No sleep tonight… meeting with Zeami. Bonne fête nat !

Comment retrouver un Zeami dans ce dédale de rues… un casse-tête japonais.

No sleep tonight…

En effet, après vous avoir quitté et réglé mes 450 yens d’”Internet Café” -il faut l’entendre dit par un japonais pour en comprendre toute sa saveur-, je rentre à l’auberge Takaya pour y passer une nuit de sommeil bien méritée. Après la énième douche de la journée, la dernière cigarette au clair de lune, je regagne ma chambre. Et là… insomnie. Je tourne une heure, deux heures, mais rien n’y fait. Comme je n’ai pas trouvé le “Kanze Inari Shrine” – l’autel de prière des Kanze où se trouve un morceau du mur de leur maison- je décide de faire le périple de nuit. Bien oui, pourquoi pas ! Au moins, je profite de la fraîcheur nocturne et ce n’est pas un mal. Mais d’abord, je vais manger. Avec ces sautes-repas à répétition et le décalage horaire, j’ai une faim de loup. Heureusement ici il y a plein de cantines ouvertes 24 heures sur 24. Je jette mon dévolu sur un restaurant de nouilles. Je commande mon plat sur une machine où tout est écrit en japonais – le cuisinier vient me montrer sur quel bouton appuyer… je sais c’est un peu bizarre, surtout qu’un instant après il réceptionne mon ticket et fait mine de découvrir ce qu’il va me préparer… ah ! le Japon… – et m’installe au comptoir. J’avale mon plat tout rond, agrémenté d’un bol de soupe offert en prime et file avec ma bicyclette à la recherche de cet autel caché.

je découvre quand même quelques temples…

A chaque carrefour, je m’arrête, regarde mon plan en japonais et continue à me promener un peu au hasard. Cet autel n’est indiqué nulle part, aucun guide n’en fait mention et personne ne semble savoir qu’il existe. Mais ce n’est pas cela qui me fait peur. Après deux heures de recherche infructueuse – je découvre quand même quelques temples, dont un ouvert et en travaux dans lequel je m’arrête respirer l’air de la nuit. C’est très étrange de se retrouver là , sans personne, sous cette lune croissante, avec ces édifices si imposants et ces arbres plusieurs fois centenaires- je décide de retourner me coucher. Nouvelle douche, nouveau cérémonial de dodo et… toujours rien ! Impossible de m’endormir ! J’en profite pour regarder “Inori”, le nô créé par Udaka Sensei sur le massacre d’Hiroshima . La vidéo a été enregistrée à Paris, lors de sa venue à la Maison de la Culture du Japon, mais cela ne m’endort pas du tout. C’est même très stimulant. La première partie est dite par une femme, entre nô et théâtre moderne. J’y vois plein de clés pour mon travail. Le nô quand à lui est très surprenant. Les masques sont magnifiques et très vivants. Le waki est masqué aussi, il ressemble presque à un personnage de Kyôgen. Kyôgen qui est masqué lui aussi. Maître Udaka joue une mère qui a perdu ses enfants avec un masque fascinant, très profondément marqué par les masques de nô, mais absolument différent. Pourtant l’effet est là. je vois encore un esprit palpable. Quel art étrange… il est 5 heures, le soleil se lève déjà.

Un petit gardien dans l’herbe… au hasard des chemins. « Kanze Inori ? »

Du coup, moi aussi je me lève. Je veux voir Kyôto dans les lumières du soleil levant… mais, tu parles ! C’est sans compter sur les nuages et la blancheur du ciel qui est ici permanente – à cette saison !. Avant de partir, je regarde bien le seul document que j’ai en ma possession et qui fait mention de cet autel. Le problème est que le plan lié à cette info est très grossier. Ca laisse au moins quatre pâtés de maison qui pourraient être les bons. Qu’importe, je veux trouver cet autel, je le trouverai ! En plus, je me dis que s’il devait en être autrement, les esprits des Kanze m’auraient laissé dormir !

A la croisée des temples… avec le soleil qui se lève. Bienvenue à Kyôto

Je m’arrête acheter un café glacé et un gâteau et tente d’aller quelques pâtés plus loin que lors de ma dernière chasse. Je trouve un petit temple ! Ouah ! Ca doit être là… j’y vais, mais je ne suis pas convaincu. N’empêche que cette visite est aussi surprenante que celle de tout à l’heure. C’est drôle quand il n’y a personne comme le calme et le surnaturel sont présents. En ressortant de là, je vois deux dames qui finissent de balayer un parc. Je vais les trouver et leur demande. Elles sont âgées, elles travaillent là, peut-être sauront-elles quelque chose ?

Dans le petit parc – Un parc pour promener les chiens !

Malheureusement elles ne parlent pas anglais. Mais elles semblent comprendre de quoi je parle. “Oui ! Kanze Inori ! Kanze Inori ! Koko…” Je leur montre mon plan et leur pointe une école que j’ai entouré en croyant que c’était un temple – je vous rappelle que mon plan est en japonais. Elles me font de grands signes de tête et semblent vouloir dire que c’est là… mais est-ce ça ou simplement de la courtoisie ou de l’incompréhension. Je veux en avoir le coeur net et je fais le tour du pâté de maison pour voir l’entrée de cette école. Mais il n’y a aucune trace de temple ou d’autel. Juste une stèle. Grrrr… et moi qui ne sait pas lire le japonais. En plus je n’ai sur moi aucun document où le nom des Kanze est écrit en japonais. Un livreur s’est arrêté, il sort des bouteilles de lait de son camion. Je lui montre la stèle : “Kanze ?” “Ie – non” “Do you know where is the Kanze Inori Shrine?” Je le vois paniquer à l’idée de devoir parler anglais…. il me dit :”Police Center, police center!” en me montrant l’angle de la rue. Je n’ai aucune envie de voir les policiers ! Mais il fait le chemin, je suis bien obligé de le suivre. Arrivé à ce petit bureau, il pousse la porte coulissante. Il n’y a personne, mais il prend le téléphone qui est sur le bureau et compose un numéro. “Non ! Il ne va quand même pas réveiller les flics pour ça ! “ Trop tard…. il l’a fait. Il me donne le combiné. “Have you a problem ?” “No, no ! I search the Kanze Inori Shrine” “Ok ! I come” “What ?! No, it’s not necessary” “Wait ten minutes. I come with my motocycle. Where are you ? Witch Police Center ?” “I don’t know… heu… I see a market. Lawson market…” “Ok ! I come”… qu’est-ce que j’ai fait ! Ils sont fous ces japonais. Voilà que la police arrive maintenant pour m’aider à trouver un temple à 6 heures du matin.

