Île Sado, temple Wakamiya, cérémonie Shinto : ZEAMI (2eme Partie)

Il est 18h30 quand je quitte Shoboji, avec la sensation d’avoir encore un long chemin à faire avant de réussir à réunir les pièces du puzzle complexe qui me permettront de mieux discerner ce grand génie trop méconnu. Entre parenthèses, je suis assez surpris de constater que sur le sol japonais, si Zeami est relativement connu, les endroits où il est passé, où il a séjourné, les objets, les écrits de sa main, bref tout ce qui touche à sa personne, ne semble pas mériter un intérêt plus particulier que cela. Peut-être parce que pas assez touristique, je ne sais pas. En même temps, ça donne à cette aventure un côté plus authentique et qui demande à chaque fois de payer de nombres d’efforts pour arriver à avoir quelques indices, quelques traces, quelques mots. C’est assez excitant.

Paysage désert devant le temple Shoboji, des rizières à perte de vue – Île Sado

La nuit tombe, j’attends le bus de 18h43 dans un abri au bord de la route principale où de vieux canapés déchirés accueillent les hasardeux voyageurs. A part les voitures qui passent, il n’y pas âme qui vive ici. Enfin, si ! J’ai eu droit, lors de ma visite du cimetière qui fait face au temple, au départ des derniers enfants de l’école d’à côté. Mais à cette heure ci, les voix cristallines se sont tues. Ca laisse plus de place à la réflexion, à l’imaginaire et aux discussions intérieures. Je respire puissamment et continue un dialogue avec le grand Maître, entamé là la sortie du temple. “Fais-tu partie des âmes qui errent toujours là, entre deux, comme la plupart des héros de tes pièces ou as-tu su faire face à toutes ces difficultés qui ont jalonné ta fin de vie, sans regrets, sans colère, sans rancoeur et à à passer dans un nouveau cycle de vie ?”

Arrêt du bus n 1 à côté du Shoboji… de vieilles banquettes accueillent chaleureusement les rares voyageurs

Je me plais à croire que, malgré tout, il a su accueillir sa destinée avec ce sourire triste si bien rendu par notre moine sculpteur. Prêt à continuer à accueillir les coups jusqu’au bout en travaillant à forger son âme encore et encore afin de lui donner l’aspect d’un bol vide, capable d’avaler des tempêtes. Creusant, creusant jusqu’à ce que son bol intérieur ait la consistance de l’eau, puis celle d’un nuage pour que rien, jamais, ne puisse venir lui faire renverser l’essence de sa voie.

A l’entrée du temple Wakamiya, le prêtre shinto, la corde tressée en cercle, au fond les hommes attendent et offrent des verres de saké… 31 juillet !

Il est 19h27, j’arrive à Ryotsu, port principal de l’Île Sado. Je n’ai pas vu le temps passer. J’ai continué à discuter ainsi avec le maître tout le long du voyage en essayant de refaire de mémoire le dessin de sa statue. Il va falloir que je mange. Je me mets donc en quête d’un restaurant, mais avec la douce assurance que quelque chose me poussera au bon endroit. En chemin, je croise beaucoup de gens se pressant par petits groupes vers un temple tout illuminé. Des couples avec leurs enfants, des grands-pères et des grands-mères, de jeunes hommes et femmes seuls. Je les suis. Et là, à l’entrée du temple, il y a une corde suspendu en cercle comme dans l’arène d’un cirque. A sa gauche, un prêtre Shinto – j’ai appris à les reconnaître depuis que je suis ici. Ils ont une tenue très particulière et ne peuvent être confondus avec les moines bouddhistes, eux rasés et habillés de tenues beaucoup plus sobres – et au fond, une bande d’hommes d’une cinquantaine d’années servent du saké aux gens qui entrent. Je me dis : “ Ce doit être rassemblement des gens du village…” A ce moment là, un homme à la droite du cercle, me demande d’entrer. Je lui fais signe que je ne veux pas déranger, mais il insiste. Il me prend par la main. Nous faisons la prière à l’entrée du temple. Mettre une petite pièce dans l’autel, faire sonner la cloche pour dire aux esprits qu’on est là, courber l’échine deux fois, frapper dans ses mains deux fois et recourber l’échine une fois en gardant les mains jointes. Puis j’entre. Là, l’homme me demande de passer dans le cercle, de revenir par la droite, de repasser dedans, de revenir par la gauche, de repasser dedans, puis il vient me chercher et me présente au prêtre. Il me demande de courber le dos à nouveau. Le prêtre en profite pour balayer les mauvais esprits qui pourraient être accrochés à moi, puis je dois refaire un huit dans le cercle de corde, une seconde fois. Enfin, il m’invite à aller m’agenouiller devant la bande d’hommes qui rigolent et devisent en buvant du saké. Celui qui est devant m’en sert un verre. Il me fait comprendre que je dois le boire cul sec ! Je m’exécute, puis me voit remettre une friandise dans une enveloppe – ce qu’on voit souvent dans les cérémonies. Je vais pour sortir, mais l’homme revient me chercher. Il veut absolument prendre une photo avec le prêtre. C’est que ce n’est pas souvent qu’ils voient des occidentaux ici, apparemment. Le temps de lui expliquer comment ça marche et le voilà qui immortalise ce moment. Moment délicieux, juvénile. Avec cette bande de garçons au rire franc, qui se délectent de voir un étranger participer maladroitement à une de leur cérémonie.

Photo souvenir avec le prêtre Shinto du temple Wakamiya… j’ai l’air tendu ?

Je repars. Toujours sur mon nuage ! Quelle va être la prochaine surprise ? Il fait nuit noire, Ryotsu n’est pas ce qu’on peut appeler une capitale “moderne”. Pas d’éclairage public à chaque mètre, pas de signaux sonores aux passages cloutés. Ca ressemble plutôt à un vieux petit village qui s’étendrait sur des faubourgs. J’essaye de trouver un restaurant ouvert sur le chemin de l’hôtel, mais c’est peine perdue. Il est 20h00. Elise est là devant l’hôtel, en train de fumer sa cigarette du jour. Je lui raconte ma journée, enfin non, ma fin d’après-midi et elle, la sienne. Figurez-vous qu’elle a rencontré un pêcheur fan de Zeami et qui, après une grande discussion en japanglais – le second niveau, mais Elise a été plus sérieuse dans son apprentissage du japonais – lui a offert un livre – en japonais bien sûr – sur la vie de Zeami. Nous avons, apparemment, été convié au même doux rêve éveillé, mais en des lieux différents. Charme magique de cette Île ?

Second temple, là où Elise recevra sa cure pour tenir jusqu’à la fin de l’hiver

Je repense aux deux tapes de l’esprit bienveillant et le remercie pour ce voyage. Par contre, j’ai faim ! Et le descriptif du repas d’Elise est un supplice. Elle a choisi de manger à l’hôtel, ce qui lui a coûté 1000 yens. Mais, après avoir été convié par les femmes de l’hôtel sous les suppliques d’Elise a manger quelques restes – sashimis, riz, soupe et encore un tas de choses – je me dis que c’est vraiment peu cher payé pour un tel festin ! Elise a mangé une dizaine de plats différents, moi peut-être cinq. Je me dépêche, leur service est censé être fini depuis presque une heure, puis je propose à Elise d’aller au temple à côté, bénéficier du même traitement magique et bénéfique- sur la route, j’ai croisé un second temple ouvert et brillant de mille feux à quelques centaines de mètres seulement de l’hôtel. Nous remercions nos hôtesses pour ce traitement de faveur – Elise est souvent la chouchoutte des japonais et japonaises, c’est indéniable – et partons dans la douce brise d’été du bord de mer vers cet autre temple. L’accueil est tout aussi chaleureux et, parmi les hommes assis, nous reconnaissons le tenancier de l’hôtel. Il nous mitraille de photos et je me vois obligé de refaire avec Elise toute la cérémonie – sans le prêtre Shinto qui, dans ce temple reculé du bord de mer, n’est pas présent. Nous buvons notre coupe de saké – pour Elise, le gars dira : “sukoshi” – traduire par “juste un peu”. Nous sortons de là sous les étoiles en devisant sur ces coutumes, sur l’enracinement du religieux et du surnaturel dans cette culture, tellement loin à présent de la notre. La présence du gérant de l’hôtel – qui parle donc un peu l’anglais, chose rare sur l’île – nous aura permis d’apprendre que nous venons de vivre une cérémonie pour la santé. Il y en a deux par an, une l’hiver et une au milieu de l’été. Pour recharger les batteries et repartir pour six mois sans fatigue et sans poids, le coeur léger. Exactement ce dont j’ai besoin !

Il est 23h00, je suis dans le Onsen de l’hôtel- source chaude où les japonais aiment à se délasser après une bonne journée. Je repasse le film à l’envers et me laisse couler dans cet instant de bonheur. Demain, nous irons au musée de Sado qui se trouve de l’autre côté de l’île. D’après le pêcheur qu’a rencontré Elise, il y aurait un parchemin de la main de Zeami ou une pierre sculpté par lui. Peut-être le rouleau de son exil à Sado qui est en photo dans le livre que les ange-gardiennes du Shoboji m’ont offert? Nous verrons bien…

Île Sado, temple Shoboji : ZEAMI (1ere partie)

« … je respire, avec les yeux et le coeur, le paysage que Zeami voyait, lui, à 700 ans de là ! »

Comme vous avez pu le lire lors des deux précédents messages, le matin du 31, nous partons vraiment très tôt. Il faut pas loin de cinq heures pour rejoindre Nîgata et il n’y a que quatre ou cinq ferrys par jour – bien sûr il y a aussi les Jetfoil, beaucoup plus nombreux, plus rapides, mais aussi beaucoup plus chers ! Aidés par internet, nous avons réussi à établir le voyage suivant : départ Kyôto 6h23, arrivée Tôkyô 9h11, départ Tôkyô 9h40 arrivée Nîgata 11h43, puis bus qui, d’après ce que j’ai compris, met 15 minutes pour aller au port et départ vers l’île à 12h30, arrivée Sado 15 h. Tout cela est assez serré, puisque demain, le 1er août, est mon dernier jour de Railpass – pass gratuit (mais coûtant au demeurant entre 200 et 500 euros, suivant la durée et la classe) pour toutes les lignes JR réservés aux non-japonais – et que nous devrons donc être rentrés avant 00 h demain à Kyôto, ce qui nous laisse sur l’île 24h maximum.

