Magojiro et empêchements…

Entouré de silence, comme si tout était en suspension !

J’attends tellement de mots et d’actes, tellement. Il faut croire que ce n’est pas le moment. Il faut croire que quelque chose ici bas empêche la vague de déferler. Le Yi King, mon ami de toujours me parle des « ennemis », de ceux qui sur la terre, ont croisé ma route et m’en gardent rancoeur. Ils doivent être nombreux. Je ne sais pas combien, mais ils doivent être nombreux.

Ceux qu’on laisse sur sa route un jour de colère et qu’on ne revoit jamais. Ceux avec lesquels on a essayer de bâtir des mondes et qu’on laisse, du jour au lendemain. Ceux qu’on a blessé, rendu jaloux, perdu. Ceux qu’on a mal aimé. Ceux qu’on a pas regardé, ceux pour lesquels on a pas pris le temps, ceux qu’on a oublié, un instant, une journée, une vie… Ceux dont on s’est servi, qu’on a trompés, puis laissés, bafoués, malmenés…

Et comme dans le théâtre Nô, il se peut que ces esprits blessés, ne puissent pas lâcher cet être qui, pour nous, s’est depuis longtemps transformé et que leur colère, leur rancoeur, leur blessure créée une scission complexe et frictionnelle entre le nous de maintenant et ce qu’il a été, avant.

Je ne dis pas que ce sont ces autres qui font ça. Mais peut-être le nous d’aujourd’hui qui se souvient du nous d’hier et qui est encombré de n’avoir pas pu demander pardon à ceux qu’il a blessé et qu’il n’a plus revu. Et qui n’a pas dire merci à ceux qui ont enduré ces passages comme on subit la chaleur cuisante du soleil, puis la violence de la pluie et la boue, du froid pour faire germer cet arbre sans jamais avoir pu en goûter un des fruits.

Comment faire alors pour me libérer de cela ? Comment faire pour guérir ces plaies ouvertes qui retiennent en arrière ? Et même comment mesurer le mal qu’on a fait ?

Alors je pose une liste ici de ceux à qui je dois tant et à qui j’ai fait si mal, enfin, à qui je crois avoir fait si mal.

D’abord, pardon à Aydé, femme de ma première vie que j’ai aimé si fort et si mal, oui si mal. Pardon à Elsa, que je retrouve si belle quand je ferme les yeux et que je n’ai pas su aimer comme elle l’attendait. Pardon autour d’elles, à la mère d’Aydé que j’ai combattu si sauvagement, à son frère que j’aimais bien, à Vincent, Jenny et la maman d’Elsa. A sa grand-mère et son grand-père aussi, avec lesquels j’ai passé de si beaux moments. A Julia, ma petite puce. A Claude, ce cousin qui m’a tant donné et qui n’a plus eu de mes nouvelles du jour au lendemain.

A Mathilde et Juliette, à Alexandra, à Anne, à Julie, à Stéphane, à Christophe, à Duccio, à Cécile, à Léonie, à Patrick et Sylvie et à tous ceux à qui je pense devoir des excuses. Je suis désolé. Sincèrement désolé.

J’entends certains qui vivent avec moi aujourd’hui me dire : « mais pourquoi ne sommes-nous pas cités? » Justement parce que nous vivons pas loin, que nous nous rencontrons encore et que nous pouvons, à chaque instant, faire ces traversées que je ne pourrais plus faire avec ceux-ci, eux qui ont tant compté et que je ne vois plus.

Ah oui… j’oubliais ! « Magojiro » en titre pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui, je viens de faire l’acquisition de mon premier masque de Nô : « Magojiro ». C’est le premier masque que Erhard nous avait présenté en 1994 au Théâtre du Soleil, lors d’une journée où à cinq ou six, il nous avait fait travailler. En nous présentant ce masque, il nous avait raconté l’histoire d’un jeune sculpteur qui avait une femme magnifique. Ils étaient très amoureux. Quand il sculptait, elle n’était jamais loin et avait pour lui mille soins. Mais cet ydille ne devait pas durer. En effet, la femme mourut d’une maladie fulgurante(comme souvent à l’époque). Elle n’avait pas encore 20 ans. Fou de chagrin, le facteur de masques demanda à sa famille et à la famille de la femme de le laisser seul avec elle, une dernière nuit. Ils n’eurent pas le coeur de refuser. Mais le lendemain matin, la porte était toujours close. Ils eurent peur que le jeune homme n’est mis fin à ses jours et entrèrent. Là, ils ne virent pas le jeune homme, mais au centre de la pièce, au milieu de copeaux de bois, la jeune femme allongée semblait avoir retrouvé la vie. Ils se précipitèrent pour l’embrasser, mais arrivés devant elle, ils se rendirent compte que ce n’était pas son visage qui semblait animé, mais qu’elle portait un masque . Oui, cette nuit de recueillement que le jeune facteur de masques avait demandé, il l’avait passé à sculpté le visage de sa femme. Elle demeurerait ainsi pour toujours comme à la veille de sa mort. Pour des siècles et des siècles. Elle s’appelait « Magojiro ».