One more shrine… des autels, il y en a à chaque coin de rue… celui des Kanze ? Not at all…

Je m’installe dehors et bois mon café en l’attendant. Il arrive sur son scooter quelques minutes après. Nous passons au moins une demie heure à chercher. D’abord il faut lui permettre de comprendre comment s’écrit Kanze. Pour qu’il puisse le chercher avec son mini ordinateur qui fait office de traducteur en même temps. Je me souviens du Kanze Kaikan. Le voilà qui s’exclame qu’il a trouvé. Oui, il a trouvé le Kanze Kaikan et il est très content, mais vraiment très. Je le remercie et tente de lui expliquer que je connais le Kaikan, là ce que je veux trouver c’est le Inori, Kanze Inori et que je lui parlé du Kaikan pour qu’il trouve comment écrire Kanze. Ouf ! Pas simple… mais il a beau chercher et avec la bonne écriture, impossible pour lui de trouver quoi que ce soit. Si ! Que dis-je ! Bien sûr que si, il finit par me dire que là où nous sommes ça s’appelle la “KANZE TOWN”, juste ce pâté de maison là !!!! Tu parles d’une info ! Je sens que j’y suis presque et qu’effectivement l’autel doit se trouver tout proche, juste là ! Avant de le quitter, je lui demande de m’écrire KANZE au cas où je croiserai l’autel. Il est très heureux d’avoir appris qu’ici c’était la KANZE TOWN du fait que les Kanze -Zeami, Kanami et leurs descendants – y avaient vécu. “Today I learn something ! Thank’s ! “ C’est moi qui me confond en excuses et en remerciements de lui avoir fait passer pas loin d’une heure à chercher un autel que personne plus jamais ne lui demandera et qu’en plus, au final, il ne sait pas où placer.

The KANZE TOWN, dixit le policier. Deux semaines de Lune de Miel en Europe : France, Espagne, Italie… et le voilà qui rencontre Zeami.


Je repars avec ma bicyclette et fais le tour de la “Kanze Town”, un pâté de maison un peu plus vaste. Je m’arrête à chaque autel, je prends des photos, je sors mon carnet pour vérifier si je ne retrouve pas les kanji. Mais non, je ne trouve rien. Il est 07h30, je repasse dans la rue de l’école, le portail est ouvert. Une dame qui fait la circulation est devant l’entrée. Je lui demande si elle sait où est l’autel Kanze, elle me répond tout naturellement dans un bon anglais qu’il est dans la cour de l’école. Je pose mon vélo. J’entre avec les enfants qui commencent à arriver. Je ne vois pas d’adultes et en plus il faut lever ses chaussures pour entrer et moi je suis en tongues, donc pieds nus si j’entre. Je reste là un moment et attend qu’un adulte passe. La femme croisée à l’entrée me fait signe de traverser le hall. “De l’autre côté !” Allez ! Je prends mon courage et j’y vais. J’enlève mes tongues et je traverse le hall pour atterrir dans la cour arrière. Je fais le tour de la cour sans rien voir. Puis en revenant sur mes pas, je me rappelle que de l’extérieur, j’ai vu un endroit qui pouvait ressembler à un autel, juste derrière le bâtiment. Je longe donc le corps de bâtiment et je tombe nez à nez avec une plaque écrite à la peinture blanche. Je regarde les kanjis. Oui… Kan-Ze. C’est là ! Il est 8 heures et je suis devant l’autel des Kanze. A l’endroit où se dressait jadis la maison de Kanami et de Zeami. Un homme arrive qui me demande ce que je fais là. Je lui explique…”I’m a writer -oh ! le menteur- and I write a book on Zeami. Can I enter and pray ?” “Yes” et il repart me laissant seul avec le droit d’ouvrir le portail qui me sépare de l’autel.

L’entrée de l’école… le hall à traverser avant l’autel… suspens

Là en haut c’est écrit Kan – Ze… c’est le policier qui me l’a expliqué et dessiné dans mon carnet

J’entre… et là encore, je sens une vibration incroyable qui me traverse. Comme avec le Dragon. Je me mets en seiza et je me prosterne devant l’autel. Je pleure. La fatigue peut-être ? Oui, je pleure. D’être là devant l’autel de ces hommes que je suis depuis quinze ans. Je sers le bout de mur dans mes bras. J’essaye d’écouter ce que la pierre raconte. Je reste un long moment ainsi. Puis avant de partir, je prends tout en photo. Chaque pierre, chaque écriture. Et je sors, comme un voleur, par le portail arrière qui est ouvert à présent. Sûrement, un geste bienveillant de l’homme qui est venu tout à l’heure. En remontant sur mon vélo, tout chancelant, je me mets à sourire, mais à vraiment sourire. Zeami et Kanami dans une cour d’école avec tous ces enfants. La transmission de la fleur !

Le Kanze Inori de l’intérieur… et moi je pleure.

Il est 9 h, j’arrive à la maison, j’écris ces lignes… je dormirai ce soir. Maintenant, j’ai un endroit où aller les retrouver. En moi, hors de moi. Partout, toujours.

Quel beau 14 juillet, isn’t it ?

Rencontre avec le Dragon

Rencontre avec le Dragon

L’arrivée à Kyôto s’est faite de nuit… et oui ! ici la nuit tombe entre 19 et 19h30. Au moment où j’ai levé mon nez de l’ordi, le ciel déjà sombre des nuages bas et menaçants à vite viré au noir. Heureusement, j’ai quand même eu le temps de voir quelques rizières et ces bandes de paysage toutes vertes. Incroyable spectacle !

