Shimai, Utai… et le reste ?

Bassin aux poissons du « Café » du soir, faute d’images du Shikibutai de Maître Michishige Udaka

Oui, le reste…

Les jours passants, la mémoire joue des tours. Et cet exercice – vous écrire tous les jours – aide à imprimer les événements plus profondément. Encore faut-il s’y tenir… Ma difficulté à trouver le temps de faire le compte-rendu journalier fait que les détails s’estompent et qu’il me faut plus de temps pour refaire surgir les images. Donc, le reste… Ah si ! Ca me revient ! Attachez vos ceintures… destination Japon, Kyôto, 29 Juillet 2009. 09h30, heure locale.

Ce matin, je décide de prendre un temps pour rattraper le retard pris dans la rédaction du journal de bord depuis l’arrivée d’Elise. Bien sûr, je travaille, aussi. Flûte, chant et danse sont au programme. Elise est là, bouquine, profite de ce moment de pause. Je voudrais passer à l’Institut Franco-Japonais pour en savoir un peu plus sur les démarches à entreprendre pour rester, mais finalement le temps court trop vite et comme nous ne sommes pas sortis ce matin, j’ai proposé à Elise d’aller au cours en vélo – donc de prendre le temps d’aller au shikibutai tranquillement.

C’est une longue balade d’une heure où, pour le coup, nous quittons l’axe est-ouest pour le nord-sud – le shikibutai étant tout au nord, aux pieds des hautes collines qui encerclent Kyôto. En plus, le trajet longe la rivière Kamo, enfin le bras le plus à l’est – porte-t-il un autre nom ? Nous pédalons, pédalons, pédalons. Et comme la dernière fois, les voitures ne sont pas très sympathiques avec nous. Du coup, nous prenons un maximum les trottoirs. De toute façon, nous sommes partis bien en avance et pouvons pédaler tranquillement, nous arrêter pour regarder un héron où une cascade à l’envie.

Nous arrivons au shikibutai avec une bonne heure d’avance. Du coup, nous nous installons, en face, sur le petit banc et sirotons un rafraîchissement en fumant une cigarette à l’ombre du grand arbre. Le maître arrive dans sa grosse voiture vers 15h30. Il nous voit, nous salue, puis entre dans le shikibutai. Devons-nous le suivre ? Je presse Elise, je me dit qu’il doit préférer qu’on vienne tout de suite, que ça doit se faire comme ça…

Nous entrons. Déposons nos chaussures, faisons glisser la porte coulissante : “Yoroshiku Oneigai Shimas”, front au sol – c’est ce qu’on doit dire et faire quand on salue un maître. Lui est dans la cuisine, sur le côté droit du Shikibutai. Il sort la tête. Il a de la mousse à raser jusqu’en haut du nez. Il semble de bonne humeur. Rebecca et la fille allemande sont déjà là et rigolent. C’est vrai qu’avec sa mousse à raser, on dirait un clown. Il finit de se raser, sort de la cuisine, vient vers Elise et lui tend la main. Il aime saluer à l’occidentale, je crois… Puis il se change – il rajoute sur son kimono long un hakama. Pendant qu’il fait ça, il nous demande ce que pensent les français de l’Enfer. Je lui explique que peu y croient. Ils n’en revient pas : “ Mais où vont-ils alors, après, quand ils sont morts ?” “Nulle part…” Il nous parle de l’enfer des guerriers : l’Ashura et revient sur Atsumori, nous dit qu’il pense que son esprit est toujours là-bas et que nous devrons travailler dur encore si nous voulons qu’un jour il quitte cet enfer pour rejoindre les âmes venues et à venir.

Il semble fatigué. Son rhume, déja bien présent hier, s’est amplifié. Il appelle Rebecca. Aujourd’hui, c’est elle qui travaille en premier. Elle vient le rejoindre sur le shikibutai et pendant qu’elle s’installe, le maître pioche un des masques qu’il est en train de sculpter et le met dans les mains d’Elise, puis repart, sans un mot, se mettre en place. C’est un cours de Kotsuzumi – tambour d’épaule… le maître comme tous maître de Nô connaît tous les arts du Nô, même si sa place est celle du Shite. Le cours dure un bon moment. Le maître chante et frappe de son éventail les temps du Teiko et du Otsuzumi – tambour posé au sol et tambour de hanche. De temps en temps, il s’arrête, reprend Rebecca, puis repart. Il n’y a jamais de longues explications. On fait, on refait, on rerefait. On regarde, on écoute, on observe. C’est ça, la technique d’apprentissage.

Puis, c’est mon tour. Comme la veille, nous faisons les exercices de chant, puis chantons… mais sans le maître. Il y a la fille allemande, un autre élève allemand qui débute et moi. Le maître nous laisse faire deux ou trois fois seuls, puis vient et chante avec nous. Quand chacun à chanter le rôle du Shite seul, nous passons au Shimai.

Le maître décompose la fin du Shimai, puis demande à Rebecca et à la jeune fille allemande de le remplacer. Nous travaillons comme les ombres de ces deux shite qui connaissent cette danse parfaitement. Nous déroulons la danse une bonne dizaine de fois. Profitant d’être sans le maître pour repasser juste des endroits, une fois, deux fois, trois fois… jusqu’à ce que ça rentre ! Puis nous dansons la danse complète avec le chant. Du début à la fin. Un bon nombre de fois. Quand c’est l’étudiant allemand qui danse, je rejoins la jeune allemande au choeur et inversement. Il est sept heures – le maître s’est absenté, il est allé chez le médecin – nous avons dansé deux heures et j’ai le sentiment d’avoir bien avancé. Nous prenons le chemin du retour toujours sur nos montures que nous laissons nous perdre – Kyôto étant une ville construite autour de rues agencées en parallèles et perpendiculaires, se perdre n’est jamais très périlleux – au gré des rues que nous croisons. Du coup, nous rencontrons un temple à la nuit tombée dans un parc et quelques autres merveilles et dépaysageries.

Le « Café », autre vue… au milieu toujours les poissons

Il est 20h00, nous arrivons à peine. Ce soir, nous irons manger dans ce café que j’ai découvert en revenant de la maison imaginaire de Zeami l’autre soir. Et nous avons bien fait ! Le cadre était vraiment charmant, nos hôtesses – une femme et sa vieille mère – adorables et le repas – accompagné de café… et oui, c’est un café – à la hauteur. En plus, il y a ce magnifique bassin au centre du café avec tous ces poissons qui s’ébattent, nous accompagnant dans notre repas de jolis bruits d’eau. C’est Rose qui se plairait ici…

« C’est Rose qui se plairait ici… »

C’est drôle le nombre de restaurants comme celui-ci. Il semble n’y avoir jamais personne et pourtant il est onze heures et la boutique est encore ouverte. Avec dans la soirée quatre clients : deux filles venues manger une glace et boire un café et nous qui avons mangé. Je me demande comment ils survivent… là quelque chose m’échappe. Mais les deux femmes n’ont pas l’air inquiet et commencent tranquillement à faire leur ménage pour nous faire comprendre qu’il est l’heure de quitter la place.

Interneto et dodo.

P.S. Désolé pour l’absence d’images, mais au Shikibutai, il n’est pas bon ton de faire des photos à tout bout de champs surtout quand on est dessus.

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