Magojiro (celui-là est vraiment à moi !!!) – Photo Vincent Guenneau

Dom Juan au Théâtre Nô d’Aix en Provence, une semaine d’ailleurs…

Dom Juan (Céline), Sganarelle (Jeanne) et le Commadeur (Hanyâ porté par Elisabeth Ciccoli) – Photo A. Ferran

Que j’aime d’un amour profond cet endroit… et chaque fois un peu plus ! La vie est ainsi faite qu’elle vous réserve des surprises de taille… N’est-il pas extraordinaire de penser qu’une rencontre avec le Nô en 1996 aux côtés d’Ariane Mnouchkine et d’Erhard Stiefel m’ait poussé jusque là, par un jeu de forces dont personne ne pourrait démêler les élans des rencontres des élans de l’âme et de la destinée. Comment serait-il possible de préméditer cela : « Dans quelques années, je pourrais travailler à loisir sur le seul Théâtre Nô au Monde hors du Japon et j’y pourrais éprouver des choses enfouies au plus profond de mon être, sans retenue, sans entrave, avec passion, foi et en y entraînant des âmes assoiffées ! »

Pourtant, c’est ce qu’il se passe. D’abord avec ce tout petit spectacle « Nô et Kyôgen », puis avec cette tentative de grand « Atsumori » de Zeami, enfin avec ce « Dom Juan » à qui j’ai ouvert les portes d’une contrée que je connais si mal, sans être sûr, à aucun instant, que cette rencontre serait possible et probante. Juste avec la confiance des fous ou des simples d’esprit !

Et voilà que je viens de passer une semaine avec lui au Pays du Nô et qu’il m’en revient chargé d’un sens que jamais je n’aurais deviné auparavant. Oui, c’est le Japon et cette bande de jeunes apprentis acteurs si maladroits qui, pour la première fois, m’ont ouvert les portes de la langue de Molière et de son monde que j’ai rejeté avec tant de conviction depuis tant d’années.

Vous me direz et vous aurez raison, pourquoi alors avoir choisi « Dom Juan » si on n’aime pas Molière ? (sous entendu si on ne le connaît pas;-)) surtout pour un tel voyage ! Et bien, je ne sais pas ! Vous voulez la réponse vraie ? Je n’en sais rien ! Et jusqu’à lundi soir, je me suis vraiment demandé pourquoi j’avais fait ce choix ! Avec colère et grande inquiétude… Me disant même : « il est encore temps de choisir un Shakespeare, un vrai auteur, quelqu’un de capable de monter sur le Butai et de résister aux attaques du Nô. » Et je n’en ai rien fait… et j’ai bien fait de n’en rien faire ! Puisqu’aujourd’hui, j’ai renoué avec cet auteur. Le japon m’a rendu ce français. Céline (qui joue Dom Juan) m’a réconcilié avec Molière. Ainsi que toute la petite troupe qui s’est attaquée à ce monument du théâtre sans sciller, avec un sérieux et une exigeance digne des plus grands. Avec une confiance et une générosité que je n’avais pas rencontré depuis longtemps. Avec une soif de voyage, une soif de rencontre, de découverte qui nous a permis de voguer à vive allure toute la semaine.

Je pense à Hamlet. Je pense aux acteurs qui ont eu la chance et en même temps la terrible destinée de croiser ces grands rôles. Et je regarde Céline. Elle vient d’avoir 18 ans et commence ce douloureux voyage de l’acteur aux côtés d’un être complexe qui la marquera à tout jamais de son sceau.

Je n’ai jamais joué des rôles de cette nature. Simplement parce que je ne suis certainement pas un acteur de cette trempe. Et assister à cette rencontre de l’extérieur est à la fois très beau et terrifiant. Quelque chose échappe définitivement à notre compréhension et l’on sait qu’en cet endroit, l’acteur et le personnage ne pourront jamais partager leurs secrets. Ne les enviez pas ! Personne ne peut avoir envie de cela, même si à vivre, cela doit être extraordinaire. Mais de voir chaque jour le silence qui se pose un peu plus sur leur histoire à tous les deux et que Céline garde là au fond des yeux, palpable, est quelque chose qui inspire de la compassion, une retenue douloureuse et en même temps, de l’humilité et du respect.

