Comme vous avez pu le lire lors des deux précédents messages, le matin du 31, nous partons vraiment très tôt. Il faut pas loin de cinq heures pour rejoindre Nîgata et il n’y a que quatre ou cinq ferrys par jour – bien sûr il y a aussi les Jetfoil, beaucoup plus nombreux, plus rapides, mais aussi beaucoup plus chers ! Aidés par internet, nous avons réussi à établir le voyage suivant : départ Kyôto 6h23, arrivée Tôkyô 9h11, départ Tôkyô 9h40 arrivée Nîgata 11h43, puis bus qui, d’après ce que j’ai compris, met 15 minutes pour aller au port et départ vers l’île à 12h30, arrivée Sado 15 h. Tout cela est assez serré, puisque demain, le 1er août, est mon dernier jour de Railpass – pass gratuit (mais coûtant au demeurant entre 200 et 500 euros, suivant la durée et la classe) pour toutes les lignes JR réservés aux non-japonais – et que nous devrons donc être rentrés avant 00 h demain à Kyôto, ce qui nous laisse sur l’île 24h maximum.
Notre périple se déroule sans problème. Il est 12h15 et nous arrivons à la gare des Ferrys. Nous prenons deux tickets “economic class” qui nous reviennent à 2280 yens chacun et allons rejoindre la queue. Sur le Ferry, après avoir déposé les bagages dans notre compartiment – un immense tapis surélevé où, une fois les chaussures enlevées, on peut manger, dormir, jouer… on se croirait dans un boat people – je file sur le pont et essaye de voir se dessiner l’île à l’horizon. Je pense à cet homme qui est passé là – son chemin n’était pas le même, ils partaient à l’époque d’Echigo – et qui a vu le visage de son exil apparaître comme moi aujourd’hui, tel un fantôme à l’horizon. Il est 15 heures. Nous arrivons sur l’Île Sado.
Là, il se passe une autre rencontre avec l’Ailleurs. Au moment de descendre, je passe devant Elise pour rejoindre le bureau d’informations. Je reçois deux tapes douces sur l’épaule. Je me tourne sûr qu’Elise m’appelle, mais elle n’est pas là… Je regarde autour de moi, les gens passent sans me voir. Je reste là, un instant, sûr que je pourrais voir se matérialiser cet esprit si je peux sentir son contact, mais rien d’autre ne se produit et le temps presse. Le temple Shoboji doit fermé à 17h ou 17h30 maximum, ce qui nous laisse très peu de temps pour nous y rendre. Je demande à la fille du centre d’informations où se trouve le temple et la statue de Zeami. Mais, si elle finit par trouver ce petit temple boudé du public, elle m’affirme qu’il n’y a jamais eu de statue de Zeami ici. Il y a par contre un masque dans une salle attenante au temple, un masque de Bugaku – forme dansée dans les temples – que Zeami a porté pour danser une danse en l’honneur des dieux de la pluie qui a clôt un long épisode de sécheresse, mettant en réel danger les îliens. J’ai effectivement entendu parler de cet épisode qui s’est aussi passé au Shoboji où Zeami avait été envoyé après que le premier temple dans lequel il séjournait devienne trop peu sûr, à causse d’une guerre de clans. La Statue dont j’ai entendu parler aurait été faite par un moine – du vivant de Zeami – pour célébrer cet événement et qu’il reste inscrit dans les mémoires à tout jamais.
Il se peut que la Statue ait été déménagée… qu’importe ! Je suis venu pour aller au Shoboji et j’irai. Le temps de déposer les sacs à l’hôtel où Elise souhaite rester pour profiter de la mer et du farniente – la course folle engagée ce matin l’a laissée éreintée. Pour ma part, je repars vers le centre ville – à 20 minutes de marche de l’hôtel – et réussi à attraper un bus juste à l’instant où j’arrive. Il est 16h05, le bus de 16h04 a une minute salvatrice de retard. Je montre au chauffeur l’arrêt indiqué par la fille du centre d’informations et vais m’installer dans ce bus d’un autre âge. Le paysage qui déroule sous mes yeux entraîne encore une fois sur des terres lointaines et oubliées – la nette impression d’être entré dans un film d’Ozu ou de Kurosawa.
Il est 16h40 et je descends sur la route principale, à peine plus large qu’un chemin de campagne, avec autour de moi, au loin, des collines qui encerclent l’endroit. Il n’existe pas de panneau – le site n’est pas assez touristique sans doute ! J’avance à tâtons. J’essaye de repérer des toits de vieilles bâtisses, mais je ne trouve pas. Je fais demi tour et là, juste avant l’arrêt, une route qui monte vers une colline. Je me lance, j’avance. A quelques centaines de mètres, sur la droite, je vois un portail japonais. Je passe dessous, c’est un cimetière, mais sur la gauche il y a un temple. Il est 17h, une jeune femme passe. J’essaye de lui faire comprendre que je cherche le Shoboji et la Statue de Zeami, mais elle ne parle pas un mot d’anglais. “Koko Zeami” – Ici Zeami ?”. Elle fait demi tour et m’invite à la suivre. Derrière le temple, une dépendance apparaît. La jeune femme entre et m’invite à la suivre. Là, elle s’adresse à quelqu’un et lui explique quelque chose – en japonais. J’entends “Zeami” dans sa phrase. En me rapprochant, j’aperçois que la personne à qui s’adresse la jeune femme est une vieille dame. Elle est en train de faire du jardinage ou en tout cas, est habillée pour. Elle est avec une autre vieille dame qui a du être une femme superbe. La première a un visage doux et sucré, généreux. Ses deux yeux rieurs passent de moi à son amie.
