Hier soir, après une longue journée de travail, harassé par le poids des mètres interminables d’un décor monumental, quand le silence est venu me noyer, mes tics habituels : longs flots verbeux et malodorants, n’ont pas eu la force de dresser leurs barrières ouatés.
J’étais dehors, la clope au bec, absorbé par l’avènement de la nuit au coeur de cette forêt qui borde ma maison, quand la futilité de la lutte m’est apparu comme une claque au travers de la gueule. Peut-être parce que mes muscles fatigués refusaient de répondre à mes sollicitations, peut-être à cause du contre-coup ? Un chat était là, un chat que je n’avais pas revu depuis le début de l’hiver et que je croyais mort, vibrant de vie, vibrant d’une énergie de guerrier, luttant contre la disparition, de tous ses poils.
Peut-être, me disais-je, ce qui pourrait nous différencier des animaux, c’est la réalisation de l’absurdité de cette lutte. La vie, notre vie n’est rien. Pourquoi alors avoir peur de la mort ? Pourquoi se battre, se démener, aller contre le courant de la vie, contre l’instant, dans quel but!? Victor Hugo n’est-il pas mort ? Pensez-vous que les traces qu’il a laissé, ces fameux chefs d’œuvre ont à voir avec une quelconque survie ?! Bien sûr que non ! Il est mort et ce qu’il a laissé ne lui appartient pas plus que le temps de nos jours. Il est mort et s’il pouvait revenir, je suis sûr qu’il nous le dirait : rien ne sert de lutter, rien ne sert de se battre contre la mort, quand elle vient, elle nous emporte complètement et ne laisse de nous rien d’autre qu’un sac d’os à la terre !
Et finalement, n’est-ce pas merveilleux de comprendre que nous aurons beau faire, jamais il ne restera rien de nous, nulle part, à aucun moment. La vie se meurt à chaque instant. À chaque souffle, je perds un peu de moi. Et après ? Est-ce une raison de ne pas vivre maintenant ? N’est-il pas bouleversant de nous voir perdre la seule chose pour laquelle nous sommes réellement faits : accepter de ne vivre que dans l’instant, de ne pouvoir faire autre chose que d’aimer ce qui nous traverse, et cela pour des chimères, des rêves de fou ?!
Et même si nous pouvions survivre… Quel en serait l’intérêt, si nous ne le faisons pas pour vivre ?! Si c’est, avec la peur comme unique partenaire, pour ne pas voir et nous réjouir de l’instant ?!
Soyons au fil de l’eau, conscients de n’être rien d’autre qu’une fleur, une mouche, un puceron. Et remercions la terre de n’avoir rien de plus à faire. Si nous pouvons toucher cela du doigt, alors, sûr que l’amour pourra prendre toute la place et remplir nos carcasses vides, inhabitées.
Qu’il est bon de ne pouvoir résister…