La cause des causes

Socrate et Herakles, dessin de Joann Sfar

Bientôt trois mois de gilets jaunes. Moi qui avais déserté ce monde, je suis revenu en cachette. D’un coin de ma fenêtre, je regarde, j’écoute. J’entends enfin ce que nous disons entre nous, ici, hors du monde, depuis plus de dix ans. Des visages invisibles sortent de l’ombre écrasante de la société marchande. Même les émissions télévisuelles qui m’avaient définitivement perdu me voient revenir de temps à autre, pour un instant, un moment. De ce côté les soldats tiennent bon. Ils sont les bons élèves, ceux qui n’ont jamais eu un soupçon de personnalité, de questionnement, cherchant le bonheur dans la caresse et le bon point : « tu es un bon chien ». Ces mêmes qui voient des antisémites partout et qui auraient été -si vous aviez des doutes, ces trois mois vous l’auront définitivement montré- les collabos de première heure, d’adhésion !


Parfois, ils sont confondants de bêtise. A un tel degré qu’ils en deviennent presque touchants. Mais le souvenir cruel que ceux dont ils déblatèrent, dehors, dans la vraie vie, sont seuls face à la honte, au froid, à la faim, à la justice injuste, à la police nourrie aux jeux vidéos de style Gran Tourismo, à cet effondrement de nos écosystèmes et la colère gronde à nouveau. Je fulmine comme adolescent quand mon prof tenant sur sa position de « sachant » riait à ces questions essentielles pour moi auxquelles il ne répondait pas. Et parfois je jubile. Quand enfin un de ces gars de la rue, de la vie, la vraie -de ceux qu’on ne voit jamais dans ces endroits normalement- face à ces enfants tout propres et trop sages qui tendent, sûrs d’eux, leur joli canevas bien brodé de tous les mots de leur parfait apprentissage, les ébranle, met tout leur monde à terre, par une vérité toute simple, simpliste même, complètement nue, blafarde, mais imparable.


Alors, leurs yeux se figent, leurs bouches tombent et ils restent en silence jusqu’au prochain jour, à la prochaine bêtise qu’avec leurs cerveaux surentraînés ils dresseront en concept, idée, puis dogme. Tout fiers. Rooooo. Comme ils sont fiers ! « Ils sont pas Bôôôô nos EdiToRiAlIsTeS ???!!! »


Chouard, le dangereux fasciste d’extrême droite qui bientôt me vaudra une plainte pour « soutien aux séditieux » (rigolez pas, ça arrivera) disait tout à l’heure, dans un TEDX de 2012 : « cherchons la cause des causes ». C’est ce qui l’a amené à repenser complètement l’écriture de la constitution, affirmant que la cause des causes de notre bordel est qu’une constitution devrait être un contrat écrit par l’employeur pour ses employés (comprendre par le peuple pour ses représentants) et que de là découle toutes les causes subalternes. Je suis d’accord. Si, si, vraiment. Je pense qu’en ce moment, il est un des plus clairvoyants sur les maux que nos sociétés traversent et leurs solutions.


Mais quelle est la cause qui pousse des gens qui se regroupent à faire comme s’ils ne voyaient pas ou ne comprenaient pas que le petit groupe qui les dirige les spolie, les affame, les presse jusqu’à la mort. Parfois jusqu’à la mort même de leurs enfants (soldats de guerres, suicides dû en partie à la médiocrité et à l’abandon total de la mission éducative menée par notre éducation nationale sans aucune majuscule).


Pourtant quand on les écoute… « La prunelle de mes yeux, ma vie, tout, je ferai tout pour eux! » Jusqu’à ne pas vérifier ce qui se trouve dans les vaccins que vous leur faites inoculer ? Pas le temps, pas la compétence ? Non, pas le courage !


Parce qu’enfin, il me semble, que ce qui est commun à tout être humain, c’est sa TOTALE lâcheté. Il se cache, sans arrêt, derrière le groupe. Il a créé des concepts et des mots pour dresser des écrans entre sa triste réalité animale de base et le mythe du héros Grec tel Herakles (dit aussi Hercule). Aucun être humain que je connaisse n’est Héraclès ! Ou alors parfois, un que l’on croise par hasard, le temps d’un éclair, presque un fantôme, deviné à l’écho qu’il semble laissé dans la montagne, mais qui jamais, au grand jamais, ne se mêlera à nos meutes, même dans nos meilleurs chiens de tête.


