Collection de masques de Erhard Stiefel au Théâtre Garonne à Toulouse


Si vous avez raté l’expo, il y a ce petit film montré aux infos sur France 3. C’est très succin, mais ça permet de voir quelques masques magnifiques.

« Spécialiste du théâtre japonais, Erhard Stiefel est surtout un facteur de masques renommé, qu’il collectionne par ailleurs depuis des années. Pour la première fois, il s’est laissé convaincre de présenter cette fantastique collection.

« Ma collection de masques s’est faite toute naturellement, par nécessité pour comprendre et pour me guider dans mes recherches sur le masque de théâtre. Pendant des années, ces témoignages souvent abîmés et abandonnés ont nourri quotidiennement mes créations. Avec une exposition, je voudrais montrer l’essentiel de l’art du masque de théâtre, et montrer certains liens entre les différentes cultures et systèmes de masque. Je me suis aperçu que le masque en général, surtout en occident, est très méconnu et qu’une grande confusion s’installe de plus en plus à son sujet. Alors, je me suis laissé persuader d’exposer ma collection, pour que l’art du masque de théâtre vive. »

Erhard Stiefel »

Découvrez Erhard Stiefel fait tomber les Masques au Théâtre Garonne sur Culturebox !

Nozomi ending…

11h22.
Dans le train qui me ramènera à Tôkyô et à Narita, après un arrêt important à Shinagawa.
De Narita, l’avion, de l’avion le ciel, du ciel Paris Charles de Gaule, de l’Aéroport Charles de Gaule Aix-en-Provence TGV… et voilà la boucle sera bouclée.

Je dis communément “trois mois”, mais en fait il s’agit de deux mois et demi, soit 76 jours pour être exact. 76 jours : 3 shimai – danses du nô – appris, 3 utai – chants du nô, 2 morceaux de nôkan – flûte de nô, 2 komai – chants et danses du kyôgen, 18 nô vus dont 1 sans masque, 6 maibarashi – shimai, mais avec instruments et comprenant en général deux danses chantées et dansées + un passage de texte entre les deux, 18 shimai, 11 kyôgen, ai mangé quelques 148 sushis, bu 33 thés de cérémonie, passé 92 heures en seiza et 160 en semi-lotus, vu 58 temples, parcouru 540 kilomètres en vélo dans les rues de Kyôto, pris le train 17 fois pour parcourir quelques 7365 kilomètres sur le sol japonais, ai médité 25 heures, ai prié devant un autel shinto 96 fois, montant le nombre de mes frappes de main à 192, rencontré 6 personnes capitales pour la suite des événements et l’invisible 39 fois, subi l’intrusion d’un esprit 1 fois et tellement d’autres choses…

Qu’est ce que cela a changé ?

Je ne le sais pas, c’est beaucoup plus difficile à mesurer…

Le temps a changé, l’importance de ma réussite aussi, la valeur de tout ce qui passe sur cette terre, l’émotion que peut susciter la beauté, l’amour.

Est-ce que ça tiendra au retour en France ?

Je ne le sais pas, ce n’est pas encore, pas maintenant.

Maintenant défile le paysage de Kyôto à Tôkyô, plein d’arbres magnifiques, d’oiseaux dont nous ne savons même plus le nom. Maintenant, j’essaye de rester droit et de respirer. J’ai encore ce rendez-vous avec Mr Watanabe Moriaki.

Je pense à cette petite puce qui m’attend à l’autre bout du monde et qui a su faire sans moi pendant 76 jours qui s’ajoutent à tous les jours d’absence que j’ai eu avec elle, une femme que j’aime et à qui je n’ai jamais vraiment su le dire, le vivre, tant je suis encombré de ces vies passées, celles de mes parents, celles de nos ancêtres qui cohabitent à l’intérieur et attendent que nous réussissions à résoudre ce qu’ils n’ont su qu’entrevoir. J’ai la vie devant moi et le silence un peu mieux installé. Rendant mon coeur plus perméable à la rencontre, à la joie d’être là, aujourd’hui et de pouvoir vous parler comme je le fais.

05h00.
Dans un hall de gare où j’ai beau chercher, je ne vois aucun idéogramme. Ici tout est en romaji ! Je suis sur le sol français depuis une petite heure. Avec encore quelques autres devant moi pour atterrir. Ce qui est frappant ici, c’est le silence. Pas de clignotements multicolores et sonores qui surgissent de tous côtés, non. Même les gens ne parlent pas… Je regarde les panneaux d’affichage. Tous ces avions qui arrivent des quatre coins du monde. Qui sont-ils ceux qui sont dedans ? Ont-ils vécu des expériences bouleversantes ? Ramènent-ils de nouvelles idées, de nouveaux rêves, un peu de tolérance ? Dire que chaque jour des avions sillonnent le ciel du monde comme si cela était normal, simple, évident. Pour moi, cela semble presque plus surnaturel que de croiser un aigle tous les jours au centre d’une ville surchargée de sons et de pollution !

Je n’ai finalement que très peu écrit pendant ce mois de retraite. Mais, dès l’instant où je suis descendu de l’avion, j’ai senti avec une force décuplée la présence de tous ces êtres que j’ai poursuivi là-bas. Nous aurons notre monde caché derrière mon paravent de chair, fait de toutes les images que j’ai volé là-bas et de celles qui me viennent de plus loin. Et nous pourrons nous retrouver au bord de la Kamo, à regarder les hérons pêcher dans les herbes hautes pendant que j’écrirai… oui, moi j’écrirai.

Un mois après… 6 jours avant mon retour ! En route pour voir Sambaso

Mon compagnon, l’aigle… croisé à peu près tous les jours, à peu près partout -Sur cette photo : ciel au croisement du la rivière Kamo et d’Imadegawa.