« Economic Class » sur le Ferry. De grands tapis surélevés où il fait bon vivre

Notre périple se déroule sans problème. Il est 12h15 et nous arrivons à la gare des Ferrys. Nous prenons deux tickets “economic class” qui nous reviennent à 2280 yens chacun et allons rejoindre la queue. Sur le Ferry, après avoir déposé les bagages dans notre compartiment – un immense tapis surélevé où, une fois les chaussures enlevées, on peut manger, dormir, jouer… on se croirait dans un boat people – je file sur le pont et essaye de voir se dessiner l’île à l’horizon. Je pense à cet homme qui est passé là – son chemin n’était pas le même, ils partaient à l’époque d’Echigo – et qui a vu le visage de son exil apparaître comme moi aujourd’hui, tel un fantôme à l’horizon. Il est 15 heures. Nous arrivons sur l’Île Sado.

« … je file sur le pont et essaye de voir se dessiner l’île de Sado que Zeami appelle « L’Ile d’Or » à l’horizon… « 

Là, il se passe une autre rencontre avec l’Ailleurs. Au moment de descendre, je passe devant Elise pour rejoindre le bureau d’informations. Je reçois deux tapes douces sur l’épaule. Je me tourne sûr qu’Elise m’appelle, mais elle n’est pas là… Je regarde autour de moi, les gens passent sans me voir. Je reste là, un instant, sûr que je pourrais voir se matérialiser cet esprit si je peux sentir son contact, mais rien d’autre ne se produit et le temps presse. Le temple Shoboji doit fermé à 17h ou 17h30 maximum, ce qui nous laisse très peu de temps pour nous y rendre. Je demande à la fille du centre d’informations où se trouve le temple et la statue de Zeami. Mais, si elle finit par trouver ce petit temple boudé du public, elle m’affirme qu’il n’y a jamais eu de statue de Zeami ici. Il y a par contre un masque dans une salle attenante au temple, un masque de Bugaku – forme dansée dans les temples – que Zeami a porté pour danser une danse en l’honneur des dieux de la pluie qui a clôt un long épisode de sécheresse, mettant en réel danger les îliens. J’ai effectivement entendu parler de cet épisode qui s’est aussi passé au Shoboji où Zeami avait été envoyé après que le premier temple dans lequel il séjournait devienne trop peu sûr, à causse d’une guerre de clans. La Statue dont j’ai entendu parler aurait été faite par un moine – du vivant de Zeami – pour célébrer cet événement et qu’il reste inscrit dans les mémoires à tout jamais.

Le Bus d’un autre âge… dépaysement garanti ! Traversée de l’île d’Est ou Ouest

Il se peut que la Statue ait été déménagée… qu’importe ! Je suis venu pour aller au Shoboji et j’irai. Le temps de déposer les sacs à l’hôtel où Elise souhaite rester pour profiter de la mer et du farniente – la course folle engagée ce matin l’a laissée éreintée. Pour ma part, je repars vers le centre ville – à 20 minutes de marche de l’hôtel – et réussi à attraper un bus juste à l’instant où j’arrive. Il est 16h05, le bus de 16h04 a une minute salvatrice de retard. Je montre au chauffeur l’arrêt indiqué par la fille du centre d’informations et vais m’installer dans ce bus d’un autre âge. Le paysage qui déroule sous mes yeux entraîne encore une fois sur des terres lointaines et oubliées – la nette impression d’être entré dans un film d’Ozu ou de Kurosawa.

Ce n’est pas la route principale, non ! Mais une des routes que l’on voit de l’arrêt de bus du Shoboji

Il est 16h40 et je descends sur la route principale, à peine plus large qu’un chemin de campagne, avec autour de moi, au loin, des collines qui encerclent l’endroit. Il n’existe pas de panneau – le site n’est pas assez touristique sans doute ! J’avance à tâtons. J’essaye de repérer des toits de vieilles bâtisses, mais je ne trouve pas. Je fais demi tour et là, juste avant l’arrêt, une route qui monte vers une colline. Je me lance, j’avance. A quelques centaines de mètres, sur la droite, je vois un portail japonais. Je passe dessous, c’est un cimetière, mais sur la gauche il y a un temple. Il est 17h, une jeune femme passe. J’essaye de lui faire comprendre que je cherche le Shoboji et la Statue de Zeami, mais elle ne parle pas un mot d’anglais. “Koko Zeami” – Ici Zeami ?”. Elle fait demi tour et m’invite à la suivre. Derrière le temple, une dépendance apparaît. La jeune femme entre et m’invite à la suivre. Là, elle s’adresse à quelqu’un et lui explique quelque chose – en japonais. J’entends “Zeami” dans sa phrase. En me rapprochant, j’aperçois que la personne à qui s’adresse la jeune femme est une vieille dame. Elle est en train de faire du jardinage ou en tout cas, est habillée pour. Elle est avec une autre vieille dame qui a du être une femme superbe. La première a un visage doux et sucré, généreux. Ses deux yeux rieurs passent de moi à son amie.

Le Shoboji… lui-même

J’essaye de leur expliquer, je mime l’écrivain. Je mime le Shimai, la flûte, la Statue, Zeami. Elles rigolent et ne semblent pas pressées de me voir me dépêtrer de cet ambrouillamini. Puis finalement, la seconde me demande de la suivre. Nous ressortons. Elle m’amène à la porte du temple. Là, l’autre vieille dame réapparaît, de l’intérieur du temple, en nous ouvrant les portes coulissantes de papier. Je m’approche, mais reste dehors, sûr qu’ici comme ailleurs, on n’a pas le droit d’entrer. Mais non, elles me demandent d’enlever mes chaussures et m’entraînent dans les profondeurs du temple. Nous passons devant l’autel où médite un magnifique Bouddha et à sa droite, dans un renfoncement, elles ouvrent une autre porte de papier où est peint un pin millénaire. Elles tirent la porte et m’invite à entrer. On dirait une salle à manger, avec une table basse en son centre. C’est très peu éclairé. Et là, dans le coin gauche, une toute petite boîte. Elle va l’ouvrir et je découvre stupéfait, la statue faite du vivant de Zeami. Je l’imaginais à échelle, mais c’est une statue d’à peine 20 centimètres de haut. Je reste là, incapable de dire un mot. Je découvre le visage de ce vieil ami, grave, profond, bien plus beau que les dessins que nous connaissons de lui. Il est en seiza dans un beau kimono à manches très amples, les mains sur les genoux. Il porte son éventail à la ceinture. Je demande aux dames si je peux rester un moment. Elles acceptent et me laissent presque une heure seul avec lui. De temps à autre, une des deux passent sonner la cloche des quart-d’heures. Assis en position de méditation, j’essaye de tout lâcher, d’abandonner ma soif et ma faim et d’être juste là ! Simplement là à cet instant présent face à ce vieux génie. Je respire l’air qui circule dans ce temple et qui a vu passer tant de siècles. Après un long moment – 3 coups de cloche – une des deux femmes vient me chercher. Elle a dans sa main un vieux livre avec des photos de la Statue, de la pierre sur laquelle a dansé Zeami et que j’ai vu dehors, du masque et aussi quelques notes de sa main. C’est un cadeau pour leur visiteur ! Je les remercie et leur offre ma carte – je n’ai rien d’autre sur moi. Puis elles me font comprendre qu’elles veulent fermer le temple.

La Statue de Zeami dans sa petite boîte, salle secrête ou salle à manger du Shoboji

Première gardienne du temple… elle s’appelle Papagai… enfin, c’est comme ça qu’elle s’est nommée

Deuxième princesse gardienne du temple Shoboji… ma sonneuse de cloche des 1/4 d’heure

Il est 18h, je ne sais plus où j’habite. Je reste là un long moment. Je caresse la pierre sur laquelle Zeami a posé ses pieds, j’essaye d’entendre la musique, le rythme, l’histoire, puis fais le tour du temple. En regardant au loin – essayant de faire abstraction des maisons récentes qui sont là – je respire, avec les yeux et le coeur, le paysage qu’il voyait, lui, à 700 ans de là ! Et là, encore une fois, en finissant le tour du temple, je tombe sur… une école. Oui, juste à la gauche du Temple, une école comme au Kanze Inari Shrine ! “O Sensei ! Tu choisis bien ton entourage !” lui dis-je tout haut dans un long éclat de rire. C’est quand même surprenant non ? Deux endroits où il a vécu sont devenus des endroits où les enfants évoluent, grandissent et entament leur apprentissage. En tout cas, moi, ça me touche et me conforte dans l’idée que ce monsieur était un très grand maître et un être doué d’un rare souci du don, de la transmisson.

La pierre sur laquelle a dansé Zeami et qui a fait revenir la pluie. On voit son nom en Kanji en haut de la seconde ligne (la centrale) les deux premiers idéogrammes

… A suivre

(Il est trop tard aujourd’hui pour finir, mais la suite sera bientôt là… soyez-en sûrs !)

En avant première… quelques photos de la rencontre avec Zeami


Et oui, je n’ai pas eu le temps – et il m’en faudra, je pense – de vous concocté un compte rendu à la hauteur de l’événement : Ile Sado. Mais comme depuis quelques minutes, c’est mon anniversaire, je vous fais ce cadeau en avant-première. Quelques photos du Maître, images que vous ne verrez pas souvent.

Elles sont le fruit d’une jolie rencontre et de la sympathie des deux gardiennes du Temple Shoboji – un des deux temples où a séjourné Zeami pendant son exil – qui m’ont ouvert les portes aux trésors, portes fermées au public habituellement.

Ici, elles m’ont laissé me recueillir pendant près d’une heure, seul avec la statue du Maître… inoubliable instant de vie.

