Shinkansen une fois, shinkansen deux fois et Nô à Tôkyô

Attente à la gare de Setagaya. Marquage jaune pour dire où il faut attendre le train.

Ca y est le Shinkansen est parti. Il me ramène à Kyôto où après une courte nuit, je partirai en excursion pour cinq jours. J’ai encore toutes mes affaires à préparer, un tour à “l’Interneto Café” à faire et demain le départ se fera aux aurores. J’ai rendez-vous à midi à Hiroshima. Mais revenons à cette journée…

Ce matin, après le même scénario qu’hier – réveil 3h30, puis 5h00, puis 6h00 et enfin 6h50, heure à laquelle j’avais mis mon réveil initialement- j’avale fissa un petit déjeuner fait de café et d’un gâteau aux haricots – un de mes préférés ici !- , puis je me prépare : rasage de près, mise de costume sans plis, escarpins – de toile, il ne faut pas exagérer… il fait quand même 35 degrés à l’ombre ici. Il me reste encore un quart d’heure et j’entends la voisine qui fait ses exercices de chant, il est 7h45, cela veut dire que j’ai feu vert pour un petit quart d’heure de flûte. Je m’applique, j’essaye d’établir un lien avec l’autre, là-bas, l’ailleurs et je souffle. Ma foi, je crois que je progresse un peu. Dans quarante ans, ce sera vraiment super. Comme j’ai bien l’intention de vivre au moins encore quarante années, ça tombe plutôt bien.

Ca y est, il faut y aller. Les trains ici ne sont jamais en retard au Japon, les gens non plus. Je prends le métro direction “Kyôto Station” et arrive avec une bonne vingtaine de minutes d’avance. Mon train est à 08h56, juste le temps d’aller recharger ma carte de métro pour ce soir quand je rentre, étant donné que le dernier métro est 23h48 et que mon train arrive à 23h20, je préfère me libérer de ça maintenant. Je vois un guichet, mais manque de bol, il est de l’autre côté du tourniquet et ma carte de métro est vide. Je demande à un contrôleur si je peux passer pour acheter une nouvelle carte, mais ce dernier, après s’être excusé poliment, m’envoie à l’autre bout de la station. “Voilà que je vais finalement être en retard ! “ Je peste ! C’est quand même spécial de mettre des guichets derrière le tourniquet et pas de l’autre côté !!! Je trouve finalement la machine en question, effectivement à l’autre bout de la gare, achète une recharge de 1000 yens -4 voyages-, puis file retrouver mon Shinkanzen. Oups !!! Non, pas tout de suite ! Il faut d’abord acheter les billets pour demain matin. Mais c’est mon jour de chance, pas de queue et en plus le monsieur au guichet est rapide. Voilà, tout est bouclé, je monte dans mon Hitari Shinkansen, gamme du mil.ieu au niveau vitesse, mais gamme supérieure des heureux porteurs du Japan Railpass qui permet de voyager sur tous les trains de la Japan Rail, la JR(cf premier jour). Je profite du voyage pour revoir mes hiraganas et katakanas que je connais moins – les deux syllabaires japonais qui agrémentent les Kanji. En effet, les livrets de Nô et de flûte sont soit en Kanji, soit en Katakana. Moi qui croyais que les Katakana étaient réservés aux mots étrangers ! Non, point du tout… avant tout, les katakanas sont le syllabaire réservé aux hommes, donc par la même occasion sert au Nô. Une fois arrivé à 100 % de reconnaissance avec mon Ikana – logiciel su mon iphone pour apprendre à reconnaître et à écrire les deux syllabaires -, j’en profite pour travailler ma partition d’Utai et pour revoir les quelques mots incontournables pour l’étiquette.