Coucou…

Il se trouve que j’ai mon ordinateur avec moi et que j’ai une bonne demie heure devant moi. En route pour Osaka par le “limited express” qui part de Demachi au coeur de Kyôto et va jusqu’à Yodoyabashi. Une ligne découverte récemment et qui permet de faire des économies certaines pour aller vers Osaka surtout quand on a plus le raillpass. Là-bas, je vais retrouver une dernière fois Tadashi Ochigawara de l’école de Kyôgen Izumi pour deux représentations successives de Nô et de Kyôgen. L’une à 13 h – souvent celles où l’on croise les grands amateurs de nô, où Tadashi jouera Soraude – et l’autre à 21 h – avec un programme plus accessible, orienté vers ceux qui souhaitent découvrir le théâtre Nô, où le Kyôgen, toujours joué par Tadashi, ne sera autre que Sambaso, le pendant de l’incroyable nô Okina, plus vieux nô joué à ce jour et qui existait déjà bien avant les quatre familles du Yamato, c’est-à-dire bien avant Kanami et son fils Zeami.

Plafond de sang, temple Hônen à Ohara – Ce plafond était un plancher où des samuraï ont été retrouvés longtemps après leur mort. Le plancher a gardé l’empreinte de leurs derniers instants : ici, un visage.

Je sais que certains attendent de retrouver les aventures journalières, mais il me faudrait bien plus qu’une demie heure pour vous raconter tout ce qu’il s’est passé pendant ce mois. Ce que je peux dire, c’est qu’après une fin de mois d’août difficile où devenir Kyôtoïte a taillé mes rêves aux angles de sa réalité ; une fois ce passage un peu douloureux, le mois de septembre aura été vraiment extraordinaire. Rencontres, travail, cette ville, vivre ici. De quoi redonner un peu de souplesse à un coeur sclérosé par la sauvagerie dont nous avons, de notre côté du monde, à subir les assauts tous les jours. Je n’ai pas changé, ce n’est pas ça ! C’est le monde qui a changé. Prenant des formes, des couleurs, des saveurs abandonnées dans les zones sombres de mon enfance et qui, ici, ont retrouvé le chemin du grand jour, du grand air. Le temps ici est tellement différent, tellement incompatible avec ce que nous en avons fait ! Mais l’on n’est qu’un voyageur, alors on s’y plie, on se contraint à accepter de réfréner les pas, les mots, les gestes jusqu’à entrer dans cette temporalité en suspens comme on le fait pendant le temps du Nô et au moment où la patience arrive à son terme, au moment où on va lâcher ce cri de rage, libérant l’énergie, juste avant, on aperçoit tout à coup la splendeur d’un bourgeon, l’incroyable beauté des hommes jusqu’à mi cuisse dans les rizières, l’air qui coule frais dans les poumons et même le goût des aliments éclatants par la simplicité de leur préparation et le silence et le calme se fait, comme si on n’avait fait que secrètement attendre ce moment-là. C’est comme un bain de jouvence, une cure d’amour et de foi. Des retrouvailles avec la terre, l’eau, le feu, le bois, les pierres et ces langages qu’on usait enfants quand on s’adressait à eux, naturellement.

Tomatsuya, plus célèbre fabriquant de Ôgi (éventails de nô) en fonction depuis le 17e siècle, à Kyôto

Il me faudra du temps pour apprendre à en parler, tant j’ai la sensation d’être revenu avant les mots et qu’il me semble que ces derniers pourraient en nommant détruire l’essence de ce qui naît là. Mais cela viendra… peut-être. 😉

« Les Cerisiers en fleurs » – un des nombreux panneaux de la demeure de l’Empereur à Kyôto

P.S. Sur le chemin du retour et encore quelques instants avant d’arriver a Demachi… Je sors des deux derniers moments de nô de mon séjour (suivra bientôt le compte complet avec les noms des pièces, les lieux, etc… enfin, j’espère avoir le courage de faire ça) et comme souvent, c’est le dernier des derniers – de cette fois-çi – qui aura été le plus éclairant !!! “Sambaso” et encore ! même pas toute la pièce, juste la première partie – c’est l’inconvénient de ce type de programme, qui, pour ceux qui ont peur des longueurs, est parfois salvateur et ré-ouvre une porte fermée, parfois un peu vite… vingt minutes maximum par performance, soit : danses de dragons, danses de lions, combats d’esprits et kyôgen très courts.

Tadashi Ogasawara dans Taraude. Un très grand acteur de Kyôgen, vraiment.

Je savais que cet événement, même s’il n’était que la moitié de ce qu’il devait être et le quart de ce qu’il est en vrai de vrai quand il est joué dans “Okina”, était un moment à ne vraiment pas manquer ! Okina est l’ancêtre du nô et par son caractère absolument sacré n’a, je pense, pas trop été remanié avec le temps. En tout cas, s’il l’a été, il l’a été avec finesse et respect, tant le passage dans le temps, ouvert par l’extrait de la danse de Sambaso, est évident. Ce n’est plus ni Zeami, ni son père, ni l’élaboration dramatique, mais le fondement du théâtre : un cri d’effroi, un cri de joie : une pulsation de vie ! Et l’on ressent, à cet instant, l’omniprésence de la mort, cette déesse si gourmande et, parfois, si cruelle comme ils devaient la vivre alors. Et l’on vibre au son du chant, de la flûte, du Otsuzumi et du Kotsuzumi, d’un courant électrique qui redresse les yeux et le coeur et vous donne envie de courir embrasser chaque arbre, chaque enfant, chaque fleur, chaque souffle du vent, chaque grain de riz offert, tant, d’un coup, vous apparaît la beauté éphémère de la vie et l’incroyable accident dont notre monde est le fruit. Mais les mots ne sont que des mots et sont incapables de retranscrire ce qu’ici, ils nous donnent sans rien d’autre que le cri, la musique et la danse. Et plus que jamais, je comprends pourquoi je suis là et pourquoi je marche sur ces terrains glissants, dans l’ombre, malgré les avis. Vive l’aventure !

