De Oshirabe à Banshiki Jo no mai, en passant par Gaku. Périple en terre de Nô

 Shôka de Oshirabe sans les doigtés – Shouka of Oshirabe without fingering

En deux ans, voilà les pièces que j’ai apprises, dans l’ordre de leur apprentissage. Dans un ouvrage de l’école Isso, j’ai dénombré 43 morceaux de flûtes en comprenant Oshirabe. Je pense que l’ordre d’apprentissage est souvent semblable. On commence du plus « facile » au plus « difficile ». En gardant de côté les morceaux trop spécifiques.

Particularité de mon maître, il m’a fait commencé par Otoko-mai qui est plus rapide que Chû-no-mai, lui même plus rapide que Jo-no-mai. Je sais, par ouïe dire que, dans l’école Isso, ils commencent plutôt par Jo-no-mai et ne travaillent Otoko-mai que beaucoup plus tard.

Oshirabe お調べ : pièce d’ouverture. On la joue à chaque fois qu’on prend la flûte, au début de chaque cours et à chaque spectacle. Ils s’installent alors dans la chambre aux miroirs et « s’accordent »  au masque que portera le shite pendant la pièce en jouant Oshirabe face au masque avant d’entrer en scène et de s’installer.

Otoko mai 男舞 : Littéralement, la danse des hommes. Souvent joué pour les pièces de guerriers.

Ôshiki Haya mai 黄鐘 早舞 : Otokomai avec Nidan et Tome qui changent – Exemple : Atsumori.

Chû no mai 中之舞 : danse au tempo moyen. Souvent utlisé pour les de femmes. Exemple : Yuya.

Chû no mai avec Taiko 中之舞•太鼓(change seulement kakari et tome).

Haya mai 早舞 : littéralement « danse rapide » sorte d’Otokomai en mode Banshiki (aigu).

Haya mai de Tôrû, Hayamai de Iroe イロエ•早舞 (Ce sont alors les Jo (introduction avant Kakari) qui changent).

Kami mai 神舞 : Danse des dieux.

Kakko 羯鼓 : danse chinoise ou dans pour des personnages qui doivent démontrer leur habilité- exemple : Kagetsu.

Sagariha 下リ端 : pour personnages de monstres, de « femme ange » – exemple : Kuzu.

Gaku 楽 : pour personnages chinois ou kami japonais. On dit que cette danse viendrait du Gagaku.

Banshiki Gaku 盤渉 楽 : Gaku en mode aigu.

Hayafue 早笛 : Musique d’entrée pour les démons, les fous – exemple : Tengu, Obeshi

Jo no mai 序之舞 : sorte de Chu-no-mai très lent. Danse de femme, d’esprits des arbres ou de vieil-hommes très élégante.

Kagura 神楽 : danse très élégante. Souvent des déesses ou des prêtres portant des trésors.

Mominodan : partie de Sambasô 三番叟 dans Okina – chant de remerciements où le kyôgen pousse de longs cris en réponse aux percussions.

Suzunodan : partie de Sambasô 三番叟dans Okina où le kyôgen entre avec une cloche symbolisant la prospérité des récoltes.

Banshiki Jo no mai 盤渉 序之舞 : Jonomai mais dans le mode aigu.

Les anglais disent Nohkan, les français Nokan et les Japonais l’appellent : Fue Kata ou Fue

Doigtés de Nôkan – Fingering Nohkan – Morita Ryu – Sensei Saco Yasuhiro

Il est assez étrange que malgré deux années de cours réguliers (Je vais au Japon une fois par semaine depuis deux ans pour une heure de cours hebdomadaire !) et de recherches intempestives, je n’ai presque jamais parlé de la Nôkan ici.

Pourtant quand on essaye de se pencher sur le sujet, il est quasiment impossible de trouver quelque référence que ce soit et quand elles existent, elles sont souvent approximatives et/ou incomplètes. Il existe, je suis sûr, pour ceux qui lisent et écrivent le japonais, des mines d’informations sur le net. Malheureusement, je ne suis pas de ceux-là.

Bien sûr, il s’agit là d’un instrument qu’on pratique dans l’intimité des temples ou de pièces traditionnelles de quelques tatamis aux portes de papier. Ici, nous entrons dans les codes de l’ancien Japon. Le maître (sensei, celui qui maîtrise et transmet son art) vous reçoit en kimono. Assis en seiza, derrière un petit cube en bois sur lequel il tape la mesure en chantant les lignes des percussions, il fait face aux élèves qui passent l’un après l’autre, dans un silence respectueux. Ceux qui attendent leur tour boivent le thé autour d’une table basse et murmurent entre leurs dents leur shoka, tout en soutenant l’élève qui, face au maître, passe à l’épreuve des rythmes coupés de cris. Comme un combat perdu d’avance. La gorge nouée, on attend son tour. Et quand on sera passé, on restera encore une demie-heure ou une heure pour se remettre de ce face à face.

Ici, il n’y a pas d’horaire. Le cours est de 18h à 21h et on vient. On prend place à côté des autres élèves et on attend patiemment son tour. Souvent, après, comme une récompense, on se retrouve dans un petit restaurant japonais. Le sensei a quitté son habit de maître, déposé son masque et les codes de cet art ancestral pour revêtir le costume de l’homme simple du 21ème siècle qu’il est à la ville. Un homme qui boit, qui rigole et devise avec ses élèves, devenus, une fois le fronton du temple franchi, comme ses amis.

La flûte de , la Nôkan, est l’instrument par lequel on appelle les esprits à descendre sur le butai -plateau du théâtre – pour venir prendre possession des danseurs-acteurs. On comprendra, alors, toute l’importance du cérémonial. Nous ne sommes plus simplement des élèves en musique, nous apprenons à côtoyer les dieux, avec leurs règles, leurs humeurs. Il est, par exemple, interdit de porter un collier ou une montre, un quelconque bijou qui pourrait entraver la venue de la musique. La flûte ne se tient pas comme un « vulgaire » instrument. Sa prise en main est régie de multiples codes qu’on répète inlassablement.