Je pense aussi à ces huit autres. Au voyage si difficile de Jeanne, à la découverte du théâtre par Gaël, à la joyeuse distance de Sidney, à la beauté juvénile de Aude, à l’absence d’Antoine et à son décalage, lui qui n’aura pas vécu dans cette histoire de Dom Juan, une semaine fondamentale, fondatrice, si ce n’est sa dernière journée ! Au passage éclair d’Anne qui nous accompagne plus qu’elle ne peut le savoir, à Elise… là, toujours là. A Hanyâ, posée dans sa boîte et qui attendait, chaque jour, le retour d’Elise. Elle qui semble partager avec elle quelque chose qui nous échappe et qui, sur scène, prend vie… masque de bois qui est est resté dans des salons depuis près de vingt ans et qui retrouve la scène avec une rage inégalée.

Merci à vous tous ! Meci aussi à Jean Dominique et à Olivier qui rendent cela possible. Merci à Ariane de m’avoir mené sur cette voie, à Erhard qui m’a, le premier mis un masque de Nô, le masque de Magojiro sur la tête.

D’autres disparaissent et d’autres reviennent. D’autres arrivent. Dans le va et vient de la vie. Aujourd’hui, ils me manquent. et je voudrais retourner là-bas et continuer le voyage « Dom Juan » à leurs côtés. Mais il nous faudra attendre. Et supporter les prochaines rencontres qui seront des éclairs. Faire avec. Le faire bien. Pour que le 6 juin, vous puissiez recevoir un peu de ce que nous avons reçu, nous.

Que le Dragon vous accompagne !

Sidney, Rose et Céline sur le Butai d’Aix en Provence – Photo : A.Ferran

« Marqué(e)s par le Dragon » et Carnaval de Marseille

Cela fait un petit moment que je n’ai pas pris la parole sur ce blog… mon blog ? Ah oui 😉

Mais les jeunes écrivent bien et je n’ai pas vraiment la tête à ça.

Alors… petit résumé d’une semaine bien remplie. On en était où… ah oui ! Jeudi. Jeudi, des rendez-vous pour avancer sur « Marqué(e)s par le Dragon » et une voiture qui me lâche en plein Marseille, la maligne. Elle me permettra de rencontrer des gens intéressants et de faire le point sur ce qu’il y a à faire et à porter pour voir ces beaux projets voir le jour. Ce n’est qu’un câble d’embrayage, mais à Marseille, ça devient un embrayage complet. Heureusement, le dépanneur me ramène jusqu’à Bouc Bel Air, dans mon petit Garage Laugier ou Mr Laugier, qui s’occupe de mes déboires de voiture depuis plus de six ans, même s’il fait payer réellement les heures de main d’oeuvres, s’arrange toujours pour faire le maximum avec le minimum. Un vrai grand bonhomme de la mécanique !

Toujours Jeudi, il me faut retouner à Marseille. J’ai rendez-vous dans un salon de thé improbable, Boulevard Longchamps, à la nuit tombée, pour y rencontrer Lu-Ne, une graphiste et « marketeuse » rencontrée sur le net et qui accepte de m’écouter sur la création de « Marqué(e)s par le Dragon ». Le salon de thé est une merveille. On laisse ses chaussures à l’entrée et nous voilà déambulant, au milieu du désert, dans du sable fin, jusqu’à notre table. Un recoin chaleureux aux mille coussins. Le thé y est bon. Le café aussi (paraît-il). Deux gars se sont lancés dans cette aventure et ont tout fait eux-même. Ca se sent. Ca respire l’amour à chaque centimètre carré. C’est dépaysant. Et pour « travailler » (Lu-Ne n’aime pas ce mot…) c’est très bien aussi. A découvrir d’urgence. Au 65 (et non 66 ;-)) Boulevard Longchamps à Marseille. Le rendez-vous ? Quel rendez-vous… à oui ! Le rendez-vous avec Lu-Ne était à la hauteur du lieu qu’elle m’a fait découvrir. Très agréable, vivifiant, constructif et en même temps apaisant. Un vrai beau moment !

Vendredi… vendredi… Je ne me souviens plus de vendredi. Je crois… une journée à la maison. Un peu de ménage, quelques avancées sur les dossiers en cours et puis le début de l’écriture des Statuts de « Marqués par le Dragon » avec tout ce qui va autour. C’est que l’Assemblée Constitutive a lieu dimanche et que samedi, je bosse au Carnaval de Marseille… En plus, Elise fête les 80 ans de sa maman le samedi, donc il faut préparer la maison pour cet accueil spécial et précieux. (Il paraît que la fête d’anniv était très belle !)