Udaka Sensei dans Omu Komachi – Un nô très spécial qu’un shite ne peut jouer qu’après soixante ans, empreint de yûgen – deux heures pour ce nô lent, très très lent. Une pièce très belle sur Komachi une grande poétesse.

Reprendre… entre Tôkyô et Kyôto

Maître Tadashi Ogasamawa de la famille Izutsu, un immense maître avec un coeur à la hauteur de l’acteur. Disciple de Manzo le 8eme. Il était avec Manzo la première fois que j’ai rencontré le Nô et le Kyôgen, en 1994 au Théâtre du Soleil. Hasard ou destin ?

Dans le train pour Gifu, je me décide enfin à ressortir l’ordinateur pour tenter de retrouver le chemin de notre terre du milieu, là où je peux venir vous trouver quand le temps est trop vaste, là où je tente parfois de m’assurer que je ne me suis pas perdu pour toujours dans un rêve éveillé sans retour.

Mr Tomita Fumihiko, un ami… rencontré au restaurant de notre chère Chako (cf avril 2008). Ce soir là, il m’offrira deux masques de Nô fait par son père, homme de 80 ans qui a passé sa retraite a sculpté des masques de Nô.

Tôkyô aura été un moment très dense, intense, une réelle plongée en apnée dans le monde du Nô et du Kyôgen – à fréquenter la scène de Nô tous les jours sous l’égide de maîtres venus d’un autre temps et qui, s’ils connaissent les “gaiji” – les étrangers – ne peuvent pas pour autant se permettre trop de digressions. Le stage s’est fini par une présentation des différents travaux, sur scène, devant une audience composée d’amis rencontrés en cours de route, d’officiels travaillant avec l’ITI – International Theater Institute, Organisation de l’Unesco – et des maîtres de l’École Izumi – une des deux écoles de Kyôgen. Passer dix jours en seiza entre 5 et 6 heures par jour, travailler les komai – danses du Kyôgen -, l’utai – le chant – les champignons – personnages se déplaçant le plus vite possible en position accroupie qu’on trouve dans un kyôgen : (nom à rechercher, c’est promis), l’histoire d’un homme qui vient demander l’aide d’un Yamabushi (moine guerrier des montagnes qui avaient des connaissances magiques) pour libérer son jardin de champignons indésirables venus s’y installer. Evidemment, plus le Yamabushi fait d’incantations, plus le nombre de champignons augmente jusqu’au moment où le chef des champignons, un démon furieux, entre sur scène pour dévorer le Yamabushi- aura été poignant, harassant, ahurissant… et c’est comme si je me réveillais d’un long rêve doucement, au fil des heures qui filent depuis mon départ de Tôkyô à 12h30 aujourd’hui par les lignes locales – soit 10 heures de voyage en tout pour rejoindre Kyôto par de petits trains locaux en tous points semblables aux métros, donc au confort… plus précaire.

Détail du Pin du Butai des Umewaka à Tôkyô

Je retrouve la solitude, comme un costume qui m’aurait manqué et qui sied si bien à une aventure comme celle là. Parce qu’elle permet à l’étrangeté de se déformer jusqu’à devenir complètement surnaturelle et emmène loin sur les terres de nos vérités intérieures mises à la rude épreuve de savoir comment elles pourront soutenir ce si particulier climat.

Les maîtres préparent Elise pour la représentation. C’est que c’est quelque chose l’habillage ici, un vrai art à part entière.

C’est un grand privilège de se permettre le luxe de ne rien comprendre, de ne pas pouvoir lire et de, malgré tout, avancer toujours plus loin dans l’inconnu, faisant appel à d’autres repères, à d’autres lois. Comme le silence, qui permet au flot de parole, au flux du sang de prendre un autre rythme, étiré, ouvrant grandes les portes d’un monde parallèle où les clés ne peuvent être partagées.

Fête de fin de Stage. A côté d’Elisabeth, Vincent Guenneau, ami français vivant dans les sphères du nô au Japon depuis 11 ans.

Il me faudra revenir sur l’avant, l’avant maintenant, l’avant Tôkyô, entre le retour de l’Île Sado et le départ de Kyôto. J’ai quelques instants que je voudrais inscrire ici : la visite du Temple Daigo Ji au sommet d’une des hautes collines qui surplombent Kyôto, la rencontre avec Atsumori, la baie de Suma et la montagne de Shironoyama… Il me faudra prendre le temps de les ramener ici.

Le Daigo Ji, tout en haut d’une haute colline. Ici vivent encore des moines, ici Kanami, Zeami et son fils Motomasa ont eu la responsabilité des festivités pendant leurs grandes années.

En même temps, le mois que je m’apprête à vivre ici, je le voudrais silencieux, complètement. D’abord, parce que j’ai une pièce de théâtre à écrire, d’autre part, parce que j’ai fait de vous des compagnons trop envahissants, trop rassurants.

Le Moine Rensei, devant la tombe d’Atsumori. Baie de Suma

Je veux rencontrer ce qu’il y a là-bas et que j’entr’aperçois quand la nuit se fait et que les hommes se taisent ou, en tout cas, quand le mien se tait. Complètement. Laisser la distance, le silence, la solitude avaler mes repères, hors de vos soins, de nos mots, au pays où le manque devient une larme d’acide qui ronge goûte à goûte toutes les graisses accumulées autour des yeux du coeur.

