Après…

« Kogarashi »

Ne pas arriver à garder l’esprit large! Être piégé par ces riens qui occupent. Préférer l’illusion au réel et ne pas savoir y prendre place. Pourquoi ? De quoi ai-je peur ? Que fuis-je ? Qui y a-t-il de mieux que de laisser le vert de la terre, le vert des arbres entrer là ?
Assumer le vide sans fin d’une vie simple et belle qui s’échappe à  l’instant. Prendre au corps ces instants avec ceux que l’on aime. Et laisser faire. Laisser se faire. Tout. Indifféremment !

Dans quelque accès de lucidité, je perçois les causes de la fuite. « Avec autre chose, je serai celui que je veux être et que je n’arrive pas à devenir. » Il y a quelque chose de cet ordre là. Celui qu’on fuit, c’est soi ! Juste lui. Simplement parce qu’on a jamais appris cela. Se vivre vraiment, juste ça. Pas courir vers un but, non. Pas plus tard quand on sera grand. Pas après quand on aura réussi, non. Pas ailleurs, pas autrement. Juste là, maintenant. Juste là, dedans. Avez-vous déjà entendu le cri de chaque cellule de votre corps ? Avez-vous déjà fêté la naissance d’un contact de vous à vous, vous rendant compte que chaque fibre vous lie à la suivante et qu’avec un peu d’exercice, on découvre qu’on peut entendre tout et qu’on est lié à tout ?

Hier, me lavant les dents, j’ai senti mes pieds réagir ! Et par delà mes pieds, c’est le monde qui reçoit ce geste. Qui y a-t-il de plus merveilleux ? Et pourtant, ce matin, je me sens encore vide. Et chaque instant de même. Toujours quelque chose qui court au delà. Toujours une pensée qui ne m’appartient pas et qui dit : « c’est là-bas! » Et à chaque instant, il me faut faire le travail de revenir au rien, à la petitesse, à l’ennui, à l’inintérêt de cette petite créature que j’ai passé ma vie à ignorer. Seule chance de ne pas finir complètement dingue ! Seul espoir de faire taire la douleur. Seule indéniable rencontre possible. Ultime chance que nous avons peut-être mis mille vies à rendre accessible ! Ça ! Ce rien si simple, si évident !

Voeux ! Vivre 2012…

Nohkan et  fourreau – Décembre 2011 – A. Ferran

Tout est vibration… matière vivante, inerte… tout ! Donc tout communique, se touche, se mêle. En cela, la beauté est bien au coeur. Peut-être, est-on en droit d’espérer qu’un jour cette symphonie qu’est la vie nous montrera combien chaque partition est importante et a sa place. Qui du tambour, qui du triangle ou du premier violon. Chacun, ici, est indispensable. Qu’on le veuille ou non…

Que 2012 nous éveille à nous-même, donc à l’autre, donc au tout ! Ainsi soit-il ! 😉

Hypocrisis… Qu’est-ce que l’hypocrisie ? Bashar Al Assad, moi et le voisin…

 * Hypocrisie : Du grec ancien ὑπόκρισις (hypόkrisis) (« faux semblant »).

L’hypocrisie est l’attitude par laquelle on exprime des sentiments, des opinions que l’on n’a pas ou que l’on n’approuve pas, soit par intérêt, soit par lâcheté.
 

L’hypocrisie est le contraire de la sincérité qui revient à exprimer fidèlement et avec bonne foi des sentiments ou pensées, à ne pas confondre avec l’honnêteté qui est au sens strict du terme la tendance à exprimer sans dissimulation tous ses sentiments ou pensées.

Du plus loin que remonte ma mémoire, je crois que j’ai toujours eu cette interrogation : comment et pourquoi l’être humain est capable d’actes si abjectes ? Comment devient-on mauvais, machiavélique ? Mais surtout comment la masse, les groupes d’hommes et de femmes peuvent s’engouffrer entiers dans les actes barbares ?

Et chaque fois que se représente cette question, je reste un peu sans voix…

Et si… Et si, ces hommes-là, comme chacun d’entre nous, pensaient, à quelques mensonges prêts, faire le bien. Ou du moins, le mieux qu’ils peuvent ?

Il est frappant de constater que tout au long de notre vie, nous trouvons toujours des justifications pour tout ! Évidemment, puisque nous sommes à l’intérieur de nous-même, nous comprenons ce qui nous pousse à agir comme nous le faisons. Que ce soit dû à notre enfance douloureuse, à l’injustice, notre esprit tortueux, sans arrêt, justifie tout !