Samedi… debout à 5 heures et départ pour Marseille. La corniche à cette heure est magnifique. Je suis toujours surpris de voir le peu de temps que je mets pour me rendre là-bas à ces heures où il n’y a pas de circulation. Vingt-cinq minutes quand le soir pour rentrer je mettrai une heure et demie ! C’est une belle journée ensoleillée. Je suis content de retrouver la face technique de l’iceberg. Les gens qui bossent là, je les croise une fois par an, à peu près. Ce sont, pour la plupart, des porteurs de projets grandioses et humains qui comme moi, font ce genre de plans pour pouvoir continuer à avancer sur ce qui les fait vivre.

Le Carnaval de Marseille n’est pas de ceux-là. D’année en année, il s’apauvrit. C’est devenu un défilé où les spectateurs, coincés derrière des barrières vauban, n’ont plus que les appareils photo pour participer. Il y a bien quelques jeunes qui achètent des bombes à serpentins, mais ils ont beau tendre les bras, leurs serpentins, à part, les régisseurs qui sont sur les bords, retombent dans le vide, la plupart du temps. Je mesure comme en ce jour de fête, il y a peu de bonheur réel. On fait semblant. On se dit que. Mais c’est morne. Morne à mourir. Si, il y a quand même quelques compagnies qui essayent de jouer le jeu. De mettre en place quelque chose de vrai, de porté (Manu, resp du 11/12 par exemple), mais ils se font broyer par cette grosse machine à mensonge. Le défilé devait durer une heure, il n’en durera qu’une demie-heure, achevant les bonnes âmes qui avaient tenter de construire quelque chose pour ces publics… Il est dix-neuf heures. Je rentre chez moi. J’ai perdu quelque chose encore aujourd’hui. Je me dis que la tâche ne sera pas aisée. Qu’il faudra leur faire violence pour les emmener ailleurs, mais que de toute évidence, ils n’iront pas d’eux-même. Comme quelqu’un qui aurait mangé Mac Do depuis trop longtemps et à qui on voudrait faire goûter juste du riz légèrement assaisonné. Non ! Ca risque d’être bien plus difficile que je ne l’avais imaginé.

Dimanche… Dimanche, je me lève encore plein du poids de la veille. Je m’installe à l’ordi et je commence à faire l’architecture du site « Marqué(e)s par le Dragon ». Les autres (Fred, Laura, Esther) arrivent à 18 heures pour la réunion constitutive. J’ai quelques jolis mails dans ma boîte, une fille qui aimerait bien voir son père levé le nez de l’écran, un Simon tout mignon qui s’occupe comme un frère (qu’il est) de sa soeur, une Jeanne affairée et que je sens avancer sur la bonne voie, une amoureuse, Elisabeth qui travaille aussi sur les statuts. Et puis, c’est l’heure. On attaque la réunion. On fait un point sur les avancées (elles sont nombreuses). On peaufine les statuts. On se choisit mutuellement, on vote, on signe. Il est 23h30. Je suis devenu Président de cette association qui j’espère aura la force de faire le travail titanesque qu’elle se propose de faire. Accompagné de Fred à la trésorerie et de Laura comme Secrétaire. Esther et Elise, elles sont au CA. Nous sommes cinq membres fondateurs. Et nous sommes plein d’espoir et de sommeil. Tout le monde rentre se coucher. Il me faut, avant de les rejoindre, faire un rapide tour au Japon pour régler quelques histoires pour mon stage avec Maître Udaka, j’envoie à Thomas, Lu-ne et Sway le « synopsis » du site des « Marqué(e)s » pour qu’ils m’y collent des couleurs, des odeurs, de la vie. Et c’est avec Chouang Tseu que je vais me coucher. Ce vilain qui m’emmène chaque soir un peu plus loin de vous, un peu plus près de moi. C’est mon père qui m’avait fait découvrir ce philosophe chinois en me disant que c’était le plus grand auteur de tous les temps. A l’époque, j’avais opiné, acheté ses oeuvres et… rien compris ;-). Aujourd’hui, sa voix commence à résonner en moi. C’est assez délicieux. Il est deux heures… rideau et rêves.

Voilà.

Je reviendrai vite vous expliquer le rôle de « Marqué(e)s par le Dragon », vous dire en quoi vous pourrez aider et ce qu’on attend de vous tous. En attendant, je vais finir mon café et me remettre au travail.

A très vite.

Il y aurait dû… Ou comment on en arrive à Ivry Gitlis

Il y aurait dû avoir les mots d’un jeune homme ce soir à la place de ceux-là…

Et moi j’aurais pu aller me coucher sans avoir à passer par là.