Dans cet art, il n’y a pas de livres, de partitions. Le maître, quand il estime que nous maîtrisons un morceau suffisamment, nous écrit le prochain shoka sur du papier à musique japonais, divisé en huit temps de haut en bas, sur huit lignes de droite à gauche. Le shoka est le chant. Les syllabes en katakana ne représentent pas les notes, seulement le chant. Un ヒャ (Hya) pourra être dans une phrase ou une pièce un seki  (nom d’un des doigtés – CF tableau) et dans l’autre phrase ou pièce un  Jô (autre doigté).

Le maître, alors, à côté de son shoka écrit à l’encre noire, inscrit, d’une encre rouge, les clés secrètes qui permettront à la Nôkan de reprendre ses droits et d’entonner la musique secrète cachée derrière ces katakana.

Mais attention, le shoka donne tout de même les informations rythmiques ! Et puis, en les chantant dans notre tête en même temps que l’on joue, la nôkan sonne d’une autre manière ! C’est en tout cas, ce qu’il nous est dit !

Pour tout cela, on comprendra aisément que sa diffusion reste minime. En même temps, c’est aussi grâce à cela que la Nôkan, ainsi que les autres instruments du théâtre nô, gardent ce caractère inimitable. Ici, l’occident n’est pas entré ! Il est derrière la porte… il rêve, il fantasme. Comme sur les samurai et les shogun qu’un instant, grâce à cette musique, nous retrouvons. Hors de l’espace et du temps. Ailleurs.

NDLR : JE PARLE ICI D’UNE EXPÉRIENCE SINGULIÈRE LIÉE À UN MAÎTRE ET UNE ÉCOLE : ECOLE MORITA. Les deux autres écoles, la plus connue ISSO et la troisième FUJITA ne transmettent peut-être pas de la même façon. Ce que je sais, par exemple, c’est que l’école ISSO a beaucoup de doigtés différents.

Nô, Musique Baroque et sur la route… La Baie de Suma

Eternel Grand Dragon du du Temple Higashi – Hongangi

Plus beaucoup de batterie…

Nous venons de changer de train à Tôkyô, il est 09h30 et sommes en route pour Nîgata. Plus qu’à quelques heures de l’Île Sado et de la statue de Zeami qui me montrera pour la première fois le visage de cet homme au côté duquel j’ai passé tant d’années.

Le train pour Nîgata en départ de la gare de Tôkyô… c’est Rose qui aurait aimé ça.

18%… je ne sais pas si cela sera suffisant pour vous raconter ce jeudi 30 juillet, étonnant jeudi.

Ce que nous savons, en nous levant, c’est que cet après-midi, nous avons rendez-vous avec Saco Sensei à Osaka pour l’accompagner à son concert où il sera entouré de quatre musiciens classiques, fans de musique baroque. C’est un événement que j’attends avec impatience depuis le premier cours de flûte où j’ai été invité. Le rendez-vous est fixé à 15h30 en gare d’Osaka. Ce qui nous laisse une matinée et un début d’après-midi de libre. Tant mieux, nous ne connaissons pas Osaka et c’est au bord de la mer, nous en profiterons pour aller nous baigner. Nous avons mis le réveil et c’est assez tôt que nous décollons. En vélo ou en métro ? Le train pour Osaka se prend à la Kyôto Station qui est au sud à vingt-cinq minutes en bicyclette… “Ok ! Va pour le vélo !” Comme ça je lui présenterai, au passage, messire le Grand Dragon du Temple Higashi – Hongangi qui se trouve à quelques centaines de mètres au nord de la Kyôto Station, donc sur la route.

Le Grand Dragon du du Temple Higashi – Hongangi accueille Elise


Le trajet est vite fait. Nous n’avons aucun mérite, c’est juste que dans ce sens là, c’est une grande pente douce. Nous voilà au Higashi – Hongangi. J’emmène Elise à la porte nord, celle par laquelle je suis entré la première fois. Je suis surpris du monde qu’il y a ce matin. Rien à voir avec l’espèce de rêve éveillé que j’ai vécu avec le Grand Dragon et Hideo où nous n’étions que trois à se partager la cour de ce temple monumental. Et pour cause ! L’énorme échafaudage qui couvrait tout le temple a été, depuis, démonté à moitié et permet l’accès au Hongangi. En dix jours, ils ont fini ce chantier qui semblait pourtant loin de l’être.

L’imposant Temple Hongangi


Passé cette première surprise, je lui présente le Grand Dragon et ressent exactement le même courant d’air intérieur que la première fois. Je crois qu’Elise lui plaît bien. Il la laisse laver ses mains à l’eau pure de sa gueule. Moi je zieute du côté des marches du temple…. “On prend cinq minutes ?” “Oui, on les prend ! Le temps d’enlever les chaussures – et pour moi les chaussettes… après avoir goûté au bonheur des pieds nus sur ces vieux planchers de bois, il est difficile d’y résister – et nous voilà déambulant dans ce temple imposant. Comme le dit justement Elise, le bois, ici très sombre, semble plus dur, plus froid que ce qu’on rencontre dans les temples habituellement. Comme si celui-ci était de chênes quand les autres sont de pins. Des sutra sont accrochés tout le long des couloirs qui mènent au temple – et que nous prenons à l’envers, bien entendu – et nous offrent leurs joyeuses maximes :

“It isn’t external things that restrict us ; it’s our minds attached to the things that restrict us.“ Ryôshun Nakano

Lampes avec des maximes en japonais… qui ouvrent la route vers le Amida Hall

Puis nous croisons un groupe qui semble aller à une cérémonie, accompagné de prêtres. Nous les suivons de loin ou plutôt notre balade qui nous emmène de lanterne en lanterne dans ce temple, nous pousse jusqu’au Amida Hall où nous retrouvons le dit groupe. Nous nous installons derrière eux en seiza et suivons les prières un long moment dans ce hall calfeutré et frais où les voix des prêtres se mêlent les unes aux autres.