Vision de Shinkansen à Shinkansen, une gare entre Kyôto et Tôkyô…

Il est 11h47, me voici à Tôkyô. J’ai rendez-vous avec Vincent, Vincent Guenneau, le français recueilli par Maître Kenshu Kano, il y a 15 ans et qui nous a reçu avec Elise l’année dernière à Tôkyô. Il a décidé de m’accompagner voir ce programme de Nô assez surprenant. Mais avant tout, il s’agit de trouver un appareil photo tout petit et de bonne qualité pour combler la faible de mon téléphone japonais. Vincent m’emmène dans le quartier de l’électronique : Ashihakara. Ca l’est, effectivement ! A la sortie du métro, un immeuble entier renferme un de ces méga-centres où l’on peut trouver tout ce que l’on souhaite. Ici, ce méga-centre est dédié à l’électronique. A l’entrée, une voix en quatorze langues ressasse que c’est le plus grand magasin d’électronique au monde et aussi le moins cher qui existe. Vincent m’emmène au rayon… enfin, je veux dire, à l’étage appareils photos et me montre ce qu’il a trouvé la veille en cherchant sur internet, dans la fourchette de prix que je lui avais annoncé et avec les impératifs de langue, comptabilité, etc. Il a élu le canon IXY 210 IS pour être exact. De toute façon, on est pressé, on a un spectacle qui nous attend et je ne suis pas là pour faire du shopping. Je regarde l’appareil, il est tout petit, c’est ça qui est important. Je le prends pour aller le payer, mais Vincent m’arrête ! “Non, non ! Pas ici… ici, c’est pour choisir. Dans la rue là-bas derrière, tu as le même 6000 yens moins cher.” 6000 yens moins cher que le moins cher des magasins d’électronique du monde à un pâté de maison ? Décidément, ils sont fous ces japonais… Je le suis et nous voilà dans les petites rues si typiques du Japon. A quelques pas des immenses buildings surchargés de monde, de son et de lumières qui clignottent, c’est comme si on se retrouvait 50 ans en arrière, avec d’un coup, plus personne, du silence, des pilonnes électriques qui donnent l’impression qu’ils vont s’effondrer d’un instant à l’autre. C’est ça la magie de Tôkyô… je trouve. Mais revenons à notre boutique. Elle est là dans cette rue miteuse, quasiment invisible. Il y a juste un comptoir, aucun appareil exposé, mais par contre, des piles et des piles de cartons. Il lui donne la référence de l’appareil, la vendeuse tourne le dos et récupère un petit carton dans le tas. C’est ça ! et effectivement 6000 yens moins cher ! J’achète… Il est 12h45, nous sommes censés être au théâtre à 13h30 et nous n’avons pas mangé. Le temps presse. Vincent suggère qu’on aille jusqu’à la station Setagaya – là où est le théâtre national de Nô – et qu’on avise du temps qu’il nous reste à ce moment-là. Nous reprenons donc le métro et débarquons à la station Setagaya que je connais. C’est drôle, mais je n’ai que très peu oublié cet endroit. “Qu’est-ce que tu veux manger?”, me demande-t-il. “Des SUSHIS !!!”. Mais l’idée ne semble pas l’emballer. Ok, tant pis ! C’est pas encore pour aujourd’hui, mais ça viendra. “Comme tu veux, Vincent. Je te suis.” Il nous dégotte un de ces petits resto dont il a le secret où nous mangeons bien et pour presque rien. Du style 400 yens par personne, mais pour un vrai repas, fait de riz, de légumes, de raviolis à la crevette, d’une soupe. Ouah ! C’est bon… je l’avais presque oublié ! “Mais pourquoi tu veux qu’on soit au théâtre à 13h30, ça commence à 14h30, non ?” “Oui, mais c’est Rebecca qui m’a dit…” “Ah ! Ok… on a le temps alors !” Du coup, on mange tranquillement, c’est pas mal non plus.

Le Patio du Théâtre National de Nô… un petit paradis… fumeur !