A très vite !






Nô, Musique Baroque et sur la route… La Baie de Suma

Eternel Grand Dragon du du Temple Higashi – Hongangi

Plus beaucoup de batterie…

Nous venons de changer de train à Tôkyô, il est 09h30 et sommes en route pour Nîgata. Plus qu’à quelques heures de l’Île Sado et de la statue de Zeami qui me montrera pour la première fois le visage de cet homme au côté duquel j’ai passé tant d’années.

Le train pour Nîgata en départ de la gare de Tôkyô… c’est Rose qui aurait aimé ça.

18%… je ne sais pas si cela sera suffisant pour vous raconter ce jeudi 30 juillet, étonnant jeudi.

Ce que nous savons, en nous levant, c’est que cet après-midi, nous avons rendez-vous avec Saco Sensei à Osaka pour l’accompagner à son concert où il sera entouré de quatre musiciens classiques, fans de musique baroque. C’est un événement que j’attends avec impatience depuis le premier cours de flûte où j’ai été invité. Le rendez-vous est fixé à 15h30 en gare d’Osaka. Ce qui nous laisse une matinée et un début d’après-midi de libre. Tant mieux, nous ne connaissons pas Osaka et c’est au bord de la mer, nous en profiterons pour aller nous baigner. Nous avons mis le réveil et c’est assez tôt que nous décollons. En vélo ou en métro ? Le train pour Osaka se prend à la Kyôto Station qui est au sud à vingt-cinq minutes en bicyclette… “Ok ! Va pour le vélo !” Comme ça je lui présenterai, au passage, messire le Grand Dragon du Temple Higashi – Hongangi qui se trouve à quelques centaines de mètres au nord de la Kyôto Station, donc sur la route.

Le Grand Dragon du du Temple Higashi – Hongangi accueille Elise


Le trajet est vite fait. Nous n’avons aucun mérite, c’est juste que dans ce sens là, c’est une grande pente douce. Nous voilà au Higashi – Hongangi. J’emmène Elise à la porte nord, celle par laquelle je suis entré la première fois. Je suis surpris du monde qu’il y a ce matin. Rien à voir avec l’espèce de rêve éveillé que j’ai vécu avec le Grand Dragon et Hideo où nous n’étions que trois à se partager la cour de ce temple monumental. Et pour cause ! L’énorme échafaudage qui couvrait tout le temple a été, depuis, démonté à moitié et permet l’accès au Hongangi. En dix jours, ils ont fini ce chantier qui semblait pourtant loin de l’être.

L’imposant Temple Hongangi


Passé cette première surprise, je lui présente le Grand Dragon et ressent exactement le même courant d’air intérieur que la première fois. Je crois qu’Elise lui plaît bien. Il la laisse laver ses mains à l’eau pure de sa gueule. Moi je zieute du côté des marches du temple…. “On prend cinq minutes ?” “Oui, on les prend ! Le temps d’enlever les chaussures – et pour moi les chaussettes… après avoir goûté au bonheur des pieds nus sur ces vieux planchers de bois, il est difficile d’y résister – et nous voilà déambulant dans ce temple imposant. Comme le dit justement Elise, le bois, ici très sombre, semble plus dur, plus froid que ce qu’on rencontre dans les temples habituellement. Comme si celui-ci était de chênes quand les autres sont de pins. Des sutra sont accrochés tout le long des couloirs qui mènent au temple – et que nous prenons à l’envers, bien entendu – et nous offrent leurs joyeuses maximes :

“It isn’t external things that restrict us ; it’s our minds attached to the things that restrict us.“ Ryôshun Nakano

Lampes avec des maximes en japonais… qui ouvrent la route vers le Amida Hall

Puis nous croisons un groupe qui semble aller à une cérémonie, accompagné de prêtres. Nous les suivons de loin ou plutôt notre balade qui nous emmène de lanterne en lanterne dans ce temple, nous pousse jusqu’au Amida Hall où nous retrouvons le dit groupe. Nous nous installons derrière eux en seiza et suivons les prières un long moment dans ce hall calfeutré et frais où les voix des prêtres se mêlent les unes aux autres.

Le Amida Hall du Temple Higashi – Hongangi…


L’heure tourne. Quand nous ressortons de là, il est 11h30. Nous filons à la Kyôto Station et nous apprêtons à prendre le train pour Osaka. Une idée me traverse… Osaka est une ville, une grande ville même. Jamais nous ne trouverons de plage à la sortie du train… So ! “We want go to the beach, but we need…” bref, j’explique tout à l’assistante de quai qui se montre très patiente et compréhensive. Nos rendez-vous, notre envie de mer et tout et tout. Elle nous note plein de choses sur un petit papier, avec un nom de station et quelques changements. Nous sommes censés mettre une heure et quart pour y aller et une demie heure de là-bas pour retourner à Osaka. De quoi faire “plouf” dans l’eau et “hop” dans le train. En même temps, le train est un bon moyen de voir le paysage et les ambiances des lieux croisés en chemin. Et figurez-vous que le premier changement se fait à Kobe ! Kobe est, je le sais, pas loin du tombeau d’Atsumori ! Au moment du changement, je prends cinq minutes pour filer voir s’il y a une statue dans la gare ou un centre d’information, mais rien. Tant pis ! De toute façon, aujourd’hui on a dit plage, on va à la plage. On remonte dans le second train et, au moment de s’asseoir, une voix se fait entendre : “Vous êtes français ?” “Euh… oui ! Je crois bien…” C’est lui aussi un gaulois expatrié en Australie depuis dix ans et vivant au Japon depuis deux ans. Il nous déconseille la plage indiquée par la fille de la gare et nous propose d’aller deux stations plus loin. En plus de profiter d’un environnement plus propice à la détente – la plage où nous devions aller est couverte de bars et de salles de jeu avec un jeune surfeur au centimètre carré – nous pourrons découvrir le plus grand pont suspendu du monde, j’ai nommé le “Akashi Kaikyo”. Ne me demandez pas comment s’appelle l’île qu’il permet d’atteindre, mais ce que je peux vous dire, c’est qu’il est énorme et fait quelques trois kilomètres huit cent de long. Le français sort du train deux stations avant nous… “Suma station”. “Suma ?! Vous avez dit Suma !!!!”, le temps de faire le lien il est déjà trop tard, mais dans ma tête les mots s’alignent : “Au bord de la mer de Suma, bien étroit, hélas, est le sentier qui mène à ma maison et en revient.” ATSUMORI !!!! C’est là ! C’est là qu’il a mené son dernier combat avec Kumagai. Si ! Si ! Entre les salles de jeu et le snack bar… juste là ! Le train reprend sa route. Qu’importe, notre plongeon dans l’eau n’en sera qu’un peu plus court : au retour, nous nous arrêterons à la Suma station.

le Akashi Kaikyo, plus grand pont suspendu au monde ! Il relie la baie après celle de Suma à…

Nous descendons du train, allons du plus vite de nos jambes vers la plage… “A la gauche du pont…”. C’est ça, oui ! A la gauche du pont, à trois kilomètres !!! Et nous avons, à tout casser, un quart d’heure. Nous en profitons pour abandonner notre course poursuite et nous asseoir à l’ombre de cet énorme pont suspendu, à côté d’une bande de vieux hommes qui jouent à un jeu de dames ou d’échec japonais. C’est bon de les voir, installés à l’ombre de ce pont géant et partant dans de grands éclats de rire suivis d’exclamations suraigues. Un autre regarde le jeu de loin, mais préfère le spectacle des bateaux qui passent – quand il y en a un qui passe – qu’il suit avec une paire d’énormes jumelles. Nous nous installons avec eux et mangeons les gâteaux de riz aux algues que nous avions acheté pour le déjeuner, puis nous les saluons et retournons vers la gare, le bruit des voitures passant sur le pont encore dans les oreilles.

« une bande de vieux hommes qui jouent à un jeu de dames ou d’échec japonais… »

A Suma, je file trouver un centre d’informations. Mais Atsumori ne leur dit rien. Ils peuvent m’indiquer le meilleur spot de vagues, mais “Ichi No Tani dans la baie de Suma”… non ! Le temps file et nous avons dix minutes pour savoir si oui ou non, il s’agit bien du Suma d’Atsumori. Elle finit par me sortir une carte et là, en bas, à gauche, je le vois : “Ichi No Tani” ! Je lui montre et au même instant, elle se tourne vers moi le visage victorieux : “Atsumori des” – C’est Atsumori – Et effectivement, là, sous son doigt, c’est bien écrit : Atsumori… Victoire ! Mais c’est à deux kilomètres de la gare et on ne fait pas attendre un maître japonais. Je prends la carte, j’entoure l’endroit et me tourne vers l’endroit entouré sur la carte pour lui dire que nous reviendrons vite. Nous sautons dans le train qui nous ramène à Kobe, puis à Osaka. Il est 15h20, nous avons dix minutes pour trouver le point de rendez-vous. Je remercie Elise qui, depuis qu’elle est là, m’a emmené deux fois par hasard sur mes chemins de quête. Je suis étourdi ; les hasards, au Japon, ça n’existe pas.

A l’ombre du Akashi Kaikyo

Saco Sensei nous attend sous la montre géante à la sortie nord de la gare d’Osaka. Il est, comme toujours, en tenue traditionnelle. C’est drôle de le voir ainsi au milieu de tous ces “occidentalisés”. Il nous propose de prendre un taxi et nous voilà, quelques minutes plus tard, dans une toute petite salle d’exposition, au premier étage d’une toute petite échoppe. Les autres musiciens sont déjà là. Il y a un clavecin et un nombre de flûtes impressionnant. Ce qui l’est d’autant plus, c’est qu’il n’y a pas deux flûtes pareilles ! La plupart sont des créations ; celles d’un homme qui accompagne leur travail de recherche et qui s’inspire de vieilles illustrations du moyen âge : flûtes dans des cornes de vaches ou de bouquetins, flûtes traversières, à bec, flûtes de toutes formes et de toutes tailles. Et bien sûr, notre Maître Saco et sa “Fue”. Le leader du groupe qui compose certains des morceaux qu’ils jouent – les autres sont des classiques européens – est un des élèves de maître Saco.