Qu’en est-il du téléchargement illégal ? N’avez-vous jamais fait pleurer quelqu’un ? Vous arrêtez-vous à chaque fois que quelqu’un a besoin d’aide? Donnez-vous de l’argent à tous ceux qui en ont besoin ? Non ! Pourtant, dans nos codes, dans notre éducation, tout ceci devrait être une évidence ! Mais ça ne l’est pas. Et pour cause, à l’intérieur de chacun d’entre nous, des voix inventent les chemins pour que, chaque jour, nous puissions nous occuper de ce qui nous importe, sans être trop dérangé par tout ce que nous faisons et que vu de chez l’autre, on trouverait intolérable. Ils sont rares les irréprochables. Et il faut beaucoup de courage pour essayer de le devenir. De courage et de temps. Le temps pour regarder chaque chose à sa juste valeur et non à celle que quasiment automatiquement, nous lui donnons.

En ceci, quand je regarde l’interview de Bashar Al Assad, je ne suis pas tant surpris de constater l’apparente « bonne foie » de ses propos. Quasiment sûr qu’il croit en tout ce qu’il dit et que son esprit et les esprits de ceux qui l’entourent construisent une réalité où leurs actes sont les seuls qu’ils puissent faire. Pareil quand on regarde le procès de Nuremberg ou d’autres mettant ce type de monstres au devant de la scène. C’est monstrueux, mais c’est exactement ce que nous faisons tous, tous les jours, à une bien moindre échelle, fort heureusement. En même temps, chaque fois que nous laissons à d’autres les tâches qui nous incombent, chaque fois que nous faisons semblant de ne pas voir, chaque fois que nous nous laissons aller, nous perdons le statut d’humain, pour nous engouffrer dans celui d’aveugle et fou. Et à chaque instant, nous sommes l’exemple d’un millier d’autres qui, nous voyant ainsi, justifient, eux aussi, leurs manquements. C’est une spirale sans fin!

Nous sommes tous Bashar Al Assad, Hitler, Laurent Gbagbo, mis à part une toute petite poignée d’hommes… peut-être. Les seuls, d’ailleurs, qui seraient capables de les pardonner comme on pardonne à un frère ou un père, dont on connaît l’histoire, parce qu’on la partage. Ils ne sont pas « détachés ». Comme si nous étions détachés de quoi que ce soit !

Le fait de vouloir le croire, de les pointer du doigt comme s’ils venaient d’ailleurs, loin de nous, est, sûrement, la seule raison qui rende l’horreur possible.

C’est terrible, non ? Et ça nous appartient. À tous. Nous, êtres humains. Qui, à chaque instant, avons le choix de devenir vigilants ou de continuer à faire semblant. Parce que les hypocrites, ce ne sont pas seulement eux, mais nous tous. Oui, nous tous. Qui poursuivons des rêves stériles au prix de vies, de blessures, de douleur. Oui, nous tous. Qui, ce soir, sommes confortablement installés dans notre cuisine ou notre salon, pendant qu’en Syrie ou ailleurs, des êtres humains, nos frères et sœurs, nos enfants, nos parents, se font égorger, tuer, assassiner, violer.

Si nous pouvons justifier que nous ne leur portons pas secours, alors pourquoi pas eux ?

Je nous le demande…

Le pouvoir de l’esprit

Je découvre depuis quelques temps et chaque fois de façon plus profonde, les mille et une possibilités de l’esprit. Quelle est donc cette machine qui nous dirige seule à 90% ? Et quelle part revient au cerveau, quelle au cœur, au foie, à la rate, aux reins, au système digestif ? Comment le savoir ? Et finalement, si nous n’en avons pas conscience, n’est-ce pas qu’il doit en être ainsi ?Si l’homme peut vivre sans manger, alors pourquoi se l’est-il imposé ? Pareil pour mille et une autre chose… Pareil. 

Ma fenêtre
Une fenêtre sur l’esprit

Chaque deux secondes, quelqu’un meurt sur terre du manque de nourriture et d’eau et nous avons le pouvoir de vivre de l’air ?! Et nous sommes bien plus beaux et fins quand cesse ce processus infernal qui nous ramène à l’âge de pierre. Se battre pour survivre ! Quand nous pourrions utiliser ce temps à comprendre qui nous sommes ou plutôt, utiliser ce temps à être ensemble. Vraiment. Simplement. 