Il est 14 heures quand nous arrivons au Théâtre. C’est bondé ! C’est qu’aujourd’hui, comme je vous le disais plus haut, c’est particulier. En effet, chaque école est présente : les Kanze et les Kongo présenteront des Nô complets, les Hosho, les Komparu et les Kita présenteront, eux, des Shimai – danses du Shite, le personnage principal du Nô, vous vous souvenez ?. Bien sûr, il y aura aussi un Kyôgen, histoire de se détendre un peu, présenté par l’école Izumi-Ryu. Ca promet !!! Je réentre dans ce théâtre avec un réel plaisir. C’est ici qu’est le patio à ciel ouvert que je voudrais reproduire dans l’Etoile du Sud pour y installer le Théâtre Nô d’Aix-en-Provence. Il y a toujours le stand Kanze où l’on peut tout acheter, du masque à l’éventail, en passant par les pièces de tissu et tous les livrets – textes du répertoire du Nô. Il y a aussi le libraire à qui j’avais laissé 7000 yens l’année dernière qui vend des dvd, cd, livres, tout, tout, tout ce qu’on peut trouver sur le nô et même quelques ouvrages en anglais -j’ai l’adresse de son site internet, si vous voulez. On file se réserver des sièges en y déposant nos affaires. On sera sur le côté, à moins d’un mètre du pont. C’est une bonne place, relativement bonne. Pendant quelques instants, nous pourrons voir les masques de très près, ce qui aujourd’hui avec la présence du Iemoto Kongo devrait valoir le détour. En effet, dans ces cas-là, quand les Iemoto jouent – les Iemoto sont les grands maîtres des différentes écoles, les seuls à savoir tout les secrets sur chaque pièce, chaque chant, celui par lequel chaque membre rattaché à sa famille doit obligatoirement passer – les masques sont ceux de la famille en question, mais les originaux, pas les copies qui circulent habituellement, ainsi que les costumes. Ce sont ce genre d’occasion qui permettent de voir des nôs complexes avec beaucoup de personnages ou des effets de scène importants. Comme c’est le chef, on ne mégote pas sur les dépenses pour la plus grande joie du public.

Deux acteurs dans leur tenue de scène qui accueillent le public à l’entrée du Théâtre

Mais passons les choses dans l’ordre. D’abord les Kanze ! En général ceux qui ont joué les nô qui m’ont le plus touché. C’est donc avec excitation que je les attends aujourd’hui. Arriverais-je à partir voyager de cet autre côté comme à chaque fois que je les vois ? En plus, Vincent me dit que celui qui sera le Shite est le “Monsieur Nô” du moment, celui qui tourne le plus à l’étranger ; un shite très populaire. Il n’est pas de la branche Kanze directement, mais fait partie de la famille Imewaka qui s’est alliée aux Kanze, préférant cette alliance que de se voir disparaître. Alors ? Alors… rien du tout. Enfin si, la musique est comme toujours chez les Kanze, une pure merveille, en particulier la flûte jouée par Fushita Jirô. “C’est ça que je veux faire quand je serai grand !” Mais le Shite est une calamité ! Une espèce de gros bonhomme court sur patte qui s’écoute jouer tel un occidental et peine à essayer de donner l’illusion qu’il fait vivre ce magnifique masque de type Ko-Omote (masque de jeune femme) – je dis de type, car je n’en suis pas sûr, le masque que porte Imewaka Rokuro me semble plus aigue, plus mature… à vérifier, si vous savez lire le japonais. Je finis par m’endormir et abandonne “Hashitomi “à son triste sort – Hashitomi est le nom de la pièce, sûrement aussi le nom de la femme ?… je ne sais pas.

Okina Haku-Shiki, Masque de la Collection Kanze – 10 ème siècle – Sculpté par Miroku

Puis arrive le Kyôgen, enchaîné avec le premier nô comme d’habitude. C’est “Kazumo”, l’histoire de l’esprit du moustique. Du coup, on a même la chance d’avoir un masque de Kyôgen sur scène – et oui, l’esprit du moustique est masqué. C’est tordant… si, si, vraiment. Ils jouent de façon très théâtrale. Avec des mimiques très marquées, des effets de voix. Le masque du moustique faisant un combat de Sumo avec le maître et s’affublant à l’occasion d’une espèce de paille qu’ils coincent dans la bouche du masque pour signifier la trompe du moustique est vraiment très drôle. Je passe vraiment un bon moment, la salle aussi d’ailleurs. Sauf Vincent qui trouve qu’on s’écarte trop du Kyôgen. Il me dit qu’apparemment même dans le texte, ils se sont permis des adaptations pour rendre la pièce plus contemporaine. Mais n’est-ce pas là ce que devrait être le kyôgen ? Comme il avait été du temps de Zeami ? “Farces Improvisée” ! Personnellement, je le pense. La salle aussi d’ailleurs salue chaleureusement ce moment vraiment fort, populaire et en même temps très stylisé, universel. Super !