« La plupart sont des créations ; celles d’un homme qui accompagne leur travail de recherche et qui s’inspire de vieilles illustrations du moyen âge… »

Nous nous installons bien sagement et les regardons se préparer. L’un des deux flûtistes accroche des masques de Nô au mur, pendant que le leader avec la claveciniste répètent des passages difficiles. Maître Saco lui attend patiemment sur le côté. Il vient nous voir de temps à autre pour nous poser une question ou nous expliquer le programme. Quel genre de questions ? Du genre… il arrive avec sur une feuille de papier sur laquelle est écrit “François Couperin”, puis une autre avec “Claude Lelouch” et “Villeret” et, à chaque fois, nous demande la prononciation. Il a étudié le français à l’université et est passionné de cinéma français. “Ah bon ! Ca existe toujours le cinéma français ?” ( ça c’est moi qui le lui demande.. 😉 )

Puis c’est à son tour de jouer. Il se met en seiza sur une espèce de vieille banquette sans allure et commence à jouer. Je reconnais des passages de “Otoko Mai” – le morceau que j’apprends… le classique des passages dansés du Nô. Pour le reste, le mélange flûtes, clavecin et la composition de type “Musique Contemporaine” ne me conquis pas. Il y a des passages intéressants, mais de façon générale, la dissonance immanquable – chaque flûte de Nô est unique et n’est accordée sur aucune autre, seul les écarts de notes sont respectés – est poussée, à mon sens, là où elle est la moins porteuse. On dirait qu’il a essayé de recréer un ensemble de Nô avec deux flûtes de type occidentale pour le Kotsuzumi et le Otsuzumi et avec le clavecin pour la partition de Teiko – gros tambour posé au sol dans certains nô. Me voilà un poil déçu… mais Maître Saco reste en place, seuls les deux autres flûtistes quittent la scène. Ce qui se passe ensuite est incroyable ! Exactement ce que je voudrais arriver à extraire du Nô. Maître Saco commence à jouer, puis est rejoint par la claveciniste qui joue des accords plaqués, puis fait du corde à corde, mais avec la sourdine. On croirait entendre un Shamizen – genre de guitare à quatre cordes utilisée dans le Kabuki et le Bunraku. Ce que joue le maître est d’une puissance émotionnelle bouleversante. La flûte crie son désespoir, elle raconte son histoire de combat et de mort, de trahison et d’amour, de douleur. Puis, le rythme s’accélère, ça ne ressemble pas à ce que j’ai pu entendre dans le Nô, toujours soutenu par le clavecin. Quand ils finissent, nous sommes – Elise, le monsieur ressurgissateur de flûtes du passé et moi – médusés.

Le Clavecin dans la toute petite salle de concert. 25 places de choix ! et l’horrible banquette ou Saco Sensei prendra place tout à l’heure pour jouer.

Je me lève, je vais vers les partitions. Il me faut absolument savoir ce que la fille jouait et qui marchait si bien avec la flûte du Maître. Il s’agit en fait de la même gamme que celle dont on s’est servi pour écrire le chant du Moine Rensei dans Atsumori. Puis je demande à Saco Sensei si ce qu’il jouait était une création. Mais non, il s’agit de la danse d’Okina – un des plus vieux nô encore joué. Il me dit aussi que c’est une danse de Kyôgen. Je n’en avais encore jamais entendu. Je ne savais même pas qu’il pouvait y avoir de la musique Kyôgen ! Mais il me dit que ça existe pour certains kyôgen masqués. D’ailleurs, il jouera ce soir, une autre danse de kyôgen dans le programme.

Il est 17h30. Nous allons faire un tour avec Elise avant le concert qui débutera à 19 h. Osaka semble assez moderne. Ce que j’en sais, c’est que c’est la ville préférée de Murakami et que souvent les étrangers qui y ont séjourné aiment beaucoup cette ville, beaucoup plus que Kyôto ou Tôkyô par exemple. Mais ce n’est pas aujourd’hui que nous aurons le temps de découvrir Osaka. Juste celui de faire le tour de quelques pâtés de maison, de manger un bout et de boire un coup avant le concert.

Il est 18h30, la salle est transfigurée. Des chaises ont été installées partout, les spots, sûrement là pour les expositions, tournés vers la scène improvisée et notre équipe toute vêtue de kimonos comme dans le Nô. Ils ont d’ailleurs tous l’éventail traditionnel à la ceinture. Je ne saurai pas pourquoi, mais c’est sûrement une façon de montrer l’attachement à leur culture, même s’ils ont décidé de s’intéresser à la musique baroque européenne.

Nous entendrons les mêmes morceaux que ceux joués en répétition. Quelques fois, mieux joués, d’autres, un peu moins. Mais c’est un ensemble assez agréable et la musique médiévale et baroque – que je connais très mal – est assez mélodieuse et chantante comme la douce plainte d’une princesses tissant sur son métier le heaume de son aimé.

Maître Saco jouera deux morceaux seuls, un de Nô, un de Kyôgen, puis la création de son élève et enfin, pour le final, cette merveilleuse rencontre entre “Okina”, le clavecin et le 21ème siècle. C’est encore mieux que cette après-midi ! Et je vois bien que l’assistance est profondément d’accord. Il y là, c’est indéniable quelque chose d’important qui se joue et qui vient nourrir mon désir de continuer à chercher comment tisser les liens entre cette forme ancestrale et sacrée et notre monde. Parce que, ce que le Nô a à nous offrir, nulle part ailleurs, on ne peut le trouver.

Il est 22h00. Nous rentrons nous coucher. J’ai dans mon iphone la cavalcade de ce soir. Avec l’envie de me relever les manches et de plonger plus avant dans l’obscurité de ce monde qui m’appelle tous les jours un peu plus. Sûr d’y trouver un jour, une nuit, un trésor rare et unique, peut-être salvateur, en tout cas nécessaire pour moi.

Bonne nuit.

A côté du Akashi Kaikyo, cette maison surprenante. Malheureusement nous n’aurons pas le temps d’en savoir plus…

Shimai, Utai… et le reste ?

Bassin aux poissons du « Café » du soir, faute d’images du Shikibutai de Maître Michishige Udaka

Oui, le reste…

Les jours passants, la mémoire joue des tours. Et cet exercice – vous écrire tous les jours – aide à imprimer les événements plus profondément. Encore faut-il s’y tenir… Ma difficulté à trouver le temps de faire le compte-rendu journalier fait que les détails s’estompent et qu’il me faut plus de temps pour refaire surgir les images. Donc, le reste… Ah si ! Ca me revient ! Attachez vos ceintures… destination Japon, Kyôto, 29 Juillet 2009. 09h30, heure locale.

Ce matin, je décide de prendre un temps pour rattraper le retard pris dans la rédaction du journal de bord depuis l’arrivée d’Elise. Bien sûr, je travaille, aussi. Flûte, chant et danse sont au programme. Elise est là, bouquine, profite de ce moment de pause. Je voudrais passer à l’Institut Franco-Japonais pour en savoir un peu plus sur les démarches à entreprendre pour rester, mais finalement le temps court trop vite et comme nous ne sommes pas sortis ce matin, j’ai proposé à Elise d’aller au cours en vélo – donc de prendre le temps d’aller au shikibutai tranquillement.

C’est une longue balade d’une heure où, pour le coup, nous quittons l’axe est-ouest pour le nord-sud – le shikibutai étant tout au nord, aux pieds des hautes collines qui encerclent Kyôto. En plus, le trajet longe la rivière Kamo, enfin le bras le plus à l’est – porte-t-il un autre nom ? Nous pédalons, pédalons, pédalons. Et comme la dernière fois, les voitures ne sont pas très sympathiques avec nous. Du coup, nous prenons un maximum les trottoirs. De toute façon, nous sommes partis bien en avance et pouvons pédaler tranquillement, nous arrêter pour regarder un héron où une cascade à l’envie.

Nous arrivons au shikibutai avec une bonne heure d’avance. Du coup, nous nous installons, en face, sur le petit banc et sirotons un rafraîchissement en fumant une cigarette à l’ombre du grand arbre. Le maître arrive dans sa grosse voiture vers 15h30. Il nous voit, nous salue, puis entre dans le shikibutai. Devons-nous le suivre ? Je presse Elise, je me dit qu’il doit préférer qu’on vienne tout de suite, que ça doit se faire comme ça…

Nous entrons. Déposons nos chaussures, faisons glisser la porte coulissante : “Yoroshiku Oneigai Shimas”, front au sol – c’est ce qu’on doit dire et faire quand on salue un maître. Lui est dans la cuisine, sur le côté droit du Shikibutai. Il sort la tête. Il a de la mousse à raser jusqu’en haut du nez. Il semble de bonne humeur. Rebecca et la fille allemande sont déjà là et rigolent. C’est vrai qu’avec sa mousse à raser, on dirait un clown. Il finit de se raser, sort de la cuisine, vient vers Elise et lui tend la main. Il aime saluer à l’occidentale, je crois… Puis il se change – il rajoute sur son kimono long un hakama. Pendant qu’il fait ça, il nous demande ce que pensent les français de l’Enfer. Je lui explique que peu y croient. Ils n’en revient pas : “ Mais où vont-ils alors, après, quand ils sont morts ?” “Nulle part…” Il nous parle de l’enfer des guerriers : l’Ashura et revient sur Atsumori, nous dit qu’il pense que son esprit est toujours là-bas et que nous devrons travailler dur encore si nous voulons qu’un jour il quitte cet enfer pour rejoindre les âmes venues et à venir.