Le Amida Hall du Temple Higashi – Hongangi…


L’heure tourne. Quand nous ressortons de là, il est 11h30. Nous filons à la Kyôto Station et nous apprêtons à prendre le train pour Osaka. Une idée me traverse… Osaka est une ville, une grande ville même. Jamais nous ne trouverons de plage à la sortie du train… So ! “We want go to the beach, but we need…” bref, j’explique tout à l’assistante de quai qui se montre très patiente et compréhensive. Nos rendez-vous, notre envie de mer et tout et tout. Elle nous note plein de choses sur un petit papier, avec un nom de station et quelques changements. Nous sommes censés mettre une heure et quart pour y aller et une demie heure de là-bas pour retourner à Osaka. De quoi faire “plouf” dans l’eau et “hop” dans le train. En même temps, le train est un bon moyen de voir le paysage et les ambiances des lieux croisés en chemin. Et figurez-vous que le premier changement se fait à Kobe ! Kobe est, je le sais, pas loin du tombeau d’Atsumori ! Au moment du changement, je prends cinq minutes pour filer voir s’il y a une statue dans la gare ou un centre d’information, mais rien. Tant pis ! De toute façon, aujourd’hui on a dit plage, on va à la plage. On remonte dans le second train et, au moment de s’asseoir, une voix se fait entendre : “Vous êtes français ?” “Euh… oui ! Je crois bien…” C’est lui aussi un gaulois expatrié en Australie depuis dix ans et vivant au Japon depuis deux ans. Il nous déconseille la plage indiquée par la fille de la gare et nous propose d’aller deux stations plus loin. En plus de profiter d’un environnement plus propice à la détente – la plage où nous devions aller est couverte de bars et de salles de jeu avec un jeune surfeur au centimètre carré – nous pourrons découvrir le plus grand pont suspendu du monde, j’ai nommé le “Akashi Kaikyo”. Ne me demandez pas comment s’appelle l’île qu’il permet d’atteindre, mais ce que je peux vous dire, c’est qu’il est énorme et fait quelques trois kilomètres huit cent de long. Le français sort du train deux stations avant nous… “Suma station”. “Suma ?! Vous avez dit Suma !!!!”, le temps de faire le lien il est déjà trop tard, mais dans ma tête les mots s’alignent : “Au bord de la mer de Suma, bien étroit, hélas, est le sentier qui mène à ma maison et en revient.” ATSUMORI !!!! C’est là ! C’est là qu’il a mené son dernier combat avec Kumagai. Si ! Si ! Entre les salles de jeu et le snack bar… juste là ! Le train reprend sa route. Qu’importe, notre plongeon dans l’eau n’en sera qu’un peu plus court : au retour, nous nous arrêterons à la Suma station.

le Akashi Kaikyo, plus grand pont suspendu au monde ! Il relie la baie après celle de Suma à…

Nous descendons du train, allons du plus vite de nos jambes vers la plage… “A la gauche du pont…”. C’est ça, oui ! A la gauche du pont, à trois kilomètres !!! Et nous avons, à tout casser, un quart d’heure. Nous en profitons pour abandonner notre course poursuite et nous asseoir à l’ombre de cet énorme pont suspendu, à côté d’une bande de vieux hommes qui jouent à un jeu de dames ou d’échec japonais. C’est bon de les voir, installés à l’ombre de ce pont géant et partant dans de grands éclats de rire suivis d’exclamations suraigues. Un autre regarde le jeu de loin, mais préfère le spectacle des bateaux qui passent – quand il y en a un qui passe – qu’il suit avec une paire d’énormes jumelles. Nous nous installons avec eux et mangeons les gâteaux de riz aux algues que nous avions acheté pour le déjeuner, puis nous les saluons et retournons vers la gare, le bruit des voitures passant sur le pont encore dans les oreilles.

« une bande de vieux hommes qui jouent à un jeu de dames ou d’échec japonais… »

A Suma, je file trouver un centre d’informations. Mais Atsumori ne leur dit rien. Ils peuvent m’indiquer le meilleur spot de vagues, mais “Ichi No Tani dans la baie de Suma”… non ! Le temps file et nous avons dix minutes pour savoir si oui ou non, il s’agit bien du Suma d’Atsumori. Elle finit par me sortir une carte et là, en bas, à gauche, je le vois : “Ichi No Tani” ! Je lui montre et au même instant, elle se tourne vers moi le visage victorieux : “Atsumori des” – C’est Atsumori – Et effectivement, là, sous son doigt, c’est bien écrit : Atsumori… Victoire ! Mais c’est à deux kilomètres de la gare et on ne fait pas attendre un maître japonais. Je prends la carte, j’entoure l’endroit et me tourne vers l’endroit entouré sur la carte pour lui dire que nous reviendrons vite. Nous sautons dans le train qui nous ramène à Kobe, puis à Osaka. Il est 15h20, nous avons dix minutes pour trouver le point de rendez-vous. Je remercie Elise qui, depuis qu’elle est là, m’a emmené deux fois par hasard sur mes chemins de quête. Je suis étourdi ; les hasards, au Japon, ça n’existe pas.

A l’ombre du Akashi Kaikyo

Saco Sensei nous attend sous la montre géante à la sortie nord de la gare d’Osaka. Il est, comme toujours, en tenue traditionnelle. C’est drôle de le voir ainsi au milieu de tous ces “occidentalisés”. Il nous propose de prendre un taxi et nous voilà, quelques minutes plus tard, dans une toute petite salle d’exposition, au premier étage d’une toute petite échoppe. Les autres musiciens sont déjà là. Il y a un clavecin et un nombre de flûtes impressionnant. Ce qui l’est d’autant plus, c’est qu’il n’y a pas deux flûtes pareilles ! La plupart sont des créations ; celles d’un homme qui accompagne leur travail de recherche et qui s’inspire de vieilles illustrations du moyen âge : flûtes dans des cornes de vaches ou de bouquetins, flûtes traversières, à bec, flûtes de toutes formes et de toutes tailles. Et bien sûr, notre Maître Saco et sa “Fue”. Le leader du groupe qui compose certains des morceaux qu’ils jouent – les autres sont des classiques européens – est un des élèves de maître Saco.

