Okina, mais un très vieux et très bel Okina… have such respect and listen.
Il est 20h24 ici, 13h24 chez vous, je suis dans le bus qui doit me ramener à Hiroshima et je vais tenter de vous raconter cette journée assez incroyable où j’ai traversé encore une bonne partie du Japon.
Au départ de Imadegawa… by metro
Ce matin comme depuis deux jours maintenant, le réveil se fait à 4h, puis à 5, puis à 6, puis à 7h – le réveil était lui réglé à 7h30. Heureusement, car mon iphone semble avoir du mal à supporter la température et l’humidité – alors qu’hier en allant me coucher – vers 02H30 – il annonçait batterie pleine, ce matin – à 7h00 donc – il était éteint ! Je suis éreinté, vraiment et j’ai bien peur que la journée de voyage avec les bagages, la course pour prendre ce car qui doit m’emmener je ne sais où voir un nô présenté par les Kongo dans l’enceinte d’un Temple, le retour à Hiroshima à 23h00 passées, puis l’excursion pour trouver l’hôtel, ne finisse par m’anéantir complètement. Surtout qu’il n’est pas question de dormir demain matin, il faut que je profite du court laps de temps à Hiroshima pour au moins aller voir le “Peace Mémorial Museum”, faute de pouvoir me rendre à Miyajima. C’est que je suis attendu demain en fin d’après midi à Matsuyama par Maître Udaka en personne…
Sur le quai de la gare de Kyôto. Un père et sa petite fille attendent le Shinkanzen.
Est-ce que j’en profite tout de même ? Oui ! Je vous le dis avec un grand O. Carrément !
Mais revenons à ce matin que nous expédierons vite, voulez-vous ? Petit dej traditionnel, douche, flûte et vérification du sac – je dois avoir sur moi de quoi tenir cinq jours + l’ordi, la flûte, l’éventail, les tabis, une tenue de travail, le sac de couchage, etc. Je crois que tout y est ! Je file voir la gérante de la Takaya pour lui remettre mes clés au cas où Elise arriverait avant mon retour – ce serait dommage de ne pas en profiter pour repasser par Hiroshima au retour et enfin voir ce théâtre Nô flottant à Miyajima – et tente de lui expliquer dans mon mauvais anglais tout ça : mon départ, l’arrivée de la dame, les clés. Finalement, elle m’annonce qu’elle a un deuxième jeu, et moi, je me suis mis en retard ! Ce n’est pas grave, je fonce. Métro, JR centre d’information et de réservation pour acheter mon billet pour demain : Hiroshima, Matsuyama. Le temps de courir au quai number 23 et hop me voilà dans le shinkansen. Je ne me sens vraiment pas bien. Nausée, tournis… Je profite de mon changement de train à Shin-Osaka pour aller m’acheter un Obento. J’en choisis un avec des sushis. Je me dis : “Du poisson cru, ça va me faire du bien !” J’en profite pour m’acheter aussi un jus de fruit frais. Je prends Kiwi, me rappelant qu’Elise dit souvent aux enfants que c’est plein de vitamines. Je remonte sur le quai, j’ai l’impression que je vais tomber dans le coma, tellement la chaleur est difficile à supporter, mais je tiens, je sais que quand je serai dans le Shinkansen, assis, la chaleur sera un mauvais souvenir et qu’avec quelque chose dans le ventre, le malaise va passer. Ah si ! Avant de rentrer dans le train, acheter de l’eau ! Boire de l’eau, voilà ce qui me faut ! “Zut ! J’avais oublié !” En effet, hier quand j’ai acheté mon billet pour Hiroshima, le guichetier ne m’a trouvé qu’une place fumeur ! Juste aujourd’hui. Je traverse le wagon, ça empeste, mais je tiens. Heureusement je suis place A1, donc à l’entrée du wagon et assez vite l’odeur s’estompe. Il est 10h30, je mange mes dix sushis emballés dans des feuilles de je ne sais quel arbre. Ils sont un peu fumés… sûrement pour leur éviter de se gâter avec la chaleur ambiante. Ce n’est pas du tout ce que ma gorge à envie d’avaler, mais je force. Un, deux, trois… dix ! Les dix sont là bien au chaud avec mon litre d’eau et mon jus pressé de Kiwi. Je ferme les yeux, il faut que je m’endorme vite si je veux en profiter – le shinkansen est rapide, le bougre -, j’ai juste une heure pour dormir avant l’arrivée à Hiroshima. Et bien, vous savez quoi, je la dors l’heure et ma mixture a eu le temps de faire un peu effet. Je me réveille, pas en pleine forme, non, mais en forme, en meilleure forme.
Dans le bus, le premier pont qui permet d’aller sur la première île.