Il semble fatigué. Son rhume, déja bien présent hier, s’est amplifié. Il appelle Rebecca. Aujourd’hui, c’est elle qui travaille en premier. Elle vient le rejoindre sur le shikibutai et pendant qu’elle s’installe, le maître pioche un des masques qu’il est en train de sculpter et le met dans les mains d’Elise, puis repart, sans un mot, se mettre en place. C’est un cours de Kotsuzumi – tambour d’épaule… le maître comme tous maître de Nô connaît tous les arts du Nô, même si sa place est celle du Shite. Le cours dure un bon moment. Le maître chante et frappe de son éventail les temps du Teiko et du Otsuzumi – tambour posé au sol et tambour de hanche. De temps en temps, il s’arrête, reprend Rebecca, puis repart. Il n’y a jamais de longues explications. On fait, on refait, on rerefait. On regarde, on écoute, on observe. C’est ça, la technique d’apprentissage.

Puis, c’est mon tour. Comme la veille, nous faisons les exercices de chant, puis chantons… mais sans le maître. Il y a la fille allemande, un autre élève allemand qui débute et moi. Le maître nous laisse faire deux ou trois fois seuls, puis vient et chante avec nous. Quand chacun à chanter le rôle du Shite seul, nous passons au Shimai.

Le maître décompose la fin du Shimai, puis demande à Rebecca et à la jeune fille allemande de le remplacer. Nous travaillons comme les ombres de ces deux shite qui connaissent cette danse parfaitement. Nous déroulons la danse une bonne dizaine de fois. Profitant d’être sans le maître pour repasser juste des endroits, une fois, deux fois, trois fois… jusqu’à ce que ça rentre ! Puis nous dansons la danse complète avec le chant. Du début à la fin. Un bon nombre de fois. Quand c’est l’étudiant allemand qui danse, je rejoins la jeune allemande au choeur et inversement. Il est sept heures – le maître s’est absenté, il est allé chez le médecin – nous avons dansé deux heures et j’ai le sentiment d’avoir bien avancé. Nous prenons le chemin du retour toujours sur nos montures que nous laissons nous perdre – Kyôto étant une ville construite autour de rues agencées en parallèles et perpendiculaires, se perdre n’est jamais très périlleux – au gré des rues que nous croisons. Du coup, nous rencontrons un temple à la nuit tombée dans un parc et quelques autres merveilles et dépaysageries.

Le « Café », autre vue… au milieu toujours les poissons

Il est 20h00, nous arrivons à peine. Ce soir, nous irons manger dans ce café que j’ai découvert en revenant de la maison imaginaire de Zeami l’autre soir. Et nous avons bien fait ! Le cadre était vraiment charmant, nos hôtesses – une femme et sa vieille mère – adorables et le repas – accompagné de café… et oui, c’est un café – à la hauteur. En plus, il y a ce magnifique bassin au centre du café avec tous ces poissons qui s’ébattent, nous accompagnant dans notre repas de jolis bruits d’eau. C’est Rose qui se plairait ici…

« C’est Rose qui se plairait ici… »

C’est drôle le nombre de restaurants comme celui-ci. Il semble n’y avoir jamais personne et pourtant il est onze heures et la boutique est encore ouverte. Avec dans la soirée quatre clients : deux filles venues manger une glace et boire un café et nous qui avons mangé. Je me demande comment ils survivent… là quelque chose m’échappe. Mais les deux femmes n’ont pas l’air inquiet et commencent tranquillement à faire leur ménage pour nous faire comprendre qu’il est l’heure de quitter la place.

Interneto et dodo.

P.S. Désolé pour l’absence d’images, mais au Shikibutai, il n’est pas bon ton de faire des photos à tout bout de champs surtout quand on est dessus.

Retour au Tôji In et 3eme okeiko – lesson de Shimai et Utai

Statue de Yoshimitsu Ashikaga, deuxième rencontre…

Présentement, ce n’est même pas encore l’heure pour vous d’aller vous coucher – 23h15 – et pour nous, c’est déjà l’heure du train – 06h15 – pour le voyage le plus important de ce séjour : retour à l’Île Sado, “l’Île d’Or” comme l’appelait Zeami et sur laquelle il a vécu une ou deux années d’exil – honte sur moi, mais je n’arrive pas à me souvenir du temps de cet épisode, le denier de sa vie. Mais j’y reviendrai dans quelques jours de journal, soit – si j’arrive à ne pas m’endormir avant – à Nîgata ou Niigata – cinq heures de Shinkanen où j’espère pouvoir rattraper les 3 jours de retard que je trimballe dans mes sacs à méninges.

Où en étions-nous…

Nous rentrions de Nara, endormis tête contre tête, avec des images et des rêves plein les yeux. La soirée se terminait entre un petit resto fort sympathique et l’”Interneto” où nous allions glaner quelques informations pour la suite du séjour. Bien sûr, nous y avions croisé Rose qui, de chez sa tata, nous racontait ses vacances aux Lecques où elle était en train de se transformer en sirène à force de tremper toute la journée dans la mer…

Statue de Yoshimitsu Ashikaga, deuxième rencontre… mais avec un appareil photo, pas un téléphone. Ce qui change quelque chose, non ?

Aujourd’hui – je veux parler du jour qui fut avant-avant-hier, mais que pour des raisons de narration, de rythme, j’appellerai, malgré les jours passés depuis et pour ce post seulement : aujourd’hui – j’ai mon premier cours en tête à tête avec Maître Udaka. Cela fait maintenant presque une semaine que je ne l’ai pas vu et sincèrement, sa présence, sa voix, ses mots, m’ont manqué. Je décide de prendre un grand temps ce matin pour revoir le chant et apprendre le texte de “Oimatsu” – le nô sur lequel j’ai commencé à travailler avec Rebecca, souvenez-vous… – et propose à Elise d’en profiter pour aller au Tôji In. Elle, pour découvrir ce temple qui m’a tant marqué et ses jardins, moi pour y travailler le chant et essayer mes pas de nô sur le plancher chantant (et pour revoir Yoshimitsu aussi bien entendu…)

Le Pavillon de Thé du Tôji In

Nous partons, la matinée déjà bien entamée – bien reposés des deux jours d’avant où nous avons tant pédalé et marché – et traversons Kyôto d’est en ouest. Le chemin qui mène au Tôji est vraiment charmant. On commence par des grandes rues, à la circulation assez dense, pour se retrouver ensuite dans des quartiers qu’on pourrait dire de “Banlieue” avec de vieux chemins de fer, des rues plus étroites, des maisons plus vétustes, moins entretenues ou plutôt différemment, de façon plus japonaise : un côté plus brut et rustique : plus authentique. C’est très dépaysant. C’est un autre Japon que nous traversons au rythme de nos vélos et qui fini par nous déposer devant l’entrée du Tôji In. Là, nous avalons deux obento, sur des marches qui mènent à une vieille cloche de bronze, entre le temple et le cimetière qui lui est attenant, puis nous entrons. Je me sens chez moi – j’avais oublié quand même qu’à l’entrée ils nous délestaient de 500 yens chacun, soit 1000 yens pour rentrer chez soi… un peu chérot à la longue ! J’invite Elise à monter les marches de bois et la laisse découvrir cet endroit hors du temps à son rythme. Moi, je goûte pied après pied, ce contact délicieux avec le vieux bois usé sur les pieds nus, sa température, son grain et le chant de ses plinthes. Arrivé au plancher chantant, j’esquisse mes pas de nô et surprise… le plancher alors se tait ! J’ai découvert le secret qui me permettrait d’arriver de nuit pour égorger le seigneur dormant du sommeil du juste, sûr d’être protégé par ce charme ancestral.

Vue sur le jardin du côté du Pavillon de Thé du Tôji In. Ici, on peut prendre un thé de cérémonie pour aider au voyage dans le temps.

Elise arrive. Elle a les yeux ronds comme des billes et le sourire béat. Je l’entraîne jusqu’à la chambre des Shôgun des Ashikaga. Je lui présente Yoshimitsu, Yoshimochi, puis Yoshinori. Elle les découvre, l’un après l’autre, tombe sous le charme du terrible Yoshinori, avec son visage fin et se yeux vifs. Sans les connaître, elle les dépeint très bien. Elle voit chez les uns et les autres, les caractéristiques qu’on leur connaît. Moi, je voudrai m’asseoir là et attendre. Attendre mille ans s’il le faut que Yoshimitsu s’anime et me raconte sa grande histoire. Mais le temps passe et je n’ai pas encore ouvert ma partition de chant… J’emmène Elise de l’autre côté, du côté de la Maison de Thé où l’on peut admirer un jardin japonais d’une très belle facture. C’est le seul encore existant qui a été fait par un des plus grands maîtres d’agencements de jardin de l’époque des Ashikaga. Nous nous installons là, sur la terrasse, face à ce jardin et commandons deux thés. C’est un moment silencieux où chacun se retrouve avec lui-même, un moment où le paysage extérieur amène au paysage intérieur. La dame arrive avec ses deux bols de thé moussus et les friandises qui les accompagnent toujours. Là aussi, les motifs du vert du thé au fond du bol aident aux songes, agissant comme une clé secrête. Je sors ma partition et travaille à voix basse, pendant qu’Elise se perd un peu plus dans les sentiers d’odeurs de ce jardin.

Toujours le jardin japonais du Tôji-In vu de son Pavillon de Thé… une merveille

Il est l’heure pour moi d’aller rejoindre Maître Udaka au Shikibutai. Je laisse Elise là – qui restera jusqu’à la fermeture – et file en forçant le vélo et ma tête à revenir à la date d’aujourd’hui et au moment présent. Je suis en retard ! Du coup, je laisse le vélo à la maison et finis le trajet en métro. Il est 15h30, mon rendez-vous est à 16h, mais arriver en avance se fait et me permet de profiter des cours qui sont avant le mien. Le maître et son fils aîné travaillent à la prochaine représentation. L’ambiance est assez détendue, même si très studieuse. Une autre élève – allemande, je crois… elle est là depuis 5 ans et fais du Nô depuis 3 – est là et note sur son livret, les parties des différents instruments qu’elle se doit de connaître par coeur, en plus de sa propre partition de chant et de danse, pour interpréter son rôle. Le temps s’étire – c’est un principe – et si l’on connaît toujours l’heure d’arrivée, on ne peut jamais savoir quand on s’en ira. Il est 17h30 quand le maître m’appelle.

