vrais acteurs de nôs. Ce roman retrace la vie de Zéami, le créateur du théâtre Nô. On y verrait et entendrait des éléments sur la vie et l’oeuvre de Zéami et parallèlement des scènes (type scène de répétitions) jouées par de vrais acteurs de nôs, de façon traditionnelle, mais avec les commentaires de Zéami (les « retours ») qui permettraient en plus de la dimension dramatique, d’y insérer des parties plus « pédagogiques ».Et là encore, c’est une sacrée gageure comme vous pouvez aisément vous l’imaginer.

Si cela arrive à se mettre en route, l’idée serait de partir à Kyoto un an pour pouvoir écrire ce texte et commencer à réunir les différents interprêtes et producteurs de ce pari totalement fou et génial. Je précise que c’est sur une idée de Vincent que nous avons élaboré ce projet !

Mon quatrième, et je m’arrêterai là pour ce soir… C’est l’opportunité que pourrait nous offrir « Marseille Capitale de la Culture » en 2013. Je voudrais profiter de ce grand chambardement pour proposer un autre moyen de porter la culture et avant tout le spectacle vivant par ici et si possible, être un des pilotes de cette expérience (Ben oui, faut pas exagérer tout de même!). Quelle est-elle, me demanderez-vous ?
Ce serait long à vous expliquer et il n’est plus l’heure !
Pour faire court. Ici, faire vivre un spectacle coûte très cher et est très ardu. Nous arrivons à trouver des budgets pour créer (enfin moi non, mais les autres… certains) et il faut se battre bec et ongles pour jouer 1 fois, voire 2 ou 3 si vous êtes très très fort !!!! Au final, même les « grandes compagnies » (je mets entre guillemets, parce qu’ici grandes ne veut pas dire grand chose justement) jouent entre 10 et 15 fois par an. Ce n’est pas suffisant. Je voudrais proposer des programmations au mois, au trimestre même ! Et si l’on calcule, on se rend compte qu’au final celà coûte beaucoup moins cher de travailler sur des sessions longues. On s’interdit ca ici, soit disant parce qu’il n’y a pas de public ! Mais à jouer ce jeu là, il y en aura de moins en moins. Même moi, quand je veux vraiment voir des bons spectacles, je file où… à Paris. Et pour cause ! Un spectacle qui ne joue pas souvent s’abîme, se raidit, perd de sa fraicheur, son caractère. Et quand un spectacle est bon, on se déplace même d’ailleurs pour venir le voir ! Arrêtons donc de pleurer et retroussons nos manches. Mettons en place de vrais théâtres qui jouent tous les soirs. Nous aurons de meilleurs acteurs, de meilleurs metteurs en scène, de meilleurs spectacles. De quoi faire travailler les jeunes acteurs qui sortant des écoles ici et ne trouvant pas de boulot ne trouve rien de mieux à faire que de créer leur propre compagnie ! Nous pourrons travailler vraiment et églament avec les publics. Et enfin créer un mouvement de vie ! Ce qui ici est loin d’être gagné. Si nous n’agissons pas, je peux déjà vous prédire la suite. En 2013, les grands événements seront assurés par des équipes parisiennes. Ce serait dommage de ne pas tenter quelque chose, non ?

Bon allez… DODO !!!!!

A demain ?!

Retour au texte…

photo de Jeremie GIRARD – Atsumori à la Tour d’Aigues – Août 2008

Bon…
Deux mois de silence, c’est long. Pas qu’il n’y ait pas d’événements marquants durant ces deux derniers mois, loin s’en faut ! Mais se tenir à un tel exercice est ardu, vraiment !

Il va falloir que vous m’aidiez et je trouverai le moyen de vous faire venir plus nombreux chaque jour. Pas pour détenir quelque chose, mais parce que pour partager, on ne peut le faire seul et que je voudrais que mon expérience serve à quelque chose. Ici aussi !

J’ai travaillé une bonne partie de l’été. En tant que technicien surtout. Il y a eu ce très beau moment d' »Atsumori » à la Tour d’Aigues où enfin, il était à sa place ! Dans un théâtre occidental. Tout petit au milieu de cet océan noir fait de tapis de danse, notre îlot de lignes blanches représentant l’espace. C’est l’espace vide, l’espace nécessaire ! Laissant toute la place au jeu des acteurs, au texte, à la lumière. C’était à la fois plus japonais que jamais et en même temps plus universel aussi ; le public ne se retrouvant pas confrontés à un espace étranger, mais accueillant l’étrange dans un espace connu. Il semble que ça ait beaucoup plu. Mais qui n’est pas plus mal placé que le metteur en scène pour savoir réellement ces choses là ? Qu’importe, pour nous, l’équipe, ce fut un grand moment. Vraiment.

