Un jour, peut-être un mois et demi avant, Guy-Claude appela. Pour nous féliciter. Pour souhaiter un grand et vrai « bonjour » à ce petit être tout fraîchement arrivé. J’aurais dû me douter de quelque chose. J’aurais dû deviner. Mais, en même temps, Guy-Claude était un homme délicat. Dans le vrai sens de la délicatesse. Et cet appel l’était. Un regard attentif, bienveillant, discret. Un regard qui se retrouvait même dans sa voix. Il nous appelait pour nous féliciter, pour poser son regard doux sur le cou de cet enfant tout fraichement arrivé comme le font les bonnes fées – pour moi Guy-Claude était vraiment une bonne fée. Il était certainement déjà en lutte avec ce cancer qui aurait raison de lui le jour même où Galiléo, assis à cette table, découvrait le goût de la banane pour la première fois.
J’aurais aimé qu’il me dise. Qu’il me dise : « Tu sais Alexandre, je suis très malade. Il y a peu d’espoirs que je n’en réchappe. » Parce qu’alors, je me serais accroché à ce téléphone pour lui dire tout ce que je ne lui avais jamais dit. Lui qui avait toujours été là, autour de nous, bienveillant, calme, discret, passionné et passionnant.
Cette maison, cette famille, avait pour moi, enfant, quelque chose de merveilleux. Un goût de comme dans les films où « ils s’aimèrent, se marièrent et eurent… un enfant. » J’adorai, moi qui était d’un endroit chaotique, l’atmosphère douce et protectrice qu’il existait chez eux. On arrivait avec Thomas d’une journée en plein air, avec le bruit, avec la ville accrochée à nos basques et puis… pfiouh ! Tout s’arrêtait à cette porte. Comme si nous entrions dans un endroit molletonné du sol au plafond, avec des bulles roses qui éclataient devant nos yeux émerveillés. Chez Thomas, le fils de Guy-Claude et de Nico, tout était doux. On entrait dans un bain de mousse juste à la bonne température, dans un appartement où il ne faisait jamais froid. On avait à la main notre grenadine comme deux millionnaires dans un hôtel à Las Vegas. On mangeait ce qu’on aimait. Toujours.
Je me faisais l’impression d’être trop crasseux pour être là. Trop « abimé » déjà. Mais Nico et Guy-Claude ne me l’ont jamais fait sentir. J’étais l’ami de leur fils, alors j’avais le droit au traitement de roi comme lui. Et mon dieu que c’était bon. Et mon dieu qu’ils m’ont aidé sans le savoir. Et l’un et l’autre. Et si aujourd’hui je crois savoir être père, sûr que je lui dois beaucoup à lui.
Il était souvent dans son bureau. Mais pas comme on imagine les pères dans leur bureau. Non. Je ne me souviens pas d’une seule fois où notre présence, où nos demandes ne l’aient jamais agacé. Au contraire, il se tournait vers nous avec son merveilleux sourire -le même que celui qu’on peut voir sur les photos officielles- et répondait à nos requêtes avec attention et bienveillance. Toujours. Souvent même, il quittait son bureau pour nous laisser jouer sur son ordinateur ou il restait là, nous regardant silencieux. Amusé de découvrir ces enfants de l’informatique.
Quand il n’était pas juste posé là, avec son regard bienveillant, son sourire amusé, dans un silence qui ressemble à s’en méprendre à celui des maîtres, il nous expliquait tout un tas de choses. Toujours patiemment, jamais trop bavard. Du coup, je me souviens encore de nombre de ses conseils, de ses mots. Avec beaucoup de netteté. Parce qu’on savait que quand il nous parlait, ce n’était jamais pour parler de lui, mais bien à nous.
Pour ceux qui ne m’ont jamais croisé, ma poignée de main vient de lui. Il disait : « Je n’aime pas les poignées de main molles, parce que souvent elles sont celles de ceux qui sont soit menteurs, soit lâches. » Deux choses qu’il n’était pas. La mienne était comme cela. A l’époque. Alors j’ai changé. J’ai d’abord broyé les mains de ceux que je croisais pour trouver, avec le temps, la poignée juste. Et chaque fois que je sers la main à quelqu’un, Guy-Claude est près de moi. Pensez-vous qu’il ait cherché cela ? Pas du tout. Il était bien trop humble pour ça.
C’était un homme comme on voudrait pouvoir l’être quand on sera grand. Un vrai repère pour un enfant garçon qui cherche à qui se raccrocher pour devenir le meilleur homme possible.
Il était à ce qu’il faisait et ne semblait pas du tout animé par de quelconques arrières pensées. Il était juste lui. Timidement, simplement, mais aussi sûrement, avec grâce. Que voulez-vous pouvoir refuser à un tel sourire ?
C’était un homme en chemin. Et quand on regarde tout ce qu’il a réalisé, on mesure la force de son axe. Parce que jamais, à aucun moment, il ne s’est départi de lui-même, de sa simplicité, alors que beaucoup d’entre nous se perdent au premier carrefour.
Tu sais, Guy-Claude, j’aurais voulu savoir, juste pour te dire tout ça. Avant que tu ne partes. Ce n’est peut-être pas grand chose, mais pour moi et pour ceux qui m’entourent, tu étais vraiment précieux et tu le resteras. Galiléo a un vrai père, je crois, et si lui saura que tu as participé à m’accrocher à ce chemin, toi tu ne le sauras plus. Je t’aime. Du fond du coeur. Et je te remercie. Chaleureusement, vraiment, profondément. Je sais que de là-haut, tu nous regarde avec ton merveilleux sourire et que ces ailes magnifiques que tu avais réalisées et portées sur le film Molière sont maintenant accrochées pour de bon à ton dos et que, quoi qu’on me dise, quand j’aurais besoin de toi, de tes conseils, de tes mots, de ton sourire bienveillant, tu viendras te poser là, au coin de cette table, attendant qu’on te sollicite, en griffonnant sur un bout de papier d’air.
Je t’aime.