« les motifs du vert du thé au fond du bol aident aux songes… »

Nous commençons par les exercices de chant, puis par le Utai, assis en seiza face à lui, en essayant de profiter d’entendre enfin sa voix chanter cette partie pour m’en imprégner le plus possible. Puis nous passons au Shimai. Travailler avec le Maître est très différent d’avec Rebecca. Cela fait 55 ans qu’il fait ça tous les jours. Il aborde tout avec sérénité et en même temps un grand sérieux. Et le voilà qui, à chaque mouvement, m’en explique sa teneur, religieuse, émotionnelle, poétique. Les kata se transforment en hommage au soleil, en protection par le Bouddha du public, en lien avec les dieux qui doivent descendre et parler à travers vous. C’est vraiment incroyable ! Rien n’est au hasard, ni juste mu par esthétisme ou sens pratique. Je commence à comprendre la portée et la profondeur de la notion religieuse dans l’acte de “jouer” – mais le terme, du coup, devient un peu inapproprié – un nô et le devoir que cela représente. Comme un service dû au public pour l’aider à se détacher des pendées blessantes et lui faciliter l’accès au Nirvana.

Balade dans le Jardin Japonais du Tôji In. Photo d’Elise

Il est 20h00 quand je rentre à la maison. Elise est là qui m’attend. Elle vient de rentrer, elle aussi, après une longue balade dans le quartier du Tôji-In. Demain, un autre cours avec le Maître m’attend et Elise y est conviée. J’ai beaucoup de travail de mémorisation à faire. Chant – apprendre des chants en japonais relève pour moi de l’exploit – et mouvements : ouverture de l’éventail, pas, mouvements d’éventails, mouvements de bras, tours, demi tours, etc.

Après un rapide tour de resto et d’interneto, dodo !

Nara, première capitale du Japon

Poursuivi par les dragons… ou plutôt, comment être sûr que nous sommes pas loin d’un temple bouddhiste.

Nous avons mis le réveil bien évidemment. C’est les jambes très lourdes – de la balade de la veille – que nous nous dirigeons vers la Kyôto Station pour prendre le train pour Nara. Il est, malgré tout, dix heures quand nous arrivons. Une dame dans un petit bureau de “Tourism Office” nous reçoit et nous donne tous les renseignements. Elle fait cela d’une voix monocorde ; on sent bien que c’est la trois centième fois qu’elle le fait ce matin et qu’elle est encore loin d’avoir fini sa journée.

Le premier petit temple du Kofukuji… à l’ouest. pas loin du dragon

Avec notre carte pleine de cercles et de croix, nous allons à notre premier rendez-vous – pour moi le plus important – Le Kofukuji, temple où Kanami, du temps où il s’appelait encore Kiyotsugu, était responsable des représentations. C’est, en effet, le grand temple dont ils dépendaient à l’époque. A l’entrée, un cerf nous attend et ouvre la route. Ils sont légion ici. Elise disparaît avec le cerf me laissant seul à la rencontre d’un nouveau dragon. Oui, comme au Higashi – Honganji, temple de Kyôto où le premier jour j’avais rencontré le grand Dragon. Mais, c’est assez normal, me direz-vous, il est, dans la symbolique bouddhiste, un protecteur puissant !

Au bas de ce plan, la porte sud du Kofukuji, là où Kanami et Zeami enfant assuraient leur service… avant Kyôto.

Je lui confie mes mains le temps de les nettoyer des inquiétudes de la vie et vais me recueillir en appelant du plus fort que je le peux Zeami. Mais, s’il est là, il ne semble pas avoir envie de discuter avec moi pour l’instant. Du coup, je continue ma visite. J’imagine la scène montée en plein air et le peuple attroupé devant. Voici le grand Kanami qui entre accompagné de son jeune fils… C’est vraiment fort ces instants où l’imaginaire aidé du réel fait une passerelle et vous entraîne dans des contrées qui vous appartiennent à vous seul.

« Elise est là qui m’attend au pied de la pagode à 5 étages… »

Elise est là qui m’attend au pied de la pagode à 5 étages, à la droite du Musée des trésors qui se trouve dans la cour du Kofukuji. Nous voilà dans cette salle face à des sculptures monumentales. Quatre prêtres en bois de taille humaine ferme la visite. Ils ont tous les quatre des visages soit douloureux, soit bouillonnant de colère… c’est étrange ! On imagine plutôt des prêtres sur la voie du Bouddha apaisés, souriants. Mais eux, non. Ils sont là pour nous rappeler que vivre à cette époque ne devait pas être aisé et que s’il est bon de fantasmer ce monde passé, il ne faut pas en exclure la violence, la sévérité, la cruauté. Le temple Kofukuji pour survivre à une époque où il avait fait le mauvais choix de s’allier à l’un des Genji – au moment de force du clan rival des Heike – avait carrément formé une armée de moines pour se défendre !

Les biches, les cerfs… ils sont partout ici, dans tout le parc de Nara

Puis, nous faisons une pause pour manger nos Obento dans un parc entre deux routes où les biches et les cerfs par dizaine se prélassent. Il y a aussi des corbeaux qui croassent. On dirait qu’avec leur fort caractère, ils nous demande de vider les lieux : ils voudraient pouvoir être tranquilles et profiter de leur havre de paix sans tous ces touristes ! Non mais…

La maison de Thé du Yoshiekien… bien plus jolie en vraie !

Ensuite, nous allons voir deux jardins japonais, le Yoshiekien et le Isuien, implantés dans les sites de résidence des grands prêtres du Kofukuji – oh les veinards !!!! – bien sûr modifiés de nombreuse fois ou disons, avec des parties ajoutées au fil du temps. C’est bien simple… si le paradis devait se trouver sur terre, il pourrait être là. Mousses agencées de façon délicieuses, arbres sauvages mêlés aux bonsai, harmonie des couleurs : du vert intense ou rouge en passant par l’orange. Des fleurs, parfois, juste là au milieu, prenant, par leur solitude, une puissance incroyable – à croire qu’on en avait jamais vu avant ! Puis les bruits d’eau, les petites cascades, les bassins où des gouttes tombent une à une dans un joli cliquetis sur une mousse épaisse et moelleuse. Bien sûr, des bâtiments aussi. Des maisons de thé aux toits de chaume, des pavillons de contemplation où les rares élus pouvaient s’installer et contempler le jardin dans l’axe le plus apaisant. Avec le soleil qui darde aujourd’hui, ce moment est un pure délice. C’est comme si vos poumons retrouvaient leur souplesse initiale, comme si vos narines, votre gorge, vos oreilles – tous vos orifices enfin – se trouvaient emplis d’un élixir doux et sucré, d’une essence volatile aux senteurs enivrantes… pure moment de bien être.

Yoshiekien…

…Yoshiekien…

Isuien, maison de thé au loin et fleurs de Lotus devant…

…Isuien…

Isuien, fleurs de nénuphares… alors Isuien ou Yoshiekien, faites votre choix

Enfin – mais il nous aurait fallu un autre jour pour en voir un peu plus – nous allons au Todaiji. Le plus grand temple et même édifice de bois au monde ! Avec, dedans, la plus grande statue de Bouddha, mais aussi la plus grande statue de bronze au monde. Nous sommes dans le gigantisme, vous l’aurez compris. Devant ce bouddha, je m’imagine le nombre d’âmes qui sont venues y prier depuis qu’il est là – en 752. Cela se sent, c’est palpable, dense. On sent les souhaits, les requêtes, les voeux, les larmes qui s’envolent et tournent autour de lui comme ce nuage d’encens fait de chaque bâtonnet allumé par ceux qui viennent ici. Et l’on se retrouve tout petit dans l’axe de ses yeux mi-clos, sûr qu’il va vous adresser quelques mots ou quelque signe. C’est un lieu monumental et sombre, mais les enfants qui y jouent à loisir et l’ambiance y est sereine, douce. Waouou, quel voyage.

Le Todaiji… monumental. Les petits points devant sont les gens !

La plus grande statue de Bronze du monde… Bouddha, là depuis 752 (enfin, il a été refait deux fois déjà)

Il est 18h30. Nous avons bien marché six heures aujourd’hui. C’est exténués que nous arrivons à la station de Nara et nous nous endormons dans le train qui nous ramène à Kyôto, ayant aussi besoin, je pense, de ce temps, de ce sommeil, pour assimiler ce que nous venons de vivre.

Gardiens du Todaiji, têtes…

A tout bientôt…

Kyôto… un nouveau visage dans la ville

Excusez-moi ces trois jours d’interruption, mais l’amour à ses raisons que la raison ignore ! Comme le dirait Jean Baptiste Poquelin alias Molière…

Le Kongo Kaikan : Kongo Nogakudo… soit le Théâtre Nô des Kongo.

Le samedi fut ici dédié à cette arrivée. Ménage, courants d’air, pomponage et compagnie sous une pluie torrentielle s’étant mise à tomber en même temps qu’Elise arrivait sur le sol japonais. “Voici la Déesse de la fertilité qui arrive” semblait dire le ciel. Puis elle arriva et même je la trouvai sans trop de complications à la Kyôto Station – gare japonaise, donc immense et labyrinthique.

Le Butai des Kongo. On peut voir tous les masque présentés tout autour du Butai.

Après un bref arrêt à la Takaya, nous allâmes directement voir l’Exhibition de costumes et de masques Kongo au Kongo Kaikan. Je découvre ce théâtre pour la première fois et lui trouve – Elise dira de même – un cachet vraiment authentique. Malheureusement, les appareils photos sont interdits ! Dans la salle du Butai, nous croisons Rebecca que je m’empresse de présenter à Elisabeth. Nous profitons de ses connaissances pour regarder les kimonos attentivement. En fait, dans les motifs rehaussés des kimonos et des éventails, rien n’est posé au hasard. Tout à un sens lié au personnage, à la saison où la pièce joue, à son humeur, son histoire… le tout traduit par des symboles. Animaux et végétaux pour les femmes et souvent géométriques pour les hommes. Cette visite devient, du coup, passionnante. Il faut savoir que les costumes de Nô comme nous les connaissons aujourd’hui sont arrivés à l’époque Edo sous l’impulsion du Général Hideyoshi. Avant, dans le théâtre Nô, le costume était sobre – ils s’habillaient comme dans la vie, à quelques détails près.