Ma chambre… quelques tatamis, un futon

Kyôto est brûlant. C’est à peine si je réussi à respirer en sortant de la station n°6 de la première ligne, à savoir “Imadegawa”. C’est comme cela que j’imaginais la Corée ou le Vietnam, mais certainement pas Kyôto. Je file au plus vite de mes pas, ralentis par la grosse valise et l’air moite et tombe nez à nez avec Rebecca qui m’attend depuis quelques instants devant la pension “Takaya”. C’est une vieille dame aux cheveux gris et au bel anglais. Elle m’accompagne jusqu’à ma chambre où je découvre la dame qui tient cette auberge. Elle me fait faire un rapide tour du propriétaire et nous laisse en tête à tête avec Rebecca. Cette dernière m’explique un peu notre programme, me donne quelques prospectus et s’échappe sur son vélo. Avant de partir elle me donne rendez-vous le lendemain au Keikoba, la salle de travail de Maître Udaka, à 18 heures. D’ici là, il me faut trouver de quoi manger, un web bar et réparer ce voyage par une bonne nuit de sommeil.

Petit resto, salle fumeurs.

Il est 11 heures ce matin quand j’ouvre les yeux. Une douche, un rapide café (j’ai eu le temps la veille, avant de rentrer me coucher, de passer par un de ces supermarchés ouverts 24h/24. Un classique ici ! Le web bar aussi, c’est un 24/24 comme beaucoup d’autres choses… Je récupère ma bicyclette (qui fait partie de la location de la chambre) et file droit à la “Kyôto Station” pour y récupérer tous les plans et infos dont je vais avoir besoin pendant mon séjour. Je pensais être à dix minutes de vélo, mais je pédale pendant des heures (une sensation… je pense plutôt une grosse demie-heure). Arrivé à la Kyôto Station, je monte au 9eme floor, s’il vous plaît, et interroge les filles du Bureau International de la Préfecture de Kyôto. Sur Zeami et Kanami, elles ne savent rien ! Mais par contre, elles enrichissent mes poches d’un plan de la ville en romagi, d’un plan des bus et de quelques autres bricoles que je pioche au passage. Je découvre le Kyôto Art Center qui fait un stage de 8 jours sur le théâtre traditionnel japonais et semble aussi accueillir des artistes en résidence. Une fois repéré sur le plan, je file là-bas en vélo. Mais je ne trouve personne sur place pour me renseigner. Qu’importe ! J’en profite pour faire un tour dans leur jardin et découvre dans les rues adjacentes les préparatifs d’une fête dont Rebecca m’a parlé : La Gion Matsuri. Une sorte de fête où des chars de différents quartiers défilent. Ca, ce sera pour mercredi et jeudi. En attendant, ils préparent. Fanions, lampions, constructions en bois qui prennent toute la place dans les petites rues du Gion. C’est assez magique. Il y a un monde fou. Je me faufile avec mon vélo, prend quelques photos.

Les préparatifs de la fête de Gion

Comme les filles n’ont pu me renseoigner sur Zeami et que la seule info que j’ai réussi à glaner est qu’ils sauront peut-être me répondre au Kanze Kaikan, je décide d’aller y faire un tour. Mais il y a tellement de rues ici que le plan ne trouve pas nécessaire de les donner toutes. Du coup, je cherche le Kanze Kaikan pendant un long moment. “Ah ! C’est ici ! Comme c’est beau. Un temple en ruine presque…”. “Le Kanze Kaikan ? AH non, monsieur ! C’est trois rues plus loin.” Bref ! Au final, j’arrive à le trouver et… déception ! Ce n’est qu’un théâtre moderne et fermé de surcroît ! Certainement aucun lien avec Zeami, ni Kanami. Par contre dans l’endroit visité par mégarde, je suis sûr d’avoir senti quelque chose. Mais il est tard. Je n’ai pas encore mangé et j’ai rendez-vous à l’autre bout de la ville. Alors j’entre dans un supermarché, je m’achète… à boire ! et je vais m’étendre derrière le Kanze Kaikan. Là il y a une petite rivière qui passe entre des maisons. C’est un endroit très calme, propice à la méditation et au recueillement. Je traverse un tout petit pont et m’installe pour regarder les rides sur l’eau. Une dame d’un certain âge descend dans l’eau avec des bottes en caoutchouc malgré la chaleur. Elle tient son tout petit chien dans les bras. Une fois au fond -la rivière lui monte jusqu’aux mollets- elle dépose son chien dans l’eau et sort une balle rouge de sa poche. Et voilà le chien faisant des allés retours entre sa maîtresse et la balle en nageant. C’est une façon très malicieuse et savoureuse de se rafraîchir. Moi j’en profite pour essayer de faire un petit haiku du moment. “C’est quoi déjà 7/5/7 ?”’ Ca fait chi… suer ouais ! Est-ce qu’on ne peut pas se laisser aller si c’est pour essayer de laisser une vraie empreinte de l’instant, pas trop recherchée, pas trop travaillée, mais juste vraie ? Ca donne :

un tout petit pont qui traverse cette toute petite rivière

C’est une femme ou une statue
qui joue avec son chien
Les pieds dans la rivière ?

La rivière en question…

Le tintement de la cloche
le “glouglou” d’une rivière
Serait-ce un rêve ?

La femme au loin et son chien… si, si !

Balle rouge, Museau brun
Un chien se questionne
La mère ou la rivière ?

Un temple en réfection. Toute une structure métallique autour du style d’un hypermarché chez nous… incroyable !