Il est 12h30, il faut remettre les idées en places ! Le rendez-vous avec le car est à 13h15 juste à la sortie de la gare. Il faut que je me débarrasse de mon sac de voyage, que je trouve un endroit où me poser cinq minutes et que je trouve l”Information Center” pour avoir les infos pour le Mémorial demain et voir si c’est jouable avec mon départ de Hiroshima à 15h30. Tout se goupille bien, sauf pour le sac… toutes les consignes sont prises ! Espérons qu’il n’y aura pas de changement de bus entre l’aller et le retour et que je pourrai laisser mon barda dans la soute ! Je suis en avance. Je m’arrête dans un bar pour prendre un jus de banane – “la banane c’est des sucres lents, ça tient au ventre !”, dixit Elise. Il est 13h15, je vais au rendez-vous fixé devant l’hôtel, à la sortie nord de la gare. Je vais enfin voir à quelle sauce je vais être mangé ! Je mets le badge que Rebecca m’a remis . J’ai l’impression d’être un gosse qui part en colonie. C’est un peu ça, en fait. Devant l’hôtel, une hôtesse m’accueille : “Ah ! Mr Ferran. Follow me, please.”. Elle connaît même mon nom… Je la suis, en lui expliquant mon problème de bagage, elle ouvre la soute d’un énorme bus et me montre où le mettre – les japonais sont ordonnés-, puis m’invite à monter dans le bus. A l’entrée du bus, elle me montre un papier avec tous les noms des gens qui partent avec nous. C’est tout écrit en japonais, sauf “FERRAN”. Je suis au fond comme les mauvais élèves et pourtant je suis l’un des premiers à prendre place. Dans les dix minutes qui suivent une cinquantaine de japonais et japonaises ont pris place autour de moi. Ce sont des spectateurs de nô, donc : des couples âgés, des femmes de milieu aisé, quelques familles avec leurs grandes filles. J’y crois pas ! Moi qui me suis toujours moqué des bus de japonais à Paris, me voilà dans un, tout pareil. Sous la garde d’une hôtesse qui parle tout le temps avec un débit impressionnant, les gens qui lèvent le bras quand ils connaissent ça ou ci, qui applaudissent quand l’hôtesse prend une respiration, qui s’extasient de “Ho”, “Ah”. C’est plutôt sympa en fait… même si je fais un peu tâche moi au milieu. Mais les japonais sont gentils avec moi. Certains essayent d’entrer en communication. je tente de leu expliquer avec mes quatre mots de japonais d’où je viens, ce que je fais, pourquoi je suis là. Et comme un imbécile, j’ai laissé mon dictionnaire français-japonais dans la soute, dans mon grand sac. 14h15, pause pipi, tout le monde descend, je vais fumer une cigarette. L’hôtesse m’a écrit l’heure à laquelle je dois être dans le bus ; 14H30. Puis nous repartons vers cette destination inconnue et elle a beau raconter avec son micro plein de choses sur ce que nous allons faire, où et comment et pourquoi, je ne suis pas plus avancé. Ce serait une blague à faire. Envoyer quelqu’un comme moi en visite avec un groupe en lui faisant croire qu’il va voir du nô… mais je n’ai pas de doute, Rebecca n’est pas du genre à rigoler avec ça et puis, elle ne me connaît que depuis trop peu de temps… quoi que ! Ah ! Que se passe-t-il, je n’entends plus rien, je lève les yeux – ça fait trente minutes que je me retiens de dormir me disant que ce ne serait pas très poli devant quelqu’un qui met tant d’énergie à nous raconter toutes ces choses -l’hôtesse est en train de distribuer des choses…. Arrive mon tour : un ticket pour la représentation et le prospectus sur le nô. C’est donc bien du nô que je vais voir, en même temps, cela je le savais déjà, me direz-vous et vous avez raison, mais au milieu de toutes ces écritures en japonais, il y a une petite carte… nous allons sur une île ! La quatrième même, d’après le plan bien sûr. Il y en a 6 en tout, reliées par des ponts et qui permettent, semble-t-il, d’après le plan assez schématique, de relier deux bras de terre. Si vous avez une carte du Japon pas loin ou connaissez cet endroit, je vous serai gré de me faire parvenir l’information. Plus tard, j’apprendrai, en me liant d’amitié avec mes voisins de sièges que le village où nous allons s’appelle Imabarishi… ça vous aide ?! Parce que moi non.