La fin de l’été, je l’ai passé à ranger, à redonner corps à mon espace de vie. Pour l’habiter enfin ! Et pouvoir y travailler sans excuses, sans retranchements. Et ma foi, c’est très agréable. Quelques projets sur le feu, peut-être quelques dates à venir ? Nous verrons cela très prochainement. Les mois qui arrivent seront riches…

Et moi, vous me retrouverez tous les soirs. Ici, à la même heure.

Bonne rentrée à tous.

Et la suite ?

Pas très bavard ces derniers temps…
Pas qu’il ne passe rien, non ! ni qu’il s’en passe trop… je goûte depuis une semaine un petit moment de vacances qui me submerge tout !

C’est le temps d’abandon avant celui de l’action. Le temps où l’on tente de faire le point. Sur ce qui a été réalisé et ce qu’il reste à faire… et le constat n’est pas glorieux ! Non ! Toujours au même point, quasiment ! C’est vrai que j’ai inscrit encore un spectacle au ciel de ma vie, mais il n’aura joué que trois fois et je ne vois pas aujourd’hui comment il pourrait en être autrement. Peut-être n’ai-je pas les épaules pour mener ces histoires plus loin que là où elles tombent ? Peut-être n’en ai-je pas le talent, ni la force ? Je n’ai pas encore 34 ans… je regarde mes muscles fatigués, mes yeux cernés et mon espoir froissé. Je regarde les pas derrière et je compte ce qu’ils m’ont coûté. Je regarde le chemin devant et je ne vois pas comment je pourrais continuer à porter ce corps abîmé sur ce si long chemin. Éternelle côte !

En même temps… en même temps, les années qui passent me lavent des scories de ce monde dégénérescent. A chaque effort, je perds un rêve imbécile. Un rêve de pouvoir, de possession, de richesse, de gloire. Et ne m’en porte que mieux ! Sûr d’être là où je le dois et de tenir ce qui est précieux vraiment au creux de cette paume calleuse, aride, sèche de tant de combats.

La fin d’année aura été dure ! (et oui je compte en années scolaires comme les enfants!) J’y ai perdu ma place au sein de la Maison du Japon en Méditerranée et plus grave », mon accès au Théâtre Nô d’Aix en Provence, j’ai vu l’ébauche de mes « Illusions Tragiques » refusée par la fondation Beaumarchais au profit d’oeuvres débiles et vulgaires! Et je regarde Atsumori se délité petit à petit, sachant que chaque heure qui passe nous rapproche de la dernière. Sachant que ces dates espacées nous coûtent plus qu’elles nous offrent. Et pourtant, comme elles m’ont coûté ! Pour les négocier, les mettre en place, les obtenir ces trois dates ! Trois ! Et le travail pour le faire exister. L’adaptation, les réflexions, les voyages, les répétitions, les costumes cherchés à Paris, les acteurs à convaincre, les heures passées sur scène et hors scène… une vie ! Est-ce que ce spectacle mérite ça ? Non, je ne crois pas… Atsumori s’en va… il disparaît un peu plus chaque jour. Emportant avec lui sa jeunesse pas vécue et notre maturité à venir. M’arrachant au coeur une poignée de rêves. Me montrant face à ceux que j’ai tout fait pour emmener avec moi, un petit capitaine de pacotille !

Est-ce que je suis sans fond ? N’y a-t-il pas un moment où je ne pourrais plus faire un pas de plus, submergé par mes blessures ? Combien d’années encore tiendrais-je avant de jeter l’éponge ?

Pourtant au fond de moi, je sais bien que mon parcours est juste ! Je le sais… Quand je regarde ces phrases inscrites sur mon ciel, je le vois bien ! J’ai réalisé ce que j’avais à réalisé. Avec des erreurs, bien sûr. Avec des maladresses aussi. Mais les mots qui sont là sont bien les miens et je les porte avec la même ferveur qu’au premier jour. Sûr de pouvoir mourir à chaque instant sans regret. Sans regret et sans peur.