Le lieu où est mort Atsumori au pied de la montagne de Shironoyama – Baie de Suma

Je veux devenir aveugle pour y voir, sourd pour entendre, muet pour écouter. Ne plus dire, ne plus parler, ne pas tenter d’inscrire quoi que ce soit, mais juste être le petit être que je suis au fond. Là, simplement là, pauvrement là et rien d’autre.

P.S. Mais je serai vite de retour ;-)… euh….

Arrivé à Kyôto, il est 22h30. Je suis heureux de me retrouver ici comme si j’étais rentré chez moi. Très agréable sensation après ces dix jours intenses à Tôkyô. La Takaya Guest House y est pour quelque chose, je pense.

Elisabeth et Chako dans son restaurant. Le restaurant le plus Wabi Sabi que je connaisse au Japon. A voir absolument. Tôkyô

A très vite !

Tôkyô, Tremblement de terre, typhon et Kyôgen… si, si, tout va bien !

Un typhon est passé cette nuit sur l’Asie, un tremblement de terre d’amplitude 6 a eu lieu à Tôkyô qui nous a réveillé au milieu de la nuit et pourtant tout va bien, mais… vraiment bien !

Je viens de finir l’épisode Sado Island et je vois bien que je n’arriverai pas à rattraper les 11 jours de retard… en tout cas, pas maintenant. La connexion ici est très mauvaise, envoyer des photos devient un exploit et trouver le temps d’écrire aussi.

Nous faisons 7 heures de Kyôgen par jour et je peux vous assurer que c’est ce qu’on appelle chez nous : un training quelque peu physique ! On ressort de là, lessivés.

De plus, il nous faut apprendre les textes, revoir les danses, ce qui s’ajoute à mes devoirs de vacance de flûte, de Shimai et d’Utai que je dois continuer à voir, parallèlement.

En même temps, après notre retour à Kyôto, les événements ont été plus maîtrisés. Cours de Shimai, cours de Utai, cours de Fue. Beaucoup d’heures à la maison à travailler et quelques visites que je prendrais le temps de vous raconter. Surtout celle du Daigo Ji pour mon anniversaire où nous avons fait une ascension de deux heures et demi pour arriver sur une autre planête, au calme, si proches du ciel !

A très vite !

Alexandre

Tremblement de terre… tout va bien !

Pour ceux qui en France auraient eu l’info, nous avons eu droit hier au soir à un joli tremblement de sol…. 4 sur l’échelle de Richter. Nous l’avons bien senti… comme si un gros métro passait sous la maison et avant et après des vagues dans le sol que jusqu’au moment crucial, nous avions mis sur le dos de la fatigue et du voyage.

Nous sommes sortis de la maison, avons attendu que ça passe. Et ça passe ! Les japonais ont continué leur train de vie comme si de rien n’était.

Voilà, c’était juste pour vous dire que nous ne sommes pas faits avalés par une grande crevasse, ni n’avons pris sur la tête notre chétive maison de bois.

Ce matin, nous allons nous inscrire au stage de Kyôgen. Je reviens vers vous au plus vite.

Absence prolongée jusqu’au 9

Bonsoir à tous – et oui, ici il est 22h09.
Je n’ai pas le temps de continuer et je pense que d’ici Tôkyô, c’est à dire le 9 août, les choses en resteront là. Ce n’est pas sûr, mais le programme est assez chargé. Visites, cours, courses…

Je vous laisse et vous dit à lundi sans faute avec plein de nouvelles nouvelles.

A vite

Île Sado, Musée et retour…

Un nouveau dragon, gardien du Musée de Sado

Il est 10 heures quand nous décollons. L’hôtel organise trois départ vers la gare chaque matin, ce qui nous permet de déposer nos valises à la consigne de la gare du Ferry et de profiter du peu de temps qu’il nous reste, légers ! Nous reprenons le bus n 1, le même qui m’a emmené au Shoboji hier, mais ne descendons qu’à Sawata Beach. Pendant le trajet, je montre à Elise, tout ce que j’ai découvert hier. Je suis comme un enfant racontant son séjour en colonie de vacances. Elise se prête au jeu, accueille mon enthousiasme un peu tonitruant. A Sawata Beach, au terminus – un carrefour entre deux petites routes de campagne – nous changeons de bus et arrivons au musée vers 11h30. Notre temps est compté, le bateau part à 15h30 et nous ne pouvons pas nous permettre de le rater, mon railpass finissant ce soir, à minuit.

Le vénérable moine Nichiren Daishonin, exilé lui aussi sur l’Île Sado, déjouant ses assassins par les prières.

Le musée est assez décevant. Il s’agit d’un musée avec des automates. On y voit effectivement Zeami et l’épisode de la danse de la pluie ; effectivement, un texte de lui est reproduit au mur. Etait-ce de ça que le pêcheur voulait parler ? Qu’importe, il doit y avoir d’autres salles après cette mise en bouche animée… mais non ! Le musée, c’est ça. Pas de vestiges, pas de peintures, pas de textes, pas d’objets usuels, pas d’armures. Juste une histoire animée de l’île, enfin, de certains événements ayant eu lieu dans l’île. Par contre, la réalisation des scènes est somptueuse. Surtout les extraits de légendes, écrites par je ne sais plus quel auteur, habitant l’île. Je sors de là un peu déçu. De toute façon, nous n’aurons pas le temps de voir autre chose. Ce n’est pas grave, cela veut dire qu’il me faudra revenir.

Un aigle qui nous a suivi tout le long du retour. Je vous rappelle que ce n’est pas une mouette et qu’il ne se pose pas sur l’eau. Impressionnant voyage !