Mon bus de japonais… aire de pause entre Hiroshima et Imabarishi
Il est 15H30, nous nous arrêtons. Après un tonnerre de “Ha, ho, hi, hu” à la vue d’un temple, le bus s’arrête sur un parking. Deuxième pause pipi, me dis-je. Mais non ! Nous sommes arrivés. Les “Ah, oh, ih, uh ou ha, ho, hi, hu” sont pour Le Temple ! Celui où ce soir nous verrons la représentation. Une autre hôtesse attend tout le monde à la descente du bus. Elle a un petit porte voix collé à la bouche en permanence et reprend sur le même flot que sa partenaire. Elle, du coup, a fini sa partie et en profite pour se rapprocher de moi et me traduire un peu tout ça. Elle me montre l’endroit où nous nous retrouverons pour manger à 16h30. “A 16h30 !!!!, manger ?!”. Puis elle s’arrête devant un présentoir avec des serviettes de plage représentants des estampes de femmes et de couples. Elle attrape un sèche cheveux qui est pendu là sur le stand, chauffe une serviette et la geisha qui était jusqu’à présent habillée, se retrouve nue. Ah, ces japonais tout de même ! Mais l’autre hôtesse a pris de l’avance, nous la voyons s’éloigner avec le groupe devant et devont accélérer la marche pour les rejoindre. Bien sûr, c’est du japonais, mais apparemment, ça ne se fait pas de quitter le groupe. On forme une équipe, une famille. Alors, sagement je regagne les rangs.
La scène de Nô quelques heures avant le spectacle. Dans la cour du Temple, évidemment.
Au niveau visites, les japonais sont efficaces. Le tour du temple est bouclé – et pourtant c’est un très grand temple, avec plusieurs bâtiments, des cours, des jardins boisés, etc – en 30 minutes. J’ai, à peine eu le temps de voir la scène qu’ils ont monté pour l’occasion au pied d’un pin vraiment très vieux, vu son allure et sa taille. Il nous reste une demie heure pour aller visiter les salles qui, apparemment renferment des trésors ! C’est 1000 yens… ok, je paye, j’ai un peu les glandes. Mais si tu suis, tu suis ! Je rentre et là… un dépliant avec une des pages en anglais ! Ah, d’accord ! Nous venons d’entrer de le hall des armures le plus célèbre du Japon. Il y a ici quelques 10 trésors nationaux, dont tenez-vous bien – je dis ça pour ceux qui connaissent le Dit des Heiké – une armure de Yoritomo Minamoto (mais si l’amoureux de Tomoé!) et une autre de Yoshitsune Minamoto (mais si le cousin de Yorimoto, celui qui devient Shôgun à Kamakura… allez un effort !). Je reste devant ces deux pièces. Je me dis que ces hommes les ont portées, c’était même peut-être celle – je parle de celle de Yoshitsune – de la bataille qui les opposa aux Heike et qui vit mourir Atsumori… who know’s. 1000 yens, c’était cher, mais je viens de faire encore un sacré voyage… rapidement. Il faut aller manger ! 16h30. Grrrr. Ils me saoulent à la fin. Je vais y aller cool, il y en a marre. Mais voilà t’y pas qu’un papa du groupe et sa fille qui a l’avantage sur lui de parler anglais, arrivent. Ils étaient inquiets ! Ne m’ayant pas vu, ils sont repartis du resto à ma recherche. Bon ! Ca me servira de leçon. Parfois tu suis, tu suis et c’est tout. Il y a là aussi des choses à prendre, à recevoir et à apprendre. Allez ! Je fais mon plus beau sourire et les suis.
Do you work here Fred ? Eclairages pour le Butai – la scène de Nô
Aïe ! M’y voilà… je n’ai devant les yeux uniquement que des choses que je n’ai jamais mangé ou presque et je suis le seul étranger à une table de huit femmes japonaises d’une cinquantaine d’années qui ont bien envie de rigoler un peu et de voir comment s’y prend ce “Furansu”. Ben justement, il ne sait pas ! Je les regarde faire, je demande, elles rigolent, mais finalement sont très maternelles avec ce petit garçon que je suis redevenu. J’ai tout mangé. Tout, tout, tout. Je serai bien incapable de vous dire quoi, mais j’ai tout mangé. J’ai juste fait tomber mes baguettes en bataillant contre un truc très élastique que je voulais séparer en deux morceaux, mais dans l’ensemble ça s’est bien passé. Ouf ! “O Chao Kudasai”, ça je sais le dire, je ne m’en prive pas ! Ca veut dire : “un thé s’il vous plaît”. Mais il est déjà 17h15, le début de la représentation est à 17h30, il nous faut repartir. Je laisse mes comparses pour fumer une dernière cigarette et je rejoins l’entrée du temple qui devient le temps d’une représentation l’entrée de la salle. Je m’estime vraiment chanceux d’avoir pu assister à ça. Je m’imagine comme à l’époque de Zeami où les représentations se passaient comme cela. Devant la scène, il y a des bûchers pour faire face à l’arrivée de la nuit -j’apprendrai après qu’ils sont surtout là pour une cérémonie Shintô. Les quatre poteaux sont de bambous, la scène est assez rudimentaire. Ils ont monté une tente pour cacher les entrées et installer le rideau multicolore. Ouah!!! Un nô en plein air, dans la cour d’un temple, avec tous ces gens – parce que c’est archi plein. Surprise de taille, je vois, devant la scène, une quinzaine de masques de la famille Kongo alignés sur une table dont un Okina qui a l’air vraiment très vieux ! De toute façon, le Iemoto étant encore là ce soir, les masques qui nous sont donnés de voir sont forcément des masques précieux.