 Y a-t-il une entité là haut qui nous a imposé cette épreuve ? Si non, est-ce le résultat d’une longue évolution ? Peut-être sommes-nous simplement à l’aube d’une ère nouvelle ? Une ère qui mettra encore des milliers d’années avant de devenir effective et qui verra un jour, un être d’une nature telle que nous paraîtrons à ses yeux des néandertals. Je peux, par le travail, par la conviction, devenir immortel. Arrêter de manger et boire, voyager dans l’espace comme un nuage, traverser la matière. Tout cela est à notre portée. Il suffit de prendre le temps, de s’y atteler, de laver nos apprentissages des scories de l’histoire et de la culture. Mais est-ce ça le bonheur ? Ou simplement le royaume des dieux dont parle Bouddha et qui mène un peu plus loin dans les nimbes de l’illusion et de la souffrance ? 
 À quel endroit se dresse la connaissance, à quel croisement la sagesse, à quel horizon la paix ? Si le meilleur endroit pour le découvrir est la vie d’homme, alors attelons-nous à la tâche. Devenons des êtres humains, humblement, sûrs que nous ne comprenons rien à ça qui se déroule ici. Capables de réaliser que nous ne dirigeons que peu de choses et que l’essentiel est invisible à celui qui agit. Seul celui qui contemple peut espérer embrasser l’immensité et accepter qu’il ne peut rien d’autre que la constater et la chérir, aussi petitement qu’il le peut. 
 À suivre…

Troy Davis… Mais qui a dit que nous étions des humains ?

Cela fait longtemps que j’ai disparu de la surface de la toile. A cela, mille raisons invalides. Et beaucoup de silence. Ce silence qui gagne et transforme les contours. J’ai porté mon regard sur l’horizon sans plus rien reconnaître. Conscient enfin que presque tout ce qui habite mon fantôme ne m’a jamais appartenu. Alors, j’ai fermé les yeux, j’ai quitté la route. J’ai laissé les larmes couler pour tout ceux qui ne peuvent pas. Pour les fourmis. Pour les abeilles et les rats. Pour l’amour, pour la joie. Pour la vie.

Ce soir, si je suis là, revenu, c’est parce qu’à cet instant, à quelques mètres de nous, un homme s’apprête à partir. Vous me direz, à juste titre, qu’à chaque instant certains hommes partent, quand d’autres arrivent ; c’est ainsi, c’est notre lot, notre ronde, notre croix. mais, ce soir,  Il devient l’homme. Pas un, pas lui, mais nous. Nous tous. Nous vivants, nous mourants, nous, humains et même, osons-le dire, le représentant du vivant. Nous ne sommes pas fait pour la multitude. Ca n’a jamais été notre fort ! La multitude est une invention pour nous disloquer de nous-même. Une invention pour nous plonger dans la souffrance qui rend aveugle et sourd.

Ce soir, si je suis là, revenu, c’est que je m’apprête à perdre encore un morceau de moi-même. Un de plus. Un de moins.

A l’instant où je vous écris, il est là, dans cette cellule. Peut-être est-il en train de prendre son dernier repas.  Dans un deux par quatre où il a passé 20 ans à attendre ce moment. Un deux par quatre sans oiseaux, sans arbre, sans pluie, sans lumière, sans personne à aimer, à qui parler. Un deux par quatre où le silence est si bruyant, si venimeux qu’il vous interdit au sommeil. A qui infligeriez-vous cela ? A qui ? Qu’il ait tué ou non n’est même pas le problème. S’il est le meurtrier, nous sommes tous aussi responsables que lui. C’est nous tous qui devrions à ses côtés attendre la sentence. S’il est innocent… s’il est innocent, je n’ose même pas y penser. Tant c’est horrible de pouvoir se dire qu’un innocent dans quelques heures sera exécuté quand moi j’irai poser mes lèvres sur le front de ma fille pour lui souhaiter une bonne nuit. Suis-je assez inhumain pour supporter cela sans rien faire ? Suis-je assez mort pour tolérer que dans mon monde on agisse ainsi ? Avec mon frère. Avec mon père. Mon fils. Et qu’en est-il de ceux qui devront passer à l’acte ? Qu’en est-il de celui qui devra remplir la seringue de poison, puis la glisser dans sa perfusion. De ce pauvre homme qui va devenir meurtrier simplement parce que nous sommes tous trop fous !

Comment se taire alors ?

Je veux te dire petit frère que je serai là ce soir. Dans la nuit, je tiendrai mes yeux éveillés. Et je prierai ! Oui, de toute mon âme, je prierai pour qu’à l’instant de ton départ, tu puisses trouver le réconfort d’une voix, que tu puisses trouver le chemin des cieux. Oui, je panserai ton âme quoi qu’en puissent dire les autres. Quels que soient les rires, quels que soit les mots.

