Être père

Se coucher douloureux, se réveiller douloureux. Sûr que ce n’est pas la bonne voix qui parle, mais incapable de la faire taire. Il faudra que, rapidement, je retrouve le rituel du lotus et du flux et reflux de la respiration. Mais l’heure n’est pas encore à ça. L’heure reste au dernier round d’un combat à la vie à la mort pour tenter de faire entendre nos justesses. Le temps va trop vite pour que j’échappe aux différentes étapes.

Hier, j’ai dû dire au revoir à ma fille, au revoir à son père, au revoir à ma femme. Et je le sais d’ores et déjà, toutes ces morts ne pourront pas laisser l’amour entrer dans la maison. Ou alors au prix d’un travail si profond et si terrifiant qu’il faudra à cette femme magnifique faire ce qu’elle s’est toujours refusée de faire : regarder les choses telles qu’elles sont, ne pas juger, ne pas justifier, contempler le désastre et en rire franchement. Prête enfin à relever ses manches pour reconstruire pierre après pierre ce que sa peur a si méticuleusement détruit.

On ne peut construire l’amour en tuant. On ne peut faire la place qu’en soi-même. Elle n’est pas elle-même aujourd’hui. Elle est le fruit de notre union, le fruit de notre foyer. Celui où j’étais le veilleur implacable. C’est de cette femme-là que l’autre homme à cru tomber amoureux. Parce qu’à travers elle, il a vu notre ouvrage. Il a senti la force de l’homme qui porte chaque mot, chaque geste et emmène les siens à ses côtés. Offrant un père adulte et un amant divin à ce havre où la paix, même si elle ne ressemblait pas à ce que communément les gens prennent pour telle, était présente. La paix et la joie. Choses si précieuses qu’elles méritent tous les combats.

Lui avait besoin de ça, puisqu’il quitte sa famille. Il abandonne les siens par le pire chemin qui soit, celui de l’illusion : la passion.

Comment fera-t-elle quand les premiers temps passés, elle sera à nouveau hantée par les filtres de la jalousie. J’y ai eu droit tout au long de notre histoire et je ne l’ai jamais trompée. Plusieurs fois, il est vrai, je suis parti. Mais jamais pour une autre. La seule autre qu’il y ait eue, je l’ai rencontrée deux mois après notre dernière séparation et j’étais prêt à construire une nouvelle histoire avec elle. Et pourtant, sa peur n’a jamais connu de répit. Comment fera-t-elle donc, alors qu’ils sont le fruit de l’illusion, de la tromperie ?!

Je n’ai jamais souhaité être intrusif. Je n’ai jamais rien fait que d’être celui que j’étais vraiment. Avec mes forces et mes faiblesses. Mais toujours honnête. Toujours. Du coup, j’ai pu travailler tout du long à devenir meilleur. Pour elle… pour moi. Pour moi avant tout, vu que ce que j’ai réussi à accomplir à ses côtés, je le garde avec moi. Et aujourd’hui, je peux marcher la tête droite, assumer mes larmes et savoir que ce ne sont que des larmes, être encore plein d’amour pour elle, pour lui, pour ces six enfants à qui on vient d’ôter leur cadre, encore une fois.

Ce qui est dur, c’est de mesurer que si elle veut, elle peut transformer ces années de bonheur en enfer. Ce qu’elle fait déjà. En me tuant dans son âme, elle pense, à tord, lui faire une place. Lui justifier leur acte déshumanisé.

Ce qui est dur, c’est que je sais qu’elle fait fausse route ou plutôt qu’elle a choisi un détour à la végétation inextricable et qu’elle risque de beaucoup souffrir si elle veut continuer à cheminer. J’espère qu’elle en aura la force. De tout mon cœur, je l’espère.

Ce qui est dur, c’est de perdre mon métier d’amant, d’homme et de père pour ça ! Mais je ne lui offrirai pas ma fille en pâture, je ne lui offrirai pas une place dans mon nouveau foyer. Être père, c’est dormir dans la maison de son enfant, lui faire à manger, être là, être celui qui protège le foyer, être l’homme et l’amant qui chemine au côté de la mère et qui fait la place. Être père, c’est aider aux devoirs, écouter, donner du temps, de l’amour. Chercher aux côtés de l’enfant, les solutions les plus douces pour que l’enfant se construise et devienne le plus bel être possible.