Dans le jardin du Kongo Kaikan, attenant au théâtre. Photo d’Elisabeth

Les costumes et les masques de la famille Kongo sont somptueux. Des pièces rares et des masques datant pour la plupart de la période Muromachi ou période des Ashikaga, c’est-à-dire la période où vécurent les premiers Kanze : Zeami et Kanami. Ils sont assez semblables à ceux utilisés aujourd’hui et servent souvent de matrices aux masques qui ont été créés ensuite. Les noms des masques, tels que nous les connaissons, ont, par contre, été arrêtés à la période Edo, soit 200 ans plus tard. La collection des Kongo est une collection vraiment intéressante, du fait qu’ils ont été les Sensei de la famille Impériale pendant une époque et se sont donc vus offrir des cadeaux d’une valeur inestimable – Kimonos, éventails, masques.

Détail de la maison imaginée être celle de Zeami, surprise du soir à Kyôto

Voilà. Il est 17 heures, nous rentrons à la maison. Elise est cuite. Le décalage horaire a, chez elle, l’effet inverse de chez moi… elle a besoin de dormir. Je la laisse et pars à la recherche d’un loueur de vélos. Mais c’est peine perdue. Apparemment, il faut se rendre dans les Hôtels ou les Guest-House pour en trouver. Par contre, je croise une vieille maison ouverte que j’avais déjà rencontrée quand je cherchais le Kanze Inari. Je rentre… Je tombe sous le charme. Dans mon histoire, Zeami vivra ici. C’est exactement comme j’imagine sa maison. Je prends des photos pour pouvoir les étaler devant mon ordi quand il s’agira de reprendre l’écriture de la pièce et rentre à la maison.

La Déesse de la Fertilité incarnée… devant un petit temple en attendant les vélos

Le dimanche sera une journée douce et tranquille pour qu’Elise puisse arriver posément. Je la laisse à la maison et retourne au Kongo Kaikan pour voir la nouvelle “Exhibition”. Mais, ils ont juste changé les kimonos. Repayer 1000 yens pour voir dix nouveaux kimonos me laisse un petit goût amère, mais enfin, cela fait partie des choses à faire quand on est un disciple et donc, je m’exécute. Je ne reste pas longtemps aujourd’hui. Je fais un rapide tour des kimonos, vais saluer Rebecca qui doit être là pendant toute la durée de l’Exhibition – c’est à dire deux jours – avec les deux fils du maître pour représenter les Udaka. Le maître lui ne viendra pas. Aucun membre de l’école de l’âge du maître n’y est d’ailleurs. Ce sont les jeunes, accompagné du Iemoto qui assurent l’événement. Passation des responsabilités oblige.

En Route pour le Daigo Ji. Ca monte dur, les collines deviennent montagnes…

Je n’ai toujours pas vu le Daigo Ji, l’endroit où est la tombe de Zeami et je propose à Elise cette balade. Il nous faudra juste trouver ce second vélo qui manque. Elise a passé quelques coups de fils ce matin et a trouvé une boutique qui loue des bicyclettes à trois rues de la maison. Nous y allons, mais c’est l’heure du déjeuner. Qu’importe, nous avons du temps et nous arrêtons pour manger un bout. Superbe petit restaurant très typique et sympathique où la nourriture est bonne et peu chère juste à côté d’un petit temple très joli où nous avons aussi le temps de nous poser à l’ombre des Gingko. Puis nous allons à la boutique. “Do you rent bicycles ?” “Yes ! Of course… 8000 yens for two weeks !” Pour 10 000 yens, tu achètes un vélo. Donc, on s’excuse, on repart et s’arrêtent chez le vendeur de vélo qui fait l’angle avec la Imadegawa Dori et le vélo, on l’achète. Un blanc vélo tout joli et pas cher. Pour moi, c’est pratique, étant donné que, quoi qu’il se passe, j’ai décidé au moins de rester jusqu’à la fin de mon droit de séjour, début octobre. Le temps de voir venir… “Joyeux anniversaire !” Oui, le vélo est le cadeau d’Elise pour mon anniversaire qui arrive du coup, comme souvent, avec quelques jours d’avance.

Sur la route du Daigo Ji, Kyôto pédale après pédale se transfigure… voyage dans le temps assuré

Puis nous allons au Daigo Ji. Enfin… nous y allons est un bien grand mot. C’est bien plus loin que je ne l’imaginais et il faut traverser les collines qui encerclent Kyôto. Nous arriverons finalement assez proches du Daigo Ji, mais nous abandonnons lâchement. Il est 17h30, le temple est du coup fermé et il va falloir repasser les collines en sens inverse. En tout quelques sept heures de vélo dans l’après-midi. De quoi nous rompre pour quelques jours…. Mais que nenni ! Demain, Elise me propose la ville de Nara. Ancienne capitale de l’époque qui porte son nom : Nara : 649-794. En plus, ville où Zeami a passé une bonne partie de son enfance et même de sa vie. Ok doki, c’est parti.

Magnifique temple dans lequel nous venons nous abriter. La nuit tombe et l’orage gronde. Hasard des rencontres. Un moine nous invitera à sortir. Ce temple, immense, n’est pas ouvert au public.

Fue… only that ! Où comment essayer d’apprendre une partition en 4 heures.

Shikibutai Kanze à côté de Osaka, station Momodani

Voilà un compte rendu qui sera léger à faire. Cela tombe bien, Elise arrive d’ici quelques heures et je voudrais finir le ménage pour la recevoir et qu’elle se sente assez bien pour que lui germe l’idée de rester ici un an avec moi et, du coup, Rose. Mais revenons à notre histoire.

Comme je vous l’ai dit hier. Le maître – Maître Saco – me laisse hier soir avec une partition sur quatre pages à savoir pour le lendemain. Et il n’est pas question des prétextes de temps dont nous pouvons user en France. Si j’ai un cours, je dois avoir travaillé et être capable d’entonner “Ryô”, “Chu”, “Kan” et “Kan-chu” sans discontinuer, c’est ainsi. Heureusement, mes voisins sont partis tôt ce matin, du coup, je m’y mets directement. C’est difficile de battre la mesure en seiza une flûte à la bouche. Du coup, je regarde sur mon iphone à tout hasard et… oui, j’ai un métronome sur une de mes applications. Et c’est parti pour trois heures non-stop avec la flûte. Petit à petit ça rentre, mais il faut que ça tourne. Donc je continue, autant que mes lèvres et mes doigts le peuvent. Mais j’ai remarqué que plus mes doigts sont détendus, plus le son est clair, c’est donc plus reposant.

Saco Sensei en train d’admirer ce vieux shikibutai… une merveille au tout petit hashigakari

Je fais une pause pour écrire et manger, puis je m’y remets. Encore et encore. Il est 14h30, j’ai rendez-vous après Osaka, ce qui veut dire prendre le métro, le train, puis un second train. Je n’ai aucune idée du temps que cela me prendra, donc j’y vais. Mon rendez-vous avec Rebecca est 17h – ce qui fait quand même une bonne marge, je pense. Effectivement, j’arrive à Momodani avec une bonne heure d’avance. Qu’importe, c’est la première fois que je mets les pieds dans les banlieues d’Osaka, je flâne. L’ambiance est différente ici. Beaucoup de gens âgés, d’étales de poissons – nous sommes à quelques pas de la mer. Les gens semblent en général plus souriants et avenants qu’à Kyôto. Je m’arrête boire un coffee et en profite pour réviser en chantant la flûte comme ils le font et en battant la mesure. Il est 17 heures, je vais retrouver Rebecca à la sortie de la gare – heureusement aujourd’hui, il n’y a qu’une sortie. J’apprends que notre rendez-vous est à 18 heures, ce qui nous laisse encore une heure de libre pour parler du programme à venir et de la visite de l’Île Sado que je voudrais faire avant que mon Railpass n’expire – c’est à dire avant le 2 août. Ca va être compliqué à gérer, mais c’est faisable et il me semble important pour l’écriture de la pièce sur Zeami que j’aille passer dans ses derniers pas. On dit, de plus, qu’un des temples où il a séjourné, a une statue de lui.

L’autre côté du Shikibutai Kanze. Admirez les bambous and the Plum

Il est 17h50 et nous arrivons à notre lieu de rendez-vous. En effet, la seule maison traditionnelle dans toute la rue – comme l’avait dit Saco Sensei. Mais on dirait une habitation. Rebecca hésite à rentrer, fait le tour pour voir s’il n’y a pas une autre porte, puis entre finalement. Je la suis à distance, au cas où nous tombions nez à nez avec le propriétaire de la maison et qu’il s’étonne de voir deux occidentaux entrer comme ça chez lui ! Mais non, c’est bien là. Derrière une porte coulissante aux carreaux de papier, nous découvrons un véritable petit butai magnifique. C’est un Shikibutai de la famille Kanze. Une oeuvre d’art d’une beauté et d’une authenticité renversante. Ouah ! Décidément, les cours de flûte m’entraînent à chaque fois dans des lieux incroyables.