Parce que ceux dans ceux qui ont vu mes oeuvres, il ne se peut pas que personne n’ai subi de transformation profonde. Il en existe au moins un, au moins deux. Et qui aujourd’hui portent le sens de mon combat ailleurs, autrement. Forts de cette chair que j’ai abandonné à eux, sans autre volonté que de partager l’indicible.

Pause…

Petit jour de pause…

Juste là, en équilibre. Entre ici et ailleurs. Entre hier et demain. Debout. Les yeux en dedans et le souffle sourd de celui qui étire le temps jusqu’à l’épuisement, mais là. A écouter le tourbillon des questions qui assaillent dès que le corps n’est plus sollicité. Combien de jours encore ? Pourquoi ? Pour qui ? Et la mort… me prendra-t-elle ce soir ou me laissera-t-elle quelques jours de répit ?

J’ai tant de choses à bâtir.

Je pense souvent à Alexandre le Grand ces temps-ci. A cet homme qui en a mené tant d’autres avec lui, capable de sortir de ses entrailles la dernière goutte d’espoir pour l’offrir en pâture à ceux qui ne pourraient jamais le comprendre. Obligé de fouler au pied son propre coeur, pour faire taire les tremblements et les larmes, pourtant si légitimes. Peut-on faire autrement quand on sait que des milliers et des milliers de vie s’en remettent à vous, complètement ? Être un chef veut dire accepter de porter la terreur de l’ignorance enfoncée dans la gorge et le sourire dessiné au scalpel. Enfant condamné à la solitude exemplaire de celui qui jamais ne peut délasser ses muscles. Parce qu’il porte, parce qu’il portera coûte que coûte tous ceux qui se sont mis sur sa route. Tout ceux qui ne veulent pas ou ne peuvent pas porter. Et cela pourquoi ? Pour la gloire ?! Non, pas pour la gloire… la gloire ne veut rien dire. La gloire n’est qu’un mot pour l’après, pour l’autre, mais jamais pour le présent, ni pour soi. Par hasard, peut-être. Par amour, possiblement. Pour la fragilité d’une âme qui se sait pas à sa place et qui préfère se faire dévorer que de rester assise là, immobile !

Quels artistes aujourd’hui peuvent en dire autant ? Peu… si peu ! Pourtant, nous sommes censés être de cette essence. Nous nous devons d’être de cette essence. Nous nous devons d’être des martyrs. Pas de faire pour réussir, mais parce qu’il ne peut en être autrement. Parce qu’une âme de cette nature ne peut supporter d’être assise là à attendre. Elle préfère la beauté de la mort à l’horreur de l’immobilité. Elle préfère la puissance des yeux crevés au tison que la lâcheté de l’aveuglement. Elle préfère le goût du sang sur la langue que le confort d’une nourriture qui endort et empâte.

Nous avons le devoir de nous tuer à la tâche. Pour que tous les autres puissent vivre ! Pour que tous les autres vivent….

Vivre…

Le 25 juin 2008, nous avons joué « Atsumori » une deuxième fois à l’occasion du Festival Musique dans la Rue. Bien sûr, comme vous le savez si vous suivez nos aventures, nous n’avons pas eu les moyens de mettre en place la structure que nous voulions faire pour mettre en valeur ce Théâtre Nô, le seul hors du Japon. Mais nous nous sommes battus. Et ce que nous n’avons pas eu avec des sous, nous l’avons eu grâce au courage, à la confiance, à la foi et la mâturité de ceux qui nous accompagnent. Ensemble, nous avons bâti autour de ce théâtre, un écrin fait de bric et de broc, mais avec tellement de soin et d’attention que le résultat en était saisissant. Le public ne s’y est pas trompé, puisqu’il est venu 300 personnes. Ce que j’amais le Théâtre Nô d’Aix en Provence n’avait vu. Et moi je n’avais jamais vu le Théâtre Nô d’Aix en Provence comme ça. Un vrai grand et beau moment de vie.

Se réveiller, épuisé…

Le ciel n’a pas bougé, l’air semble porter le même regard qu’hier et pourtant…

Pourtant, accompagné d’une dizaine d’hommes et de femmes, Je viens de remporter ma plus belle bataille !