 Nous ne sommes pas plusieurs. Cette année de silence m’a au moins permis de comprendre cela : chaque étincelle de vie sur la terre est la notre. Chaque… et toutes ! Ce n’est pas cela qui est un mensonge, une affabulation, un délire. Non, ce n’est pas cela. C’est le reste !

Il y a quelques jours, un frelon est venu mourir dans ma maison. J’ai fait le choix, il y a un peu plus d’un an, de ne plus jamais tuer aucun être vivant. J’ai donc été obligé de suivre les vols inquiétants de cette créature en essaynt d’éviter de me trouver sur sa route. Et en m’obligeant à lui laisser la vie, j’ai compris quelque chose. Ce frelon, bête venimeuse et impressionnante, terrifiante même, était, finalement, comme chacun d’entre nous. Face à l’imminence de sa mort, elle était terrorisée. Elle, comme ces vieilles gens que l’on croise dans les mouroirs où, comble de la civilité, nous les abandonnons à leur terreur, avait peur de la mort. Qui y-t-il derrière ? Que vais-je devenir ? C’est pour cela qu’elle volait à faire peur, en tout sens, risquant de me piquer. Elle s’accrochait. De toutes ses forces, elle s’accrochait. J’en ai pleuré. Et j’ai eu beau essayé de lui parler, de lui dire que j’étais là, que tout irait bien, elle, elle ne pouvait pas m’entendre.

Lui aussi est tout seul, dans ce couloir interminable où, ce soir, il va faire ses derniers pas. Lui aussi ne peut pas nous entendre. Ca se mérite ça ? Vous en avez vous des mots pour justifier cela ?

Moi non.

La grue et le serpent, entre Taiji, Bouddhisme et Physique Quantique

La grue et le serpent, symbole du Taiji Quan

Ok ! C’est vrai que ça fait longtemps que je ne suis pas passé par ici et j’en suis désolé. Depuis Bérénas, début août…

Depuis Bérénas, début août…
Mais est-ce que j’ai croisé « un » metteur en scène depuis ? Pas ou peu, trop peu pour venir relater ses « histoires » ici.
L’envie de départ en créant ce blog, je crois, c’était de donner à entendre ce que traverse quelqu’un qui vit de théâtre dans la France d’aujourd’hui. Rappelez-vous… 2003 et la remise en cause du statut de l’intermittent. Les grèves, les manifestations dans la rue et la prise de contact avec les passants.
A ce moment-là, j’avais été frappé par la méconnaissance de notre corps de métier, par la difficulté de faire comprendre notre quotidien. Loin de tous ces romans et instants de réussite qu’on rencontre parfois quand on accède à une scène, quel était notre réalité quand les projecteurs s’éteignent.
Je voulais aider modestement à rappeler la réalité, celle qu’on cache parce qu’elle rappelle des moments qu’on souhaite oublier quand on a réussi à sortir de là.
Mais aujourd’hui. Aujourd’hui les choses ont quelque peu changé. Bien sûr que toute histoire retranscrite avec un minimum d’honnêteté peut faire avancer la connaissance et la compréhension de chacun. Bien sûr que relater les aberrations qu’on croise dans l’intimité d’un bureau, d’une institution qui se sait à l’abri des médias et qui montre alors son vrai visage devrait être dénoncée.
Mais j’ai vieilli. Pas dans le sens d’un manque d’énergie, mais plutôt dans celui que j’ai fini par accepter que je ne peux pas, seul, faire tout, partout. Alors, après presque 36 ans d’éparpillement, je me rassemble avec moi, je me recentre sur mon quotidien, ici, sur la terre et je reprends l’apprentissage des notions de base qui me font tant défaut.
Dans ce moment de vie, je n’ai pas la place pour investir des espaces virtuels. Même s’ils nous connectent avec des êtres qui eux sont réels. C’est vrai que du coup, j’échange moins, mais peut-être mieux. Et je soigne chaque moment de ma vie avec une attention chaque jour plus réelle. C’est un moment, ce moment.
Je reviendrai ici. Je reviendrai au théâtre. Où plutôt la vie m’y ramènera. Elle choisira le moment. En attendant, je me construis avec ceux qui m’entourent. Je fais du Taiji Quan, je fais de la flûte de Nô, je lis, je médite, je m’intéresse à la physique, à tout ce qui nous entoure : les autres. Et puis, je tente de gagner ma vie, correctement.
Voilà.
Antoine et qui veut. Ici, c’est le journal d’un homme de théâtre. Vous qui l’êtes ou le devenez ou voulez le devenir ou avez des choses à partager sur, je vous ouvre cet espace. Envoyez-moi vos articles par mail et je les mettrai en ligne, ici. Voilà qui assurera la continuité ;-).
A très vite.
P.S. quelques liens intéressants :

Domaine Bérénas, entre Impatiens et Chopin

Je sais… depuis le Japon, le fil de ces pages ressemble à une mer d’huile ou, plus encore, à une chambre abandonnée à la poussière et au silence.

