Il est 13h33 chez vous et 20h33 chez nous, enfin chez eux…
J’ai du mal à récupérer du décalage horaire, je flotte entre deux eaux et m’astreins à m’en tenir à mes objectifs et à ne pas plonger sous la couette faire quelques tours de cadran en espérant me réveiller un matin, fringant ! Et puis beaucoup de questions se posent, le Japon et la solitude y sont propices. Alors je flotte. Me tenant aux rampes de mon devoir, mais acceptant qu’il en soit ainsi.
Ce matin, réveil à 5 heures – non, il n’y avait pas classe d’Aikido – , puis à 6 heures et enfin à 7 heures où je décide de rendre les armes et de me lever. Je voudrais aller au château de Nijo, le Prince Nijo. Je ne sais pas s’il s’agit du même que celui qui a pris en charge l’enseignement poétique et littéraire de Zeami, mais il en porte le nom. Le problème avec les Princes, c’est qu’on a des chances de se tromper et en même temps c’est difficile de leur demander : « c’est quoi ton petit nom ». Non, avec un Prince ça ne se fait pas ! Nous verrons bien !
Je prends mon petit déjeuner, en profite pour avaler quelque chose, m’apprête à partir quand, tout à coup, je réalise que demain je serai à Tôkyô pour une représentation de Nô et que donc… je vais rater le festival de Gion : “Gion Matsuri”, dont le final a lieu demain. D’autant plus que j’ai serpenté mainte fois dans les rues de ce quartier lors de mes lectures. Non, c’est trop bête ! Je vais au moins aller voir les différents chars et les différentes reliques, il doit y en avoir une trentaine, dont cinq ou six en rapport avec les nô -soit directement, soit en lien avec certaines histoires ou personnages qui ont été repris par le Nô. Château, tu m’attendras, Gion me voilà !
Enfin, me voilà… du coup, j’ai un peu plus de temps et je décide de travailler mes exercices de flûte avant de partir. C’est mieux qu’hier, mais c’est toujours moins bien que demain. Décidément, j’adore cet instrument. Il est vraiment particulier. Saoulé comme la veille , je prends mon vélo direction Gion.
C’est une cohue sans nom avec des échoppes ambulantes de partout – c’est là qu’on se rend compte que les rues ici sont vraiment très étroites. Mais l’humeur est bonne, les gens sont souriants, les photos fusent, les queues s’allongent, les cyclistes abandonnent leur monture pour entrer dans le foule, c’est Gion au moment de son festival comme il a dû l’être depuis toujours. Je fais le tour des chars. Les tapisseries qui y sont suspendues sont de pures merveilles, certaines vraiment très anciennes, d’autres plus récentes, quelquefois même des créations. A côté de chaque char, il y a une échoppe ou une maison qui est devenu, le temps des préparatifs du festival, la demeure des saints, divinités ou autres démons qui prendront place sur les chars pour le défilé qui aura lieu demain. Les statues sont très belles. Les gens viennent, se recueillir devant, font une photo, une prière et laisse une petite pièce ou une offrande. D’ailleurs toutes les marques d’alcool sont de la fête. Devant chaque char ou chaque relique s’étalent des tonneaux de saké et de bière. Il y a aussi des photos d’équipes de sport, des ballons signés pour gagner le prochain match. C’est que les dieux ici sont partout, présents pour chacun. Au cas où – on se sait jamais – je fais une petite prière devant la statue de Ashikari et laisse une petite offrande. C’est lui qu’on vient voir pour “Harmony Between Husband and Wife”. 😉 De plus, il porte le costume le plus ancien qui est encore en circulation sur le festival : il date de 1537. On peut voir là où est l’autel – la salle d’attente, quoi ! – la première tête de Ashikari qui date elle aussi de cette époque là, mais qui a été remplacée par une autre, pour la préserver des méfaits du temps.
Quand je sors de Gion, j’ai la tête qui tourne. Je profite d’être sur la Shijo – Dori pour m’acquitter d’une tâche : acheter un sac pour mon nouvel éventail. L’éventail dans le Nô est comme le sabre pour le samuraï, c’est le représentant de l’âme et de la voie. On doit toujours l’avoir sur soi et en prendre un soin extrême… donc sac obligé ! On appelle cela un : “Shimai Ôgi Bukuro”. Le magasin que m’a indiqué l’allemand hier, au cours de Shimai, est dans cette rue, dans une vieille galerie marchande qui est juste au croisement de la rue Shijo et de la rivière Kamo. C’est l’histoire de quelques minutes pour choisir parmi tous ces ôgi ! Il y a là de magnifiques éventails, mais c’est trop cher… entre 15 000 et 45 000 yens – de quoi me faire un joli cadeau d’anniversaire – à bon entendeur, salut ! Je profite d’avoir encore quelques instants pour aller faire un tour à la « Gallery of Kyoto Traditional Arts & Crafts » qui est sur ma route. Il s’agit, en fait, d’un magasin de luxe, doublé d’une salle où l’on peut voir des artisans oeuvrer. Il y a de magnifiques objets. On passe, on rêve, on sort !
