Nous avons mis le réveil bien évidemment. C’est les jambes très lourdes – de la balade de la veille – que nous nous dirigeons vers la Kyôto Station pour prendre le train pour Nara. Il est, malgré tout, dix heures quand nous arrivons. Une dame dans un petit bureau de “Tourism Office” nous reçoit et nous donne tous les renseignements. Elle fait cela d’une voix monocorde ; on sent bien que c’est la trois centième fois qu’elle le fait ce matin et qu’elle est encore loin d’avoir fini sa journée.
Avec notre carte pleine de cercles et de croix, nous allons à notre premier rendez-vous – pour moi le plus important – Le Kofukuji, temple où Kanami, du temps où il s’appelait encore Kiyotsugu, était responsable des représentations. C’est, en effet, le grand temple dont ils dépendaient à l’époque. A l’entrée, un cerf nous attend et ouvre la route. Ils sont légion ici. Elise disparaît avec le cerf me laissant seul à la rencontre d’un nouveau dragon. Oui, comme au Higashi – Honganji, temple de Kyôto où le premier jour j’avais rencontré le grand Dragon. Mais, c’est assez normal, me direz-vous, il est, dans la symbolique bouddhiste, un protecteur puissant !
Je lui confie mes mains le temps de les nettoyer des inquiétudes de la vie et vais me recueillir en appelant du plus fort que je le peux Zeami. Mais, s’il est là, il ne semble pas avoir envie de discuter avec moi pour l’instant. Du coup, je continue ma visite. J’imagine la scène montée en plein air et le peuple attroupé devant. Voici le grand Kanami qui entre accompagné de son jeune fils… C’est vraiment fort ces instants où l’imaginaire aidé du réel fait une passerelle et vous entraîne dans des contrées qui vous appartiennent à vous seul.
Elise est là qui m’attend au pied de la pagode à 5 étages, à la droite du Musée des trésors qui se trouve dans la cour du Kofukuji. Nous voilà dans cette salle face à des sculptures monumentales. Quatre prêtres en bois de taille humaine ferme la visite. Ils ont tous les quatre des visages soit douloureux, soit bouillonnant de colère… c’est étrange ! On imagine plutôt des prêtres sur la voie du Bouddha apaisés, souriants. Mais eux, non. Ils sont là pour nous rappeler que vivre à cette époque ne devait pas être aisé et que s’il est bon de fantasmer ce monde passé, il ne faut pas en exclure la violence, la sévérité, la cruauté. Le temple Kofukuji pour survivre à une époque où il avait fait le mauvais choix de s’allier à l’un des Genji – au moment de force du clan rival des Heike – avait carrément formé une armée de moines pour se défendre !
Puis, nous faisons une pause pour manger nos Obento dans un parc entre deux routes où les biches et les cerfs par dizaine se prélassent. Il y a aussi des corbeaux qui croassent. On dirait qu’avec leur fort caractère, ils nous demande de vider les lieux : ils voudraient pouvoir être tranquilles et profiter de leur havre de paix sans tous ces touristes ! Non mais…
Ensuite, nous allons voir deux jardins japonais, le Yoshiekien et le Isuien, implantés dans les sites de résidence des grands prêtres du Kofukuji – oh les veinards !!!! – bien sûr modifiés de nombreuse fois ou disons, avec des parties ajoutées au fil du temps. C’est bien simple… si le paradis devait se trouver sur terre, il pourrait être là. Mousses agencées de façon délicieuses, arbres sauvages mêlés aux bonsai, harmonie des couleurs : du vert intense ou rouge en passant par l’orange. Des fleurs, parfois, juste là au milieu, prenant, par leur solitude, une puissance incroyable – à croire qu’on en avait jamais vu avant ! Puis les bruits d’eau, les petites cascades, les bassins où des gouttes tombent une à une dans un joli cliquetis sur une mousse épaisse et moelleuse. Bien sûr, des bâtiments aussi. Des maisons de thé aux toits de chaume, des pavillons de contemplation où les rares élus pouvaient s’installer et contempler le jardin dans l’axe le plus apaisant. Avec le soleil qui darde aujourd’hui, ce moment est un pure délice. C’est comme si vos poumons retrouvaient leur souplesse initiale, comme si vos narines, votre gorge, vos oreilles – tous vos orifices enfin – se trouvaient emplis d’un élixir doux et sucré, d’une essence volatile aux senteurs enivrantes… pure moment de bien être.
Enfin – mais il nous aurait fallu un autre jour pour en voir un peu plus – nous allons au Todaiji. Le plus grand temple et même édifice de bois au monde ! Avec, dedans, la plus grande statue de Bouddha, mais aussi la plus grande statue de bronze au monde. Nous sommes dans le gigantisme, vous l’aurez compris. Devant ce bouddha, je m’imagine le nombre d’âmes qui sont venues y prier depuis qu’il est là – en 752. Cela se sent, c’est palpable, dense. On sent les souhaits, les requêtes, les voeux, les larmes qui s’envolent et tournent autour de lui comme ce nuage d’encens fait de chaque bâtonnet allumé par ceux qui viennent ici. Et l’on se retrouve tout petit dans l’axe de ses yeux mi-clos, sûr qu’il va vous adresser quelques mots ou quelque signe. C’est un lieu monumental et sombre, mais les enfants qui y jouent à loisir et l’ambiance y est sereine, douce. Waouou, quel voyage.
Il est 18h30. Nous avons bien marché six heures aujourd’hui. C’est exténués que nous arrivons à la station de Nara et nous nous endormons dans le train qui nous ramène à Kyôto, ayant aussi besoin, je pense, de ce temps, de ce sommeil, pour assimiler ce que nous venons de vivre.
Tout simplement magnifique !!!
Des bisous et plein d'amour pour vous deux
Flo