Il est 20hoo ici et 13hoo chez vous, je rentre d’une journée longue, riche.
Ce matin, le réveil était réglé sur 05h00. Et oui, il y avait une classe d’Aikido, la seule du jour, à 07h00. Mais c’est sans compter sur ma veille de la veille et le décalage horaire. Quand j’ouvre les yeux, il est 7 heures, le soleil est déjà haut dans le ciel. C’est raté pour l’Aikido aujourd’hui. Jacques l’avait prédit – le prof d’Aikido ! Je me réveille difficilement et décide de travailler la flûte. J’attends que tout le monde soit réveillé – au dessus de la pension, il y a une famille ; je vois les enfants sortir les uns après les autres pendant que je prends mon petit déjeuner sur la terrasse – une marche d’escalier devant la porte – et quand je vois la mère sortir enfin, je file dans ma chambre. C’est fébrile que je sors la flûte. La flûte dans le Nô est vraiment un instrument magique. C’est la voix des dieux et des démons ! Je la salue, fait le cérémonial et tente de reproduire la partition que le maître m’a laissée. J’écoute la boucle jouée par le maître sur mon iphone et j’essaye de la reproduire, ce qui est loin d’être aisé. La tête me tourne, il est 10h00. De toute façon, il y a certaines choses que je n’arrive pas à comprendre. Je verrai cela avec Rebecca tout à l’heure lors de ma première classe de Shimai et d’Utai – Danse et chant dans le théâtre Nô.
Je voudrais faire tant de choses et en même temps, il faut jouer avec un timing assez serré. Mon rendez-vous avec Rebecca est à 15 heures. Je voudrais voir quelques temples liés soit à Zeami, soit à Yoshimitsu – le shôgun qui régnait à l’époque de Kanami et de Zeami-, l’Institut Franco-Japonais du Kansai, appeler Franck, le chorégraphe de Kubilai Kahn qui est en résidence à la Villa Kujoyama et il me faut écrire, me tenir à cet exercice quotidien que je me suis promis et à vous, par la même occasion. Il est 11h quand je quitte la maison avec mon ordinateur sous le bras, riche d’une nouvelle journée en magasin. Je file à “L’interneto Café” pour transférer tout ça. Verrais-je Elise en ligne, sur Skype ? Ca m’étonnerait, chez nous il y a 7 heures de moins et donc vous faites encore dodo. Je choisis les photos du jour dans un maigre panel – la veille, je vous rappelle que mon téléphone est tombé en panne de batterie dans l’aprem – et met tout ça en ligne. Il est 12h et il faut que je m’active si je veux pouvoir faire un peu de ce que je me suis promis. Mais je suis fatigué, très fatigué, donc j’y vais sano…. tranquille ! Je repasse par la Casa pour déposer mon ordi qui a fini sa journée et prends à la place mes affaires pour ma classe de Shimai et d’Utai, à savoir : éventail, tabis, tenue de travail, cahier. Sans oublier de prendre la flûte et mes notations pour tenter d’y voir un peu plus clair avec Rebecca. Le temps file. Je décide de remettre à plus tard ma visite de l’Institut Franco-Japonais et tente d’aller au Shikokuji Temple, un site en lien avec Yoshimitsu. C’est l’histoire d’un petit quart d’heure de vélo.