Saco Sensei et une élève… voilà comment se passe le cours. Les baguettes sont pour battre la mesure, pas pour nous taper…

Deux filles sont déjà là et nous servent le thé comme je comprends que c’est la tradition. Je ne sais pas si le nécessaire est sur place ou si ce sont les élèves qui amènent aussi thé, tasses, chauffe-eau. Il faudra que je me renseigne là-dessus, puisqu’il semble qu’en tant qu’occidental cette tâche ne me soit jamais dévouée. Le maître finit son thé, puis demande qui veut commencer. Je la joue à la japonaise, je leur propose d’y aller – en plus, j’ai la trouille grave ! Mais elles finissent par gagner et je vais me mettre en place devant le maître devant ce public averti qui va pouvoir bien rigoler. “Ok ! Oshirabe”. “Quoi ! Oshirabe ? Comment ça ? Mais moi je ne me suis concentré que sur la nouvelle partition….” bon, je fais appel à mes ressources, j’en appelle à ma mémoire et à mon sang froid et c’est parti. Mais il m’est impossible de sortir le “Ho” qui doit, dans Oshirabe, être grave. Avec l’entraînement sur la nouvelle partition où tout est dans l’aigu, le grave ne sort pas. Et c’est la première note. J’essaye, je repositionne la fûte, je réessaye, je souffle, je sououffle, mais rien n’y fait, elle sort toujours en “Hya”. Je m’excuse, mais il veut entendre “Oshirabe”. Donc je recommence. Et même chose. Ca dure, ça dure, j’ai des gouttes qui perlent le long de mes tempes. “Mais tu vas sortir “Ho!”. Puis j’abandonne, je lui jouerai avec des “Hya” à la place des “Ho”, c’est tout ce que je peux faire aujourd’hui ! Je respire un grand coup, je me concentre et “Hya…Ho”, le “Ho” sort enfin. J’en profite pour lui jouer “Oshirabe” d’une traite. “Ok”. J’ai l’impression que ça a duré dix minutes. Sous le regard désolé de Rebecca et les lèvres pincées pour ne pas rire des deux filles. “Let’s play the other.” Ok ! Là, il s’agit de montrer que j’ai bossé. Et c’est parti. A part une ou deux fautes, cela se passe sans soucis. Il me le fait jouer en boucle de plus en plus vite, je tiens. Parfois, je m’emmêle les pédales, mais je sens qu’il est rassuré. Il me donne encore une nouvelle partition, enfin disons l’introduction des quatre phrases que j’ai appris aujourd’hui qui s’appelle : “Kakari”. Jouée avec les quatre phrases, cela devient “Otoko Mai”. Voilà. Nous repartons vers 19h30, après avoir regardé l’élève suivante d’un très bon niveau. Cela veut dire que le cours a bien dû durer 45 minutes ! Ouah…

Je laisse Rebecca à la Kyôto Station filer à la préparation de l’exhibition de masques et de costumes qui a lieu aujourd’hui et demain au Kongo Kaikan et file manger un bout.

Ensuite, je vais à l’Interneto. As usual.

Bye.

Retour à Kyôto, lessives, cours de flûte et Kanze Keikan

Pas plus haut que trois pommes, le joueur de Otsuzumi de l’école Kanze. Soirée des jeunes professionnels.

Peut-être la première journée comme une autre de tout ce séjour. Ah si quand même ! J’ai des voisins désormais à la TAKAYA Guesthouse. Ils sont arrivés pendant mon absence. Un français et sa femme japonaise. Des gens très discrets. Ca me permet de leur demander comment marche cette machine à laver que nous avons, mais qui n’a pas été prévue pour les néophytes en Kanji. Et à vous dire vrai, c’est plus simple qu’il n’y paraît. Il suffit d’appuyer sur on et d’appuyer sur “play” ; la machine se charge du reste – combien il y a de linge, etc. Par contre pour faire sécher le linge avec l’humidité ambiante, ce n’est pas une mince affaire. Même avec le sèche linge, il me faut compter une heure de séchage par machine. Soit deux heures en tout à rester ici, à fumer des clopes et boire des cafés devant ce sèche linge qui est au bout de notre impasse. Voilà l’histoire de ma matinée !

Le petit temple sur la Oike Dori où j’ai, ce jour, mon cours de flûte.

L’après-midi est dédié au travail de la flûte. j’ai cours cet après-midi à Oike – deux stations d’ici – et je n’arrive toujours pas à jouer “Oshirabe”. Le rendez-vous est à 16 heures devant la station de métro Oike avec Rebecca qui a, du coup, annulé le cours de shimai que je devais avoir cet après midi – apparemment, elle avait oublié ce cours de flûte. Je pars un peu en avance pour me promener et découvrir un peu mieux le quartier.

Détail de la porte en papier dans la salle du temple où je reçois le cours de flûte, ce jour.

Rebecca m’entraîne le long de la Oike dori jusqu’à un temple. C’est l’avantage de travailler sur une forme ancestrale et traditionnelle, on peut se promener dans des endroits d’une autre époque souvent fermés au public. Nous entrons dans le temple – dont je n’arrive pas à retrouver le nom sur la carte tellement il est petit – et nous montons de vieux escaliers de bois. Là, une salle traditionnelle toute recouverte de tatamis et aux portes de papier nous attend. Le maître n’est pas encore arrivé. En l’attendant, j’essaye d’avoir un peu plus d’informations sur la suite du programme et me retrouve avec une semaine d’infos d’un coup ! Maître Saco arrive. Décidément, j’adore ce bonhomme qui me dit “Bonjour”, à la française. Nous nous installons, il demande à Rebecca si j’ai bien travaillé, ce qu’elle ne sait pas. Je lui dis que j’ai travaillé un peu tous les jours, mais que ce n’est guère brillant. Il me sort alors une nouvelle partition qui fait le quadruple de la première. C’est l’air qu’on entend le plus souvent dans les danses. Il s’agit de quatre phrases : Ryo, Chu, Kan et Kan-chu. C’est, bien entendu, écrit à la main comme pour “Oshirabe” avec deux couleurs et les dessins des doigtés. Puis, c’est le moment du cours. Je me mets en face de lui, en seiza, dans l’espace dédié et essaye d’entonner “Oshirabe”. Il me corrige une fois, puis nous passons à la nouvelle partition. Il me montre une fois, nous le chantons une autre et c’est parti ! Je panique. Il bat la mesure, je déteste la mesure, elle me fait, à tous les coups, perdre la musique. Mais je m’exécute. J’essaye. Nous avançons à une vitesse fulgurante et encore, je sens bien qu’il trouve que ça ne va pas assez vite. J’en ai la tête qui tourne et les doigts me font vraiment souffrir. Surtout ceux de la main gauche. Mais je prends mon mal en patience et m’exécute. “One more !” “No ! Do it again ! “ Ok, ok, ok. Le cours est fini, je ne sais pas combien de temps ça a duré, mais vu l’impossibilité dans laquelle je me retrouve de me lever, le cours a du durer un moment. “So ! We see us tomorrow at 5 PM.” “Quoi ! J’ai jusqu’à demain trois heures pour savoir jouer tout ça ?!” – et oui, il faut compter le temps d’y aller à Osaka. Rebecca me fait signe qu’il faut que j’y aille, j’ai rendez-vous au Kanze Kaikan pour voir les fils du maître présenter des shimai à une représentation de jeunes professionnels.

Saco Sensei, mon prof de flûte – « fue »… quand je vous dit qu’il a une vraie bonne tête, hein ?!

Je file par le métro. Heureusement, c’est deux stations plus loin sur la ligne T que je prends pour la première fois et qui traverse Kyôto d’est en ouest. La station s’appelle Higashiyama. Je suis déjà venu au Kanze Kaikan, rappelez-vous, c’était le deuxième jour, si je me souviens bien. Du coup, à la sortie du métro, je sais où aller. Mais je suis en retard ! La représentation commençait à 17h30 et il est 18h. Qu’importe, j’entre – cela se fait au Japon lors des représentations de Nô surtout de ce type-là, les gens ne font que ça d’ailleurs, entrer et sortir. Quand j’arrive, c’est justement l’un des fils du maître qui danse. Il est puissant, précis. Ensuite vient un autre groupe. Est-ce le deuxième fils du maître… non ! Je ne sais pas qui il est et de quelle école, famille, il vient. Je dirai que c’est sûrement un Kongo aussi vu son style. Puis arrivent les Kanze. Le joueur de Otsuzumi doit avoir douze ans – mais c’est difficile de donner un âge aux japonais – et il est vraiment très bon. Le Shite est sublime. Plus maladroit et parfois un peu à côté par rapport aux Kongo, mais quand il est là, il dégage quelque chose de vraiment très très fort. Et pour couronner le tout, il a un visage fantomatique, très beau, très epuré. J’imagine Zeami à cet âge là, il devait sûrement faire cet effet. En demandant autour de moi, j’arrive à comprendre que son nom est Oe… il faudra que je vérifie dès que je croise quelqu’un qui peut me traduire les kanji en Romaji.

Devant le Kyôto Kanze Kaikan comme il est indiqué

Puis, entre à nouveau le fils de Maître Udaka, mais il est dans le choeur cette fois. Le Shite est un espèce de jeune ventru et joufflu – ce qui, décidément, je trouve, ne sied pas du tout à cet art. Il a quelque chose de plus touchant que le fils du Maître, mais il peine et ça se voit. Il est obligé de se décaler pour les appels de pieds tellement il a de poids à soulever. En demandant qui c’était, j’apprends qu’il s’agit du deuxième fils du maître… me faudra-t-il dire ce que je pense à Maître Udaka s’il me demande ou lui répondre poliment en ne parlant que du côté touchant de l’enfant – qui doit quand même avoir une vingtaine d’années. Puis vient un nô complet, mais sans masques, assuré par les jeunes Kanze. C’est toujours très propre, mais je ne retrouve pas l’émotion du premier. Ce genre d’acteurs dans le nô sont rares. J’en ai rencontré quatre à ce jour : le Iemoto Kanze, un autre Kanze à Tokyo l’année passée, le membre des Komparu vu à Tôkyô cette année et enfin ce jeune Oe de l’école Kanze aussi.

Le Théâtre Nô du Kanze Kaikan avec de jeunes acteurs professionnels en train de présenter un shimai

Il est 20 heures 30 quand je repars. Ce soir, Interneto Café à bloc pour mettre en ligne les quelques journées manquantes et les photos, puis quelques recherches autour du Bouddhisme et du Zen au Japon des Dragons, de Motomasa – le fils de Zeami mort à 37 ans.

Voilou, voilà.

Il est 12h30, heure locale. J’ai fait de la flûte bien trois heures ce matin et il faudrait que je m’y remette, si je ne veux pas me faire pourrir par Maître Saco. So… see you !