Du coup, je ne résiste pas à vous faire partager ce petit film… il y a quelques moments vraiment beaux. Pas au tout début, mais assez vite finalement.

Ce grand monsieur : Ivry Gitlis qui disait « Vivre, c’est travailler »… et qui, dans tout ce qu’il a fait, avait cette simplicité et cette humilité, cette générosité fait ici, jouer des enfants. Et effectivement, c’est « mieux que Boulez » (si, si vous verrez 😉 et vous savez combien j’abhorre la démagogie ! ) Un film qui peut faire du bien à certains musiciens…

Le plaisir, le plaisir et le partage, mesdames et messieurs !

Bon visionnage !

Le temps…


Hier soir, les « jeunes » ont commencé à arriver pour notre premier week-end « Dom Juan ». La maison, comme elle sait si bien le faire, a commencé à vibrer de cette vibration si particulière. Elle a rempli ses poumons vieux de cent cinquante ans de ces rires, ces mots dits un peu trop forts (quand on est nombreux, avez-vous déjà remarqué comment la voix sort de sa cachette et comme quand on retourne au silence, les oreilles sifflent ?;-)), de ces destins à peine entamés, de ces histoires de passage. Elle n’a pas peur de cela. Elle a ces murs épais qui protègent, l’été, de la chaleur étouffante et l’hiver, du froid (enfin presque… si, si). Elle a vu, entendu, reçu tant de choses… elle ne va pas « s’émouvoir pour si peu ! « alors encore une fois elle remplit ses poumons. Elle aspire la musique qui se joue, les sourires qui se donnent. Elle accueille même ceux qui veulent le silence et a tranquillité. Elle a la place.Et elle souffle, doucement, de ce souffle imperceptible que certains d’entre nous savent pressentir, mais qui ne se donne pas pour ça. Elle souffle tout cela au centuple. Sans compter. Sans s’inquiéter de ce qui lui restera. Elle souffle ce petit souffle centenaire qu’elle a toujours soufflé. Juste ça ! Juste là ! et les rires qui tintaient dans la cuisine arrivent au pied de la cheminée et vous poussent à ne pas relâcher l’attention.

C’est qu’hier, en plus de cette arrivée, en plus de ces amis, ces partenaires, il y avait au Mas, une réunion. En petit commité, avec Laura et Elise. Laura est la nouvelle administratrice de la Compagnie et de ce lieu de théâtre en gestation qui verra le jour bientôt (promis dans le courant de la semaine, je vous en parle). Et devant nos ordinateurs, sous le regard d’Hannya qui maintenant m’accompagne tous les jours, nous avons continué à dessiner ce rêve jusqu’à une heure avancée. Insistant sur les zones d’ombres, les flous artistiques. Pour que cette maison qui nous a accueilli puisse voir le jour ailleurs, en plus grand (et oui 1000 personnes dans la maison tous les soirs, ça, elle ne le supporterait pas ! ).

Et en discutant, en cherchant comment expliquer dehors, ce qui, pour nous, dedans, semble si évident, il a fallu chercher des mots, encore des mots. Les plus justes, les plus simples. Et ce n’est pas une tâche aisée. Mais dieu que c’est intéressant et riche… et c’est dans l’épuisement de cette noble tâche que m’est apparu le mot fondamental, celui pour lequel je me bats depuis que j’ai rencontré le Théâtre du Soleil, celui que j’ai même sûrement rencontré avant cela, quand j’étais un élève de cette alternative à l’école : « La Maison des Enfants » (tiens, il faudra que je la rajoute à mon Arbre, celle là !) et que je tiens à défendre dans chaque acte, à porter dans chaque pas, à laisser vivre dans chaque moment : LE TEMPS !

Oui, le temps. Prendre le temps. Avoir du temps. Se donner le temps. Le temps vrai de la maturation. Le temps juste et nécessaire qui permet à l’homme de comprendre que son temps à lui ne dure qu’une seconde dans la valse du temps universel, dans l’échelle temporelle de l’humanité. Comment le mesurer si l’on ne décélère pas de temps en temps ? Avez-vous déjà vu le champ de vision de l’homme lancé dans un véhicule à 180 km/h (je vais vous chercher une image… sinon, on trouve ce schéma dans le « Code de la Route ») ? Il devient dramatiquement étroit. Et si, c’est normal et nécessaire parfois, il faut savoir ramener les machines au ralenti. Pour regarder les fleurs s’épanouir. Pour contempler les étoiles. Même si l’on doit se forcer, s’obliger. Pour essayer de reprendre la mesure du temps.

