Il est 07 heures ce matin quand je me lève. C’est que j’ai beaucoup de route à faire. D’abord Matsuyama – Okayama, puis Okayama – Hiroshima, puis Hiroshima – Miyajima Guchi, puis Miyajima Guchi – Miyajima, puis la même chose pour retourner à Hiroshima et enfin Hiroshima – Shin Osaka et Shin Osaka – Kyôto. En tout, quelques sept heures de transport. Sept heures où je vais pouvoir essayer de rattraper le retard dans l’écriture de ce journal de bord.
Mais revenons au réveil… il est 07h00 donc. J’ai passé une nuit difficile, me suis réveillé souvent, ai eu chaud. Je file m’acheter mon “Black” matinal, mange mon habituel gâteau aux haricots pour avoir de quoi tenir ces première heures, laisse un mot de remerciements au maître et à sa fille, puis repars comme je suis venu. Je traverse Matsuyama en ligne droite du Shikibutai à la gare. C’est l’heure où les écoliers vont à l’école, les bureaucrates dans leurs bureaux. Ici, comme à Kyôto, le vélo est roi. A la gare, j’ai le temps, en attendant mon train, de boire un café chaud dans un “Coffee” à l’anglaise. Les serveuses sont en robes avec des tabliers à carreaux et des couvres tête de style servante anglaise. C’est assez drôle de se retrouver comme ça plongé dans l’Angleterre des années 30. Ils passent de la musique classique. Je me dis que tout cela va me manquer si je reste, mais je sens bien maintenant que je dois rester. Cette rencontre avec Maître Udaka n’est pas un hasard. Je l’attendais depuis longtemps et il faut que je me rende disponible pour.
Entre deux train, à midi, j’ai le temps de m’acheter un Obento. Je suis surpris moi-même comme cette appréhension de la nourriture a été guérie après ces deux jours passés avec le maître où il m’aura fallu manger tout ce qu’on me proposait. Du coup, je prends celui où je vois une crevette frite qui me fait envie, mais tous les plats autour – à part le riz – je ne les connais pas. Et ma foi, tout est très bon. Parfois de texture vraiment spéciale, mais intéressant.
Il est 14 heures quand j’arrive à Miyajima par le Ferry qui part de la station Miyajima Guchi – la porte de Miyajima. C’est une île sauvage envahie de touristes !!! Du coup, je suis un peu refroidi. De voir tous ces occidentaux ici me coupe de mon rêve, de mon aventure. Qu’importe, je suis venu voir le théâtre nô du temple Itsukushima, j’y vais. A l’entrée du temple en bois tout peint de rouge qui s’étend de part et d’autre de cette anse, à cette heure-ci est à marée basse, je me déleste de 300 yens. C’est cher pour avoir le droit de passer sur les passerelles et voir, du temple, la Otori Guchi ! Mais qu’importe, au bout de ces passerelles se trouve ce théâtre Nô qui fut construit en 1568 et qui voit la mer monter presque au niveau de son butai.
C’est un beau théâtre. Les peintures et le bois sont bouffés par le sel et l’eau, mais ça ne lui donne que plus d’authenticité – c’est wabi-sabi comme dirait les japonais (notion de l’esthétique zen à découvrir parce que bien éclairant sur le rapport des japonais à l’art). Je descends sur le sable – c’est marée basse, je vous l’ai dit – pour aller voir ce théâtre de plus près. Arrivé à côté du Butai, une bande de crabes gardiens disparaissent. Je me croirai dans un dessin animé de Miyazaki. Ils sont drôles, cachés dans les interstices des pierres qui bordent le théâtre à m’épier. Je les salue, leur demande de dire à leur roi de bien veiller sur ce théâtre et de lui faire savoir que le King est maintenant au Japon. Puis je repars.
Je visite la salle des trésors avec son lot de costumes magnifiques, des rouleaux originaux du “Dit des Heiké”, des sabres incroyables, des sutras peints sur des rouleaux de papier où il est impossible de donner tous les détails de sa facture tellement elle est complexe : entre l’or, le dessin, les couleurs, les touches de peinture… une vraie merveille.
Puis je rencontre ce moine de bois aux yeux si vivants. Je lui laisse une petite pièce et frotte sa tête de mes mains rincées à l’eau pure. Il est d’une beauté fascinante. Enfin, je vais me promener du côté de la pagode à cinq toits. Elle est impressionnante en haut de sa volée d’escaliers, elle qui touche littéralement le ciel. Elle fut construite en 1407. Tiens, Zeami vivait encore alors. C’était même sa belle période. Au côté de la pagode, il y a ce temple énorme : Senjokaku, où les poutres sont des arbres entiers. Le sol y est usé, lissé par les siècles. De cet endroit la vue sur le golf est magnifique. Je m’installe sur une des terrasses qui font le tour de ce temple, pieds nus sur ce bois usé, au frais et pense à tout ce qui arrive. A cette rencontre, à ces endroits qui réveillent en moi des sensations étranges. Ce temple a été bâti sous les ordres de Hideyochi-Toyotomi, un des plus grands généraux du Japon – je l’ai côtoyé pendant un moment quand je lisais “Le Château de Yodo” de Yasuchi Inoue. Un roman magnifique d’ailleurs pour qui n’est pas rebuté à l’idée de devoir s’accoutumer avec une bonne centaine de noms japonais différents. Il l’avait fait construire -je parle du temple ! et d’ailleurs, seulement en partie, car il n’a jamais eu le temps de le faire finir – pour y mettre des sutras au plafond pour le repos de tous les soldats morts à la guerre.
Je n’ai pas le temps de faire la visite de l’île et retourne vers le bateau. Ici, il faut venir passer deux ou trois jours. Il y a, d’ailleurs, au milieu de boutiques attrape-touristes, des hôtels prévus à cet effet. Au moment où je m’apprête à remonter dans le bateau, je vois une tâche rouge au sol derrière moi ! Qu’est-ce ? Un crabe, un magnifique crabe rouge avec des yeux turquoises. Un gros crabe. Les gens lui passent autour sans le voir. Je me plais à me dire que c’est le roi des crabes qui est venu me saluer avant mon départ. Du coup, je reste un moment avec lui à converser. J’en viens à douter qu’il est vraiment là tellement les gens autour n’y prennent pas garde, alors qu’on ne peut certainement pas dire que ce crabe est commun ! Je le prends en photo pour être sûr qu’il est bien là et pour vous le montrer.
Maintenant, je peux y aller. Je dis au revoir au Roi des Crabes qui, du coup, part de côté, en sens inverse de moi -il rejoint son armée de crabes gardiens sans doute. Puis, c’est la course à nouveau. train, train, train, train et enfin Kyôto.
Vous voyez que je peux faire court si je veux ! 😉
A demain.
P.S. Est ce que j’ai médité, ce soir là, alors que j’étais tout seul ? Oui, aussi. Mais il faut que je trouve cette poudre que le maître utilise pour nettoyer les mains. Son odeur aide à l’apaisement… I will ask Rebecca today when I have my Flute lesson.