La queue entre les jambes, les oreilles baissées, même ceux qu’on appelle nos maîtres le sont (des lâches). Le courage vient du nombre. Le courage vient de porter quelque chose de déjà existant et défendu. Le courage tient du maître supposé : Dieu, le roi, le pays, la famille, un auteur… Chouard a-t-il quitté ce monde où nous élisons des maîtres ? Non, il continue malgré tout à nourrir cette machine. Car, comme chacun d’entre nous, il a peur. Peur de disparaître ? Peur de ne pas y arriver seul ? Peur de se tromper ? Peur de finir seul, inutile ? Ou peut-être n’a-t-il même pas le choix ? Comme nous tous. Comme moi.


Alors nous errons au bord, jouant, chacun à sa place, le confortable jeu soit du suiveur, soit du résistant, du réfractaire, du « saboteur ». Et nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour ne pas voir, ne pas regarder cette trouille viscérale qui brouille, quand elle se présente, toute l’intelligence, même la plus basique.


Ne pas voir, ne pas regarder que nous n’avons rien de plus que tous les autres animaux sur cette planète, que tous les végéaux. Nous sommes des fourmis, des abeilles, des rats, des chiens, des brins d’herbe. Qui, d’entre vous, peut arrêter son coeur à l’envie ? Qui peut stopper sa respiration comme il le souhaite ? Ne pas avoir d’érection quand quelque chose d’excitant arrive (excusez-moi pour l’écriture qui semble non inclusive… Mais le clitoris est érectile) ? Ne pas transpirer quand vous avez peur ? Avant que de s’occuper de grandes choses. De beaux concepts. Si nous acceptions simplement, l’espace de quelques minutes, que nous ne sommes rien d’autre qu’une fourmi. Alors…


Peut être que le plan, les pensées, les grands changements -voyez tout de même comment malgré les efforts des historiens et des personnages publics, tout est si vainement et tristement cyclique. Et nous sommes encore loin de certains moments de notre histoire où l’égalité homme/femme était une évidence- les avancées, les découvertes, peut-être, comme dans la fourmilière ou la ruche, peut-être ne dépendent pas de nous, individus. Mais du noos. De phéromones stellaires. Qui sait ? Et que tels des ordinateurs, ayant chacun des programmes spécifiques, nous faisons ce que nous sommes programmés à faire. Point barre.


Regardez, si vous tiquez, les éditorialistes de vos grandes chaînes se fabriquer des réalités complexes qui n’existent que dans leur tête ! Nous savons tous faire cela. Justifier. Donner du sens. Nous sommes tous taillés pour. Du plus vertueux au plus odieux criminel. Nous justifions tous. Tout.


Peut-être alors que la cause des causes serait plus à chercher dans ce qui se cache derrière. Ces instincts primaires que, quoi qu’on en dise, qu’on soit philosophe, prêtre, boulanger ou les trois à la fois, nous submergent avec plus ou moins de contrôle.La lâcheté. La peur de la mort. La peur de la disparition.


Peut-être devrions-nous avant tout- enfin maintenant qu’on en est là, juste après- travailler là-dessus. Parce qu’enfin, bien sûr que le RIC et une assemblée citoyenne sont nécessaires, mais dans quelle autre médiocrité irons-nous nous abîmer ensuite ? (Surtout si l’on se souvient qu’il ne s’agit pas seulement de nous, humains. Car avec notre connerie monumentale, nous avons donné, sans conditions, à des humains, des armes qui pourraient détruire tout le vivant partout en moins d’une heure.)


Macron a autant la trouille que n’importe lequel d’entre nous. Et il préfèrera toujours la prison a une vie, seul sur un îlot désert. Lui aussi ne fait que se sauvegarder. « T’as vu maîtresse comme j’ai bien travaillé ! » Il attend comme n’importe lequel autre de ses congénères la caresse derrière les oreilles et la petite tape approbatrice. Un chien dans sa meute. Aussi lâche -mais certainement pour briguer le pouvoir faut-il l’être encore un peu plus- que les autres.