Bon… la le temps file trop vite et nous allons devoir partir en répétitions. Nous en reparlerons maintenant que j’ai retrouvé le mot… (merci Maman !;-)) Mais là, il est temps pour moi de me préparer. De me mettre au diapason de cette équipe et de ce voyage que nous nous apprétons à faire au côté de « Dom Juan » et de son valet « Sganarelle ». Ils viendront vous en parler ce soir.

Belle journée à vous. Et essayez, essayez de prendre quelques minutes à votre train. Pour sentir, ressentir… vivre ! Grandir ! Aimer…

A vite ! 😉

« Un cœur honnête peut faire fleurir une pierre »

« Un cœur honnête peut faire fleurir une pierre »

– Qu’est-ce que tu dis papa ! Une pierre, ça ne fleurit pas !

Une pierre, ça ne fleurit pas.
Non, on peut l’imaginer… On peut, à l’aide d’un pinceau et de quelques couleurs la dessiner cette fleur ! On peut la faire éclore avec des mots choisis, cherchés, traversés. Ou bien la raconter. Pourvu que tu y crois. Pourvu que moi j’y crois. Je veux y croire ! Je dois y croire ! C’est là le seul devoir de mon métier…

Bien sûr, ce n’est pas le chemin de chacun. Heureusement. Parce qu’il est plus important d’avoir un bol de soupe dans son assiette le soir qu’une pierre fleurie. Parce qu’un mot ne remplacera jamais un lit, ni le chauffage, ni l’eau, ni les morts, ni la folie, ni la violence.

Je me souviens. C’était en 2003. Premier incident pour notre statut d’intermittent. Il fallait travailler 507 heures en dix mois et demi à la place de douze ! J’étais outré, je voulais me battre et faire entendre au monde la nécessité de nous sauver. J’étais plus jeune… J’avais oublié que notre ministère de la Culture n’avait que 50 ans…

Je me souviens d’un homme, un bel homme qui flânait dans les rues de Salon-de-Provence, ce fameux samedi. Je lui avais sauté dessus, l’agressant presque pour qu’il signe une pétition, sûr de ce que j’avançais. Je me souviens son regard et ses mâchoires qui, d’un coup se crispèrent. Lui, l’ouvrier, lui qui travaillait huit heures par jour à faire tourner des boulons et qui finissait le mois avec sept cent euros sous le regard en biais de ses enfants qui n’osaient pas dire à leurs copains le métier de papa ; lui, il fallait que, pour son seul jour de repos, au bras de sa femme, en cette belle journée de printemps, il supporte mon petit problème comme si c’était le sien ?! Comme j’ai eu honte quand j’ai compris ce que ses yeux me disaient ! Vraiment honte. De m’être laissé égaré à ce point. D’avoir oublié que ni Shakespeare, ni Molière n’avait eu autant que je n’avais jamais eu et que jamais, non, jamais cela ne les avait empêchés d’œuvrer. Avec patience, humilité et ferveur.

Alors, j’ai laissé à ceux qui étaient convaincus le soin de continuer la lutte et je suis retourné m’enfermer dans ma chambre noire. J’ai œuvré et œuvré pour comprendre pourquoi nous avions perdu le chemin. N’avions-nous pas été de tout temps des parias, des même pas humains ? Nous qui vivions d’aumône et de la bonté de grands hommes riches et généreux qui s’amusaient de notre capacité à nous courber bien bas devant eux.

On ne porte pas ce que l’on porte pour être au devant de la scène. Cela est le résultat d’une belle et juste initiative qui, comme toutes avant elle, a été salie à la première heure, avant de dégénérer. Tuant des artistes par millier. Les mettant au même endroit que les autres ! Ce n’est pas que les autres soient mauvais ou bêtes. Non ! Mais garder son cœur ouvert pour tout ceux qui ne le peuvent pas est un travail de chaque instant et qui ne supporte aucun détour ! Nous devons apprendre à manger des cailloux accommodés d’un peu d’eau de rivière et supporter le goût des chairs sanglantes au fond de la gorge sans crier, sinon comment mesurer le prix qu’ils payent, eux, qui font tourner le monde ?

Bien sûr, nous sommes nécessaires. Bien sûr, ils ont besoin de nous. De ces instants où ils peuvent s’extraire de la chaîne du monde pour se retrouver, enfants oubliés. Ils ne demandent que ça : de pouvoir confier à des gardiens leur cœur d’enfant. Qu’ils puissent à l’aube de leur quatre-vingt ans le retrouver, ce précieux qu’ils ont été obligé de lâcher en route pour survivre.

Ils brûlent leur âme, ils brûlent leur amour, leur être tout entier pour nous nourrir et nous nous devrions juste jouir ?!.