Pourtant, j’ai vu les visage de mes paires lavés par la fatigue et le soleil brûlant sur leur dos. Pas un n’a fléchi, pas un n’a abandonné. Pas un ! Sur le champ de cette ultime bataille, avec tout leur courage, toute leurs forces, leur générosité, ils se sont donnés jusqu’au delà. Si beaux, si grands. Des messagers de l’Homme… de l’Homme qu’on ne voit plus!

Merci Marc, merci.

Merci Fred, merci.

Merci Manu, merci.

Merci mes acolytes, Killian et Stéphane, merci.

Et toi mon amour, ma douleur, merci.

Et vous, mes amis et partenaires de scène, merci.

Ensemble, nous avons réalisé ce que souvent plus personne n’ose. Avoir la folie d’y croire et se donner les moyens de le partager. Sans rien attendre en retour que le partage !

Et voilà qu’Ozu…

Vendredi…
et pas une seconde avant ce jour pour venir vous trouver !
La fin du stage s’enchaîne avec une aventure passionnante, la création d’une bande son jouée en direct sur le film : « Histoire d’Herbes Flottantes » de Yasujiro Ozu.

Nous avons cinq jours pour finaliser cet instant de cinéma.

Avec Marc et Gilles -installés dans le salon qui devient, pendant cette courte période, un studio de création où l’on peine à circuler parmi les instruments de toute sorte : piano, saz, violon, guitare et son lot de pédales, xylophone, percussions, psaltérion, etc. Avec le lot d’amplis, les câbles qui serpentent dans cette pièce plutôt grande, au demeurant, les fenêtres calfeutrées par des couvertures et le rétro-projecteur qui souffle à nos oreilles toute la journée- nous découvrons ce film à chaque cession, un peu plus. Comme un partenaire de scène. Et quel partenaire !

C’est drôle comme le film, cet objet devient au fil des heures un être, presque vivant. Comme s’il profitait de notre attention et de notre attitude pour nous révéler des choses qu’il garde pour lui, dessous.

Les acteurs prennent du relief, les personnages de la chair et nous vibrons tous les trois en les accompagnant. Instants de vie de ces gens du voyage, de ces saltimbanques qui nous ressemblent. Si émouvants dans leur abord, si singuliers aussi. Rose s’endort sur le canapé, c’est l’histoire que son papa ne pourra pas lui raconter ce soir, parce que ce soir il est au Japon, dans les années trente et qu’il ne pourra pas revenir. On fait des pauses. On sort fumer des cigarettes, le film imprimé sur la rétine. On ne parle pas beaucoup. On écoute. Je porte Rose jusqu’à son lit… »je reviendrai bientôt mon amour… »

Et puis, c’est Jeudi. On se lève aux aurores. On défait notre studio pour l’emmener à l’Institut de l’Image d’Aix en Provence. Moi, je file retrouver Xavier, le régisseur son, au local d’Aix en Musique, pour charger avec lui le matériel qui nous permettra de retranscrire le salon dans cette salle Armand Lumel de la Méjane à Aix. On s’installe. Face à l’écran, en arc de cercle. On déplie notre matériel. Ce soir, sur cet écran vide, l’histoire de ces Herbes Flottantes se jouera une nouvelle fois.

J’ai peur. Je ne suis pas musicien. Je suis juste un homme de théâtre qui voudrait pouvoir transmettre ce que le film m’a offert pendant ces journées. Juste montrer au gens la chair de ces êtres, si sensible ! Et ne pas rater ce rendez-vous avec eux. Je pense au petit garçon, au chef de troupe, à ses femmes et son fils. Se centrer, se concentrer pour leur laisser la place de traverser les cent spectateurs qui seront là ce soir.

Il est vingt heures, nous descendons des loges. Habillés de Hakamas noirs, nous longeons les gradins pour nous mettre en place devant le film. Nous sommes les samuraï des temps modernes, prêts à mourir pour la justesse d’un geste… Nous nous installons, nos regards se croisent une dernière fois. La salle plonge dans le noir et tous les trois nous plongeons avec eux.

Je crois que nous avons réussi. La salle est muette, accrochée aux visages qu’Ozu sait si bien filmer. Et nous sommes ailleurs, avec eux, ensemble. Une parenthèse ! Un instant se suspension ! Une expérience avec tout ce que ce mot garde en lui pour ceux qui savent s’y risquer, humblement.