Après je file ! Je passe par l’appartement, prends une douche, m’achète un café glacé devant l’entrée (au distributeur de boissons – 100 yens, la boisson. Niarf ! Niarf !) et prends le métro pour ne pas être en retard. J’arrive à l’heure dans cette salle de travail ou le sol porte en son centre la reproduction du carré d’un butai. C’est une vieille maison à la devanture traditionnelle. Ici, il y a tous les masques de Maître Udaka, ses costumes, ses livres avec ses annotations. Rebecca m’explique que ces notes dans les marges des livres sont le fruit de toute sa vie. De l’époque de son enseignement avec la transmission de son maître et de son expérience personnelle ensuite. Un vrai trésor. Maître Udaka l’a appelée pour qu’elle me montre ses masques. Il en a une armoire pleine. Rebecca me les sort, les uns après les autres. Elle me re-raconte l’histoire de Magojiro – Maître Udaka a un masque magnifique de Magojiro, une pure merveille – mais m’apprend que Magojiro est un masque Kongo. Il a été créé par les maîtres de masques qui travaillaient avec les Kongo. Wouah ! Alors, c’est normal que mon maître soit un Kongo ! Je pense à Magojiro, le premier. Celui que Erhard Stiefel m’a la première fois permis de porter et qui a fait tout ce bordel, ensuite celui qui est chez moi et celui-ci, le Kongo, la source de tout cela. On ne sait jamais… si Erhard ne m’avait pas raconté cette magnifique histoire, ni montré et permis de porter ce masque, peut-être aujourd’hui tout serait différent. C’est avec cela que je pars de là-bas. Cela et une autre rencontre incroyable que j’ai faite en chemin. La rencontre d’un dragon ! Un magnifique dragon cracheur d’eau purificatrice dans la cour du temple Higashi – Hongangi qu’ils sont en train de refaire complètement – il faut voir la structure qu’ils ont monté au dessus du temple pour le réparer… c’est colossal !. Au moment où j’ai puisé l’eau et lavé mes mains, un frisson m’a traversé et est apparu un homme. Un homme habillé d’une drôle de façon qui m’a fait signe. “Venez ! Venez ! “ Je m’exécute ! Je sais que c’est le dragon qui l’envoie, alors j’y vais les yeux fermés. Il se présente avec sa peau tannée et ses habits défraîchis, c’est un poète ! OUah ! Un poète japonais ayant grandi en Californie et qui a tout quitté pour écrire. Il vit de petits poèmes qu’il vend aux passants et se promène de par le monde. Parfois, il s’arrête un petit moment et écrit des romans – il en avait plein une petite pochette qu’il portait au côté droit, des liasses et des liasses de feuilles défraîchis – mais il vit sur la route. Il vient d’arriver à Kyôto et me parle longuement de Hiroshima où il vient de passer un moment. Nous resterons bien une heure à parler de tout, de rien. Moi à écouter ses poèmes en anglais, à regarder ses dessins et à lui apprendre quelques mots de français qu’ils notent dans un carnet pour écrire des haikus en français. “Les français aiment la culture ! Les français achèteraient mes poèmes ! Les japonais sont durs et froids ! Oui, très froids !”. Il s’appelle Hideo Asano.

Hideo Asano, Basho des temps modernes…

Je vous livre un des haïkus que je lui ai acheté :

Les oiseaux volent vers leurs nids
Sais-tu où tu vas ?
Des années lumières pour rentrer chez moi.

Hideo Asano

un autre…

Tiring long journey
Not made alone but along
With a small spider

Hideo Asano

Il avait avec lui un vieux livre tout corné de Ernest Hemingway, un autre grand voyageur.

Merci Dragon…

Merci Dragon !

Il est 23:39… je déconnecte ! Une heure de web bar 450 yens ! A demain…

On the Hikari… direction Kyôto

Je rentre dans cet immeuble et aperçoit sur la gauche une salle pleine de tatamis… ce doit être ici !

Il est 10 h 47 chez vous et ici, 17h46. Dans moins de deux heures maintenant, je serai à Kyôto, première base de mon voyage. Je dis “base”, parce que dans un premier temps, je n’y serai pas beaucoup. Etonnamment , je ne suis pas trop fatigué. Pourtant le passage éclair à Tôkyô n’a pas été de tout repos. En effet, après avoir choisi la gare de Tôkyô (c’est un quartier de Tôkyô) pour laisser mes bagages à la consigne – j’aurais préféré aller à Shinjuku, mais le départ du Shinkansen pour Kyôto se faisant à la gare de Tôkyô et mon premier rendez-vous avec Maître Udaka étant à Ganda, à une station de Tôkyô, je préfère m’arrêter ici – je fais une petite toilette dans les toilettes publiques qui n’ont rien à envier à nos plus belles salles de bain privées et hop ! je laisse mes bagages à la consigne. Attention, il faut prendre de sacrés repères. Ces gares sont des villes à elles toutes seules, un peu d’inattention et ce sera le cauchemar pour retrouver sa consigne au milieu des centaines d’autres qu’on peut trouver aux quatre coins de la gare. Donc… après avoir laissé mes bagages à la consigne automatique (un coup de Suica card, carte de métro Tôkyôïte qui sert à tout et qui a un numéro propre assurant à votre consigne de ne pouvoir être ouverte par uen autre carte que la vôtre), je file à Harajuku pour acheter un téléphone cellulaire histoire de prendre contact avec Rebecca Ogamo, l’assistante du maître qui attend de savoir à quelle heure j’arriverai en gare de Kyôto ce soir. Je vais au plus grand magasin de la Softbank (genre de Orange japonais) et commande un prépaid. Je m’en tire pour 11 000 yens avec 3000 yens de communication et une adresse mail attachée au téléphone (pratique pour relever ses mails quand on sait qu’ici le wifi est assez rare). La fille qui me sert est très sympathique, mais lente à en mourir et me voilà obligé de courir toute la ville pour arriver à l’heure à mon premier rendez-vous avec Maître Udaka. L’adresse 1-1-3 Uchikanda. Si si, c’est comme ça ici et avec un an de non exercice, je peux vous dire que c’est un sacré challenge. Il s’agit en fait de quartiers, puis de pâtés de maison, puis de maison dans ce pâté… le bordel ! Heureusement, les japonais sont toujours aussi serviables et je finis par arriver à bon port et à l’heure. Je rentre dans cet immeuble et aperçoit sur la gauche une salle pleine de tatamis… ce doit être ici ! Je rentre et oui, c’est bien là. Je me déchausse et pose mes souliers dans un casier prévu à cet effet et découvre une salle pleine de tatamis avec de grandes bâches bleues sur lesquelles sont installés des présentoirs en bois. Les gens commencent à arriver et me parlent… en japonais ! Heureusement, dans le lot, il y en a qui parlent quelques mots d’anglais. “Non, non, je ne suis pas journaliste. Je suis acteur et je viens suivre un stage avec Maître Udaka”. Et le voilà justement le Maître Udaka. Il me toise. Sympathiquement, mais sûrement. Il est très grand et a fière allure. On voit le samurai ou le seigneur de guerre au premier coup d’oeil. Il a quelque chose de très doux et de posé, mais en même temps il tient la distance. C’est un maître ! Les élèves eux sont curieux et viennent me voir. Chacun me montre son travail, son masque, où il en est par rapport à son voisin. Untel est plus avancé, l’autre débute. Maître Udaka fait le tour de tout le monde et dit à chacun quelques mots. Sa voix…. sa voix est très profonde, grave et chaleureuse. Une voix incroyable. Ouah! Moi qui voulais un maître et bien me voilà servi.