Je vous en conjure. Pour tout ceux qui meurent chaque jour, revenons à nos places. Acceptons de payer le prix, nous aussi. Acceptons notre rôle. Parce que plus que jamais ils ont besoin de nous. Pas de moi, ni de toi, mais de ces gardiens de leur humanité. Et cela, nous sommes les seuls à pouvoir le porter. Pour eux, nous nous le devons.
A chaque guerre, à chaque mort, à chaque insulte qui fuse, nous, les artistes, nous devons accepter d’en porter la responsabilité plus qu’aucun autre.

Parce que si nous faisions notre travail, cela ne serait pas. Oui, ne serait pas. A-t-on déjà vu des gardiens jouer les stars, vouloir signer des autographes et se vanter d’avoir peint tout De Vinci ?

Je suis désolé de dire cela, vraiment. Mais si nous ne nous remettons pas en question, nous, qui le fera alors. Qui dans le monde le fera ?

Je pense à Rose qui ce soir a blessé une copine pour se joindre au groupe. A blesser son petit cœur pour se mettre avec les autres. Si moi, son père, je ne me bats pas pour qu’elle puisse le retrouver quand elle le voudra, moi, le soit disant artiste… qui dans le monde le fera ?

– Dis Papa, c’est vrai que « Un cœur honnête peut faire fleurir une pierre », pas vrai ?!

Bien sûr, mon amour… dès que tu voudras le voir, le croire, je te le montrerai. Je te le promets. Même si c’est dans cinquante ans ! 😉

Epaules tendues et TGV

Les projets se multiplient, les axes s’élargissent, s’ouvrent… à l’infini. Et moi au milieu, je cherche dans un navire lancé à 320 km à l’heure à regarder autour, à garder l’oeil ouvert, généreux. Mais je n’y arrive pas ! Et ceux qui ont le malheur de croiser ma route dans le sens latéral se trouvent coupés en deux. Littéralement…

Que faire ?

Où sont les co-pilotes ?! Moi, j’ai mal aux épaules et le coeur déchiré. Il ne faut pas ralentir, je le sens bien. Mais j’ai besoin de pouvoir laisser le volant quelques instants. De respirer la corolle d’une fleur et de verser les larmes pour ceux perdus en route. De marcher un peu en regardant le ciel, de mettre un petit tas d’herbes en boule et de m’en faire un oreiller pour dormir quelques instants sous les étoiles du ciel.

Mais je ne peux pas. Et je sens bien que si je freine, si je pose la voiture au bord de la route, ce Théâtre de Grande Valeur, la machine ne repartira pas. Elle ne marche pas avec un moteur, non. Elle n’a pas d’organe autonome. Elle a atteint cette vitesse par les rencontres et par les rêves. Par le pouvoir du temps et l’instant. Et la tortue nous l’a bien montré : une fois partie, elle va jusqu’à la ligne d’arrivée. Sans se laisser détourner. Avec humilité, naïveté, ferveur. Mais elle y va !

Alors, je continue. Je me mets des baffes. Et quand la ligne est droite, j’essaye de me concentrer sur ma respiration pour détendre mes muscles tendus de fatigue, tendus de nerfs, tendus d’effroi. Je mets de la musique dans le poste et je chante à tue tête pour endormir les tensions, pour oublier la douleur de la perte et de la solitude.

Oh, vous ! Si vous savez entrer dans un véhicule lancé à 320 km à l’heure et que vous avez quelques instants à perdre ou à donner, n’hésitez pas, entrez ! J’ai tant besoin de vous.

Belle journée à vous.

Et à la prochaine étape…

Car quoi qu’il advienne, je mènerai mon TGV jusque là. Quoi qu’il advienne, quoi qu’il m’en coûte…

L’Expérience Japonaise… Nîmes


Petite parenthèse bien agréable.
Hier soir, nous sommes allés à l’ouverture de « l’Expérience Japonaise », Biennale de la jeune création japonaise à Nîmes. Au programme danse et musique (et oui, pas de théâtre…).

Après deux heures de route et une journée de préparatifs assez intense, nous voilà à l’Hôtel du Centre, un petit hôtel sans prétention, mais à l’accueil vraiment humain et chaleureux. On enfile fissa nos tenues de gala et nous voilà, déambulant aux côtés de monstres japonais (les monstres « Kaiju » de PicoPico) dans la vieille ville. Au milieu d’enfants, d’étudiants, de parents et de badauts, nous découvrons cette ville sous le rythme effréné et quelque peu strident de la musique actuelle japonaise. Après une petite heure de ballade sous grand vent, nous arrivons au théâtre.