Ce journal n’est pas un quotidien, il n’est qu’une somme d’instants, de moments à partager ou que le temps m’octroie… des parenthèses. Ce n’est pas que le fil se brise. Ce n’est pas les projets qui manquent ou que les actes se font rares, c’est juste que cette petite chambre sous les toits où je peux m’isoler de temps à autre me rencontre moins souvent.

Là, je suis en vacances ! Quelques jours…

Domaine Bérénas aux portes de Clermont l’Eraut où je suis venu prêter ma voix pour dire quelques textes de Chopin à l’occasion d’un concert lecture imaginé et joué (au piano) par Magali Lauron pour le 6ème Festival de « Concerts dans le Chai ».

Enfin, “hors les murs”… dans ce doux état d’apesanteur qui permet les rencontres et le relâchement. Et j’en profite. Pleinement, j’en profite.

Histoires de vin, de bonne cuisine, de femmes et d’hommes, de terre, de vie ! Une suspension dans l’espace-temps où les heures s’égrènent autour de tablées de quinze personnes qui n’en finissent pas, où l’on se couche au levé du soleil et l’on s’endort la tête emportée dans des cercles éliptiques et joyeux, plein de visages, plein de paysages, de bruits de rires et de verres qui tintent. Et l’on ne se lève pas ! On émerge. Au début de l’après midi. Sur la place du marché où l’on boit des cafés, avant de se laisser, à nouveau, emporter par ce si délicieux et enivrant cycle.

Mais si j’ai eu envie d’écrire aujourd’hui (mis à part que le souffle s’y prête), c’est pour parler de ce moment “Chopin”.

Rencontre avec un homme qui se sentait “inutile” ou plutôt qui, sans arrêt, sans relâche, reposait cette question : “que suis-je venu faire là ?!”

C’est une question qui se pose souvent pour tous ceux qui, un jour, quittent le sentier et regardent ceux qui font tourner le monde la bouche ouverte, les bras ballants comme on voit passer un immense train de marchandise qui ne s’arrêterait jamais. On voit, par les fenêtres, les gens qui s’affairent, on devine des discussions… mais quoi qu’on fasse, quoi qu’on dise, on ne pourra jamais remonter ! Quelque chose à un instant s’est déréglé, s’est arrêté et la seconde d’après nous étions là, dehors ! Devenus spectateurs !
Et même si de là où nous sommes, nous pouvons tout remettre en question – nous le devons ! – il n’empêche que pas un jour nous ne subissons, avec une justesse cuisante, cette sensation d’être “inutile”, dans le mauvais endroit. A l’endroit où l’on ne sert à rien ! Puisque nous sommes incapables de faire tourner le monde, de construire une maison, d’élever une vache et de la tuer quand l’heure arrive, de semer une graine pour nourrir nos enfants, nous sommes ces “inutiles”. “Inutiles” qui, du coup, ont le devoir de faire que les rails, l’environnement, ce qui n’existe pas dedans, mène l’homme sur la bonne route, l’empêche de pousser son train au point de rupture. En créant des paysages toujours plus singuliers pour qu’il ralentisse, s’octroie une pause, tende ses yeux vers l’horizon, ouvre la fenêtre…
A chaque crime, à chaque bavure, à chaque oubli, nous les “inutiles” sommes les responsables ! A chaque mot perdu, à chaque geste machinal, à chaque télévision qui s’allume, nous sommes les responsables.
Et le moment, le présent nous montre vraiment sous notre plus triste jour ! Peut-être parce que beaucoup d’entre nous ont perdu cette sensation terrible d’être “inutiles” ? Chopin l’avait ! Victor Hugo aussi !
A vouloir faire croire que tout le monde pouvait être artiste, à vouloir faire entrer dans le train ce qui appartient au dehors, à vouloir grimer les rebuts en hommes et les hommes en rebuts, nous avons préféré peindre des rideaux approximativement que d’affronter la grande fresque de couleurs de ceux qui sont restés dehors, leurs sons, leur chant de sirène… et nous perdons ce bien si précieux et fuyant qu’est notre humanité.
Je me disais hier… il n’est pas de plus grand crime que la négligence ! A chaque fois que nous faisons semblant de pas voir, à chaque fois que nous nous laissons aller à ne pas réparer la petite chose que nous avons déréglée, pour échapper au travail que cela représente, nous tuons un ou deux êtres sur cette terre. Oui, là, maintenant. C’est l’effet papillon. Peut-être plus facilement percevable par la toile qui nous offre de quoi mesurer les effets de nos actes.
Par notre posture, par la puissance cuisante de notre “inutilité”, nous avons pour devoir d’être toujours prêts, aigus, acerbes. Si nous ne sommes pas ça, qui ramassera le morceau de papier tombé par la fenêtre du train et qui, s’il tombe sous l’oeil du spectateur, discrédite notre ouvrage, immanquablement. Et qui sommes-nous si nous ne représentons pas la rigueur du guerrier, la pureté enfantine, l’ascèse du moine ?! Rien, hélas !
Pauvre Chopin ! Grand Chopin !
(message commencé le 04 août et fini ce matin… Lien vers le Domaine Bérénas et son festival en cliquant sur le titre)