Ko-Omote, la plus jeune femme (excepté Magojiro, création de la famille Kongo). A gauche, une ébauche du Maître.

Quand tout le monde est arrivé, le maître s’installe au fond de la salle sur une partie où les tatamis sont surélevés d’une cinquantaine de centimètres (comme dans les salles d’audience des chateaux féodaux) et commence à se concentrer. Tout le monde l’imite, sauf dans ses premiers mouvements qu’il fait caché dans son kimono. On ne voit pas ce que font ses mains. C’est sûrement l’enseignement zen ésotérique et secret qui ne se donne pas. Ensuite, tous en seiza, nous méditons une quinzaine de minutes. Puis nous finissons par un échauffement assez simple, fondé sur la respiration. Entre le zen et le yoga. Après son signal, tout le monde s’arrête et commence à travailler à son masque. Maître Udaka leur a donné à chacun des gabarits en carton. Ils taillent, sculptent et reviennent sans cesse à ses gabarits pour voir s’ils sont loin ou pas du dessin à faire apparaître. Maître Udaka passe de l’un à l’autre, reste avec chacun un long moment. Il prend l’ébauche de masque, les ciseaux et aide, rattrape ou finit de donner la vie au masque. Quand il attaque cette phase là (sur les quelques masques les plus avancés) c’est un concert de “Wouah ! Oh! Ah !”. Chacun y va de son petit cri et félicite l’élève qui a fait le masque. Sur une table, deux élèves en sont à la peinture. Il s’agit d’encres de chine frottées dans l’eau. Là aussi, Maître Udaka vient. C’est lui qui fait le mélange. Sans dire un mot, il passe son mélange d’un bol à l’autre, rajoute un peu d’eau, un peu de noir, un peu de marron, passe son jus dans un tamis, le re-sépare , etc. C’est très méticuleux, l’atmosphère e.st à la concentration. Il est 15h30, cela fait deux heures et demi que je suis là au fond, assis en seiza quand Maître Udaka m’appelle enfin. Je viens à côté de lui qui continue à travailler, à surveiller les travaux de ses élèves. “Pourquoi voulez-vous faire du Nô avec moi ?” Oufffff ! Ca y est, c’est l’interro et je sens que la fatigue me rend fébrile. Je ne sais plus un mot d’anglais, mais il le faut, je me lance. “Et bien voilà, il y a 16 ans maintenant, j’ai vu Matsukada avec le Iemoto Kanze et il s’est passé quelque chose d’extraordinaire “surnatural”, je me suis vu avec les esprits de ma famille, les morts. Depuis, je n’ai de cesse de vouloir comprendre ce qu’il s’est passé et d’enrichir mon théâtre de cette dimension qui n’appartient pas du tout à notre théâtre.” Vas-y dire ça ! Maître Udaka rit de me voir peiner avec les mots et ne montre à aucun moment de l’intérêt ou de la sympathie. Mais je tiens bon. Puis il me dit : “nous nous verrons à Kyôto”. Ca y est, c’est fini. Il repart voir un autre élève. J’en profite pour lui demander de prendre congé, afin de ne pas rater mon train. Il rit à nouveau : “mais ne m’avez-vous pas dit qu’il était à 17h ?”. “Si ! Si… mais moi, pour retourner là-bas, trouver ma consigne, prendre le train, il me faut bien ce temps… et puis, je n’ai pas mangé depuis l’avion à 6h00 ce matin… mais je ne dis rien, je m’excuse juste et m’éclipse.

le maître s’installe au fond de la salle sur une partie où les tatamis sont surélevés d’une cinquantaine de centimètres…

J’ai compris aujourd’hui que les masques aussi étaient fait en Hinoki (Cyprès japonais) et qu’ils les laissaient grandir au moins 250 ans avant de couper les tronçons qui servent à faire les masques. Puis ils passent une vingtaine d’années dans l’eau et je ne sais plus trop quoi d’autre. Bref, le bois à 300 ans quand il est touché par les couteaux du sculpteur. C’est pour cela que l’esprit est déjà là et qu’il faut y faire attention. Ne pas le brusquer, ne pas le faire partir, disparaître. Voilà. Du coup, j’en ai pris quelques copeaux. Ils sont souples et humides, rien à voir avec nos copeaux de chêne des masques d’Etienne Champion.

Dans la gare de Tokyo – « Smocking Area »

Il est 11h28 chez vous et 18h27 ici. Je n’ai pas mangé, j’ai le dos en compote d’avoir passé ces quelques heures en seiza et là dans le train à écrire. Alors, j’arrête. Et je vais regarder dehors à quoi ressemble ce Japon que je traverse depuis une heure sans avoir levé le nez.

A demain

Arrivée à Narita


Ca y est !

Il est deux heures du matin chez nous et ici pas loin de 9 heures. Je retrouve les habitudes. Première cigarette après onze heures de vol dans cette cabine où je fumais déjà ma première cigarette nippone, il y a plus d’un an lors de mon premier voyage. Il y a là quelques français et je goûte cette langue pour la dernière fois avant longtemps. Après, il s’agit d’aller échanger mon reçu de Railpass contre un “Japan Railpass “ en bonne et dû forme. C’est Narita, il y a beaucoup de monde qui attend au guichet de la JR, me faisant rater mon premier Narita Express pour Tokyo. Que m’importe… J’ai le sourire de celui qui se sait arrivé et qui ne peut plus reculer, ce qui adviendra adviendra. C’est bon de se retrouver ici, enfin. Je laisse filer entre mes dents ce nom : Mototsugu et je sens bien qu’il est heureux d’être de retour chez lui.