Mais pour l’heure, nous rentrons ! Nous découvrons un bus qui fait le retour directement en passant de l’autre côté de l’île – au moins nous aurons vu de paysage ! Et nous voilà dans notre Ferry qui nous ramène à Nîgata. Je regarde l’île disparaître à l’horizon, accompagné d’un aigle et de mouettes qui suivent le bateau en quête de nourriture. Le ferry arrive à 17h30, le train part à 18h15 pour Tôkyô. Tous les timing du jour sont extrêmement serrés !

L’île Sado, sur la gauche l’endroit où a du débarquer Zeami… adieu « Île d’Or »

A la descente du ferry, nous nous trompons de sortie et ratons le bus. Flûte ! Le prochain est dans un heure… “Hep ! Taxi”. Et nous voilà en gare de Nîgata. Il est 18h00, il nous reste 13 minutes.Juste de quoi aller faire un tour à l’agence JR pour voir si on peut récupérer des places réservées. Mais le train que je lui montre n’est pas sur son ordinateur. Il cherche, cherche. Moi je sors ma grille de trains et lui montre. “But that is one who work only on sundays. Look” Non ! Je n’avais pas fait attention et nous voilà coincé ici. Pas de départ avant demain ! Si… en cherchant bien, il nous dégote un vieux train de nuit. Départ 22h55, arrivée 06h50 en gare de Kyôto. “With beds ?” “No, sorry.” . Bon… c’est ça où payer quelques 25 000 yens pour rentrer. “Ok, we take this one” Du coup, nous avons du temps devant nous… beaucoup de temps. Nous tournons en rond dans un sens, puis dans l’autre. Faisons du lèche-vitrine, mangeons quelques sushi, buvons quelques cafés. Tournons, retournons. 21h… 21h10… 21h15… 21H30…………

Attente à Nîgata. Gare des bus, un des endroits près de la gare où l’on peut trouver des bancs dehors.

22h35 ! Nous montons dans le train qui est déjà à quai. Les compartiments couchettes ont l’air vraiment confortables. Mais c’est 6000 yens la couchette, soit 12000 pour les deux. Je le propose à Elise qui, raisonnable, essaye de se faire un petit lit sur les banquettes sous une climatisation digne d’une patinoire olympique et qui, faisant sa meilleure mine, me dit : “Ce n’est pas la peine, ça ira”. Ouais, ça ira ! Si nous avons réussi à dormir une heure par intermittence durant cette nuit, c’est un grand maximum. Arrêt du train toutes les demies heures, climatisation impossible à faire baisser – malgré mes appuis multiples et variés sur les boutons écrits en japonais dans le couloir, après que le contrôleur nous ait dit qu’il ne pouvait pas la baisser.

Il est 06h50. Evidemment, c’est le moment où nous dormions le mieux. Nous débarquons, tel deux zombis sur le quai de la Kyôto Station, en essayant de ne pas oublier de bagages à bord – ce qui ne manque jamais de m’arriver quand la fatigue me submerge. Nous attendons le métro un moment, filons à la Takaya, puis nous effondrons dans le lit après une douche bien méritée. Content de retrouver notre four après le supplice du frigo. Nous sommes le 2 août depuis quelques heures, mais cette journée ne commencera qu’à 11h30 quand nous nous réveillerons de notre sieste matinale bien méritée.

Île Sado, temple Wakamiya, cérémonie Shinto : ZEAMI (2eme Partie)

Il est 18h30 quand je quitte Shoboji, avec la sensation d’avoir encore un long chemin à faire avant de réussir à réunir les pièces du puzzle complexe qui me permettront de mieux discerner ce grand génie trop méconnu. Entre parenthèses, je suis assez surpris de constater que sur le sol japonais, si Zeami est relativement connu, les endroits où il est passé, où il a séjourné, les objets, les écrits de sa main, bref tout ce qui touche à sa personne, ne semble pas mériter un intérêt plus particulier que cela. Peut-être parce que pas assez touristique, je ne sais pas. En même temps, ça donne à cette aventure un côté plus authentique et qui demande à chaque fois de payer de nombres d’efforts pour arriver à avoir quelques indices, quelques traces, quelques mots. C’est assez excitant.

Paysage désert devant le temple Shoboji, des rizières à perte de vue – Île Sado

La nuit tombe, j’attends le bus de 18h43 dans un abri au bord de la route principale où de vieux canapés déchirés accueillent les hasardeux voyageurs. A part les voitures qui passent, il n’y pas âme qui vive ici. Enfin, si ! J’ai eu droit, lors de ma visite du cimetière qui fait face au temple, au départ des derniers enfants de l’école d’à côté. Mais à cette heure ci, les voix cristallines se sont tues. Ca laisse plus de place à la réflexion, à l’imaginaire et aux discussions intérieures. Je respire puissamment et continue un dialogue avec le grand Maître, entamé là la sortie du temple. “Fais-tu partie des âmes qui errent toujours là, entre deux, comme la plupart des héros de tes pièces ou as-tu su faire face à toutes ces difficultés qui ont jalonné ta fin de vie, sans regrets, sans colère, sans rancoeur et à à passer dans un nouveau cycle de vie ?”

Arrêt du bus n 1 à côté du Shoboji… de vieilles banquettes accueillent chaleureusement les rares voyageurs

Je me plais à croire que, malgré tout, il a su accueillir sa destinée avec ce sourire triste si bien rendu par notre moine sculpteur. Prêt à continuer à accueillir les coups jusqu’au bout en travaillant à forger son âme encore et encore afin de lui donner l’aspect d’un bol vide, capable d’avaler des tempêtes. Creusant, creusant jusqu’à ce que son bol intérieur ait la consistance de l’eau, puis celle d’un nuage pour que rien, jamais, ne puisse venir lui faire renverser l’essence de sa voie.

