Le 11 juin 2009.
Travail avec Alexandre à ma demande sur L’ Illusion Comique de Corneille pour ma scène du bac : scène 1 de l’acte IV. Isabelle.
« 11 heures…
Quelques pas les pieds nus, quelques roulades au sol, et une première rencontre avec l’espace, le lieu, la forme, l’odeur, l’ambiance…Je dis bonjour, du mieux que je peux, à cette journée qui s’annonce, un peu dans la peur, mais surtout dans l’ouverture, vers du nouveau.
Alexandre commence par me parler un peu globalement du théâtre, son importance, sa conception qu’il met en parallèle avec celle du théâtre des Ateliers, sa manière de travailler, et d’être face au travail. Le plus important : s’amuser, trouver du plaisir, ne pas se mettre en danger en confondant le personnage que l’on joue avec son âme propre, ne pas lui faire du mal. Raconter une histoire, de cœurs à cœurs, d’enfants à enfants. Alors moi je prends, j’intègre comme je peux, j’ai des images qui me viennent, j’écoute, je coule.
Sa proposition pour ma scène est donc la suivante : dans un premier temps tenter de définir le mieux possible un cadre autour de ce texte que nous avons. Quel temps fait-il, où je suis, le « qui je suis » ne viendra pas tout de suite car Alexandre me dit qu’il ne veut pas m’enfermer d’emblée dans un personnage dans lequel je n’aurais pas, ou plus, de place, d’invention. Laissons donc le temps s’en charger, si personnage il doit y avoir, personnage il y aura..
Le plus important ici est bien de faire parler la petite fille de trois ans et demi assise à côté de moi, car c’est elle et elle seule qui a la possibilité d’aller toucher les autres petits enfants, assis aux côtés de chacun des spectateurs. Alors après avoir dit bonjour à ce lieu, je dis bonjour à la petite fille. Elle a l’air fâché pour l’instant.
La première proposition qu’Alexandre me fait, après avoir lu et relu le monologue d’Isabelle, est d’écrire une lettre à mon père. Je suis une petite fille aux environ de 10 ans, je sors énervée d’une engueulade avec lui et je rentre dans ma chambre en colère. Je tente. J’essaye de réfléchir le moins possible, d’y aller sans me regarder. Comme souvent, je suis partie dans l’excès et me suis fait mal à la gorge. De plus, on ne comprend pas tout ce que je dis. Alexandre me dit de faire attention à la crédibilité que peut avoir l’écriture de la lettre : si j’écris sur du papier froissé, quel sens cela a ? Tout comme si je jette la première page de ma lettre et que je continue sur une autre, ça n’est pas très compréhensible. Puis une dernière chose intéressante : je dois faire attention à ne pas faire peur au petit Alexandre de trois ans et demi. Lorsque je me suis énervée, j’ai tapé mes pieds au sol d’une manière assez violente, forte. Lui, il a eu mal pour moi, il a eu peur, il s’est enfui. Tandis que si j’avais crié un bon coup, ou fait un geste plus significatif comme claquer la porte derrière moi, sauter, il aurait compris que j’étais juste en colère.
Après ces quelques remarques, c’est reparti, mais cette fois (dans l’idée de départ) j’écris ma lettre à Clindor, mon amoureux. J’essaye d’être plus précise avec le papier, je n’écris pas tout de suite, je le déchire après qu’Alex m’ait dit d’imaginer qu’il représentait mon père. Je le mange, l’éparpille, le jette. Je n’ai pas senti l’écriture venir, alors j’ai dessiné les mots, j’ai dessiné ma tendresse à Clindor. Dans la haine pour mon père, le souffle m’est venu, le jeu aussi, je me suis plus amusée, j’ai joué avec ces petits bouts de papiers, avec mon « père » en mille morceaux. Les retours d’Alexandre sur ce passage furent variés : tandis que je trouvais vers la fin un jeu intéressant, je me suis perdue dans la globalité de mon adresse, de mes gestes et de tous ces petits papiers. Ou bien je n’en prends qu’un seul et je lui parle, ou bien je les rassemble tous, ou bien encore j’en fais des marionnettes. Mais je ne peux pas parler à un, puis à un autre, puis encore à un autre…c’est trop confus, on ne me suit pas.
Autrement, Alexandre me dit de faire attention aux liaisons et à la mélodie qu’elles imposent d’elles-mêmes, à la rythmique du texte et de mes gestes. S’il est difficile pour moi de crier sans me faire mal, pourquoi pas imaginer une colère muette, blanche, sans voix qui en sort…plus les minutes passent, plus j’apprends, et plus j’apprends, plus je me remplis..