C’est immense ! Je n’y comprends pas grand chose… au milieu des jardins et des vieilles bâtisses et temples, il y a des voitures. Comme si des gens habitaient sur ce site, habitaient des maisons de l’époque des Ashikaga ? Ou ce sont des bureaux ? Je n’arrive pas à savoir, mais c’est assez surprenant. L’avantage c’est qu’on peut traverser le site à vélo. Et je ne m’en prive pas. Je me promène un peu, descend de vélo pour marcher au milieu de ces arbres plusieurs fois centenaires, découvre des bâtiments d’une facture vraiment imposante – plus que tout ce que j’ai vu au Japon jusqu’à présent – puis file…. à la française. Il est 12h45, je vais tenter d’aller voir le Toji-In temple qui semble loin, mais qui renferme les statues des Ashikaga, donc celle de Yoshimitsu, le 3eme shôgun Ashikaga, amant et ami de Zeami, celui qui a fait des Kanze ce que nous savons. Je file au plus vite de ce que mon vieux vélo a dans le ventre et traverse en ligne droite une bonne partie de Kyôto, d’est en ouest. Passé le dernier grand axe Nichi-Oji Dori – la rue Nichi-Oji-, le paysage change subitement. On se croirait presque à la campagne ou encore dans un temps plus reculé. Un peu comme hier quand nous sommes allés rencontrés Saco-Sensei. J’adore cet endroit, vraiment ! Je ralentis, malgré le temps qui continue d’avancer inexorablement. Je m’arrête, fais quelques photos. Et chemin faisant, j’arrive au Toji-In temple.
C’est un endroit isolé, au sommet d’une petite colline, hors de tout, hors du temps ; magique, magnifique, ensorcelant, envoûtant, un de ces endroits où je voudrais passer ma vie, juste là, assis, à contempler ces jardins si savamment agencés qu’ils en semblent naturels ! Une vraie merveille. Que dis-je… La merveille ! Oui, je voudrais que tout s’arrête, maintenant. Que le temps se suspende et disparaître entre deux lattes de plancher. Juste ça. A l’entrée, on se déchausse et se défausse, par la même occasion, de 500 yens. C’est si bon le contact de ce bois tant de fois centenaire sous les pieds.
La dame de la caisse m’emmène – je lui ai demandé où était le buste de Yoshimitsu : “The wooden statue of Yoshimitsu, Ashikaga Shôgun ». C’est une très jolie vieille petite femme, souriante et avenante. Elle m’arrête. “There is the singing wooden floor”. Nous passons dessus tous les deux, les planches chantent leur chant presque millénaire sous nos pieds. C’est presque un chant d’oiseaux… je ne sais pas quelle est son utilité et je suis tellement emporté par l’endroit que je ne lui demande pas, peut-être est-ce pour entendre les ennemis approcher ? Moi, je préfère croire que c’est juste pour le pouvoir du son, sa beauté et le calme que cela apporte de prendre conscience qu’on fait chanter un plancher à chaque pas. Nous sommes au bout du plancher, nous passons une passerelle et nous arrivons dans la chambre aux statues. Tous les Ashikaga sont là, côte à côte. Les bons et les méchants, les grands et les moins grands, même un jeune shôgun mort à 12 ans assis à côté de son père, son père qui est celui qui a finit de détruire Zeami : Yoshinori, celui qui l’a banni sur l’île Sado et a placé à son poste de chef des Kanze, le fils adoptif de Zeami, Onami, par ailleurs son amant. A sa gauche, Yochimochi, autre fils de Yoshimitsu qui vouait une jalousie sans bornes à Zeami, par les liens étroits qui unissaient Zeami et Yoshimitsu. Et là, dans l’aile centrale : Yoshimitsu ! Avec des yeux plus vrais que réels, faits comme toutes les autres statues des différents shôguns, dans de l’ivoire ou une matière qui donne un éclat si présent, si réel à leurs regards. On voit tout de suite quel grand homme il a dû être. Il est vif, profond, serein, presque un peu triste comme le sont souvent ceux qui se sont intéressés de près au monde. Yoshimochi semble, lui, un peu lourdaud, fat, pas très futé, ni très présent. Yoshinori, par contre, est très beau. Trop peut-être. Mais on sent sa violence, la dureté de son regard, un sentiment de supériorité.