Des masques appartenant aux Kongo, soit de très vieux masques sur une simple table…
D’ailleurs la représentation commence par un cours sur les masques et le Butai – c’est très à la mode apparemment… hier, à Tôkyô, c’était un cours sur le Otsuzumi (le Tambour de hanche) – qui dure une bonne demie heure. Puis pause de dix minutes où nous sommes invités à venir admirer les masques. Ca joue du coude, ça flashe, ça dégénère un peu. Du coup, les masques sont rangés en urgence. Etant l’un des premiers, j’ai réussi à quasiment tous les photographier – sans flash évidemment . Puis, nous sommes invités à retourner nous asseoir, le spectacle va commencer. En premier lieu, le shimai de “Kakitsubata” dansé par le Iemoto ( que j’ai filmé avec mon nouvel appareil). Ce n’est guère plus prenant d’hier. Joli Utai, mais je n’accroche toujours pas avec le Shimai du Maître (bien que j’ai quand même préféré la sobriété de ce soir). Puis un Kyôgen : “Tachibai”, Tarokaja est de retour. Il s’agit d’une sombre embrouille pour voler un katana – un sabre- à un badaud qui finalement vole à Tarokaja, le tsuba – petit sabre – de son maître. Le maître furieux d’apprendre que Tarokaja s’est fait volé le sabre, repart avec Tarokaja arrêter le voleur. Ce qu’ils font, mais Tarokaja est tellement maladroit et tellement bête qu’il n’arrive pas à ficeler le voleur qui s’enfuit à nouveau. Habituelle sortie de Tarokaja suivi du maître qui dit en levant son éventail pour essayer de le frapper : “Arrêtez-le ! Arrêtez-le!” Là encore, c’était très drôle. Je pense que ça doit être un courant général dans le Kyôgen en ce moment, d’apporter un peu de flexibilité aux codes pour rendre plus vivant et comique ces farces. Et ça marche ! Surtout que ça n’en perd en rien sa beauté et sa classe hors norme. Aujourd’hui, le Kyôgen était de l’école Okura, représentée par un père et ses deux fils, j’ai nommé la famille Shigeyama, avec en père : Shime, en fils aîné Motohiko et en cadet Ippey. Evidemment Tarokaja est joué par le père, Shime Shigeyama.
La nuit tombe, le Kyôgen vient de finir.
Puis vient le nô complet, le tant attendu : “Tsuchigomo”. C’est l’histoire du démon araignée avec de très impressionnants effets de scène. Dans ce nô, le démon sous sa forme humaine, puis sous sa forme d’araignée jette des filets de toile qui partent en gerbes et se répandent partout sur la scène en faisant un effet “feu d’artifice” des plus impressionnants. Là encore, comme à Tôkyô, les Kongo ont choisi un nô qui en jette ! Très visuel, très efficace. Ce n’est pas ce que je préfère, mais ça a l’avantage de vous rester éveillé et en haleine tout du long. Bien sûr, il est plus difficile d’y déceler le “Yugen” si cher à Zeami et qu’on a ressenti hier dans le Shimai des Komparu. La soirée était vraiment hallucinante. Un sacré voyage dans le temps et dans l’espace aussi. Nous regagnons le bus via Hiroshima où je passe la nuit.
Présentation des masques par un des acteurs de l’école Kongo.
Il est 23h00 quand nous arrivons – j’écris ces lignes de la terrasse de la “Guest House” où j’ai passé la nuit dans un dortoir mixte avec trois garçons dont deux français. Je prends mon plan et trouve l’Hôtel Hana assez facilement. En fait, ils m’ont attendu, pas de clé sous le compteur électrique. Je paye 2500 yens pour la nuit et laisse 1000 yens de caution pour la clé, puis monte au 5eme floor, exténué, mais vraiment ravi de l’aventure du jour. Je dépose mon sac dans le dortoir et vais m’installer sur la terrasse au frais pour fumer une cigarette et finir le compte rendu du jour. Mais un français arrive et nous engageons la conversation… il est minuit ! La suite tout à l’heure si je trouve un “Interneto Café” ou demain. Il est 14h34 heure locale, mon train part à 15h30 pour Matsuyama. Je raccroche.
Bonne journée à vous. (Il est 7jh35, c’est l’heure de se lever!!!!)