Troy Davis… Mais qui a dit que nous étions des humains ?

Cela fait longtemps que j’ai disparu de la surface de la toile. A cela, mille raisons invalides. Et beaucoup de silence. Ce silence qui gagne et transforme les contours. J’ai porté mon regard sur l’horizon sans plus rien reconnaître. Conscient enfin que presque tout ce qui habite mon fantôme ne m’a jamais appartenu. Alors, j’ai fermé les yeux, j’ai quitté la route. J’ai laissé les larmes couler pour tout ceux qui ne peuvent pas. Pour les fourmis. Pour les abeilles et les rats. Pour l’amour, pour la joie. Pour la vie.

Ce soir, si je suis là, revenu, c’est parce qu’à cet instant, à quelques mètres de nous, un homme s’apprête à partir. Vous me direz, à juste titre, qu’à chaque instant certains hommes partent, quand d’autres arrivent ; c’est ainsi, c’est notre lot, notre ronde, notre croix. mais, ce soir,  Il devient l’homme. Pas un, pas lui, mais nous. Nous tous. Nous vivants, nous mourants, nous, humains et même, osons-le dire, le représentant du vivant. Nous ne sommes pas fait pour la multitude. Ca n’a jamais été notre fort ! La multitude est une invention pour nous disloquer de nous-même. Une invention pour nous plonger dans la souffrance qui rend aveugle et sourd.

Ce soir, si je suis là, revenu, c’est que je m’apprête à perdre encore un morceau de moi-même. Un de plus. Un de moins.

A l’instant où je vous écris, il est là, dans cette cellule. Peut-être est-il en train de prendre son dernier repas.  Dans un deux par quatre où il a passé 20 ans à attendre ce moment. Un deux par quatre sans oiseaux, sans arbre, sans pluie, sans lumière, sans personne à aimer, à qui parler. Un deux par quatre où le silence est si bruyant, si venimeux qu’il vous interdit au sommeil. A qui infligeriez-vous cela ? A qui ? Qu’il ait tué ou non n’est même pas le problème. S’il est le meurtrier, nous sommes tous aussi responsables que lui. C’est nous tous qui devrions à ses côtés attendre la sentence. S’il est innocent… s’il est innocent, je n’ose même pas y penser. Tant c’est horrible de pouvoir se dire qu’un innocent dans quelques heures sera exécuté quand moi j’irai poser mes lèvres sur le front de ma fille pour lui souhaiter une bonne nuit. Suis-je assez inhumain pour supporter cela sans rien faire ? Suis-je assez mort pour tolérer que dans mon monde on agisse ainsi ? Avec mon frère. Avec mon père. Mon fils. Et qu’en est-il de ceux qui devront passer à l’acte ? Qu’en est-il de celui qui devra remplir la seringue de poison, puis la glisser dans sa perfusion. De ce pauvre homme qui va devenir meurtrier simplement parce que nous sommes tous trop fous !

Comment se taire alors ?

Je veux te dire petit frère que je serai là ce soir. Dans la nuit, je tiendrai mes yeux éveillés. Et je prierai ! Oui, de toute mon âme, je prierai pour qu’à l’instant de ton départ, tu puisses trouver le réconfort d’une voix, que tu puisses trouver le chemin des cieux. Oui, je panserai ton âme quoi qu’en puissent dire les autres. Quels que soient les rires, quels que soit les mots.

 Nous ne sommes pas plusieurs. Cette année de silence m’a au moins permis de comprendre cela : chaque étincelle de vie sur la terre est la notre. Chaque… et toutes ! Ce n’est pas cela qui est un mensonge, une affabulation, un délire. Non, ce n’est pas cela. C’est le reste !

Il y a quelques jours, un frelon est venu mourir dans ma maison. J’ai fait le choix, il y a un peu plus d’un an, de ne plus jamais tuer aucun être vivant. J’ai donc été obligé de suivre les vols inquiétants de cette créature en essaynt d’éviter de me trouver sur sa route. Et en m’obligeant à lui laisser la vie, j’ai compris quelque chose. Ce frelon, bête venimeuse et impressionnante, terrifiante même, était, finalement, comme chacun d’entre nous. Face à l’imminence de sa mort, elle était terrorisée. Elle, comme ces vieilles gens que l’on croise dans les mouroirs où, comble de la civilité, nous les abandonnons à leur terreur, avait peur de la mort. Qui y-t-il derrière ? Que vais-je devenir ? C’est pour cela qu’elle volait à faire peur, en tout sens, risquant de me piquer. Elle s’accrochait. De toutes ses forces, elle s’accrochait. J’en ai pleuré. Et j’ai eu beau essayé de lui parler, de lui dire que j’étais là, que tout irait bien, elle, elle ne pouvait pas m’entendre.

Lui aussi est tout seul, dans ce couloir interminable où, ce soir, il va faire ses derniers pas. Lui aussi ne peut pas nous entendre. Ca se mérite ça ? Vous en avez vous des mots pour justifier cela ?

Moi non.

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