« La plupart sont des créations ; celles d’un homme qui accompagne leur travail de recherche et qui s’inspire de vieilles illustrations du moyen âge… »

Nous nous installons bien sagement et les regardons se préparer. L’un des deux flûtistes accroche des masques de Nô au mur, pendant que le leader avec la claveciniste répètent des passages difficiles. Maître Saco lui attend patiemment sur le côté. Il vient nous voir de temps à autre pour nous poser une question ou nous expliquer le programme. Quel genre de questions ? Du genre… il arrive avec sur une feuille de papier sur laquelle est écrit “François Couperin”, puis une autre avec “Claude Lelouch” et “Villeret” et, à chaque fois, nous demande la prononciation. Il a étudié le français à l’université et est passionné de cinéma français. “Ah bon ! Ca existe toujours le cinéma français ?” ( ça c’est moi qui le lui demande.. 😉 )

Puis c’est à son tour de jouer. Il se met en seiza sur une espèce de vieille banquette sans allure et commence à jouer. Je reconnais des passages de “Otoko Mai” – le morceau que j’apprends… le classique des passages dansés du Nô. Pour le reste, le mélange flûtes, clavecin et la composition de type “Musique Contemporaine” ne me conquis pas. Il y a des passages intéressants, mais de façon générale, la dissonance immanquable – chaque flûte de Nô est unique et n’est accordée sur aucune autre, seul les écarts de notes sont respectés – est poussée, à mon sens, là où elle est la moins porteuse. On dirait qu’il a essayé de recréer un ensemble de Nô avec deux flûtes de type occidentale pour le Kotsuzumi et le Otsuzumi et avec le clavecin pour la partition de Teiko – gros tambour posé au sol dans certains nô. Me voilà un poil déçu… mais Maître Saco reste en place, seuls les deux autres flûtistes quittent la scène. Ce qui se passe ensuite est incroyable ! Exactement ce que je voudrais arriver à extraire du Nô. Maître Saco commence à jouer, puis est rejoint par la claveciniste qui joue des accords plaqués, puis fait du corde à corde, mais avec la sourdine. On croirait entendre un Shamizen – genre de guitare à quatre cordes utilisée dans le Kabuki et le Bunraku. Ce que joue le maître est d’une puissance émotionnelle bouleversante. La flûte crie son désespoir, elle raconte son histoire de combat et de mort, de trahison et d’amour, de douleur. Puis, le rythme s’accélère, ça ne ressemble pas à ce que j’ai pu entendre dans le Nô, toujours soutenu par le clavecin. Quand ils finissent, nous sommes – Elise, le monsieur ressurgissateur de flûtes du passé et moi – médusés.

Le Clavecin dans la toute petite salle de concert. 25 places de choix ! et l’horrible banquette ou Saco Sensei prendra place tout à l’heure pour jouer.

Je me lève, je vais vers les partitions. Il me faut absolument savoir ce que la fille jouait et qui marchait si bien avec la flûte du Maître. Il s’agit en fait de la même gamme que celle dont on s’est servi pour écrire le chant du Moine Rensei dans Atsumori. Puis je demande à Saco Sensei si ce qu’il jouait était une création. Mais non, il s’agit de la danse d’Okina – un des plus vieux nô encore joué. Il me dit aussi que c’est une danse de Kyôgen. Je n’en avais encore jamais entendu. Je ne savais même pas qu’il pouvait y avoir de la musique Kyôgen ! Mais il me dit que ça existe pour certains kyôgen masqués. D’ailleurs, il jouera ce soir, une autre danse de kyôgen dans le programme.

Il est 17h30. Nous allons faire un tour avec Elise avant le concert qui débutera à 19 h. Osaka semble assez moderne. Ce que j’en sais, c’est que c’est la ville préférée de Murakami et que souvent les étrangers qui y ont séjourné aiment beaucoup cette ville, beaucoup plus que Kyôto ou Tôkyô par exemple. Mais ce n’est pas aujourd’hui que nous aurons le temps de découvrir Osaka. Juste celui de faire le tour de quelques pâtés de maison, de manger un bout et de boire un coup avant le concert.

Il est 18h30, la salle est transfigurée. Des chaises ont été installées partout, les spots, sûrement là pour les expositions, tournés vers la scène improvisée et notre équipe toute vêtue de kimonos comme dans le Nô. Ils ont d’ailleurs tous l’éventail traditionnel à la ceinture. Je ne saurai pas pourquoi, mais c’est sûrement une façon de montrer l’attachement à leur culture, même s’ils ont décidé de s’intéresser à la musique baroque européenne.

Nous entendrons les mêmes morceaux que ceux joués en répétition. Quelques fois, mieux joués, d’autres, un peu moins. Mais c’est un ensemble assez agréable et la musique médiévale et baroque – que je connais très mal – est assez mélodieuse et chantante comme la douce plainte d’une princesses tissant sur son métier le heaume de son aimé.

Maître Saco jouera deux morceaux seuls, un de Nô, un de Kyôgen, puis la création de son élève et enfin, pour le final, cette merveilleuse rencontre entre “Okina”, le clavecin et le 21ème siècle. C’est encore mieux que cette après-midi ! Et je vois bien que l’assistance est profondément d’accord. Il y là, c’est indéniable quelque chose d’important qui se joue et qui vient nourrir mon désir de continuer à chercher comment tisser les liens entre cette forme ancestrale et sacrée et notre monde. Parce que, ce que le Nô a à nous offrir, nulle part ailleurs, on ne peut le trouver.

Il est 22h00. Nous rentrons nous coucher. J’ai dans mon iphone la cavalcade de ce soir. Avec l’envie de me relever les manches et de plonger plus avant dans l’obscurité de ce monde qui m’appelle tous les jours un peu plus. Sûr d’y trouver un jour, une nuit, un trésor rare et unique, peut-être salvateur, en tout cas nécessaire pour moi.

Bonne nuit.

A côté du Akashi Kaikyo, cette maison surprenante. Malheureusement nous n’aurons pas le temps d’en savoir plus…

Fue… only that ! Où comment essayer d’apprendre une partition en 4 heures.

