Rude journée ! !!
Oui, c’est exactement cela, une rude journée…
Pourquoi ?
Plein de raisons, je suppose.
D’abord, j’ai commencé ce matin avec une heure de retard. J’ai traîné, répondu aux mails, plus fumé, plus bu de cafés, pris plus de temps sous la douche, pris plus de temps pour m’habiller.
Ensuite, il y a ce foutu relâchement. Après un début qui est venu facilement, assez facilement et le sentiment tout à coup que ça y est, ça va s’écrire, c’est sûr ! Du coup, on se couche plus tard, on fait moins attention, on regarde de beaux films… on se disperse !
Aussi, le moment. Dans la pièce, je veux dire ! Un moment charnière et délicat. Quand Kanami, le père de Zeami découvre la musique Kuse (Kusemai) qui va littéralement transformé son théâtre et le faire devenir celui qu’on connaît aujourd’hui. Faut-il montrer ce moment ? Le cacher ? N’est-ce pas une pente vers le folklorique ? Comment rester universel ici aussi et laisser le champ ouvert aux metteurs en scène qui auront envie de raconter cette histoire. Parce qu’il me semble évident, chaque jour un peu plus, que ce que j’ai la chance de rencontrer ici, c’est l’histoire universelle de l’artiste. Celui qui coûte que coûte ne lâche pas ce en quoi il croit et qui finit par imposer sa vision quand quelques minutes avant personne n’aurait pu imaginer cela possible. Je ne parle pas là de vouloir être original ! Etre original n’est pas une préoccupation artistique ! Je parle ici de l’honnêteté ! De l’honnêteté d’un homme qui sait que pour dire ce qu’il a à dire, ce qu’il a, ce qui existe ne suffit pas, ne marche pas. Il voudrait, il essaye, de toute son âme. Mais ce qu’il a en lui le pousse et il ne peut faire autrement que de l’écouter.
Au fil des pages qui naissent sous ma plume, je me rends compte combien ce père, le père de Zeami est un réel et immense artiste. Un homme d’une grande noblesse d’esprit et de coeur. Et qui a la tête de 31 personnes a quand même pris le risque de tout perdre, de se tromper, de subir l’échec. Il n’a pas cherché à étonner, non. Il n’a pas su faire avec ce qu’on lui offrait, c’est très différent !
Il a assumé de nourrir sa troupe d’un bol de millet par jour (on ne donnerait même pas ça à un animal), montrant l’exemple et ne cherchant jamais à jouir du privilège de son poste, il s’est infligé une discipline de fer, a résisté à tous ceux qui voyaient en lui un génie et qui le poussaient à profiter de ce qu’il avait déjà réussi à faire, jusqu’au jour où il a trouvé. Oui, trouvé ! Dans la pire musique d’époque, lui qui faisait du Sarugaku, des spectacles qu’on offrait aux dieux et qui, même s’ils ne payaient guère, étaient respectés, je disais, il a trouvé dans la musique Kuse faite par des parias, des prostituées, ce qu’il cherchait. Lui, le grand Maître Kanze est devenu l’élève de cette prostituée et a appris comme le ferait un enfant tout ce qu’il pouvait apprendre d’elle, la considérant comme son réel maître. Sous les critiques et les rires moqueurs, malgré les colères des membres de sa troupe, malgré les mises en garde de sa femme, malgré lui-même sûrement ! Et pendant des années, il a mis au point ce nouveau Sarugaku, se justifiant face à ces acteurs pour qu’ils acceptent d’essayer ce qu’ils leur proposaient, affrontant leur colère et leurs quolibets. Et au final, il a eu raison de tenir ferme. Il a mis au monde un art nouveau, passant d’oeuvre votive à l’oeuvre théâtrale, alui permettant d’écrire des intrigues, de créer des personnages aux âfres infernaux. Lui qui aurait pu être un maître respecté de Sarugaku et jouir d’une vie tranquille, lui qui a assumé d’être rabaissé par tous ceux qui l’entouraient, lui qui malgré les doutes a su embarquer trente en une personne sans les nourrir convenablement et en finissant par leur offrir un projet qu’ils jugeaient fou et sénile, lui ! Il est devenu le premier Maître de Sarugaku à obtenir du Shôgun d’alors le titre de Compagnon des Arts du Shôgun, le fameux titre « ami » pour devenir le célèbre Kan(Ze)Ami, père du Nô contemporain !
Avec une telle histoire à raconter… comprenez-vous que plus j’avance, plus je me rends compte de ce qu’il a fait, plus la route me semble escarpée et ambitieuse. Je voudrais… je voudrais arriver à ce que les jeunes d’aujourd’hui trouve en cet homme unique la force qu’il leur manque pour faire leur pas, l’exemplarité qu’il leur manque pour devenir adultes. Puissent les Dieux m’entendre et m’aider dans cette tâche titanesque.
J’ai les épaules tant nouées que je pense que cette soirée se finira dans un bain brûlant !
Bonne nuit à tous.
Oups… j’oubliais ! Il y a eu une bonne nouvelle aujourd’hui ! Ce week-end, je rencontre à Paris, Oriza Hirata, célèbre metteur en scène japonais qui travaille beaucoup avec la France pour lui parler du projet Kujoyama. Bonne nouvelle, non ?!