Aujourd’hui, c’est Vendredi. Marc et Gilles sont partis tôt ce matin. Moi, j’ai dormi. Il est 15h maintenant et je n’arrive pas à sortir de là. Je repense à ces hommes et ces femmes qui sont sur cette pellicule et avec qui j’ai fait un voyage qui restera inscrit pendant encore longtemps sur la face interne de ma rétine.

Merci à toi Yasujiro !

fin de stage…

Ca y est, le stage avec les enseignants est fini.
Trois journées de six heures pour essayer de donner à ressentir ce que des formes très strictes comme le Nô peuvent offrir comme appuis à ces hommes et ces femmes qui accompagnent leurs élèves et voudraient les aider à devenir des Hommes. Mission difficile s’il en est ! Et en même temps, mission capitale. Parce qu’en leurs mains à tous passent ceux qui décideront du monde de demain et qu’ils ont à se confronter à des dérives de plus en plus lourdes et meurtrières. Souvent face au mépris et à l’ignorance de ceux qui les entourent.
Gens de la télévision, gens des médias, tueurs nés, tueurs en série ! Comment pouvez-vous continuer tous les jours à souiller les pages d’aujourd’hui et de demain ? Comment pouvez-vous ne pas vous rendre compte des dégâts que vous faites ? Irrémédiables dégâts ! Et comment se fait-il qu’il n’y ait pas de gardes fous plus puissants pour vous faire face ! Un jeune qui veut devenir médecin va travailler plus de dix ans pour y parvenir et avoir le droit d’approcher un être humain et ici, on vous ouvre les portes comme cela ! Sur votre belle figure ! Et plus vous êtes dangereux, et plus vous êtes irresponsable, et plus la place vous est ouverte, alors que chacune de vos paroles touche un million d’êtres… y laissant des traces à tout jamais ! 
Le temps a perdu son fil. On construit pour l’immédiat, mais on oublie que notre temps n’est qu’un temps de passage et que ce que nous mettons en place résonnera bien plus loin que le corps ne pourra jamais nous porter. L’immédiat refuse la pensée, refuse la construction, la réflexion, l’intelligence et nous lui vouons un culte ?
Heureusement, d’autres sont là ! Ces hommes et ces femmes qui, tous les jours, accueillent vos enfants et font face. A la destruction massive dont nous sommes tous coupables ! Et c’était un vrai bonheur de les voir là, plonger dans cet univers si singulier avec tout leur courage pour découvrir ces nouveaux outils à guérir les plaies purulentes que ce monde vitesse ne prend pas le temps de panser.
Trois jours et de belles rencontres. Avec un temps devenu autre, précieux et délicat. Un peu de mon parcours et de mon chemin de bataille donné à d’autres yeux, à d’autres coeurs qui en feront de nouvelles choses, de nouveaux gestes, de nouveaux codes. Un moment de partage intense et rigoureux. Et d’espoir… oui d’espoir !
Merci à vous 15 et à toi Christophe qui a rendu cet instant possible. Je m’en vais, plus fort et plus serein, affronter les tempêtes qui se préparent.
Plus fort et plus serein.

Réveil tardif…

Tourner la page encore vibrante de ce mois écoulé au côté d’Atsumori et retrouver l’énergie de faire un nouveau pas, une nouvelle rencontre.

Mardi, j’attaque un stage avec des enseignants sur le théâtre Nô, en tout cas, sur ce qui, à mon sens, dans le théâtre Nô, peut être utile dans la formation de jeunes acteurs. A savoir une forme rigoureuse, une poétique qui fait décoller de nos problématiques pour mieux y revenir, un pas de côté qui permet la résonance et le questionnement. Un beau programme…

Du coup, il faut que je prépare ce moment de trois jours pour leur donner suffisamment de pistes, qu’ils puissent emmener leurs élèves vers ces horizons oubliés.

De quoi interroger mes approches et chercher les mots qui manquent à ce puzzle géant.

C’est toujours bon de se confronter à la transmission passive après l’active. Enfin, je crois…

Nous verrons bien !

un samedi sur la terre

3 jours se sont passés depuis la représentation…
3 jours où le silence est revenu aussi vite qu’il avait disparu.
Où sont Marc, Gilles, Jean-Charles en ce moment… et Pipok !
Les costumes ont retrouvé leur portant, les maquillages leur valise et le texte, l’étagère sur laquelle il a dormi dix ans avant de devenir l’objet de tous nos soins, de tous nos regards, de tous nos rêves…
Je me sens comme eux… Exactement !