Shikibutai Kanze à côté de Osaka, station Momodani

Voilà un compte rendu qui sera léger à faire. Cela tombe bien, Elise arrive d’ici quelques heures et je voudrais finir le ménage pour la recevoir et qu’elle se sente assez bien pour que lui germe l’idée de rester ici un an avec moi et, du coup, Rose. Mais revenons à notre histoire.

Comme je vous l’ai dit hier. Le maître – Maître Saco – me laisse hier soir avec une partition sur quatre pages à savoir pour le lendemain. Et il n’est pas question des prétextes de temps dont nous pouvons user en France. Si j’ai un cours, je dois avoir travaillé et être capable d’entonner “Ryô”, “Chu”, “Kan” et “Kan-chu” sans discontinuer, c’est ainsi. Heureusement, mes voisins sont partis tôt ce matin, du coup, je m’y mets directement. C’est difficile de battre la mesure en seiza une flûte à la bouche. Du coup, je regarde sur mon iphone à tout hasard et… oui, j’ai un métronome sur une de mes applications. Et c’est parti pour trois heures non-stop avec la flûte. Petit à petit ça rentre, mais il faut que ça tourne. Donc je continue, autant que mes lèvres et mes doigts le peuvent. Mais j’ai remarqué que plus mes doigts sont détendus, plus le son est clair, c’est donc plus reposant.

Saco Sensei en train d’admirer ce vieux shikibutai… une merveille au tout petit hashigakari

Je fais une pause pour écrire et manger, puis je m’y remets. Encore et encore. Il est 14h30, j’ai rendez-vous après Osaka, ce qui veut dire prendre le métro, le train, puis un second train. Je n’ai aucune idée du temps que cela me prendra, donc j’y vais. Mon rendez-vous avec Rebecca est 17h – ce qui fait quand même une bonne marge, je pense. Effectivement, j’arrive à Momodani avec une bonne heure d’avance. Qu’importe, c’est la première fois que je mets les pieds dans les banlieues d’Osaka, je flâne. L’ambiance est différente ici. Beaucoup de gens âgés, d’étales de poissons – nous sommes à quelques pas de la mer. Les gens semblent en général plus souriants et avenants qu’à Kyôto. Je m’arrête boire un coffee et en profite pour réviser en chantant la flûte comme ils le font et en battant la mesure. Il est 17 heures, je vais retrouver Rebecca à la sortie de la gare – heureusement aujourd’hui, il n’y a qu’une sortie. J’apprends que notre rendez-vous est à 18 heures, ce qui nous laisse encore une heure de libre pour parler du programme à venir et de la visite de l’Île Sado que je voudrais faire avant que mon Railpass n’expire – c’est à dire avant le 2 août. Ca va être compliqué à gérer, mais c’est faisable et il me semble important pour l’écriture de la pièce sur Zeami que j’aille passer dans ses derniers pas. On dit, de plus, qu’un des temples où il a séjourné, a une statue de lui.

L’autre côté du Shikibutai Kanze. Admirez les bambous and the Plum

Il est 17h50 et nous arrivons à notre lieu de rendez-vous. En effet, la seule maison traditionnelle dans toute la rue – comme l’avait dit Saco Sensei. Mais on dirait une habitation. Rebecca hésite à rentrer, fait le tour pour voir s’il n’y a pas une autre porte, puis entre finalement. Je la suis à distance, au cas où nous tombions nez à nez avec le propriétaire de la maison et qu’il s’étonne de voir deux occidentaux entrer comme ça chez lui ! Mais non, c’est bien là. Derrière une porte coulissante aux carreaux de papier, nous découvrons un véritable petit butai magnifique. C’est un Shikibutai de la famille Kanze. Une oeuvre d’art d’une beauté et d’une authenticité renversante. Ouah ! Décidément, les cours de flûte m’entraînent à chaque fois dans des lieux incroyables.

Saco Sensei et une élève… voilà comment se passe le cours. Les baguettes sont pour battre la mesure, pas pour nous taper…

Deux filles sont déjà là et nous servent le thé comme je comprends que c’est la tradition. Je ne sais pas si le nécessaire est sur place ou si ce sont les élèves qui amènent aussi thé, tasses, chauffe-eau. Il faudra que je me renseigne là-dessus, puisqu’il semble qu’en tant qu’occidental cette tâche ne me soit jamais dévouée. Le maître finit son thé, puis demande qui veut commencer. Je la joue à la japonaise, je leur propose d’y aller – en plus, j’ai la trouille grave ! Mais elles finissent par gagner et je vais me mettre en place devant le maître devant ce public averti qui va pouvoir bien rigoler. “Ok ! Oshirabe”. “Quoi ! Oshirabe ? Comment ça ? Mais moi je ne me suis concentré que sur la nouvelle partition….” bon, je fais appel à mes ressources, j’en appelle à ma mémoire et à mon sang froid et c’est parti. Mais il m’est impossible de sortir le “Ho” qui doit, dans Oshirabe, être grave. Avec l’entraînement sur la nouvelle partition où tout est dans l’aigu, le grave ne sort pas. Et c’est la première note. J’essaye, je repositionne la fûte, je réessaye, je souffle, je sououffle, mais rien n’y fait, elle sort toujours en “Hya”. Je m’excuse, mais il veut entendre “Oshirabe”. Donc je recommence. Et même chose. Ca dure, ça dure, j’ai des gouttes qui perlent le long de mes tempes. “Mais tu vas sortir “Ho!”. Puis j’abandonne, je lui jouerai avec des “Hya” à la place des “Ho”, c’est tout ce que je peux faire aujourd’hui ! Je respire un grand coup, je me concentre et “Hya…Ho”, le “Ho” sort enfin. J’en profite pour lui jouer “Oshirabe” d’une traite. “Ok”. J’ai l’impression que ça a duré dix minutes. Sous le regard désolé de Rebecca et les lèvres pincées pour ne pas rire des deux filles. “Let’s play the other.” Ok ! Là, il s’agit de montrer que j’ai bossé. Et c’est parti. A part une ou deux fautes, cela se passe sans soucis. Il me le fait jouer en boucle de plus en plus vite, je tiens. Parfois, je m’emmêle les pédales, mais je sens qu’il est rassuré. Il me donne encore une nouvelle partition, enfin disons l’introduction des quatre phrases que j’ai appris aujourd’hui qui s’appelle : “Kakari”. Jouée avec les quatre phrases, cela devient “Otoko Mai”. Voilà. Nous repartons vers 19h30, après avoir regardé l’élève suivante d’un très bon niveau. Cela veut dire que le cours a bien dû durer 45 minutes ! Ouah…

Je laisse Rebecca à la Kyôto Station filer à la préparation de l’exhibition de masques et de costumes qui a lieu aujourd’hui et demain au Kongo Kaikan et file manger un bout.