Ah si ! Une chose me fait râler… je viens de me rendre compte que j’aurais dû faire le change ici. J’ai perdu sur les 3000 euros changé, à peu près 45 000 yens, soit presque 500 euros. C’est une grosse somme, vraiment. Ici, le yen s’échange à 130 y contre 1 euro, en France… entre 110 et 120 yens contre un euro.

Le programme de ce matin… trouver un comptoir Softbank pour acheter un portable local, un “prépayé” qui permet d’acheter des recharges. Puis trouver un appareil qui me permette de faire des photos et de filmer. J’aurais dû avoir mon nouvel iphone qui se serait chargé de tout cela, mais il n’est pas arrivé. Ca ne sera pas une mince affaire de trouver du matériel compatible mac. Surtout ici au pays de Sony !

Donc… premier arrêt à Shinjuku où je mettrai ma valise dans une consigne, puis direction Harajuku pour trouver le téléphone. Suivant ce qu’il permet de faire, soit je vais à Nakano pour acheter un appareil me permettant de filmer et de faire des photos, soit je me promène en attendant le premier rendez-vous avec Maître Udaka. Je le retrouve à 13h à l’Uchikanda Shukaishitsu, station Otemachi pour suivre sa classe de “carving mask” et le rencontrer. Puis je pars à Kyôto où je suis attendu ce soir par Ogamo Rebecca Toole, l’assistante américaine de Maître Udaka. Une grosse journée… heureusement que je suis “de la nuit”, du coup le décalage horaire dans ce sens-là ne me coûte pas trop. Nous verrons ce soir dans quel état j’erre. A suivre…

La Provence – Article sur Dom Juan au Théâtre Nô d’Aix-en-Provence


LA PROVENCE – 12 JUIN 2009

 » THÉÂTRE : « Dom Juan »

DANS L’ESPRIT DU NÔ …

Un grand classique de Molière revisité par des apprentis acteurs.

À l’occasion du Printemps du Japon en pays d’Aix, les élèves du lycée Cézanne ont présenté au théâtre Nô, la pièce de théâtre Dom Juan. À la mise en scène, on a pu retrouver Alexandre Ferran, directeur artistique du Studio du Soleil. Et pour se jouer dans cet espace singulier où les règles de jeu sont différentes de celles du théâtre occidental, cette version est partie du présupposé suivant: Don Juan est déjà mort. Néanmoins, le texte n’a pas été changé pour autant et a été joué dans son intégralité.

Par ailleurs, les personnages étaient habillés de kimono fastes et superbes et ont emprunté les codes de déplacement et de gestuelles propres au Japon traditionnel.

Le professionnalisme des comédiens en herbe, soutenus par Alexandre Ferran et la chorégraphe Élisabeth Ciccoli, a donné à cette pièce un aspect japonisant et a permis de clôturer en beauté le festival. « 

G.F.

Départ pour Kyôto le 10 juillet… enfin : apprendre quelques bases du Nô

Et oui, le départ est fixé, les billets trouvés et l’aventure qui s’apprête à voir le jour sera une importante. Depuis 1994, date où j’ai découvert le Nô avec le Iemoto (maître) Kanze à la Villette en compagnie d’Erhard Stiefel, je n’ai eu de cesse de lire, étudier, chercher, mettre en jeu tout ce que je pouvais sur ce sujet.

L’année dernière, pour la première fois, j’ai pu aller au Japon grâce à la Maison du Japon en Méditerranée, ce qui a déclenché une petite cascade d’événements, dont l’un des plus importants : ce rendez-vous du mois de juillet avec Maître Udaka (représentant de la branche Kongo). Au programme : Shimai (danse à l’éventail), chant, cours de flûte, facture de masque, accompagnement lors des spectacles (en coulisses… si, si.) Et puis, visite de Kyôto sur les traces de Zeami et de Kanami pour avancer à la rédaction des « Démons du Nô ». Pour couronner le tout, nous rejoindrons, le 10 août, Maître Nomura Mansaku (Trésor Vivant), maître de Kyôgen, pour un stage de 10 jours à Tôkyô.

Bien sûr, cela n’est pas gratuit et j’ai de grandes difficultés à réunir les fonds pour le départ, ayant été laissé de côté par l’AFDAS (organisme qui paye les formations des gens du spectacle) qui, après m’avoir fait longtemps espérer, m’a fait dire qu’ils ne pouvaient prendre en charge un stage à l’étranger : « vous comprenez… on ne sait pas si vous suivrez bien le stage et si vous n’irez pas plutôt à la plage !  » D’une, il n’y a pas de plage à Kyôto et de deux, organiser un stage comme celui-là (je suis l’unique stagiaire et ai participé à l’élaboration du programme avec les japonais, ce qui n’a pas été simple) quand on sait ce que je fais depuis des années autour du Nô, du Théâtre Nô d’Aix-en-Provence et ce qui pourrait découler de ce voyage (pièce de théâtre sur Zeami et Kanami, Villa Kujoyama, Stages avec les acteurs japonais autour des adaptations des textes de Nô pour du théâtre contemporain), c’est tout simplement d’un mauvais goût certain que d’aller se réfugier derrière ce prétexte fallacieux.

C’est pour cette raison que j’ai lancé un SOS sur la toile : « A la recherche de 4000 euros pour apprendre le Nô », me permettant de payer les deux stages, la vie sur place et les déplacements (j’ai perdu mon statut d’intermittent le mois dernier en travaillant sur le Dom Juan et ne peux donc compter sur les assedic pour amortir ces frais)

Je ne sais pas encore ce que je ferai en échange… je cherche et suis ouvert aux idées. Ce qui est sûr, c’est que je ferai un maximum de photos, de vidéos et de prise audio + un journal écrit de ce qui sera abordé sur place. Peut-être alors un blog privé pour ceux qui ont participé ou encore un journal PDF (possiblement imprimé si tout le monde rajoute quelques euros ;-), mais nous verrons cela au retour…)

Je peux aussi, en échange d’une somme plus conséquente, venir à mon retour du Japon, assuré une conférence sur ce que j’ai appris ou sur ce voyage.

Vendre des dessins, des photos… je ne sais pas moi…

Vous avez des idées ?