Résidence Evil 2, le retour

Quelques mois de silence…

Nous sommes à l’orée de l’été et voilà que j’ai droit à quelques jours à moi, ailleurs, là où depuis quelques temps je retrouve les mots. Seront-ils toujours là ? Aurais-je la discipline nécessaire ?

J’ai débarqué mes malles de fatigue, mes livres et mes ordi, un piano droit pour les fins de soirée, quelques habits, deux paire de tabis.

Pourquoi des tabis ? Pour entrer dans cet autre moi, celui qui sait que sans plantes de pieds immaculées, les mots enfouis ne pourront être extirpés de leur secret. Et puis, parce que sans cet effort, sans une distance, un décalage, rien n’est possible vraiment.

En attendant ce rendez-vous pris pour demain matin, je nettoie et lave. La maison, la chambre, le cocon où je vais m’enfermer pour me laisser mourir, pour me laisser renaître. Comme un couteau qu’on aiguise, comme un rite qu’on prépare minutieusement, pas à pas. Pour être prêt. Au goût du sang qui revient sous la langue de l’enfance. A la perte des filtres de tous les jours qui deviennent inopérants. Au vertige qui s’accélère en boucle et hurle de plus en plus fort, de plus en plus vite. A la douleur ! Vive comme si des nerfs atrophiés se régénéraient. Comme ce loup garou qui s’attache solidement avant que la lune sorte pleine de derrière les nuages.

Parce qu’après il sera trop tard.

Nozomi ending…

11h22.
Dans le train qui me ramènera à Tôkyô et à Narita, après un arrêt important à Shinagawa.
De Narita, l’avion, de l’avion le ciel, du ciel Paris Charles de Gaule, de l’Aéroport Charles de Gaule Aix-en-Provence TGV… et voilà la boucle sera bouclée.

Je dis communément “trois mois”, mais en fait il s’agit de deux mois et demi, soit 76 jours pour être exact. 76 jours : 3 shimai – danses du nô – appris, 3 utai – chants du nô, 2 morceaux de nôkan – flûte de nô, 2 komai – chants et danses du kyôgen, 18 nô vus dont 1 sans masque, 6 maibarashi – shimai, mais avec instruments et comprenant en général deux danses chantées et dansées + un passage de texte entre les deux, 18 shimai, 11 kyôgen, ai mangé quelques 148 sushis, bu 33 thés de cérémonie, passé 92 heures en seiza et 160 en semi-lotus, vu 58 temples, parcouru 540 kilomètres en vélo dans les rues de Kyôto, pris le train 17 fois pour parcourir quelques 7365 kilomètres sur le sol japonais, ai médité 25 heures, ai prié devant un autel shinto 96 fois, montant le nombre de mes frappes de main à 192, rencontré 6 personnes capitales pour la suite des événements et l’invisible 39 fois, subi l’intrusion d’un esprit 1 fois et tellement d’autres choses…

Qu’est ce que cela a changé ?

Je ne le sais pas, c’est beaucoup plus difficile à mesurer…

Le temps a changé, l’importance de ma réussite aussi, la valeur de tout ce qui passe sur cette terre, l’émotion que peut susciter la beauté, l’amour.

Est-ce que ça tiendra au retour en France ?

Je ne le sais pas, ce n’est pas encore, pas maintenant.