Ensuite, je vais à l’Interneto. As usual.

Bye.

Retour à Kyôto, lessives, cours de flûte et Kanze Keikan

Pas plus haut que trois pommes, le joueur de Otsuzumi de l’école Kanze. Soirée des jeunes professionnels.

Peut-être la première journée comme une autre de tout ce séjour. Ah si quand même ! J’ai des voisins désormais à la TAKAYA Guesthouse. Ils sont arrivés pendant mon absence. Un français et sa femme japonaise. Des gens très discrets. Ca me permet de leur demander comment marche cette machine à laver que nous avons, mais qui n’a pas été prévue pour les néophytes en Kanji. Et à vous dire vrai, c’est plus simple qu’il n’y paraît. Il suffit d’appuyer sur on et d’appuyer sur “play” ; la machine se charge du reste – combien il y a de linge, etc. Par contre pour faire sécher le linge avec l’humidité ambiante, ce n’est pas une mince affaire. Même avec le sèche linge, il me faut compter une heure de séchage par machine. Soit deux heures en tout à rester ici, à fumer des clopes et boire des cafés devant ce sèche linge qui est au bout de notre impasse. Voilà l’histoire de ma matinée !

Le petit temple sur la Oike Dori où j’ai, ce jour, mon cours de flûte.

L’après-midi est dédié au travail de la flûte. j’ai cours cet après-midi à Oike – deux stations d’ici – et je n’arrive toujours pas à jouer “Oshirabe”. Le rendez-vous est à 16 heures devant la station de métro Oike avec Rebecca qui a, du coup, annulé le cours de shimai que je devais avoir cet après midi – apparemment, elle avait oublié ce cours de flûte. Je pars un peu en avance pour me promener et découvrir un peu mieux le quartier.

Détail de la porte en papier dans la salle du temple où je reçois le cours de flûte, ce jour.

Rebecca m’entraîne le long de la Oike dori jusqu’à un temple. C’est l’avantage de travailler sur une forme ancestrale et traditionnelle, on peut se promener dans des endroits d’une autre époque souvent fermés au public. Nous entrons dans le temple – dont je n’arrive pas à retrouver le nom sur la carte tellement il est petit – et nous montons de vieux escaliers de bois. Là, une salle traditionnelle toute recouverte de tatamis et aux portes de papier nous attend. Le maître n’est pas encore arrivé. En l’attendant, j’essaye d’avoir un peu plus d’informations sur la suite du programme et me retrouve avec une semaine d’infos d’un coup ! Maître Saco arrive. Décidément, j’adore ce bonhomme qui me dit “Bonjour”, à la française. Nous nous installons, il demande à Rebecca si j’ai bien travaillé, ce qu’elle ne sait pas. Je lui dis que j’ai travaillé un peu tous les jours, mais que ce n’est guère brillant. Il me sort alors une nouvelle partition qui fait le quadruple de la première. C’est l’air qu’on entend le plus souvent dans les danses. Il s’agit de quatre phrases : Ryo, Chu, Kan et Kan-chu. C’est, bien entendu, écrit à la main comme pour “Oshirabe” avec deux couleurs et les dessins des doigtés. Puis, c’est le moment du cours. Je me mets en face de lui, en seiza, dans l’espace dédié et essaye d’entonner “Oshirabe”. Il me corrige une fois, puis nous passons à la nouvelle partition. Il me montre une fois, nous le chantons une autre et c’est parti ! Je panique. Il bat la mesure, je déteste la mesure, elle me fait, à tous les coups, perdre la musique. Mais je m’exécute. J’essaye. Nous avançons à une vitesse fulgurante et encore, je sens bien qu’il trouve que ça ne va pas assez vite. J’en ai la tête qui tourne et les doigts me font vraiment souffrir. Surtout ceux de la main gauche. Mais je prends mon mal en patience et m’exécute. “One more !” “No ! Do it again ! “ Ok, ok, ok. Le cours est fini, je ne sais pas combien de temps ça a duré, mais vu l’impossibilité dans laquelle je me retrouve de me lever, le cours a du durer un moment. “So ! We see us tomorrow at 5 PM.” “Quoi ! J’ai jusqu’à demain trois heures pour savoir jouer tout ça ?!” – et oui, il faut compter le temps d’y aller à Osaka. Rebecca me fait signe qu’il faut que j’y aille, j’ai rendez-vous au Kanze Kaikan pour voir les fils du maître présenter des shimai à une représentation de jeunes professionnels.

Saco Sensei, mon prof de flûte – « fue »… quand je vous dit qu’il a une vraie bonne tête, hein ?!

Je file par le métro. Heureusement, c’est deux stations plus loin sur la ligne T que je prends pour la première fois et qui traverse Kyôto d’est en ouest. La station s’appelle Higashiyama. Je suis déjà venu au Kanze Kaikan, rappelez-vous, c’était le deuxième jour, si je me souviens bien. Du coup, à la sortie du métro, je sais où aller. Mais je suis en retard ! La représentation commençait à 17h30 et il est 18h. Qu’importe, j’entre – cela se fait au Japon lors des représentations de Nô surtout de ce type-là, les gens ne font que ça d’ailleurs, entrer et sortir. Quand j’arrive, c’est justement l’un des fils du maître qui danse. Il est puissant, précis. Ensuite vient un autre groupe. Est-ce le deuxième fils du maître… non ! Je ne sais pas qui il est et de quelle école, famille, il vient. Je dirai que c’est sûrement un Kongo aussi vu son style. Puis arrivent les Kanze. Le joueur de Otsuzumi doit avoir douze ans – mais c’est difficile de donner un âge aux japonais – et il est vraiment très bon. Le Shite est sublime. Plus maladroit et parfois un peu à côté par rapport aux Kongo, mais quand il est là, il dégage quelque chose de vraiment très très fort. Et pour couronner le tout, il a un visage fantomatique, très beau, très epuré. J’imagine Zeami à cet âge là, il devait sûrement faire cet effet. En demandant autour de moi, j’arrive à comprendre que son nom est Oe… il faudra que je vérifie dès que je croise quelqu’un qui peut me traduire les kanji en Romaji.

