Heureusement qu’elle est là, juste derrière la porte. Il suffit de sortir, de s’asseoir et d’être assez calme pour ouvrir les yeux. Les amandiers en fleurs, les arbres de Judée qui bourgeonnent, les vieux pins qui ne se déparent jamais de leur vert profond, les chênes…
Il faut au moins cela pour un pauvre fou tel que moi. Et encore, il m’a fallu plus de dix ans, avec ce paysage sous les yeux tous les jours, pour comprendre la force bienfaitrice de cet environnement.
Cela faisait longtemps que je ne m’étais pas perdu. Et malgré le travail, malgré la méditation, les efforts de justesse, à chaque instant, comme à chaque fois, je n’ai su laisser mourir la mort.
« Kuyô, drame nô sur la catastrophe nucléaire de Fukushima » – Montage d’éléments du travail d’écriture |
Explication… Quand on écrit -mais je pense que c’est la même dans tous les domaines- arrive ce moment où ça s’arrête. Et bien, croyez-le ou non, accepter cet arrêt, cette fin est quasi surhumain ! L’effet de masse vous entraîne, malgré vous. Et dans mon cas, cela se traduit par l’attente absolue ! Devant mes mails, mon téléphone, je passe des heures, mal, inerte, rendu fou. À refuser la fin. Pourtant, si je suis toujours là, l’oeuvre est déjà loin. C’est ainsi. Elle finit toujours par s’achever et prendre sa route en solitaire. Et c’est un dur travail d’accepter ce moment. D’accepter que ce qui semblait nous faire exister, ce qui est déjà une aberration, s’arrête. Et nous ne disparaissons pas avec cette mort là, même s’il est vrai qu’une partie de nous meurt, comme à tous les instants qui passent.
Il m’est arrivé de passer des mois ainsi, des années même. Après « Nous, Traces d’un Roi Lear » par exemple. Et chaque fois que je m’assieds pour écrire, je le sais, je risque de me laisser emporter par cette folie. C’est mon lot.
« Kuyô, drame nô sur la catastrophe de fukushima » est fini. Il est parti hier pour l’Association Beaumarchais qui dépend de la SACD. Il est aussi dans quelques boîtes mails de gens importants pour moi et d’autres importants pour lui… Et bien, c’est fini. J’en crève de dire cela. Mais les mois que j’ai passé au côté d’Hirotsuné, de Shizuka et du docteur Abe sont finis. Et même si j’ai tant de mal à l’accepter, ils vivent maintenant sans moi. Et idem, je dois me convaincre que je vis sans eux. Bien plus difficile à faire qu’à dire. Ça semble dingue, dit comme cela. Et pourtant…
Heureusement, il y a dehors. Il y a toi, il y a vous et tous ces instants où la vie lance ses appels. Il suffit juste de dire : « ok, je lâche ». Alors je lâche. Idem, ce misérable texte que j’écris ce matin. « Ok, je lâche ». Idem, chaque geste, chaque moment, chaque trouvaille, chaque bêtise, chaque joie… »Ok, je lâche ». Et même si j’ai peur de la mort, je ne peux rien faire d’autre que de l’accepter… Alors « Ok, je lâche! »