Je ne suis plus cela. J’ai demandé à Rose de ne plus m’appeler papa. Ça m’a déchiré les entrailles et j’ai senti la peur tenter de s’engouffrer dans mon ventre. Mais j’ai tenu. « Tu m’appellerais papa quand je ferai le travail de père. Quand tu seras sortie du foyer de ta mère. Alors nous nous retrouverons. Et nous pourrons cheminer côte à côte. Et je pourrais devenir le grand père de tes enfants. Cela personne ne pourra me l’enlever. Ton père aujourd’hui c’est Emilio. Et demain, peut-être, ça en sera encore un autre. Ton père, c’est l’homme qui vit au côté de ta mère. Ou alors, tu pars avec moi, mais cela veut dire que tu es prête à quitter ta première mère. J’ai été le père de Simon et de Jeanne. Pendant toutes ces années. J’ai tant souffert de ne pas avoir cette place. Ne fais pas ça au prochain qui entrera dans la maison de ta mère. Nous nous aimons plus que tout et je serai toujours ton géniteur, celui qui t’a donné la vie. Ça oui. Mais aujourd’hui tu ne peux plus m’appeler papa. C’est un mensonge. N’aies pas peur, personne ne pourra me faire disparaître, que moi. N’aies pas peur, notre histoire d’amour est plus grande que tout. Elle ne souffrira de rien vu qu’elle n’est pas nourrie de mensonges et de peur. N’aies pas peur. Va, va ton chemin. J’ai confiance en toi. De tout mon être. Et si tu as besoin de moi, je suis partout à l’intérieur de toi. J’ai été là presque chaque jour pendant tes onze premières années et je te laisse déjà si forte et si belle. Ne t’inquiète pas pour moi. Je ne m’inquièterai pas pour toi, je te le promets. Va. Va et Vis ! »

Oh oui, je lui ai dit tout cela. Et à chaque mot, j’ai cru m’évanouir, mais je savais, je sais que c’est ma vérité. Je sais que tant que je suis hors de sa demeure, jouer aux parents séparés est la pire chose qui soit. Pour nous tous.

Ouf!!! Quelle journée ;))

Une réflexion sur « Être père »

  1. Bonjour Alex.

    Aujourd'hui le vent souffle fort et je vois avec beaucoup de tristesse que sur ta vie aussi. Une vie à laquelle j'aimais penser de temps en temps. Une vie qui me fait voyager, espérer, réfléchir. J'aimais beaucoup votre couple et je suis triste de voir qu'il n'existera plus.

    Et comme le commentaire de "Chatterley" je ne comprends pas tes discours sur le choix d'un enfant et les adieux que tu t'imposes. Je te revois encore à la maternité fredonner "j'ai connu une Rose… elle m'a appris à vivre…" à un petit bébé tout juste sorti du ventre de sa mère. C'est beau l'attachement d'un père à sa petite fille. C'est beau de vouloir la faire grandir, c'est beau de l'avoir emmené aux spectacles, de la sensibiliser au Monde, à la culture, à l'Humain.

    Je me souviens de toi, de tes élans, tes colères, de ton amour pour le théâtre, ton engouement pour le Nô, tout ce que tu as su nous transmettre, tout ce que tu as pu nous faire rêver. Un bel homme, entier. Et tu es allé plus loin, tu as atteint des sphères que tu n'as pas eu l'occasion de me présenter.

    Et aujourd'hui je ne te comprends pas. Pourquoi t'acharnes-tu à faire sortir Rose de ta vie? Jeanne a-t-elle tant souffert de voir son père une semaine sur deux et de continuer à l'appeler Papa? Rose n'est pas Jeanne, mais puisque tu la cites… Pourquoi veux-tu que Rose grandisse sans toi? Pourquoi la rejettes-tu et lui dis-tu des choses si dure? Qu'il faut qu'elle appelle quelqu'un d'autre Papa? Et plus toi? Que c'est elle qui a décidé? Je trouve ça dure, trop dure pour une enfant, aussi brillante soit-elle. On ne fait pas devenir une petite fille adulte du jour au lendemain sous prétexte qu'on se sépare. Je trouve ça plutôt méchant.

    Celui qui arrive sait très bien que Rose n'est pas sa fille, et il trouvera sa place à côté de toi, pas sur toi. Tu n'es pas mort, Rose est là, c'est une enfant, elle a besoin de t'avoir à ses côtés parce qu'on choisit son père mais pas son beau-père. C'est la richesse des "familles recomposées" : gérer et enrichir le quotidien avec des inconnus mais garder son jardin secret avec son père ou sa mère, ses moments à soi, à son noyau familial d'origine.

    Cela dit ta description du quotidien d'un père est très belle, ce que tu dis est toujours beau, mais j'y lis en filigrane la grande douleur d'une petite fille qui n'a rien demandé à personne et que son père abandonne parce que sa mère ne l'aime plus. Et ta théorie du choix ressemble à une mauvaise excuse.

    Je m'aperçois que je suis à la limite du commentaire, en plein dans le web2.0. Donner son avis sur tout à des gens qui ne le réclament pas… mais tu as tendu la perche dans ta réponse au commentaire de Chatterley et nous nous connaissons un peu. Je me permets donc de réagir. Bises.

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