Devant le Kyôto Kanze Kaikan comme il est indiqué

Puis, entre à nouveau le fils de Maître Udaka, mais il est dans le choeur cette fois. Le Shite est un espèce de jeune ventru et joufflu – ce qui, décidément, je trouve, ne sied pas du tout à cet art. Il a quelque chose de plus touchant que le fils du Maître, mais il peine et ça se voit. Il est obligé de se décaler pour les appels de pieds tellement il a de poids à soulever. En demandant qui c’était, j’apprends qu’il s’agit du deuxième fils du maître… me faudra-t-il dire ce que je pense à Maître Udaka s’il me demande ou lui répondre poliment en ne parlant que du côté touchant de l’enfant – qui doit quand même avoir une vingtaine d’années. Puis vient un nô complet, mais sans masques, assuré par les jeunes Kanze. C’est toujours très propre, mais je ne retrouve pas l’émotion du premier. Ce genre d’acteurs dans le nô sont rares. J’en ai rencontré quatre à ce jour : le Iemoto Kanze, un autre Kanze à Tokyo l’année passée, le membre des Komparu vu à Tôkyô cette année et enfin ce jeune Oe de l’école Kanze aussi.

Le Théâtre Nô du Kanze Kaikan avec de jeunes acteurs professionnels en train de présenter un shimai

Il est 20 heures 30 quand je repars. Ce soir, Interneto Café à bloc pour mettre en ligne les quelques journées manquantes et les photos, puis quelques recherches autour du Bouddhisme et du Zen au Japon des Dragons, de Motomasa – le fils de Zeami mort à 37 ans.

Voilou, voilà.

Il est 12h30, heure locale. J’ai fait de la flûte bien trois heures ce matin et il faudrait que je m’y remette, si je ne veux pas me faire pourrir par Maître Saco. So… see you !

Fue, la flûte… rencontre avec Saco Sensei et premier cours d’Aikido

« Oshirabe » , notations de mon premier morceau de flûte de nô : nogakudo fue. Par Saco Sensei

Vous venez de passer au mercredi 15 juillet et nous y sommes, nous, depuis sept heures. J’ai ouvert les yeux il n’y a pas longtemps. Tombant après ma nuit sans sommeil et la journée d’hier qui fut dense. Il est onze heures hier quand je quitte “l’Interneto Café”. J’ai eu Jacques Payet – le prof d’Aikido – au téléphone qui m’indique comment trouver un dogi pas cher et de bonne qualité – un dogi est un kimono de judo… vous savez les blancs tout simples. Ce n’est pas très loin de là. Je prends my bicycle et je vogue jusque là-bas. C’est une échoppe très typique et en même temps très moderne dans son équipement. Sûrement la Mecque des Kendo ka : la Tozandô Shop. La boutique est divisée en deux parties. Celle où l’on accueille les clients et l’autre, un atelier de confection où un maître forge les masques de Kendo – ces visières en grille pour éviter les coups sur la tête. Evidemment, en entrant, je me trompe de côté et débarque dans l’atelier. Ce qui me permet de voir le maître forger et des femmes oeuvrer à la réalisation des différentes pièces d’équipement. Après quelques minutes en leur compagnie, je passe du bon côté et commande le dogi le moins cher. Je m’en tire pour 7500 yens, ce qui n’est pas rien, mais vue la qualité de l’ouvrage et maintenant que je sais que ce sont ces petites mains qui l’ont fait, je trouve cela bon marché. Le temps d’aller avaler un plat de nouilles – Oh ! Comme je vous regrette petits restaurants tokyoites- qui baignent dans une sauce riche d’une bonne douzaine d’oeufs battus dans un jus déjà bien riche -avec le manque de sommeil, je vais vomir c’est sûr ! – et je file à la pension me laver, me raser, couper les bouts d’ongles qui dépassent pour être fin prêt pour cette première leçon d’Aikido. Le rendez-vous est fixé à 13h30 au Shiramine Shrine, à quelques rues de chez moi. Il est 13h10, je suis au rendez-vous, pimpant comme un bon aikidoka – enfin pimpant… il fait tellement chaud que je ruisselle déjà de toute part. Jacques, un petit homme au regard perçant et rieur, arrive sur un vélo tout terrain d’un autre temps. Le cours n’est pas au temple aujourd’hui – le dimanche, si ! Yes. – mais à une quinzaine de minutes d’ici. Je le suis tant bien que mal entre les trottoirs et les rues, avec ma difficulté encore bien présente de me mettre à gauche – ici, ils ont le volant à gauche et roulent en sens inverse… de vrais anglais ! – et essaye de répondre en même temps aux questions qui fusent. Nous traversons le jardin du Palais Impérial en toute trombe et nous voilà au dojo. Evidemment, pas de clim ici ! Nous sommes quatre élèves, dont deux haut gradés. Le cours commence par un échauffement assez musclé – comme la plupart des échauffements depuis que j’ai commencé la danse – et nous nous mettons face à nos partenaires. Le mien est un américain ou un anglais : Aaron. Il a reçu pour consigne de me faire faire le tour des techniques de base pour déblayer le champ de ruines qui me sert de mémoire. C’est un garçon charmant, très roux et vraiment bon pédagogue. Nous enchaînons les techniques les unes après les autres. Il a, dans sa pratique cette façon tranquille et douce de travailler, porteuse, en général, d’une grande puissance d’exécution. J’avais oublié que l’on pouvait suer autant.