Ko-Omote – Masque de la collection Kanze – 17 eme siècle – Sculpté par Yamato

Pause de vingt minutes…. le temps d’aller fumer une cigarette et d’aller boire un “Black”, café glacé noir et sans sucre – sinon ici le café est au lait et tellement sucré qu’on croirait un sirop ! Puis c’est le moment des shimai. Trois interventions courtes – le temps de la danse dans le nô est souvent très court, c’est l’histoire de 5 à 10 minutes. – où l’on peut discerner un peu les spécificités de chaque école, même s’il faut essayer d’éviter d’établir son jugement sur un instant, surtout quand on sait les différences qu’il peut y avoir suivant les interprètes, les pièces même. Mais je reconnais tout de suite le style Kita, incisif, précis, un peu martial. Très joli à voir, très efficace. Dans le choeur qui chante derrière le Shite, je reconnais Ryoichi Kano, le fils de Kenshu Kano. Les Hôsho, représenté dans le rôle du Shite par le fils du Iemoto : Kazuya Hôsho, donc par leur futur maître, sont un peu dans le mêm style que les Kita. Le fait que ce soit un jeune qui danse et qu’en plus ils aient choisi une pièce de Démon renforcent cet effet. Enfin, les Komparu avec Yasuyuki, le Iemoto Komparu – ils sont basés à Nara, là d’où Zeami vient, là où il y aurait aussi sa tombe -… et là, se passe quelque chose ; le chant est très étrange tellement il est mélodique, mais la danse… la danse a quelque chose de fragile, de maladroit sans maladresse, de saisissant, de touchant. On dirait que les mouvements sont faits à moitié, qu’ils ne coûtent rien, mais on comprend vite que ce n’est pas si simple. Sûrement là le moment le plus fort de la journée pour moi.

Ko-Beshimi – Masque de la collection Kanze – 13eme siècle – Sculpté par Shakuzuru

Puis arrive le moment tant attendu, le Nô présenté par les Kongo, avec le Iemoto en Shite et mon maître, Udaka Michishige, en chef de choeur. Il s’agit de “Ôeyama”, nô que je n’ai jamais vu et à vous dire vrai, j’en prends plein les yeux. C’est un nô très spécial où les Kyôgen sont deux et ont un rôle vraiment important – ils sont comme les premiers très très drôles -, où les waki sont six, entrent et sortent, puis reviennent armés. L’esprit apparaît deux fois, dont une sous la forme d’un démon de type dragon qui surgit d’une maison amenée sur scène par deux aides de scène pour défier les Waki. Après en avoir terrassé 5, il se fait tuer par le sixième. Voilà le shite qui fait une roulade de type “premier cours d’accrobatie” et s’étale de tout son long avec son masque, avant de se relever pour sortir. Le Iemoto a une voix incroyable – comme le choeur d’ailleurs – , les Kyôgens sont excellents, les wakis très bien, mais la danse a du mal à m’emmener. Les déplacements du Iemoto Kongo sont lourds, il fait beaucoup de bruit… lui aussi devrait se mettre au régime ! C’est dommage. Il n’empêche que je n’ai pas lâché un instant, tellemnt l’histoire était pleine de rebondissements, tellement les costumes étaient fastes, les masques d’une facture incroyable et les voix vraiment très bien portées.

Le coin fumeur… en gare de la Tôkyô Station

Il est 18h45, nous sortons d’une après-midi riche et qui a le mérite d’avoir encore un peu élargi le champs de ma compréhension nôistique. Je bois un dernier café avec Vincent et lui donne rendez-vous pour le 9 -date de notre retour à Tôkyô pour le stage de Kyôgen- et file prendre mon Shinkansen à la gare de Tôkyô.

Il est 21h55 et 14h55 chez vous, fin de la transmission…..

P.S. Et alors ces élections à Aix, ça donne quoi ?

3 réflexions sur « Shinkansen une fois, shinkansen deux fois et Nô à Tôkyô »

  1. Pour les élections… ça va être serré.. mais c'est possible que la gauche unie enfin l'opposition unie gagne. Modem, PS et verts ont fait une liste commune..; donc ils ont une chance. La maire avait dimanche dernier autour de 45% mais normalement elle n'a plus de réserve.

  2. Y'a peut-être une chance que Fred prenne la culture en main… Non, je rigole, mais ça va être serré, attendons dimanche le 2eme tour.

    Bisous mon coeur.

  3. We have a stongle wind since yesterday…

    I was up this morning at 5h30. You back to Kyoto I think. I did not have to go to Paris. The meeting is without the "directoire".

    Kiss you

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