A l’entrée du temple Wakamiya, le prêtre shinto, la corde tressée en cercle, au fond les hommes attendent et offrent des verres de saké… 31 juillet !

Il est 19h27, j’arrive à Ryotsu, port principal de l’Île Sado. Je n’ai pas vu le temps passer. J’ai continué à discuter ainsi avec le maître tout le long du voyage en essayant de refaire de mémoire le dessin de sa statue. Il va falloir que je mange. Je me mets donc en quête d’un restaurant, mais avec la douce assurance que quelque chose me poussera au bon endroit. En chemin, je croise beaucoup de gens se pressant par petits groupes vers un temple tout illuminé. Des couples avec leurs enfants, des grands-pères et des grands-mères, de jeunes hommes et femmes seuls. Je les suis. Et là, à l’entrée du temple, il y a une corde suspendu en cercle comme dans l’arène d’un cirque. A sa gauche, un prêtre Shinto – j’ai appris à les reconnaître depuis que je suis ici. Ils ont une tenue très particulière et ne peuvent être confondus avec les moines bouddhistes, eux rasés et habillés de tenues beaucoup plus sobres – et au fond, une bande d’hommes d’une cinquantaine d’années servent du saké aux gens qui entrent. Je me dis : “ Ce doit être rassemblement des gens du village…” A ce moment là, un homme à la droite du cercle, me demande d’entrer. Je lui fais signe que je ne veux pas déranger, mais il insiste. Il me prend par la main. Nous faisons la prière à l’entrée du temple. Mettre une petite pièce dans l’autel, faire sonner la cloche pour dire aux esprits qu’on est là, courber l’échine deux fois, frapper dans ses mains deux fois et recourber l’échine une fois en gardant les mains jointes. Puis j’entre. Là, l’homme me demande de passer dans le cercle, de revenir par la droite, de repasser dedans, de revenir par la gauche, de repasser dedans, puis il vient me chercher et me présente au prêtre. Il me demande de courber le dos à nouveau. Le prêtre en profite pour balayer les mauvais esprits qui pourraient être accrochés à moi, puis je dois refaire un huit dans le cercle de corde, une seconde fois. Enfin, il m’invite à aller m’agenouiller devant la bande d’hommes qui rigolent et devisent en buvant du saké. Celui qui est devant m’en sert un verre. Il me fait comprendre que je dois le boire cul sec ! Je m’exécute, puis me voit remettre une friandise dans une enveloppe – ce qu’on voit souvent dans les cérémonies. Je vais pour sortir, mais l’homme revient me chercher. Il veut absolument prendre une photo avec le prêtre. C’est que ce n’est pas souvent qu’ils voient des occidentaux ici, apparemment. Le temps de lui expliquer comment ça marche et le voilà qui immortalise ce moment. Moment délicieux, juvénile. Avec cette bande de garçons au rire franc, qui se délectent de voir un étranger participer maladroitement à une de leur cérémonie.

Photo souvenir avec le prêtre Shinto du temple Wakamiya… j’ai l’air tendu ?

Je repars. Toujours sur mon nuage ! Quelle va être la prochaine surprise ? Il fait nuit noire, Ryotsu n’est pas ce qu’on peut appeler une capitale “moderne”. Pas d’éclairage public à chaque mètre, pas de signaux sonores aux passages cloutés. Ca ressemble plutôt à un vieux petit village qui s’étendrait sur des faubourgs. J’essaye de trouver un restaurant ouvert sur le chemin de l’hôtel, mais c’est peine perdue. Il est 20h00. Elise est là devant l’hôtel, en train de fumer sa cigarette du jour. Je lui raconte ma journée, enfin non, ma fin d’après-midi et elle, la sienne. Figurez-vous qu’elle a rencontré un pêcheur fan de Zeami et qui, après une grande discussion en japanglais – le second niveau, mais Elise a été plus sérieuse dans son apprentissage du japonais – lui a offert un livre – en japonais bien sûr – sur la vie de Zeami. Nous avons, apparemment, été convié au même doux rêve éveillé, mais en des lieux différents. Charme magique de cette Île ?

Second temple, là où Elise recevra sa cure pour tenir jusqu’à la fin de l’hiver

Je repense aux deux tapes de l’esprit bienveillant et le remercie pour ce voyage. Par contre, j’ai faim ! Et le descriptif du repas d’Elise est un supplice. Elle a choisi de manger à l’hôtel, ce qui lui a coûté 1000 yens. Mais, après avoir été convié par les femmes de l’hôtel sous les suppliques d’Elise a manger quelques restes – sashimis, riz, soupe et encore un tas de choses – je me dis que c’est vraiment peu cher payé pour un tel festin ! Elise a mangé une dizaine de plats différents, moi peut-être cinq. Je me dépêche, leur service est censé être fini depuis presque une heure, puis je propose à Elise d’aller au temple à côté, bénéficier du même traitement magique et bénéfique- sur la route, j’ai croisé un second temple ouvert et brillant de mille feux à quelques centaines de mètres seulement de l’hôtel. Nous remercions nos hôtesses pour ce traitement de faveur – Elise est souvent la chouchoutte des japonais et japonaises, c’est indéniable – et partons dans la douce brise d’été du bord de mer vers cet autre temple. L’accueil est tout aussi chaleureux et, parmi les hommes assis, nous reconnaissons le tenancier de l’hôtel. Il nous mitraille de photos et je me vois obligé de refaire avec Elise toute la cérémonie – sans le prêtre Shinto qui, dans ce temple reculé du bord de mer, n’est pas présent. Nous buvons notre coupe de saké – pour Elise, le gars dira : “sukoshi” – traduire par “juste un peu”. Nous sortons de là sous les étoiles en devisant sur ces coutumes, sur l’enracinement du religieux et du surnaturel dans cette culture, tellement loin à présent de la notre. La présence du gérant de l’hôtel – qui parle donc un peu l’anglais, chose rare sur l’île – nous aura permis d’apprendre que nous venons de vivre une cérémonie pour la santé. Il y en a deux par an, une l’hiver et une au milieu de l’été. Pour recharger les batteries et repartir pour six mois sans fatigue et sans poids, le coeur léger. Exactement ce dont j’ai besoin !