Là, c’est un programme en deux parties. La première nous fait découvrir « Kentaro!! » un jeune danseur, chorégraphe de la mouvance Hip-Hop (on craint le pire !!!). Et nous voilà au Japon. Quelque chose se passe là sous nos yeux de vraiment moderne, mais liée aux racines si spécifiques de cette culture, liée aux dieux et aux démons shintôs qui nous entourent. Un beau miracle. Et une émotion que je n’avais pas senti en regardant de la danse depuis bien longtemps. Retenez bien ce nom et priez avec moi pour que le succès ne le détourne pas de sa voie. Lui qui vient saluer en seiza, la tête au sol et qui pleure de se voir acclamé. Quelle merveille !!!! 😉

Après, nous avons eu droit à un groupe de musique 8bits, le groupe « YMCK », vous savez, la musique qui affublait nos premières consoles de jeu. C’est drôle, intéressant, mais l’absence de basses et d’aigus et la puissance des médiums m’obligent à sortir de la salle avant la fin du concert. Elise, elle, restera jusqu’au bout. Avec la banane, s’il vous plaît !

Nous retrouvons Mariko Oka Fukuroi, Mr Iwata (Vice Consul du Japon à Marseille, attaché à la Culture) et rencontrons quelques connaissances et quelques inconnus. En particulier Franck Stofer, un français vivant au Japon et qui a, là-bas, un label, le label « Sonore ». C’est lui qui est responsable de cette programmation éclectique et si japonaise. Un homme simple, direct, accessible, accompagné pour l’occasion de ses parents qui sont restés en France et qui regardent leur rejeton avec amour et admiration.

Puis, nous fonçons dans un autre lieu. Un ancien cinéma récupéré par le théâtre et qui est devenu une petite scène : « l’Odéon ». Là, nous retrouvons un groupe de 4 musiciens. Des rappeurs japonais qui font fureur à Tôkyô : Le groupe « Chimidoro ». A Tôkyô, nous y serons pendant les deux heures que dureront le concert. Ils sont si différents dans leur approche de la scène, de la musique. Du plaisir et de la nécessité de la scène. C’est très innocent et en même temps d’une précision digne des plus grands. C’est très juvénile, frais, communicatif. C’est vraiment agréable.

Bon, voilà le petit compte-rendu. Je file retrouver ma « mauvaise troupe de Théâtre Nô » 😉 et leur laisserait la parole ce soir. A demain !

Et si vous avez l’occasion d’y aller, n’hésitez pas. Ca dure jusqu’au 28 mars (voir l’affiche). En cliquant sur le titre, vous arriverez sur la page du Théâtre du Nîmes dédiée à « l’Expérience Japonaise ».

A vite.

Aux origines de la colère…

Il me faut chercher à comprendre. Accueillir cette épreuve comme toutes les autres et essayer d’en tirer les enseignements. Pour grandir. Encore un peu, grandir…

Hier au soir, lors de la réunion fondatrice de cet immense projet dont je dois vous parler, le démon, encore une fois a jailli. Et encore une fois, a frappé. Et encore une fois, quelqu’un qui m’est cher…

Pourquoi, quand on sait ce que j’ai enduré, ce que j’ai ravalé de larmes et de colère, ce que j’ai toléré, ployant l’échine, pourquoi a-t-il fallu que là, je lâche? Risquant de perdre, encore une fois, un de ceux qui comptent le plus dans ma vie. Pour quelques cacahouètes. Une querelle d’enfants… rien en tout cas qui justifie ma réaction et même, soyons francs, mon action !

Et quand j’y pense ce matin, et quand j’y ai pensé cette nuit, même si j’ai entendu les mots de ceux qui, autour, m’ont dit que j’avais mal agi, que j’avais déconné, je n’arrive pas à le lire, à le comprendre, à le décoder…

La colère est toujours un manque de mots, un manque de confiance en soi ou le miroir de quelque chose qu’on n’aime pas chez soi. Un manque de tolérance envers soi-même. Un manque d’amour envers soi-même. Toujours.

La colère est aveugle, inutile, sourde et bête. Elle est la réaction des faibles, des perdus. Pas celle d’un être qui se veut un exemple, un amant, un ami… un père.

Et pourtant, malgré ça, malgré ce que je me répète depuis minuit, hier soir. Je ne vois pas.

Alors, je vais l’appeler, m’excuser. Peut-être lui saura-t-il me dire ce qui se cache sous cela, ce qu’il a vu à cet endroit ? Je vais l’appeler, écouter, recevoir, puis me taire.

Pour essayer de comprendre. Pour m’armer contre cela. Et devenir cet homme que je m’apprête à être. Simplement.

Bonne journée à vous et à très vite.