En tout cas si vous souhaitez m’aider, vous le pouvez en mettant 10 euros sur mon compte paypal (si 400 personnes le font, je pourrai faire ce voyage) ou en vendant une photo, un dessin ou quoi que ce soit d’autre pour cette cause… individuelle, mais qui a su profiter à quelques personnes ces dernières années.

Merci d’avance !

Alexandre

Photos de Dom Juan au Théâtre Nô – Représentation du 6 juin – Festival Le Printemps du Japon


Les photos de Drichos du Dom Juan sont sur l’album Picasa… si vous n’avez pas pu venir, allez y faire un tour, ça donne une idée… pour ceux qui y ont été, ça réinvite au voyage… l’espace d’un instant.

Bonne balade (cliquez sur l’image ou le titre du post pour aller sur l’album)

EDIT : J’ai retiré les photos de l’album PICASA, à cause du téléchargement non modifiable. Pour voir les photos pour l’instant, il faut se rendre sur le site de DRICHOS : http://www.drichos.com

Dom Juan dans le cadre du Festival  » Le Printemps du Japon »

Ca y est ! La billetterie est ouverte. Vous pouvez d’ors et déjà vous procurer les billets pour la représentation de Dom Juan du 6 juin au Théâtre Nô d’Aix en Provence sur le site de la Fnac.

Si vous souhaitez plus d’informations ou partager cet événement sur votre facebook, allez faire un tour sur le site de l’Agenda Culturel.

J’espère que vous serez nombreux et que nous pourrons nous rencontrer après le spectacle.

A très vite.

Magojiro et empêchements…

Entouré de silence, comme si tout était en suspension !

J’attends tellement de mots et d’actes, tellement. Il faut croire que ce n’est pas le moment. Il faut croire que quelque chose ici bas empêche la vague de déferler. Le Yi King, mon ami de toujours me parle des « ennemis », de ceux qui sur la terre, ont croisé ma route et m’en gardent rancoeur. Ils doivent être nombreux. Je ne sais pas combien, mais ils doivent être nombreux.

Ceux qu’on laisse sur sa route un jour de colère et qu’on ne revoit jamais. Ceux avec lesquels on a essayer de bâtir des mondes et qu’on laisse, du jour au lendemain. Ceux qu’on a blessé, rendu jaloux, perdu. Ceux qu’on a mal aimé. Ceux qu’on a pas regardé, ceux pour lesquels on a pas pris le temps, ceux qu’on a oublié, un instant, une journée, une vie… Ceux dont on s’est servi, qu’on a trompés, puis laissés, bafoués, malmenés…

Et comme dans le théâtre Nô, il se peut que ces esprits blessés, ne puissent pas lâcher cet être qui, pour nous, s’est depuis longtemps transformé et que leur colère, leur rancoeur, leur blessure créée une scission complexe et frictionnelle entre le nous de maintenant et ce qu’il a été, avant.

Je ne dis pas que ce sont ces autres qui font ça. Mais peut-être le nous d’aujourd’hui qui se souvient du nous d’hier et qui est encombré de n’avoir pas pu demander pardon à ceux qu’il a blessé et qu’il n’a plus revu. Et qui n’a pas dire merci à ceux qui ont enduré ces passages comme on subit la chaleur cuisante du soleil, puis la violence de la pluie et la boue, du froid pour faire germer cet arbre sans jamais avoir pu en goûter un des fruits.

Comment faire alors pour me libérer de cela ? Comment faire pour guérir ces plaies ouvertes qui retiennent en arrière ? Et même comment mesurer le mal qu’on a fait ?

Alors je pose une liste ici de ceux à qui je dois tant et à qui j’ai fait si mal, enfin, à qui je crois avoir fait si mal.

D’abord, pardon à Aydé, femme de ma première vie que j’ai aimé si fort et si mal, oui si mal. Pardon à Elsa, que je retrouve si belle quand je ferme les yeux et que je n’ai pas su aimer comme elle l’attendait. Pardon autour d’elles, à la mère d’Aydé que j’ai combattu si sauvagement, à son frère que j’aimais bien, à Vincent, Jenny et la maman d’Elsa. A sa grand-mère et son grand-père aussi, avec lesquels j’ai passé de si beaux moments. A Julia, ma petite puce. A Claude, ce cousin qui m’a tant donné et qui n’a plus eu de mes nouvelles du jour au lendemain.

A Mathilde et Juliette, à Alexandra, à Anne, à Julie, à Stéphane, à Christophe, à Duccio, à Cécile, à Léonie, à Patrick et Sylvie et à tous ceux à qui je pense devoir des excuses. Je suis désolé. Sincèrement désolé.

J’entends certains qui vivent avec moi aujourd’hui me dire : « mais pourquoi ne sommes-nous pas cités? » Justement parce que nous vivons pas loin, que nous nous rencontrons encore et que nous pouvons, à chaque instant, faire ces traversées que je ne pourrais plus faire avec ceux-ci, eux qui ont tant compté et que je ne vois plus.

Ah oui… j’oubliais ! « Magojiro » en titre pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui, je viens de faire l’acquisition de mon premier masque de Nô : « Magojiro ». C’est le premier masque que Erhard nous avait présenté en 1994 au Théâtre du Soleil, lors d’une journée où à cinq ou six, il nous avait fait travailler. En nous présentant ce masque, il nous avait raconté l’histoire d’un jeune sculpteur qui avait une femme magnifique. Ils étaient très amoureux. Quand il sculptait, elle n’était jamais loin et avait pour lui mille soins. Mais cet ydille ne devait pas durer. En effet, la femme mourut d’une maladie fulgurante(comme souvent à l’époque). Elle n’avait pas encore 20 ans. Fou de chagrin, le facteur de masques demanda à sa famille et à la famille de la femme de le laisser seul avec elle, une dernière nuit. Ils n’eurent pas le coeur de refuser. Mais le lendemain matin, la porte était toujours close. Ils eurent peur que le jeune homme n’est mis fin à ses jours et entrèrent. Là, ils ne virent pas le jeune homme, mais au centre de la pièce, au milieu de copeaux de bois, la jeune femme allongée semblait avoir retrouvé la vie. Ils se précipitèrent pour l’embrasser, mais arrivés devant elle, ils se rendirent compte que ce n’était pas son visage qui semblait animé, mais qu’elle portait un masque . Oui, cette nuit de recueillement que le jeune facteur de masques avait demandé, il l’avait passé à sculpté le visage de sa femme. Elle demeurerait ainsi pour toujours comme à la veille de sa mort. Pour des siècles et des siècles. Elle s’appelait « Magojiro ».