Maintenant défile le paysage de Kyôto à Tôkyô, plein d’arbres magnifiques, d’oiseaux dont nous ne savons même plus le nom. Maintenant, j’essaye de rester droit et de respirer. J’ai encore ce rendez-vous avec Mr Watanabe Moriaki.

Je pense à cette petite puce qui m’attend à l’autre bout du monde et qui a su faire sans moi pendant 76 jours qui s’ajoutent à tous les jours d’absence que j’ai eu avec elle, une femme que j’aime et à qui je n’ai jamais vraiment su le dire, le vivre, tant je suis encombré de ces vies passées, celles de mes parents, celles de nos ancêtres qui cohabitent à l’intérieur et attendent que nous réussissions à résoudre ce qu’ils n’ont su qu’entrevoir. J’ai la vie devant moi et le silence un peu mieux installé. Rendant mon coeur plus perméable à la rencontre, à la joie d’être là, aujourd’hui et de pouvoir vous parler comme je le fais.

05h00.
Dans un hall de gare où j’ai beau chercher, je ne vois aucun idéogramme. Ici tout est en romaji ! Je suis sur le sol français depuis une petite heure. Avec encore quelques autres devant moi pour atterrir. Ce qui est frappant ici, c’est le silence. Pas de clignotements multicolores et sonores qui surgissent de tous côtés, non. Même les gens ne parlent pas… Je regarde les panneaux d’affichage. Tous ces avions qui arrivent des quatre coins du monde. Qui sont-ils ceux qui sont dedans ? Ont-ils vécu des expériences bouleversantes ? Ramènent-ils de nouvelles idées, de nouveaux rêves, un peu de tolérance ? Dire que chaque jour des avions sillonnent le ciel du monde comme si cela était normal, simple, évident. Pour moi, cela semble presque plus surnaturel que de croiser un aigle tous les jours au centre d’une ville surchargée de sons et de pollution !

Je n’ai finalement que très peu écrit pendant ce mois de retraite. Mais, dès l’instant où je suis descendu de l’avion, j’ai senti avec une force décuplée la présence de tous ces êtres que j’ai poursuivi là-bas. Nous aurons notre monde caché derrière mon paravent de chair, fait de toutes les images que j’ai volé là-bas et de celles qui me viennent de plus loin. Et nous pourrons nous retrouver au bord de la Kamo, à regarder les hérons pêcher dans les herbes hautes pendant que j’écrirai… oui, moi j’écrirai.

Un mois après… 6 jours avant mon retour ! En route pour voir Sambaso

Mon compagnon, l’aigle… croisé à peu près tous les jours, à peu près partout -Sur cette photo : ciel au croisement du la rivière Kamo et d’Imadegawa.

Coucou…

Il se trouve que j’ai mon ordinateur avec moi et que j’ai une bonne demie heure devant moi. En route pour Osaka par le “limited express” qui part de Demachi au coeur de Kyôto et va jusqu’à Yodoyabashi. Une ligne découverte récemment et qui permet de faire des économies certaines pour aller vers Osaka surtout quand on a plus le raillpass. Là-bas, je vais retrouver une dernière fois Tadashi Ochigawara de l’école de Kyôgen Izumi pour deux représentations successives de Nô et de Kyôgen. L’une à 13 h – souvent celles où l’on croise les grands amateurs de nô, où Tadashi jouera Soraude – et l’autre à 21 h – avec un programme plus accessible, orienté vers ceux qui souhaitent découvrir le théâtre Nô, où le Kyôgen, toujours joué par Tadashi, ne sera autre que Sambaso, le pendant de l’incroyable nô Okina, plus vieux nô joué à ce jour et qui existait déjà bien avant les quatre familles du Yamato, c’est-à-dire bien avant Kanami et son fils Zeami.

Plafond de sang, temple Hônen à Ohara – Ce plafond était un plancher où des samuraï ont été retrouvés longtemps après leur mort. Le plancher a gardé l’empreinte de leurs derniers instants : ici, un visage.

