Il est assez étrange que malgré deux années de cours réguliers (Je vais au Japon une fois par semaine depuis deux ans pour une heure de cours hebdomadaire !) et de recherches intempestives, je n’ai presque jamais parlé de la Nôkan ici.
Pourtant quand on essaye de se pencher sur le sujet, il est quasiment impossible de trouver quelque référence que ce soit et quand elles existent, elles sont souvent approximatives et/ou incomplètes. Il existe, je suis sûr, pour ceux qui lisent et écrivent le japonais, des mines d’informations sur le net. Malheureusement, je ne suis pas de ceux-là.
Bien sûr, il s’agit là d’un instrument qu’on pratique dans l’intimité des temples ou de pièces traditionnelles de quelques tatamis aux portes de papier. Ici, nous entrons dans les codes de l’ancien Japon. Le maître (sensei, celui qui maîtrise et transmet son art) vous reçoit en kimono. Assis en seiza, derrière un petit cube en bois sur lequel il tape la mesure en chantant les lignes des percussions, il fait face aux élèves qui passent l’un après l’autre, dans un silence respectueux. Ceux qui attendent leur tour boivent le thé autour d’une table basse et murmurent entre leurs dents leur shoka, tout en soutenant l’élève qui, face au maître, passe à l’épreuve des rythmes coupés de cris. Comme un combat perdu d’avance. La gorge nouée, on attend son tour. Et quand on sera passé, on restera encore une demie-heure ou une heure pour se remettre de ce face à face.
Ici, il n’y a pas d’horaire. Le cours est de 18h à 21h et on vient. On prend place à côté des autres élèves et on attend patiemment son tour. Souvent, après, comme une récompense, on se retrouve dans un petit restaurant japonais. Le sensei a quitté son habit de maître, déposé son masque et les codes de cet art ancestral pour revêtir le costume de l’homme simple du 21ème siècle qu’il est à la ville. Un homme qui boit, qui rigole et devise avec ses élèves, devenus, une fois le fronton du temple franchi, comme ses amis.
La flûte de Nô, la Nôkan, est l’instrument par lequel on appelle les esprits à descendre sur le butai -plateau du théâtre nô– pour venir prendre possession des danseurs-acteurs. On comprendra, alors, toute l’importance du cérémonial. Nous ne sommes plus simplement des élèves en musique, nous apprenons à côtoyer les dieux, avec leurs règles, leurs humeurs. Il est, par exemple, interdit de porter un collier ou une montre, un quelconque bijou qui pourrait entraver la venue de la musique. La flûte ne se tient pas comme un « vulgaire » instrument. Sa prise en main est régie de multiples codes qu’on répète inlassablement.
Dans cet art, il n’y a pas de livres, de partitions. Le maître, quand il estime que nous maîtrisons un morceau suffisamment, nous écrit le prochain shoka sur du papier à musique japonais, divisé en huit temps de haut en bas, sur huit lignes de droite à gauche. Le shoka est le chant. Les syllabes en katakana ne représentent pas les notes, seulement le chant. Un ヒャ (Hya) pourra être dans une phrase ou une pièce un seki (nom d’un des doigtés – CF tableau) et dans l’autre phrase ou pièce un Jô (autre doigté).
Le maître, alors, à côté de son shoka écrit à l’encre noire, inscrit, d’une encre rouge, les clés secrètes qui permettront à la Nôkan de reprendre ses droits et d’entonner la musique secrète cachée derrière ces katakana.
Mais attention, le shoka donne tout de même les informations rythmiques ! Et puis, en les chantant dans notre tête en même temps que l’on joue, la nôkan sonne d’une autre manière ! C’est en tout cas, ce qu’il nous est dit !
Pour tout cela, on comprendra aisément que sa diffusion reste minime. En même temps, c’est aussi grâce à cela que la Nôkan, ainsi que les autres instruments du théâtre nô, gardent ce caractère inimitable. Ici, l’occident n’est pas entré ! Il est derrière la porte… il rêve, il fantasme. Comme sur les samurai et les shogun qu’un instant, grâce à cette musique, nous retrouvons. Hors de l’espace et du temps. Ailleurs.
NDLR : JE PARLE ICI D’UNE EXPÉRIENCE SINGULIÈRE LIÉE À UN MAÎTRE ET UNE ÉCOLE : ECOLE MORITA. Les deux autres écoles, la plus connue ISSO et la troisième FUJITA ne transmettent peut-être pas de la même façon. Ce que je sais, par exemple, c’est que l’école ISSO a beaucoup de doigtés différents.