Vous venez de passer au mercredi 15 juillet et nous y sommes, nous, depuis sept heures. J’ai ouvert les yeux il n’y a pas longtemps. Tombant après ma nuit sans sommeil et la journée d’hier qui fut dense. Il est onze heures hier quand je quitte “l’Interneto Café”. J’ai eu Jacques Payet – le prof d’Aikido – au téléphone qui m’indique comment trouver un dogi pas cher et de bonne qualité – un dogi est un kimono de judo… vous savez les blancs tout simples. Ce n’est pas très loin de là. Je prends my bicycle et je vogue jusque là-bas. C’est une échoppe très typique et en même temps très moderne dans son équipement. Sûrement la Mecque des Kendo ka : la Tozandô Shop. La boutique est divisée en deux parties. Celle où l’on accueille les clients et l’autre, un atelier de confection où un maître forge les masques de Kendo – ces visières en grille pour éviter les coups sur la tête. Evidemment, en entrant, je me trompe de côté et débarque dans l’atelier. Ce qui me permet de voir le maître forger et des femmes oeuvrer à la réalisation des différentes pièces d’équipement. Après quelques minutes en leur compagnie, je passe du bon côté et commande le dogi le moins cher. Je m’en tire pour 7500 yens, ce qui n’est pas rien, mais vue la qualité de l’ouvrage et maintenant que je sais que ce sont ces petites mains qui l’ont fait, je trouve cela bon marché. Le temps d’aller avaler un plat de nouilles – Oh ! Comme je vous regrette petits restaurants tokyoites- qui baignent dans une sauce riche d’une bonne douzaine d’oeufs battus dans un jus déjà bien riche -avec le manque de sommeil, je vais vomir c’est sûr ! – et je file à la pension me laver, me raser, couper les bouts d’ongles qui dépassent pour être fin prêt pour cette première leçon d’Aikido. Le rendez-vous est fixé à 13h30 au Shiramine Shrine, à quelques rues de chez moi. Il est 13h10, je suis au rendez-vous, pimpant comme un bon aikidoka – enfin pimpant… il fait tellement chaud que je ruisselle déjà de toute part. Jacques, un petit homme au regard perçant et rieur, arrive sur un vélo tout terrain d’un autre temps. Le cours n’est pas au temple aujourd’hui – le dimanche, si ! Yes. – mais à une quinzaine de minutes d’ici. Je le suis tant bien que mal entre les trottoirs et les rues, avec ma difficulté encore bien présente de me mettre à gauche – ici, ils ont le volant à gauche et roulent en sens inverse… de vrais anglais ! – et essaye de répondre en même temps aux questions qui fusent. Nous traversons le jardin du Palais Impérial en toute trombe et nous voilà au dojo. Evidemment, pas de clim ici ! Nous sommes quatre élèves, dont deux haut gradés. Le cours commence par un échauffement assez musclé – comme la plupart des échauffements depuis que j’ai commencé la danse – et nous nous mettons face à nos partenaires. Le mien est un américain ou un anglais : Aaron. Il a reçu pour consigne de me faire faire le tour des techniques de base pour déblayer le champ de ruines qui me sert de mémoire. C’est un garçon charmant, très roux et vraiment bon pédagogue. Nous enchaînons les techniques les unes après les autres. Il a, dans sa pratique cette façon tranquille et douce de travailler, porteuse, en général, d’une grande puissance d’exécution. J’avais oublié que l’on pouvait suer autant.
Il est 15h30, je suis épuisé. Mes jambes ont du mal à me porter, mais j’ai rendez-vous à 15h45 au Shiramine Shrine avec Rebecca pour aller acheter des tabis – chaussons traditionnels japonais avec le gros orteil séparé – et aller à la rencontre de Saco Sensei, mon maître de flûte. Rebecca semble un peu anxieuse. Elle tient à ce que nous soyons au rendez-vous avec Maître Saco le plus tôt possible. Nous courons acheter des tabis dans une boutique improbable située dans la cour d’un pâté d’immeubles de bureaux. La dame me fait essayer plusieurs paires, repart à chaque fois me chercher la taille au dessus. Plus grand, plus grand, plus grand. Après trois allés et retours – à chaque fois il lui faut monter au dessus de la boutique par un escalier en pente raide – elle finit par être satisfaite ! “This one”. Ok ! Donc en tabis, je fais 27,5 centimeters. Rebecca ne semble pas tranquille à l’idée que je laisse mon vélo à la Kyôto Station le temps du cours. Je repasse donc en trombe à la maison, dépose le vélo, jette mon sac d’Aikido dans la maison et file la rejoindre à la “Kyôto Station” en métro. Les japonais me regardent d’un drôle d’air…. ce n’est pas souvent qu’on voit des gens courir ici – si ce n’est pour faire leur footing. Après d’interminables couloirs où courir, avec cette chaleur et le manque de sommeil, me demande un effort incroyable, j’arrive… mais elle n’est pas là! Je commence à paniquer. :“Mince ! Et si le rendez-vous n’était pas à cet “Information Center” au second floor de la sortie North… » et mon téléphone qui n’a plus de batterie… Après quelques tours des autres “informations center”, je la trouve enfin. Le point de rendez-vous était le bon, c’est juste que le bus qu’elle a pris était coincé dans les embouteillages.