Magojiro (celui-là est vraiment à moi !!!) – Photo Vincent Guenneau

Dom Juan au Théâtre Nô d’Aix en Provence, une semaine d’ailleurs…

Dom Juan (Céline), Sganarelle (Jeanne) et le Commadeur (Hanyâ porté par Elisabeth Ciccoli) – Photo A. Ferran

Que j’aime d’un amour profond cet endroit… et chaque fois un peu plus ! La vie est ainsi faite qu’elle vous réserve des surprises de taille… N’est-il pas extraordinaire de penser qu’une rencontre avec le Nô en 1996 aux côtés d’Ariane Mnouchkine et d’Erhard Stiefel m’ait poussé jusque là, par un jeu de forces dont personne ne pourrait démêler les élans des rencontres des élans de l’âme et de la destinée. Comment serait-il possible de préméditer cela : « Dans quelques années, je pourrais travailler à loisir sur le seul Théâtre Nô au Monde hors du Japon et j’y pourrais éprouver des choses enfouies au plus profond de mon être, sans retenue, sans entrave, avec passion, foi et en y entraînant des âmes assoiffées ! »

Pourtant, c’est ce qu’il se passe. D’abord avec ce tout petit spectacle « Nô et Kyôgen », puis avec cette tentative de grand « Atsumori » de Zeami, enfin avec ce « Dom Juan » à qui j’ai ouvert les portes d’une contrée que je connais si mal, sans être sûr, à aucun instant, que cette rencontre serait possible et probante. Juste avec la confiance des fous ou des simples d’esprit !

Et voilà que je viens de passer une semaine avec lui au Pays du Nô et qu’il m’en revient chargé d’un sens que jamais je n’aurais deviné auparavant. Oui, c’est le Japon et cette bande de jeunes apprentis acteurs si maladroits qui, pour la première fois, m’ont ouvert les portes de la langue de Molière et de son monde que j’ai rejeté avec tant de conviction depuis tant d’années.

Vous me direz et vous aurez raison, pourquoi alors avoir choisi « Dom Juan » si on n’aime pas Molière ? (sous entendu si on ne le connaît pas;-)) surtout pour un tel voyage ! Et bien, je ne sais pas ! Vous voulez la réponse vraie ? Je n’en sais rien ! Et jusqu’à lundi soir, je me suis vraiment demandé pourquoi j’avais fait ce choix ! Avec colère et grande inquiétude… Me disant même : « il est encore temps de choisir un Shakespeare, un vrai auteur, quelqu’un de capable de monter sur le Butai et de résister aux attaques du Nô. » Et je n’en ai rien fait… et j’ai bien fait de n’en rien faire ! Puisqu’aujourd’hui, j’ai renoué avec cet auteur. Le japon m’a rendu ce français. Céline (qui joue Dom Juan) m’a réconcilié avec Molière. Ainsi que toute la petite troupe qui s’est attaquée à ce monument du théâtre sans sciller, avec un sérieux et une exigeance digne des plus grands. Avec une confiance et une générosité que je n’avais pas rencontré depuis longtemps. Avec une soif de voyage, une soif de rencontre, de découverte qui nous a permis de voguer à vive allure toute la semaine.

Je pense à Hamlet. Je pense aux acteurs qui ont eu la chance et en même temps la terrible destinée de croiser ces grands rôles. Et je regarde Céline. Elle vient d’avoir 18 ans et commence ce douloureux voyage de l’acteur aux côtés d’un être complexe qui la marquera à tout jamais de son sceau.

Je n’ai jamais joué des rôles de cette nature. Simplement parce que je ne suis certainement pas un acteur de cette trempe. Et assister à cette rencontre de l’extérieur est à la fois très beau et terrifiant. Quelque chose échappe définitivement à notre compréhension et l’on sait qu’en cet endroit, l’acteur et le personnage ne pourront jamais partager leurs secrets. Ne les enviez pas ! Personne ne peut avoir envie de cela, même si à vivre, cela doit être extraordinaire. Mais de voir chaque jour le silence qui se pose un peu plus sur leur histoire à tous les deux et que Céline garde là au fond des yeux, palpable, est quelque chose qui inspire de la compassion, une retenue douloureuse et en même temps, de l’humilité et du respect.

Je pense aussi à ces huit autres. Au voyage si difficile de Jeanne, à la découverte du théâtre par Gaël, à la joyeuse distance de Sidney, à la beauté juvénile de Aude, à l’absence d’Antoine et à son décalage, lui qui n’aura pas vécu dans cette histoire de Dom Juan, une semaine fondamentale, fondatrice, si ce n’est sa dernière journée ! Au passage éclair d’Anne qui nous accompagne plus qu’elle ne peut le savoir, à Elise… là, toujours là. A Hanyâ, posée dans sa boîte et qui attendait, chaque jour, le retour d’Elise. Elle qui semble partager avec elle quelque chose qui nous échappe et qui, sur scène, prend vie… masque de bois qui est est resté dans des salons depuis près de vingt ans et qui retrouve la scène avec une rage inégalée.

Merci à vous tous ! Meci aussi à Jean Dominique et à Olivier qui rendent cela possible. Merci à Ariane de m’avoir mené sur cette voie, à Erhard qui m’a, le premier mis un masque de Nô, le masque de Magojiro sur la tête.

D’autres disparaissent et d’autres reviennent. D’autres arrivent. Dans le va et vient de la vie. Aujourd’hui, ils me manquent. et je voudrais retourner là-bas et continuer le voyage « Dom Juan » à leurs côtés. Mais il nous faudra attendre. Et supporter les prochaines rencontres qui seront des éclairs. Faire avec. Le faire bien. Pour que le 6 juin, vous puissiez recevoir un peu de ce que nous avons reçu, nous.

Que le Dragon vous accompagne !

Sidney, Rose et Céline sur le Butai d’Aix en Provence – Photo : A.Ferran