Dernière proposition d’Alexandre avant qu’on ne mange : je n’écris plus mais je parle à mon doudou le serpent. Il est mon confident et lui parler me permet de me poser dans ma voix, de mieux comprendre ce que je dis, de l’adresser à du concret, et surtout de me laisser traverser par le texte de Corneille, y apporter mes propres images. Et encore je pense que ce n’est que le commencement . J’ai tout de même écrit à Clindor en prenant mon temps cette fois, mais j’ai tellement déconnecté avec la réalité que je ne me souviens plus de ce que j’ai fait exactement dans ce moment là, ni de ce qui a pu en ressortir. Un jeu avec le serpent s’est ensuite fait de lui-même face à la porte de ma chambre, et c’est de par sa bouche que j’ai adressé ma colère au paternel.
Il est 13 heures, nous allons manger. Je suis un peu sonnée, la vie active me paraît loin, seul le présent garde une place. Plus de passé, plus de futur, le temps d’un retour à l’essentiel.
Nous revenons, il est deux heures moins le quart. On fait un autre essai avec le jeune serpent qui m’attend, tel un orphelin abandonné et triste. C’est là que j’apprends qu’il n’a pas de nom, alors je compatis. Mais là je suis perdue. Je le dis, mon ventre est noué, c’est difficile de repartir et de franchir cette porte. Je crois que je pense trop. Ma seule et unique porte de secours fut ma confiance en Alexandre. Je n’aurais pas pu autrement, il me demande de ne pas oublier ma petite fille. Il me donne deux consignes de plus que tout à l’heure : j’ai devant moi mille personnes, mon adresse doit aller plus loin, maintenant que le texte m’a traversé. Et mes postures doivent être plus frontales, plus décidées, plus dessinées. Au milieu de ce travail, il m’interrompt et me demande d’aller ouvrir une fenêtre de ma chambre et de parler à Clindor, qui est dans la prison d’à côté. Je crie, je lui parle, bon.
J’applique les consignes, me dit-il après, mais je reste trop à l’extérieur à défaut de raisonner plus dans mon intérieur. Il est vrai qu’il n’est pas facile pour moi d’adresser au lointain tout en restant en connexion interne. Je me suis moins sentie partir que tout à l’heure.
Après un petit temps de réflexion, de pirouettes dans les pensées et de cacahuètes dans les idées, premier exercice du MASQUE. J’ai choisi de travailler avec Pantalone.
Que dire de tout ça, si ce n’est que cette première approche avec le travail masqué fut remplie de joie, de plaisir, de liberté. Elle m’a permis à aller à des endroits inconnus jusqu’à lors, je n’étais plus moi, quelqu’un d’autre y était rentré, et même s’il restait mon « essence » de vie, mon âme, c’est cet « autre » qui m’a permis de voyager dans des contrées lointaines, dans une forêt maudite, dans le cœur d’une vieille sorcière sans amie et toute pleine de solitude.
De l’intérieur, c’était merveilleux. J’ai fait un très beau voyage. J’ai pu avoir une vision des « traditions » du travail du masque, Alexandre me posait des questions, je devais attendre 3 secondes avant de répondre, et dire merci à chaque fois qu’il rigolait. Je n’ai même pas eu le temps de penser, à partir du moment où Pantalone fut sur mon visage, je me suis envolée dans les nuages d’une autre vie. Etre quelqu’un d’autre libère énormément, et c’est par la voix de cette sorcière sans nom lettré, que j’ai pu revisiter le texte de Corneille. Alexandre m’a demandé de le lire en racontant une histoire à une foule de spectateurs. Ma voix, mes rires, mes gestes, mes sentiments, tout venait de soi-même ! Parfois, je m’arrêtais pour dire à Alexandre combien je trouvais ça triste. La Mélissa, je ne sais ce qu’elle pensait et je m’en fiche, mais cette sorcière, son émotion, je la sentais si fort dans moi… elle n’avait pourtant jamais fait de théâtre de sa vie, mais je crois que c’est une tragédienne née.
Je garderai de ce moment un souvenir très fort de sens et de découverte…le lien avec le reste du monde avait perdu de ses barrières, la liberté d’être…simplement la liberté d’être. Le retour à la réalité après, fut beaucoup moins évident, je me retourne, j’enlève le masque, la sorcière s’envole au loin, et je me retrouve là, seule, je n’ose plus parler car j’ai peur de la voix qui va en sortir. J’avais tissé un lien avec Alexandre qu’il fallait assumer autre dans la réalité aussi, et ce n’est pas en deux minutes que cela peut se faire.
Le plus étrange restera cette sensation d’être quelqu’un d’autre, vraiment quelqu’un d’autre.
Même si je n’ai à aucun moment eu peur de perdre la « vraie Mélissa », je demeurais très loin d’elle, très très loin…et je trouve cela merveilleux. Encore merci. Belle vie. »