Mon premier cours se déroule dans l’enceinte d’un théâtre hors de la ville. Nous prenons un train, puis une sorte de métro local. Nous sommes à deux stations de Kyôto et pourtant le décor est complètement différent. Ici, encore plus qu’à Kyôto, on se croirait de retour dans les années 30. Le métro local est un tout petit train où pour accéder au quai il faut passer par les voies. Les wagons aussi sont d’un autre âge – mais pas de soucis, nous sommes toujours au Japon : ils sont rutilants, impeccables !. Cet endroit est délicieux, comme dans un rêve. Les trente heures de veille y contribuent grandement, je pense.
Nous arrivons… la porte coulissante nous découvre un jeune homme -quand je dis jeune, c’est 35-40 ans… comme moi ;-)- rond, au visage très présent, intelligent et aux petites lunettes cerclées de type enseignant occidental. Il me fait tout de suite une très bonne impression. Et je ne me trompe pas. C’est un homme très attentif, simple et en même temps très vif. Il nous explique qu’il travaille depuis quelques temps avec des artistes de musique classique et baroque et cherche à établir une passerelle entre la musique du nô et la musique classique. Il m’invite à un concert expérimental, le 30 juillet à Osaka. Un privilège quand on sait qu’il n’y a que 25 places ! “Comment…. Alleu…. Vous ?” “Do you speak french ?” Oui, il le parle un peu. C’est un passionné du cinéma français et il a étudié notre langue à « l’Ou-ni-Ver-seu-teu ». Il semble parler anglais aussi, même s’il laisse à Rebecca le soin de me traduire ce qu’il dit. Après un long moment de présentation, je sors la flûte que Rebecca m’a gentiment prêté pour commencer. Il me demande de souffler. Un son bizarre et strident sort. “Ok ! I can learn flute to him”. C’était le test… je suis accepté. Après ça, il sort quelques feuilles de notation et d’une écriture très soignée, m’écrit la partition de mon premier exercice : « Oshirabe ». Sur une autre feuille, il met face à chaque nom, le dessin du “fingering” – le doigté. Jusqu’à ce moment moment-là, nous étions assis -en seiza – autour d’une table basse sur un des côtés de a salle – de tatamis bien sûr. Il quitte cette place et va au centre de la pièce sur un coussin et me demande de prendre place devant lui. Il y a une toute petite table que ceux qui ont vu des récitals de nô connaissent. Je m’installe en seiza. Il m’arrête : “Can you put off your bangle ?” Quoi ? Ah oui… il veut parler du petit bracelet que Rose m’a offert pour la fête des pères, un bracelet en cordelette qu’elle a fait elle-même. Du coup, je l’enlève.
Ca y est, c’est parti ! Je dis “c’est parti”, car ce moment-là est vraiment d’une autre nature. On est dans le travail, mais dans un temps et un espace dédié exclusivement à ça, un espace où le maître fait corps avec l’élève pour l’emmener sur les terres de la transmission ancestrale. Je ne vais pas tout vous décrire par le menu détail, mais en gros cela se passe comme ça : il montre, je refais, il montre, je refais. Très peu de mots sont échangés. Quand il joue, c’est magique, magnifique… moi j’essaye : PFffffff, pfffffff ! “Ok, it’s finished”. Ca a du durer entre dix et vingt minutes et je n’arrive plus à sortir un son. J’ai des crampes aux doigts avec ce doigté si différent du notre et l’esprit brouillé. Mais j’ai fait là, encore une fois, un vrai voyage… un profond voyage.
Avant de partir, il m’enregistre les phrases sur mon iphone pour que je puisse travailler avant notre prochain rendez-vous.
Le reste fut une soirée courte. Un petit repas, une douche interminablement bonne et un gros dodo.
See you.
P.S. Aujourd’hui, il fait toujours aussi chaud, mais on voit le ciel à Kyôto. Un beau ciel bleu…