A mon avis, chacun de nous devrait humblement revenir à l’acception de n’être qu’un animal. Car ce n’est que par cette humble conscience de notre condition animale que, peut-être, nous arriverons à devenir un animal conscient de lui-même et donc de faire bouger les limites. Mais l’abeille ne deviendra pas dauphin pour autant !


J’entends déjà les remarques.  » Redevenir des animaux. Il nous appelle à nous laisser submerger par nos plus vils instincts! » Et non, justement. Parce que cette croyance sur l’animal est typiquement anthropomorphique ! On ne peut jamais parler que de nous-même, de ce que nous comprenons et donc pouvons concevoir. Je crois qu’on peut dire sans ciller que le Grand Blanc -pas Bruce hein… Celui là il était quand même vraiment sadique- est incontestablement plus pacifique que Gandhi.


Fort de cela, avec inscrit devant les yeux, cette maxime : « tu ne pourras jamais prétendre à être autre qu’un animal parmi les animaux », nous devons travailler à devenir un exemple. Chacun. Maintenant. Vivre selon nos croyances. Totalement. Absolument. Conscient que certainement beaucoup de ce qui nous traverse, nous anime, nous échappe et donc, toujours vigilants. Et surtout sans attendre de la meute ou du maître imaginaire, l’assentiment.


Comme l’ont fait les animaux de compagnie, lâcher la peur et faire de ce qui nous entoure notre famille, notre meute : les arbres, la nature, les végéaux, les animaux, les humains dans l’environnement immédiat. Acceptant de perdre notre absurde statut d’humain pour qui la terre et tout ce qui la compose aurait été mis là pour son bon plaisir (on se rend compte quand même que les plus avant-gardistes des intellos du moment qui seraient capables de se laver les dents dans un bénitier et rient devant quelqu’un qui se signe, bouffent de la viande sans problème, n’ayant finalement jamais remis en cause leur lecture très parcellaire et premier degré de la Genèse?!) sortant de notre zone de confort, notre zone de consanguinité, pour, peut-être, enfin, évoluer.


Je me demande tout de même, si ce n’est pas l’inverse… peut-être en retrouvant la cohérence, nous nous rendrons compte que les animaux de compagnie sont bien plus dégénérés que leurs congénères… De toute façon, l’important n’est pas d’être ou pas un animal de compagnie, mais de nous rappeler que nous ne sommes qu’un animal parmi les autres. En retrouvant cette lucidité et cette proximité, peut-être que même sans RIC (mais j’insiste, je suis pour et en toutes matières !!!) nous serions poussés sur la pente de la vertu. Comme nos frères Kogi qui ne l’ont pas quitté malgré nous et ce, depuis au moins 3000 ans.


PS Quand je disais que Etienne Chouard est un dangereux fasciste, c’était pour rire évidemment. On pourrait le qualifier d’anarchiste dans le sens noble du terme. Et de gauche, si on est d’accord pour utiliser ce terme pour y glisser toutes les valeurs humanistes sur les questions de différences, de justice sociale, d’accueil de l’étranger, de partage, etc. C’est la lecture malade de nos médias hystériques et leur passion pour les raccourcis et celle de ceux qui n’ont pas le temps de vérifier par eux-même que je moquais… Le temps… Le courage 😉
PS2 Ceci dit moi perso j’ai la trouille d’aller voir Dieudonné, Saural ou les chaînes qu’on dit en lien avec l’extrême droite… Donc je ne vous jette pas la pierre, même si, souvent, quand j’ose franchir la ligne, ce que je découvre n’a rien à voir avec la lecture usuelle qui en est donnée. Mais soyons honnêtes… j’ai plus peur de les comprendre et du coup de me retrouver encore plus ostracisé que d’autre chose. Sinon, j’irai voir… Oui, sinon nous irions. Lâches que nous sommes ! Lâche que je suis…
PS3 Le dessin est de Joann Sfar dans sa série : « Socrate, le demi chien » que je vous invite à lire

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