Il est 23h00, je suis dans le Onsen de l’hôtel- source chaude où les japonais aiment à se délasser après une bonne journée. Je repasse le film à l’envers et me laisse couler dans cet instant de bonheur. Demain, nous irons au musée de Sado qui se trouve de l’autre côté de l’île. D’après le pêcheur qu’a rencontré Elise, il y aurait un parchemin de la main de Zeami ou une pierre sculpté par lui. Peut-être le rouleau de son exil à Sado qui est en photo dans le livre que les ange-gardiennes du Shoboji m’ont offert? Nous verrons bien…

Île Sado, temple Shoboji : ZEAMI (1ere partie)

« … je respire, avec les yeux et le coeur, le paysage que Zeami voyait, lui, à 700 ans de là ! »

Comme vous avez pu le lire lors des deux précédents messages, le matin du 31, nous partons vraiment très tôt. Il faut pas loin de cinq heures pour rejoindre Nîgata et il n’y a que quatre ou cinq ferrys par jour – bien sûr il y a aussi les Jetfoil, beaucoup plus nombreux, plus rapides, mais aussi beaucoup plus chers ! Aidés par internet, nous avons réussi à établir le voyage suivant : départ Kyôto 6h23, arrivée Tôkyô 9h11, départ Tôkyô 9h40 arrivée Nîgata 11h43, puis bus qui, d’après ce que j’ai compris, met 15 minutes pour aller au port et départ vers l’île à 12h30, arrivée Sado 15 h. Tout cela est assez serré, puisque demain, le 1er août, est mon dernier jour de Railpass – pass gratuit (mais coûtant au demeurant entre 200 et 500 euros, suivant la durée et la classe) pour toutes les lignes JR réservés aux non-japonais – et que nous devrons donc être rentrés avant 00 h demain à Kyôto, ce qui nous laisse sur l’île 24h maximum.

« Economic Class » sur le Ferry. De grands tapis surélevés où il fait bon vivre

Notre périple se déroule sans problème. Il est 12h15 et nous arrivons à la gare des Ferrys. Nous prenons deux tickets “economic class” qui nous reviennent à 2280 yens chacun et allons rejoindre la queue. Sur le Ferry, après avoir déposé les bagages dans notre compartiment – un immense tapis surélevé où, une fois les chaussures enlevées, on peut manger, dormir, jouer… on se croirait dans un boat people – je file sur le pont et essaye de voir se dessiner l’île à l’horizon. Je pense à cet homme qui est passé là – son chemin n’était pas le même, ils partaient à l’époque d’Echigo – et qui a vu le visage de son exil apparaître comme moi aujourd’hui, tel un fantôme à l’horizon. Il est 15 heures. Nous arrivons sur l’Île Sado.

« … je file sur le pont et essaye de voir se dessiner l’île de Sado que Zeami appelle « L’Ile d’Or » à l’horizon… « 

Là, il se passe une autre rencontre avec l’Ailleurs. Au moment de descendre, je passe devant Elise pour rejoindre le bureau d’informations. Je reçois deux tapes douces sur l’épaule. Je me tourne sûr qu’Elise m’appelle, mais elle n’est pas là… Je regarde autour de moi, les gens passent sans me voir. Je reste là, un instant, sûr que je pourrais voir se matérialiser cet esprit si je peux sentir son contact, mais rien d’autre ne se produit et le temps presse. Le temple Shoboji doit fermé à 17h ou 17h30 maximum, ce qui nous laisse très peu de temps pour nous y rendre. Je demande à la fille du centre d’informations où se trouve le temple et la statue de Zeami. Mais, si elle finit par trouver ce petit temple boudé du public, elle m’affirme qu’il n’y a jamais eu de statue de Zeami ici. Il y a par contre un masque dans une salle attenante au temple, un masque de Bugaku – forme dansée dans les temples – que Zeami a porté pour danser une danse en l’honneur des dieux de la pluie qui a clôt un long épisode de sécheresse, mettant en réel danger les îliens. J’ai effectivement entendu parler de cet épisode qui s’est aussi passé au Shoboji où Zeami avait été envoyé après que le premier temple dans lequel il séjournait devienne trop peu sûr, à causse d’une guerre de clans. La Statue dont j’ai entendu parler aurait été faite par un moine – du vivant de Zeami – pour célébrer cet événement et qu’il reste inscrit dans les mémoires à tout jamais.

Le Bus d’un autre âge… dépaysement garanti ! Traversée de l’île d’Est ou Ouest

Il se peut que la Statue ait été déménagée… qu’importe ! Je suis venu pour aller au Shoboji et j’irai. Le temps de déposer les sacs à l’hôtel où Elise souhaite rester pour profiter de la mer et du farniente – la course folle engagée ce matin l’a laissée éreintée. Pour ma part, je repars vers le centre ville – à 20 minutes de marche de l’hôtel – et réussi à attraper un bus juste à l’instant où j’arrive. Il est 16h05, le bus de 16h04 a une minute salvatrice de retard. Je montre au chauffeur l’arrêt indiqué par la fille du centre d’informations et vais m’installer dans ce bus d’un autre âge. Le paysage qui déroule sous mes yeux entraîne encore une fois sur des terres lointaines et oubliées – la nette impression d’être entré dans un film d’Ozu ou de Kurosawa.