J’essaye de leur expliquer, je mime l’écrivain. Je mime le Shimai, la flûte, la Statue, Zeami. Elles rigolent et ne semblent pas pressées de me voir me dépêtrer de cet ambrouillamini. Puis finalement, la seconde me demande de la suivre. Nous ressortons. Elle m’amène à la porte du temple. Là, l’autre vieille dame réapparaît, de l’intérieur du temple, en nous ouvrant les portes coulissantes de papier. Je m’approche, mais reste dehors, sûr qu’ici comme ailleurs, on n’a pas le droit d’entrer. Mais non, elles me demandent d’enlever mes chaussures et m’entraînent dans les profondeurs du temple. Nous passons devant l’autel où médite un magnifique Bouddha et à sa droite, dans un renfoncement, elles ouvrent une autre porte de papier où est peint un pin millénaire. Elles tirent la porte et m’invite à entrer. On dirait une salle à manger, avec une table basse en son centre. C’est très peu éclairé. Et là, dans le coin gauche, une toute petite boîte. Elle va l’ouvrir et je découvre stupéfait, la statue faite du vivant de Zeami. Je l’imaginais à échelle, mais c’est une statue d’à peine 20 centimètres de haut. Je reste là, incapable de dire un mot. Je découvre le visage de ce vieil ami, grave, profond, bien plus beau que les dessins que nous connaissons de lui. Il est en seiza dans un beau kimono à manches très amples, les mains sur les genoux. Il porte son éventail à la ceinture. Je demande aux dames si je peux rester un moment. Elles acceptent et me laissent presque une heure seul avec lui. De temps à autre, une des deux passent sonner la cloche des quart-d’heures. Assis en position de méditation, j’essaye de tout lâcher, d’abandonner ma soif et ma faim et d’être juste là ! Simplement là à cet instant présent face à ce vieux génie. Je respire l’air qui circule dans ce temple et qui a vu passer tant de siècles. Après un long moment – 3 coups de cloche – une des deux femmes vient me chercher. Elle a dans sa main un vieux livre avec des photos de la Statue, de la pierre sur laquelle a dansé Zeami et que j’ai vu dehors, du masque et aussi quelques notes de sa main. C’est un cadeau pour leur visiteur ! Je les remercie et leur offre ma carte – je n’ai rien d’autre sur moi. Puis elles me font comprendre qu’elles veulent fermer le temple.
Il est 18h, je ne sais plus où j’habite. Je reste là un long moment. Je caresse la pierre sur laquelle Zeami a posé ses pieds, j’essaye d’entendre la musique, le rythme, l’histoire, puis fais le tour du temple. En regardant au loin – essayant de faire abstraction des maisons récentes qui sont là – je respire, avec les yeux et le coeur, le paysage qu’il voyait, lui, à 700 ans de là ! Et là, encore une fois, en finissant le tour du temple, je tombe sur… une école. Oui, juste à la gauche du Temple, une école comme au Kanze Inari Shrine ! “O Sensei ! Tu choisis bien ton entourage !” lui dis-je tout haut dans un long éclat de rire. C’est quand même surprenant non ? Deux endroits où il a vécu sont devenus des endroits où les enfants évoluent, grandissent et entament leur apprentissage. En tout cas, moi, ça me touche et me conforte dans l’idée que ce monsieur était un très grand maître et un être doué d’un rare souci du don, de la transmisson.
… A suivre
(Il est trop tard aujourd’hui pour finir, mais la suite sera bientôt là… soyez-en sûrs !)
joli blog mais petite erreur il s'agit du moine Nichiren Daishonin et non du moine Honen qui fut sauvé de la décapitation par la priere et un phenomène celeste (comete) alors qu'il allait etre executé sur la plage de Tastunokuchi.
amicalement
stéphane
Je rectifie sur l'heure !!!! Merci de l'erratum et à bientôt
Bonjour,
J'ai pris option théâtre au bac et décidé de faire un dossier sur le théâtre Nô.
Je voulais vous demander si je pouvais vous prendre des photos sur votre site pour les intégrer à mon dossier (qui serait plus vivant). Je citerai votre site internet bien sûr!
Merci pour votre réponse,
Adeline
Chère Adeline,
c'est avec plaisir que j'apprends que vous souhaitez utiliser les informations rencontrées ici sur le théâtre Nô. Évidemment, vous pouvez utiliser tout ce que bon vous semble et si vous souhaitez des informations complémentaires ou des éclaircissements, je suis à votre disposition.
Bonne écriture à vous,
et au plaisir de vous lire.
(peut-être pourriez-vous m'envoyer votre dossier si vous êtes d'accord ;-))
Chère Adeline,
je viens de mettre en ligne une conférence que j'ai préparé sur le nô. Peut-être y trouveras-tu des informations supplémentaires. Excuse la mise en page pas très propre, mais c'est la copie de mon powerpoint avec donc les notes qu'on ne voit pas à l'écran normalement. Bon travail.