Viens alors l’éternel et non résolu problème du repas… “Bento, Obento”. Un vendeur ambulant scande sa jolie chanson de vendeur d’Obento – panier repas traditionnel japonais – et capte mon attention. “Allez ! Plutôt que de ne rien manger, essaye un Obento. En plus, tu le manges chez toi ! Si ça te déplaît, tu ne le manges pas.” C’est dit, c’est fait. Je lui achète un Obento – 400 yens – et file à la maison manger et me préparer pour mon second cours de shimai et d’utai. J’ai l’impression qu’il y a plusieurs choses dans ce panier repas ! Peut-être même un dessert ?! Je pose vite mon vélo, fait le tour de clé et ouvre le sac à surprises…. Padam ! C’est du riz préparé et quelques légumes marinés… ça à l’air délicieux. Dans le sac… un oeuf ! Ah non ! Ca suffit avec les oeufs maintenant ! Heureusement le vendeur d’Obento a pensé à moi et m’a laissé le choix. L’oeuf au frigo, à faire cuire une prochaine fois. Je mange mon Obento, c’est drôlement bon ! 13h15 ! Il faut filer. Je prends mes affaires et décide d’aller à mon cours de Shimai en métro pour être sûr d’être à l’heure. Mais le métro vient de passer et il me faut attendre le prochain qui est 10 minutes plus tard ! Rrrrrrr…. Finalement j’arrive just in time.
Aujourd’hui, je suis tout seul, pas d’allemands en vue. Je n’ai rien contre les allemands, mais je préfère l’intimité du face à face. On prend le temps de boire un petit thé et hop, c’est parti. A nouveau, échauffement vocal, Umai et Shimai. Mais aujourd’hui on avance. On travaille l’ouverture de l’éventail avec la danse en même temps. Il se passe un instant où je pars vraiment ailleurs. Comme si j’étais vingt mille lieues sous les mers. Le temps passe trop vite ! Il est 15 heures, Rebecca me donne les dernières consignes. Pour le voyage à Tôkyô, pour celui à Hiroshima et à Matsuyama. Je rentrerai demain soir dormir à Kyôto, mais je ne reverrai pas Rebecca avant mercredi ou jeudi prochain, car mon train pour Hiroshima est tôt le samedi matin.
Avant de partir, elle me prête un sac de couchage. Oui, parce qui si à Hiroshima je suis à l’hôtel, à Matsuyama, je dormirai dans le Shikibutai de Maître Udaka. Je vais donc vivre avec lui pendant quatre jours ! Je ne vous dis pas l’angoisse…. déjà que je n’arrive pas à aller aux toilettes quand il y a quelqu’un que je ne connais pas dans la maison, alors là… ça va être une épreuve terrible !!!! En même temps, j’ai hâte grave. Suivre Udaka Sensei et vivre avec lui, ça risque d’être une expérience marquante, je pense. Surtout que durant notre séjour là-bas, il est censé aller à un temple avec lequel il est lié pour réparer de très anciens masques.
Bon… il est 15h30 – et oui, parfois je prends le temps de souffler . Là, j’ai bu un café et fumé une, non, deux cigarettes- je rentre. Arrivé à la maison, je me refais un petit coup de flûte en passant et me vient la soudaine envie de retourner voir le « Zeami Inori Shrine ». Je prends mon vélo et file là-bas. Je m’installe devant l’école et me met à écrire. Je cherche à entrer en contact, mais rien ne se passe. Alors je fais le tour du pâté de maison, je retourne dans le petit temple où j’étais allé l’autre matin à l’aube. je cherche des traces, des signes. Mais rien. Je retourne à mon vélo. C’est jour de fête aujourd’hui, en plus de mon Obento, je me suis acheté une boisson écrite tout en japonais où est dessiné un pamplemousse et un citron. Vu que c’est le jour des essais, on essaye ! Je m’assieds sur le trottoir face à l’école, je commence à boire. Drôle de goût ! Un peu piquant, mais bon, c’est le Japon, il faut s’accoutumer. J’adore le pamplemousse, alors je vais pas faire le… hips…. difficile ! Oui, oui, vous avez bien compris ! La dite boisson que je suis en train de boire pour mon goûter, moi qui ne boit pas une goutte d’alcool, est alcoolisé. Je vois sur le côté de la boite : 8°. Avec cette chaleur, la fatigue, le fait que je ne bois presque jamais, je suis… saoul ! Je reprends mon vélo tant bien que mal et vole jusqu’à la maison en zigzagant, prêt à m’endormir à chaque feu rouge. Hips… fait mon klaxon ! Hips… font mes yeux. Ouf ! J’arrive enfin… je pose ce foutu vélo, j’entre et m’effondre sur mon lit… je dors !
Réveil brutal ! Il est 19 heures ! J’ai encore raté l’Aikido ! Je suis cuit, mais j’ai faim. En plus, j’ai vu sur le chemin un resto qui vend des plats avec du poisson, avec même des sashimis de thon. Je retourne tant bien que mal jusque là-bas et commande ce simple plat : 6 tranches de sashimi et du riz. Je me régale !
S’il n’y avait pas ce kimono qui attend dans ma chambre, je crois que je laisserai tomber les cours d’Aikido sur le champs – déjà que je ne vais pas le voir de la semaine ! Mais non, il faut lutter contre ça aussi. Rater un cours, cela n’est pas grave – surtout qu’il ne m’attendait pas, étant donné que je ne savais pas mon programme avec Rebecca- il faut faire face, arrêter les jus de pamplemousse et tout ira bien !
Le poisson m’a fait du bien, la griserie est partie. Je prépare mes affaires pour demain, envoie un message à Vincent que je vais retrouver demain à Tôkyô et qui vient avec moi voir le Nô au Setagaya, le théâtre national de Nô de Tôkyô . A mon avis, il y aura beaucoup de monde, étant donné qu’il s’agit d’une journée de Nô particulière. En effet, toutes les familles de Nô y joueront. Ouverture des Kanze, Shimai des Hosho, Kita et Komparu et un second nô par les Kongo. Mais je vous parlerai de tout ça demain. J’aurai le temps du train pour vous écrire.
Allez ! Avec un peu de chance, je vais croiser Rose et Elise à l’”Interneto Café”, il est 14h45 à Greenwitch et 21H45 ici… fin de transmission.