Peut-être la première journée comme une autre de tout ce séjour. Ah si quand même ! J’ai des voisins désormais à la TAKAYA Guesthouse. Ils sont arrivés pendant mon absence. Un français et sa femme japonaise. Des gens très discrets. Ca me permet de leur demander comment marche cette machine à laver que nous avons, mais qui n’a pas été prévue pour les néophytes en Kanji. Et à vous dire vrai, c’est plus simple qu’il n’y paraît. Il suffit d’appuyer sur on et d’appuyer sur “play” ; la machine se charge du reste – combien il y a de linge, etc. Par contre pour faire sécher le linge avec l’humidité ambiante, ce n’est pas une mince affaire. Même avec le sèche linge, il me faut compter une heure de séchage par machine. Soit deux heures en tout à rester ici, à fumer des clopes et boire des cafés devant ce sèche linge qui est au bout de notre impasse. Voilà l’histoire de ma matinée !
L’après-midi est dédié au travail de la flûte. j’ai cours cet après-midi à Oike – deux stations d’ici – et je n’arrive toujours pas à jouer “Oshirabe”. Le rendez-vous est à 16 heures devant la station de métro Oike avec Rebecca qui a, du coup, annulé le cours de shimai que je devais avoir cet après midi – apparemment, elle avait oublié ce cours de flûte. Je pars un peu en avance pour me promener et découvrir un peu mieux le quartier.
Rebecca m’entraîne le long de la Oike dori jusqu’à un temple. C’est l’avantage de travailler sur une forme ancestrale et traditionnelle, on peut se promener dans des endroits d’une autre époque souvent fermés au public. Nous entrons dans le temple – dont je n’arrive pas à retrouver le nom sur la carte tellement il est petit – et nous montons de vieux escaliers de bois. Là, une salle traditionnelle toute recouverte de tatamis et aux portes de papier nous attend. Le maître n’est pas encore arrivé. En l’attendant, j’essaye d’avoir un peu plus d’informations sur la suite du programme et me retrouve avec une semaine d’infos d’un coup ! Maître Saco arrive. Décidément, j’adore ce bonhomme qui me dit “Bonjour”, à la française. Nous nous installons, il demande à Rebecca si j’ai bien travaillé, ce qu’elle ne sait pas. Je lui dis que j’ai travaillé un peu tous les jours, mais que ce n’est guère brillant. Il me sort alors une nouvelle partition qui fait le quadruple de la première. C’est l’air qu’on entend le plus souvent dans les danses. Il s’agit de quatre phrases : Ryo, Chu, Kan et Kan-chu. C’est, bien entendu, écrit à la main comme pour “Oshirabe” avec deux couleurs et les dessins des doigtés. Puis, c’est le moment du cours. Je me mets en face de lui, en seiza, dans l’espace dédié et essaye d’entonner “Oshirabe”. Il me corrige une fois, puis nous passons à la nouvelle partition. Il me montre une fois, nous le chantons une autre et c’est parti ! Je panique. Il bat la mesure, je déteste la mesure, elle me fait, à tous les coups, perdre la musique. Mais je m’exécute. J’essaye. Nous avançons à une vitesse fulgurante et encore, je sens bien qu’il trouve que ça ne va pas assez vite. J’en ai la tête qui tourne et les doigts me font vraiment souffrir. Surtout ceux de la main gauche. Mais je prends mon mal en patience et m’exécute. “One more !” “No ! Do it again ! “ Ok, ok, ok. Le cours est fini, je ne sais pas combien de temps ça a duré, mais vu l’impossibilité dans laquelle je me retrouve de me lever, le cours a du durer un moment. “So ! We see us tomorrow at 5 PM.” “Quoi ! J’ai jusqu’à demain trois heures pour savoir jouer tout ça ?!” – et oui, il faut compter le temps d’y aller à Osaka. Rebecca me fait signe qu’il faut que j’y aille, j’ai rendez-vous au Kanze Kaikan pour voir les fils du maître présenter des shimai à une représentation de jeunes professionnels.
Je file par le métro. Heureusement, c’est deux stations plus loin sur la ligne T que je prends pour la première fois et qui traverse Kyôto d’est en ouest. La station s’appelle Higashiyama. Je suis déjà venu au Kanze Kaikan, rappelez-vous, c’était le deuxième jour, si je me souviens bien. Du coup, à la sortie du métro, je sais où aller. Mais je suis en retard ! La représentation commençait à 17h30 et il est 18h. Qu’importe, j’entre – cela se fait au Japon lors des représentations de Nô surtout de ce type-là, les gens ne font que ça d’ailleurs, entrer et sortir. Quand j’arrive, c’est justement l’un des fils du maître qui danse. Il est puissant, précis. Ensuite vient un autre groupe. Est-ce le deuxième fils du maître… non ! Je ne sais pas qui il est et de quelle école, famille, il vient. Je dirai que c’est sûrement un Kongo aussi vu son style. Puis arrivent les Kanze. Le joueur de Otsuzumi doit avoir douze ans – mais c’est difficile de donner un âge aux japonais – et il est vraiment très bon. Le Shite est sublime. Plus maladroit et parfois un peu à côté par rapport aux Kongo, mais quand il est là, il dégage quelque chose de vraiment très très fort. Et pour couronner le tout, il a un visage fantomatique, très beau, très epuré. J’imagine Zeami à cet âge là, il devait sûrement faire cet effet. En demandant autour de moi, j’arrive à comprendre que son nom est Oe… il faudra que je vérifie dès que je croise quelqu’un qui peut me traduire les kanji en Romaji.
Puis, entre à nouveau le fils de Maître Udaka, mais il est dans le choeur cette fois. Le Shite est un espèce de jeune ventru et joufflu – ce qui, décidément, je trouve, ne sied pas du tout à cet art. Il a quelque chose de plus touchant que le fils du Maître, mais il peine et ça se voit. Il est obligé de se décaler pour les appels de pieds tellement il a de poids à soulever. En demandant qui c’était, j’apprends qu’il s’agit du deuxième fils du maître… me faudra-t-il dire ce que je pense à Maître Udaka s’il me demande ou lui répondre poliment en ne parlant que du côté touchant de l’enfant – qui doit quand même avoir une vingtaine d’années. Puis vient un nô complet, mais sans masques, assuré par les jeunes Kanze. C’est toujours très propre, mais je ne retrouve pas l’émotion du premier. Ce genre d’acteurs dans le nô sont rares. J’en ai rencontré quatre à ce jour : le Iemoto Kanze, un autre Kanze à Tokyo l’année passée, le membre des Komparu vu à Tôkyô cette année et enfin ce jeune Oe de l’école Kanze aussi.
Il est 20 heures 30 quand je repars. Ce soir, Interneto Café à bloc pour mettre en ligne les quelques journées manquantes et les photos, puis quelques recherches autour du Bouddhisme et du Zen au Japon des Dragons, de Motomasa – le fils de Zeami mort à 37 ans.
Voilou, voilà.
Il est 12h30, heure locale. J’ai fait de la flûte bien trois heures ce matin et il faudrait que je m’y remette, si je ne veux pas me faire pourrir par Maître Saco. So… see you !
J'adore suivre tes aventures… c'est passionnant et j'ai hate de decouvrir la suite à chaque fois !! Ce que tu vis est tellement extraordinaire et si emouvant !! Je suis avidement chaque journee depuis la Sicile !! Je t'accompagne à ma maniere… Pleins de bisous et de tendresse pour le king !