Ce n’est pas la route principale, non ! Mais une des routes que l’on voit de l’arrêt de bus du Shoboji

Il est 16h40 et je descends sur la route principale, à peine plus large qu’un chemin de campagne, avec autour de moi, au loin, des collines qui encerclent l’endroit. Il n’existe pas de panneau – le site n’est pas assez touristique sans doute ! J’avance à tâtons. J’essaye de repérer des toits de vieilles bâtisses, mais je ne trouve pas. Je fais demi tour et là, juste avant l’arrêt, une route qui monte vers une colline. Je me lance, j’avance. A quelques centaines de mètres, sur la droite, je vois un portail japonais. Je passe dessous, c’est un cimetière, mais sur la gauche il y a un temple. Il est 17h, une jeune femme passe. J’essaye de lui faire comprendre que je cherche le Shoboji et la Statue de Zeami, mais elle ne parle pas un mot d’anglais. “Koko Zeami” – Ici Zeami ?”. Elle fait demi tour et m’invite à la suivre. Derrière le temple, une dépendance apparaît. La jeune femme entre et m’invite à la suivre. Là, elle s’adresse à quelqu’un et lui explique quelque chose – en japonais. J’entends “Zeami” dans sa phrase. En me rapprochant, j’aperçois que la personne à qui s’adresse la jeune femme est une vieille dame. Elle est en train de faire du jardinage ou en tout cas, est habillée pour. Elle est avec une autre vieille dame qui a du être une femme superbe. La première a un visage doux et sucré, généreux. Ses deux yeux rieurs passent de moi à son amie.

Le Shoboji… lui-même

J’essaye de leur expliquer, je mime l’écrivain. Je mime le Shimai, la flûte, la Statue, Zeami. Elles rigolent et ne semblent pas pressées de me voir me dépêtrer de cet ambrouillamini. Puis finalement, la seconde me demande de la suivre. Nous ressortons. Elle m’amène à la porte du temple. Là, l’autre vieille dame réapparaît, de l’intérieur du temple, en nous ouvrant les portes coulissantes de papier. Je m’approche, mais reste dehors, sûr qu’ici comme ailleurs, on n’a pas le droit d’entrer. Mais non, elles me demandent d’enlever mes chaussures et m’entraînent dans les profondeurs du temple. Nous passons devant l’autel où médite un magnifique Bouddha et à sa droite, dans un renfoncement, elles ouvrent une autre porte de papier où est peint un pin millénaire. Elles tirent la porte et m’invite à entrer. On dirait une salle à manger, avec une table basse en son centre. C’est très peu éclairé. Et là, dans le coin gauche, une toute petite boîte. Elle va l’ouvrir et je découvre stupéfait, la statue faite du vivant de Zeami. Je l’imaginais à échelle, mais c’est une statue d’à peine 20 centimètres de haut. Je reste là, incapable de dire un mot. Je découvre le visage de ce vieil ami, grave, profond, bien plus beau que les dessins que nous connaissons de lui. Il est en seiza dans un beau kimono à manches très amples, les mains sur les genoux. Il porte son éventail à la ceinture. Je demande aux dames si je peux rester un moment. Elles acceptent et me laissent presque une heure seul avec lui. De temps à autre, une des deux passent sonner la cloche des quart-d’heures. Assis en position de méditation, j’essaye de tout lâcher, d’abandonner ma soif et ma faim et d’être juste là ! Simplement là à cet instant présent face à ce vieux génie. Je respire l’air qui circule dans ce temple et qui a vu passer tant de siècles. Après un long moment – 3 coups de cloche – une des deux femmes vient me chercher. Elle a dans sa main un vieux livre avec des photos de la Statue, de la pierre sur laquelle a dansé Zeami et que j’ai vu dehors, du masque et aussi quelques notes de sa main. C’est un cadeau pour leur visiteur ! Je les remercie et leur offre ma carte – je n’ai rien d’autre sur moi. Puis elles me font comprendre qu’elles veulent fermer le temple.

La Statue de Zeami dans sa petite boîte, salle secrête ou salle à manger du Shoboji

Première gardienne du temple… elle s’appelle Papagai… enfin, c’est comme ça qu’elle s’est nommée

Deuxième princesse gardienne du temple Shoboji… ma sonneuse de cloche des 1/4 d’heure

Il est 18h, je ne sais plus où j’habite. Je reste là un long moment. Je caresse la pierre sur laquelle Zeami a posé ses pieds, j’essaye d’entendre la musique, le rythme, l’histoire, puis fais le tour du temple. En regardant au loin – essayant de faire abstraction des maisons récentes qui sont là – je respire, avec les yeux et le coeur, le paysage qu’il voyait, lui, à 700 ans de là ! Et là, encore une fois, en finissant le tour du temple, je tombe sur… une école. Oui, juste à la gauche du Temple, une école comme au Kanze Inari Shrine ! “O Sensei ! Tu choisis bien ton entourage !” lui dis-je tout haut dans un long éclat de rire. C’est quand même surprenant non ? Deux endroits où il a vécu sont devenus des endroits où les enfants évoluent, grandissent et entament leur apprentissage. En tout cas, moi, ça me touche et me conforte dans l’idée que ce monsieur était un très grand maître et un être doué d’un rare souci du don, de la transmisson.

La pierre sur laquelle a dansé Zeami et qui a fait revenir la pluie. On voit son nom en Kanji en haut de la seconde ligne (la centrale) les deux premiers idéogrammes

… A suivre

(Il est trop tard aujourd’hui pour finir, mais la suite sera bientôt là… soyez-en sûrs !)