Sur la route du Shiramine, mais pas le Shiramine ! Un jardinier travaille sous l’oeil malicieux d’une sorcière démon

Il est 15h30, je suis épuisé. Mes jambes ont du mal à me porter, mais j’ai rendez-vous à 15h45 au Shiramine Shrine avec Rebecca pour aller acheter des tabis – chaussons traditionnels japonais avec le gros orteil séparé – et aller à la rencontre de Saco Sensei, mon maître de flûte. Rebecca semble un peu anxieuse. Elle tient à ce que nous soyons au rendez-vous avec Maître Saco le plus tôt possible. Nous courons acheter des tabis dans une boutique improbable située dans la cour d’un pâté d’immeubles de bureaux. La dame me fait essayer plusieurs paires, repart à chaque fois me chercher la taille au dessus. Plus grand, plus grand, plus grand. Après trois allés et retours – à chaque fois il lui faut monter au dessus de la boutique par un escalier en pente raide – elle finit par être satisfaite ! “This one”. Ok ! Donc en tabis, je fais 27,5 centimeters. Rebecca ne semble pas tranquille à l’idée que je laisse mon vélo à la Kyôto Station le temps du cours. Je repasse donc en trombe à la maison, dépose le vélo, jette mon sac d’Aikido dans la maison et file la rejoindre à la “Kyôto Station” en métro. Les japonais me regardent d’un drôle d’air…. ce n’est pas souvent qu’on voit des gens courir ici – si ce n’est pour faire leur footing. Après d’interminables couloirs où courir, avec cette chaleur et le manque de sommeil, me demande un effort incroyable, j’arrive… mais elle n’est pas là! Je commence à paniquer. :“Mince ! Et si le rendez-vous n’était pas à cet “Information Center” au second floor de la sortie North… » et mon téléphone qui n’a plus de batterie… Après quelques tours des autres “informations center”, je la trouve enfin. Le point de rendez-vous était le bon, c’est juste que le bus qu’elle a pris était coincé dans les embouteillages.

un autre dragon, un petit dragon croisé au Seimei Shrine en revenant de la Tozando Shop

Mon premier cours se déroule dans l’enceinte d’un théâtre hors de la ville. Nous prenons un train, puis une sorte de métro local. Nous sommes à deux stations de Kyôto et pourtant le décor est complètement différent. Ici, encore plus qu’à Kyôto, on se croirait de retour dans les années 30. Le métro local est un tout petit train où pour accéder au quai il faut passer par les voies. Les wagons aussi sont d’un autre âge – mais pas de soucis, nous sommes toujours au Japon : ils sont rutilants, impeccables !. Cet endroit est délicieux, comme dans un rêve. Les trente heures de veille y contribuent grandement, je pense.

Bicycle on the night ! My bicycle… beautifull, isn’t it ?

Nous arrivons… la porte coulissante nous découvre un jeune homme -quand je dis jeune, c’est 35-40 ans… comme moi ;-)- rond, au visage très présent, intelligent et aux petites lunettes cerclées de type enseignant occidental. Il me fait tout de suite une très bonne impression. Et je ne me trompe pas. C’est un homme très attentif, simple et en même temps très vif. Il nous explique qu’il travaille depuis quelques temps avec des artistes de musique classique et baroque et cherche à établir une passerelle entre la musique du nô et la musique classique. Il m’invite à un concert expérimental, le 30 juillet à Osaka. Un privilège quand on sait qu’il n’y a que 25 places ! “Comment…. Alleu…. Vous ?” “Do you speak french ?” Oui, il le parle un peu. C’est un passionné du cinéma français et il a étudié notre langue à « l’Ou-ni-Ver-seu-teu ». Il semble parler anglais aussi, même s’il laisse à Rebecca le soin de me traduire ce qu’il dit. Après un long moment de présentation, je sors la flûte que Rebecca m’a gentiment prêté pour commencer. Il me demande de souffler. Un son bizarre et strident sort. “Ok ! I can learn flute to him”. C’était le test… je suis accepté. Après ça, il sort quelques feuilles de notation et d’une écriture très soignée, m’écrit la partition de mon premier exercice : « Oshirabe ». Sur une autre feuille, il met face à chaque nom, le dessin du “fingering” – le doigté. Jusqu’à ce moment moment-là, nous étions assis -en seiza – autour d’une table basse sur un des côtés de a salle – de tatamis bien sûr. Il quitte cette place et va au centre de la pièce sur un coussin et me demande de prendre place devant lui. Il y a une toute petite table que ceux qui ont vu des récitals de nô connaissent. Je m’installe en seiza. Il m’arrête : “Can you put off your bangle ?” Quoi ? Ah oui… il veut parler du petit bracelet que Rose m’a offert pour la fête des pères, un bracelet en cordelette qu’elle a fait elle-même. Du coup, je l’enlève.

De retour de la « Kyôto Station », ligne K

Ca y est, c’est parti ! Je dis “c’est parti”, car ce moment-là est vraiment d’une autre nature. On est dans le travail, mais dans un temps et un espace dédié exclusivement à ça, un espace où le maître fait corps avec l’élève pour l’emmener sur les terres de la transmission ancestrale. Je ne vais pas tout vous décrire par le menu détail, mais en gros cela se passe comme ça : il montre, je refais, il montre, je refais. Très peu de mots sont échangés. Quand il joue, c’est magique, magnifique… moi j’essaye : PFffffff, pfffffff ! “Ok, it’s finished”. Ca a du durer entre dix et vingt minutes et je n’arrive plus à sortir un son. J’ai des crampes aux doigts avec ce doigté si différent du notre et l’esprit brouillé. Mais j’ai fait là, encore une fois, un vrai voyage… un profond voyage.

Avant de partir, il m’enregistre les phrases sur mon iphone pour que je puisse travailler avant notre prochain rendez-vous.

Le reste fut une soirée courte. Un petit repas, une douche interminablement bonne et un gros dodo.

See you.

P.S. Aujourd’hui, il fait toujours aussi chaud, mais on voit le ciel à Kyôto. Un beau ciel bleu…