Je sais que certains attendent de retrouver les aventures journalières, mais il me faudrait bien plus qu’une demie heure pour vous raconter tout ce qu’il s’est passé pendant ce mois. Ce que je peux dire, c’est qu’après une fin de mois d’août difficile où devenir Kyôtoïte a taillé mes rêves aux angles de sa réalité ; une fois ce passage un peu douloureux, le mois de septembre aura été vraiment extraordinaire. Rencontres, travail, cette ville, vivre ici. De quoi redonner un peu de souplesse à un coeur sclérosé par la sauvagerie dont nous avons, de notre côté du monde, à subir les assauts tous les jours. Je n’ai pas changé, ce n’est pas ça ! C’est le monde qui a changé. Prenant des formes, des couleurs, des saveurs abandonnées dans les zones sombres de mon enfance et qui, ici, ont retrouvé le chemin du grand jour, du grand air. Le temps ici est tellement différent, tellement incompatible avec ce que nous en avons fait ! Mais l’on n’est qu’un voyageur, alors on s’y plie, on se contraint à accepter de réfréner les pas, les mots, les gestes jusqu’à entrer dans cette temporalité en suspens comme on le fait pendant le temps du Nô et au moment où la patience arrive à son terme, au moment où on va lâcher ce cri de rage, libérant l’énergie, juste avant, on aperçoit tout à coup la splendeur d’un bourgeon, l’incroyable beauté des hommes jusqu’à mi cuisse dans les rizières, l’air qui coule frais dans les poumons et même le goût des aliments éclatants par la simplicité de leur préparation et le silence et le calme se fait, comme si on n’avait fait que secrètement attendre ce moment-là. C’est comme un bain de jouvence, une cure d’amour et de foi. Des retrouvailles avec la terre, l’eau, le feu, le bois, les pierres et ces langages qu’on usait enfants quand on s’adressait à eux, naturellement.

Tomatsuya, plus célèbre fabriquant de Ôgi (éventails de nô) en fonction depuis le 17e siècle, à Kyôto

Il me faudra du temps pour apprendre à en parler, tant j’ai la sensation d’être revenu avant les mots et qu’il me semble que ces derniers pourraient en nommant détruire l’essence de ce qui naît là. Mais cela viendra… peut-être. 😉

« Les Cerisiers en fleurs » – un des nombreux panneaux de la demeure de l’Empereur à Kyôto

P.S. Sur le chemin du retour et encore quelques instants avant d’arriver a Demachi… Je sors des deux derniers moments de nô de mon séjour (suivra bientôt le compte complet avec les noms des pièces, les lieux, etc… enfin, j’espère avoir le courage de faire ça) et comme souvent, c’est le dernier des derniers – de cette fois-çi – qui aura été le plus éclairant !!! “Sambaso” et encore ! même pas toute la pièce, juste la première partie – c’est l’inconvénient de ce type de programme, qui, pour ceux qui ont peur des longueurs, est parfois salvateur et ré-ouvre une porte fermée, parfois un peu vite… vingt minutes maximum par performance, soit : danses de dragons, danses de lions, combats d’esprits et kyôgen très courts.

Tadashi Ogasawara dans Taraude. Un très grand acteur de Kyôgen, vraiment.

Je savais que cet événement, même s’il n’était que la moitié de ce qu’il devait être et le quart de ce qu’il est en vrai de vrai quand il est joué dans “Okina”, était un moment à ne vraiment pas manquer ! Okina est l’ancêtre du nô et par son caractère absolument sacré n’a, je pense, pas trop été remanié avec le temps. En tout cas, s’il l’a été, il l’a été avec finesse et respect, tant le passage dans le temps, ouvert par l’extrait de la danse de Sambaso, est évident. Ce n’est plus ni Zeami, ni son père, ni l’élaboration dramatique, mais le fondement du théâtre : un cri d’effroi, un cri de joie : une pulsation de vie ! Et l’on ressent, à cet instant, l’omniprésence de la mort, cette déesse si gourmande et, parfois, si cruelle comme ils devaient la vivre alors. Et l’on vibre au son du chant, de la flûte, du Otsuzumi et du Kotsuzumi, d’un courant électrique qui redresse les yeux et le coeur et vous donne envie de courir embrasser chaque arbre, chaque enfant, chaque fleur, chaque souffle du vent, chaque grain de riz offert, tant, d’un coup, vous apparaît la beauté éphémère de la vie et l’incroyable accident dont notre monde est le fruit. Mais les mots ne sont que des mots et sont incapables de retranscrire ce qu’ici, ils nous donnent sans rien d’autre que le cri, la musique et la danse. Et plus que jamais, je comprends pourquoi je suis là et pourquoi je marche sur ces terrains glissants, dans l’ombre, malgré les avis. Vive l’aventure !

Udaka Sensei dans Omu Komachi – Un nô très spécial qu’un shite ne peut jouer qu’après soixante ans, empreint de yûgen – deux heures pour ce nô lent, très très lent. Une pièce très belle sur Komachi une grande poétesse.