La femme me laisse seul. Je reste un moment face à Yoshimitsu. Je laisse le vague se faire dans mes yeux et croit un instant le voir s’animer. Je l’imagine avec Zeami, ici, dans ce temple, admirant le jardin tous les deux et discutant de poésie et d’art. Il est 14h, je ne peux plus rester. “A très vite Yoshimitsu !”. Je dis à la dame que je reviendrai. Je n’ai même pas pris le temps de boire le thé sur un tatami face au jardin comme ce couple d’anglais, mais je dois vraiment y aller. J’ai rendez-vous dans une heure à l’autre bout de la ville.
Je file, je fonce, je peste – ici, les gens en voiture ne sont pas vraiment des gentlemen ou alors quelque chose m’échappe. Je prends la Marumachi dori, salue la maison de Zeami au passage, passe derrière le jardin Impérial, traverse la rivière Kamo et remonte vers le nord. Je prends des photos à la volée sur mon vélo, en roulant à toute allure. Les bords de la rivière Kamo sont impressionnants. Même là, ils sont passés ! Pour mettre des pavés à certains endroits et que l’eau en tombant fasse du bruit, faisant un jardin à tel endroit, aménageant un espace à tel autre. Je me fais la réflexion que tout ceci est impossible à rendre en photo, vraiment impossible. Parce que tout ici est une photographie et que photographier des photographies, ça ne peut pas marcher ! Il est 14h45, j’arrive enfin . Je m’arrête au Ministop – petit magasin comme il y a partout, mais absolument partout – et m’achète de l’eau et une boisson de sportif pour avoir de l’énergie. C’est vrai… je n’ai pas mangé, je sais. Mais je n’arrive pas à trouver de restos qui me donnent envie. Les odeurs sont trop fortes, les goûts trop, trop. Je veux des SUSHIS!!!!!! Mais à Kyôto, je n’en trouve pas. En tout cas, pas pour l’instant et pas sur les chemins que je prends. Mais cela viendra. Il faudra bien que je me mette à manger un peu ;-).
Rebecca est déjà là. Elle me reçoit et commence par m’expliquer dans les règles de l’art tous les us et coutumes de l’étiquette. Tout ce que je dois faire et ne pas faire en présence des Maîtres. Les formules à savoir, comment on entre sur le Butai – la scène de Nô-, etc. Elle me parle aussi de la méditation qui est très importante pour maître Udaka et m’offre un thé vert et une sucrerie d’été qui est délicieuse. Puis deux élèves allemands venus étudier à Kyôto arrivent. C’est l’heure de monter sur la scène.
Nous commençons par des exercices d’échauffement vocal, puis nous passons debout et travaillons les déplacements. Enfin, elle nous donne notre premier “texte”. Il s’agit d’une transcription en romagi – traduction du japonais en écriture latine- d’un extrait de « Oimatsu », une pièce écrite par Zeami, basée sur l’ancienne légende du « Pin volant ». Le texte est un extrait du moment de la danse de l’esprit du pin. Chaque mouvement de la danse porte un nom, c’est un kata qui pourra se retrouver dans une autre pièce.
Nous apprenons quatre katas de base – c’est pour cela qu’ils ont choisi cette pièce… dedans il y a les katas de base – et aussi à ouvrir et fermer l’éventail. Puis nous retournons à la voix et au chant, assis en seiza. Elle montre, on refait. Que ce soit pour la danse ou pour le chant. Elle montre, on refait.
Voilà, 3 heures se sont écoulées – si vous voulez en savoir plus, il faudra venir nous voir à la maison ;-)- et c’est l’heure de se séparer. Je retourne à la Takaya house, ma maison en vélo, en en profitant pour flâner un peu. Mais la nuit tombe déjà. Il est 19 heures, je suis rentré.
Ah j’oubliais ! J’ai quand même réussi à aller à l’Institut Franco-Japonais du Kansai après le cours et ai réussi à récupérer les coordonnées de Franck. J’ai, du coup, rencontré une fille qui travaille à la Villa Kujoyama et qui m’a invité à aller les rencontrer et à appeler son directeur pour parler de mon travail. Peut-être demain ?
Allez, c’est l’heure. Un cigarette et à l’Interneto Café ! 14h13 chez vous.